Sur cette question, les avis ne sont pas seulement partagés, ils sont polémiques, au sens étymologique du terme (polémos signifie « guerre » en grec). Car l’enjeu n’est pas mince : (entendre) parler de déconfinement, c’est susciter en nous l’espoir ou le désespoir de sortir bientôt du confinement. Or, ces deux sentiments sont parmi les plus puissants.
Penchons-nous un instant sur l’espoir. Des études en psychologie sociale ont montré son impact sur notre vision du monde et de l’avenir (ce que cette discipline appelle un « biais »). Prenons l’exemple d’une thérapie anticancéreuse dont les chercheurs disent qu’elle ne donne des résultats probants que dans 1% des cas. Si le cancer dont vous êtes malade n’est ni étendu ni invasif, qu’existent beaucoup d’autres traitements efficaces, vous ne serez pas intéressé par ce traitement si peu prometteur. Si, en revanche, vous êtes à un stade avancé, que vous avez « tout » essayé, alors, soudain, cette même thérapeutique devient porteuse d’un espoir immense. Les 1% objectif se transforment en une chance sur deux, c’est-à-dire en 50 % subjectif. Une même réalité extérieure est donc vue de manière totalement différente (le biais) selon notre état intérieur.
En situation de crise et de vulnérabilité, tout ce qui éveille espoir, désir ou, inversement, crainte, désespoir, retentit considérablement, est déformé selon notre attente et se trouve surévalué, voire absolutisé. J’en ai fait personnellement l’expérience quand, dans une même journée, j’ai entendu le premier ministre employer pour la première fois (et, à mon sens, imprudemment) le terme « déconfinement » et quand, de l’autre, j’ai entendu que l’Australie parlait d’installer un confinement qui durerait six mois… J’ai perçu l’impact démesuré de ces paroles me déchirant entre deux sentiments opposés.
Je me suis alors mis à genoux et j’ai dit : « Seigneur, en Toi seul mon espérance ». Et la paix est revenue. Aussitôt. Depuis ce jour, en verticalisant mon espérance, en redisant avec le psaume (tiens, comme par hasard, c’est celui que nous disons à l’office des lectures !) : « Maintenant, que puis-je attendre, Seigneur ? Elle est en moi, mon espérance » (Ps 38,8), j’ai lâché tout espoir (mais aussi tout désespoir) humain face au délai. Et mon cœur s’est installé dans une durable sérénité.
Est-ce donc à dire qu’il ne faille plus écouter aucune information en ce domaine ? Multiplier ces actes de confiance, n’est-ce pas verser dans le quiétisme, voire déserter les débats de ce monde ? Verticaliser l’espérance, ne serait-ce pas réduire de manière bouddhiste le temps au seul instant présent ?
Je sens bien qu’il n’en est pas ainsi en moi. Cet acte d’espérance théologale (« Mon Dieu, j’ai confiance en Toi. Aussi ai-je décidé de ne pas me soucier ni m’inquiéter de la date de sortie du confinement, dont la détermination ne m’appartient pas ») me permet d’écouter paisiblement les avis, de ne pas d’abord entendre les conclusions (pour ou contre la sortie rapide, etc.) mais les arguments, enfin d’entendre les arguments allant dans un sens, mais aussi ceux allant dans l’autre sens sans les refuser a priori, et ainsi de me forger une opinion (qui demeure une opinion) la plus équilibrée possible. Seule l’espérance théologale est assurée, car elle est une « ancre sûre et solide » (He 6,19), nos espoirs humains demeurent utiles, mais incertains. Bref, selon l’image suggestive de Benoît XVI, inscrivons nos petites espérances dans la Grande espérance [1]. Celle du salut que nous célébrons en cette sainte Semaine Sainte.
Pascal Ide
[1] Benoît XVI, Lettre encyclique Spe salvi sur l’espérance chrétienne, 30 novembre 2007, n. 3. L’expression « grande espérance » est citée pas moins de 12 fois.