Les récits de science-fiction regorgent d’histoires de personnes aux talents hors-norme comme les X-men qui sont à la fois craints et jalousés par les « normaux ». Des histoires de surdoués attestent le long chemin par lequel le don maudit qui isole, voire exclut, se convertit en un don béni qui se met au service, se communique et fait du bien. D’autres écrits enfin content aussi le déni des dons – en particulier celui de la beauté – par la culpabilité.
La mythologie nous en offre un exemple dans l’histoire d’Apollon et Daphné. Racontée par Ovide [1] , elle est immortalisée par une superbe sculpture en marbre du Bernin que, après pas moins de onze ans de restauration, l’on peut admirer à la Galerie Borghèse à Rome. Des suites d’une vengeance d’Éros (ou Cupidon), le dieu Apollon tombe follement amoureux de la belle nymphe Daphné, fille du Dieu fleuve Pénée. Il la poursuit non seulement de ses assiduités, mais par sa course. Alors qu’il est « infatigable », elle s’épuise. Au moment où il va la saisir, Daphné tourne les yeux vers les eaux du Pénée et le supplie de la secourir. Son père répond aussitôt à sa demande. Ainsi s’achève le poème : « À peine sa prière achevée, voici qu’une pesante torpeur envahit ses membres ; sa tendre poitrine est enveloppée d’une mince écorce, ses cheveux s’allongent en feuillage, ses bras en rameaux, son pied, tout à l’heure si rapide, est retenu au sol par d’inertes racines ; son visage, à la cime, disparaît dans la frondaison. Seul subsiste en elle l’éclat de son charme ».
Spontanément, ce conte est interprété comme une fable morale, attestant la vertu de la jeune fille qui ne veut pas céder à son prédateur et trouve un refuge coûteux, mais efficace, en se rendant inaccessible. Les interprétations psychanalytiques, freudiennes, mais aussi jungiennes [2], n’ont pas manqué. Par exemple, la jeune vierge qui cherche refuge auprès de son père n’a pas encore « fait son Œdipe » et craint l’amour masculin.
Il ne faudrait pas manquer une autre leçon, entre psychologie et éthique, présente dans la prière de la jeune femme : « Fais-moi perdre – demande-t-elle – en la transformant, cette apparence qui m’a valu de trop plaire ! ». Comme si elle était coupable d’avoir suscité le désir ! Aussi se punit-elle en niant le don de la beauté qu’elle a reçu. Sans toutefois y arriver totalement : « Seul subsiste en elle l’éclat de son charme ». Comme pour clamer éternellement son innocence…
Pascal Ide
[1] Ovide, Métamorphoses, L. I, v. 452-567.
[2] Cf., par exemple, Joseph Campbell, Le héros aux mille et un visages, trad. Henri Crès, Paris, Robert Laffont, 1977 : Escalquens et Paris, Oxus, 2010 : coll. « J’ai lu. Bien-être », Paris, J’ai lu, 2013, p. 89 s.