Tout récemment, à la sortie d’une messe de semaine, une jeune femme m’a abordé et m’a demandé : « Mon Père, comment faire grandir la foi ? » Or, en échangeant avec la personne, j’ai découvert qu’elle n’était ni baptisée ni même catéchumène. Sans le savoir, elle répétait presque mot pour mot la question des Apôtres que nous venons d’entendre : « Augmente en nous la foi ! » (Lc 17,5). « L’Église, c’est l’Évangile qui continue », selon le mot du cardinal Journet. Que cette demande m’a touché au cœur ! Que je prie pour que, en chacun de vos cœurs, de nos cœurs, s’avive, croisse ce désir ardent. Trois moyens pour faire grandir la foi.
- Écarter le doute, résolument.
Aujourd’hui, j’entends de plus en plus, voire, plus inquiétant, je lis de plus en plus, que le doute est consubstantiel à la foi. Qu’Alain Decaux le dise, passe encore : il est historien et non pas théologien. Mais je découvre dans des ouvrages chrétiens sérieux cette affirmation que la foi doit consentir à vivre dans l’incertitude, plus, qu’elle se méfier de cette fausse sécurité que serait la certitude. Comme s’il y avait de la toute-puissance à se dire assuré que le Christ est ressuscité ou présent dans le Saint-Sacrement !
Il n’est donc pas inutile de nous rappeler l’enseignement magistériel en ce domaine : « La foi est certaine, plus certaine que toute connaissance humaine, parce qu’elle se fonde sur la Parole même de Dieu, qui ne peut pas mentir. Certes, les vérités révélées peuvent paraître obscures à la raison et à l’expérience humaines, mais ‘la certitude que donne la lumière divine est plus grande que celle que donne la lumière de la raison naturelle’ [1] ». On peut même aller plus loin avec l’encyclique de Benoît XVI et François, Lumen fidei : la foi est une lumière. C’est pour cela que saint Jean associe souvent les deux verbes, « croire » et « savoir » pour en parler.
Le Catéchisme ajoute une éclairante citation du cardinal Newman : « Dix mille difficultés ne font pas un seul doute ». En effet, ne pas douter ne signifie pas se taire ou ne plus questionner. Éclairante est la différence entre Zacharie, le père de Jean-Baptiste, et Marie, la mère de Jésus. Ils posent presque la même question : « Comment cela se fera-t-il ? » Mais le premier interroge parce qu’il doute, alors que « la servante du Seigneur » (Lc 1,38) demande pour mieux comprendre et ainsi encore mieux suivre Dieu. C’est pour cela, comme le dit saint Augustin, « je crois pour comprendre et je comprends pour mieux croire », et saint Anselme à sa suite : « La foi cherche à comprendre [2] ».
Donc, chers frères et sœurs, si le doute commence à étreindre votre cœur, chassez-le résolument comme on le fait pour toutes les autres tentations, une tentation de colère, de vaine gloire, d’impureté. Et, en positif, posez un acte de foi et de confiance, en fonction de l’objet sur lequel porte le doute : « Jésus, j’ai confiance en Toi ! », « Père, même si je ne comprends rien à cette épreuve, je crois que tu es bon et que tu t’occupes de moi ! », « Tu m’as dit que tu me pardonnais par la parole du prêtre dans le sacrement, donc, je ne reviens pas dessus, je le crois ! ».
- Se lancer.
Le père Étienne Grenet, qui est responsable du pôle Mission à Paris, dans le beau livre qu’il vient de publier et que je vous recommande chaudement, Dieu agit, raconte qu’il avait prié en janvier 2022 pour un prêtre qui avait une forte douleur à l’épaule et, à cause d’elle, dormait mal. Pendant la prière de guérison pour lui, la douleur avait disparu et il avait retrouvé le sommeil. Deux mois plus tard, il le croise et lui demande des nouvelles. Le prêtre lui dit que, depuis deux ou trois semaines, la douleur est revenue. Un ou deux jours après cette rencontre, le père Étienne y repense et se dit que la douleur ne devrait pas revenir. Dieu est un médecin bon et efficace ! Il se dit : je vais lui écrire un SMS pour chasser définitivement cette douleur au nom de Jésus. Mais, en prenant son téléphone, une hésitation le saisit : « Il va me prendre pour un illuminé ! Si je lui envoie ce message, cela va décrédibiliser le charisme de guérison ». Divisé, il prie le Seigneur : « S’il faut que j’envoie ce SMS, donne-moi une confirmation ». À l’instant, il reçoit intérieurement un numéro de page. Il ouvre aussitôt sa bible et tombe sur un passage du livre des Juges concernant un personnage, Gédéon (en l’occurrence : Jg 7,9-15). Ce juge est bien connu pour être le roi de l’hésitation et de la procrastination ! Comme il doute, il demande à Dieu de multiplier les signes et confirmations. Par exemple, Dieu lui donnant l’ordre d’attaquer l’ennemi, il pose une toison sur le sol et demande au Seigneur que, le lendemain matin, tout le sol soit humide de rosée et la toison sèche. C’est ce qui se passe. Mais Gédéon doute toujours et il demande donc que, le matin d’après, se produise le contraire : que toute la terre soit sèche et la toison humide ! Devant ce nouveau signe de Dieu, enfin, il consent à lui obéir. « En Gédéon, la Bible nous offre, avec humour, une caricature de celui qui recherche indéfiniment des sécurités avant d’obéir aux inspirations divines » et « dévoile le manque de confiance en Dieu » au nom d’un illusoire « risque zéro ».
Le père Étienne comprend la leçon et en sourit : en lui faisant lire ce passage, « l’Esprit-Saint m’a tendu un miroir de ma tentation de sécurisation maximale » ; de plus, comme à Gédéon, « Dieu me montrait à quel point il me connaissait » et acceptait de faire avec mon hésitation ; mais, enfin, « j’ai compris qu’il me disait aussi, discrètement : ‘Arrête de faire ton Gédéon ! Tu n’as pas besoin de demander indéfiniment des confirmations avant d’agir’ » !
Certes, ajoute le père Étienne, « parfois il est légitime de demander une confirmation. […] Mais dans bien des cas, il veut nous conduire à obéir directement à son inspiration. Faire simplement ce qu’il nous dit », en arrêtant de lui demander sans cesse : « Seigneur, peux-tu me répéter ce que tu viens de me dire en passant par un autre canal [3] ? » Arrêtons-nous un instant et demandons-nous : est-ce qu’il m’arrive de faire mon Gédéon ? Si c’est le cas, lançons-nous dans la confiance !
- Passer d’une foi notionnelle à une foi réelle.
Appuyons-nous une nouvelle fois sur le futur Père de l’Église, saint John Henry Newman. Il insiste souvent sur la distinction entre ce qu’il appelle savoir notionnel et savoir réel. Nous pourrions nous aider d’une particularité de la langue française qui est l’une des seules à posséder deux verbes : connaître et savoir. Par exemple, l’anglais n’en possède qu’un : to know. Un savoir sur une chose, une personne, un événement est très différent d’une connaissance de ces réalités. Alors que le savoir est mental, lointain, abstrait, la connaissance suppose une rencontre et une fréquentation. Le médecin peut savoir beaucoup de choses sur le diabète, le malade diabétique, lui, connaît cette maladie de l’intérieur. De même, un savoir sur Dieu n’a rien à voir avec la connaissance de Dieu. Celle-ci requiert de prendre du temps gratuitement avec lui, notamment dans la prière et dans la mise en présence.
Voici ce qu’affirme Newman en 1831, non sans humour, puisqu’il en est train de devenir le prédicateur le plus éminent de toute l’Angleterre :
« Les hommes parlent de nos jours comme si le fait d’écouter une prédication était le grand commandement de la religion chrétienne, alors que le grand commandement, le commandement difficile, et le commandement le plus béni et le plus joyeux de l’Évangile est la prière et la louange [4] ».
Et, encore plus concrètement, dans un sermon prononcé le 2 septembre 1832 :
« Il ne suffit pas d’écouter le sermon, même si beaucoup croient avoir beaucoup avancé en le faisant. Il vous faut prier. Or c’est une démarche très difficile en soi pour quiconque essaie de le faire, et c’est la raison pour laquelle tant d’hommes préfèrent le sermon aux prières, car écouter un sermon c’est simplement acquérir un savoir, alors que prier, c’est faire acte d’obéissance : il vous faut prier, c’est un devoir de prier [5] ».
Autrement dit, en priant, en donnant du temps pour Dieu, gratuitement, sans faire autre chose (conduire, marcher dans la rue, faire son repassage), me mettre en sa présence, multiplier les actes de foi et de confiance (« Je crois que tu es là, je t’écoute », etc.), me fait passer du notionnel au réel, du savoir à la connaissance, de la foi mécanique à une foi vivante, bref, augmente ma foi !
« Bien-aimé, ravive le don gratuit de Dieu », nous dit saint Paul dans la deuxième lecture (2 Tm 1,6). Esprit de foi, viens m’arracher à la tentation du doute, donne-moi de me lancer et m’élancer dans la confiance dans un domaine précis où j’ai tendance à faire mon Gédéon, et fais que je passe toujours plus d’un simple savoir à une connaissance vivante de Ta présence agissante dans mon cœur et celui de mon prochain !
Pascal Ide
[1] Catéchisme de l’Église catholique, 8 décembre 1992, n. 157. Cite S. Thomas d’Aquin, Somme de théologie, IIa-IIæ, q. 171, a. 5, obj. 3.
[2] Cité Ibid., n. 158.
[3] Étienne Grenet, Dieu agit. 35 histoires vraies, Paris, Éd. de l’Emmanuel, 2025, p. 81-84.
[4] John Henry Newman, « On the Objects and Effects of Preaching. (on the Anniversary of my Entering on my Living) », Sermons on the Liturgy and Sacraments and on Christ the Mediator, Placide Murray éd., Oxford, Oxford University Press, 1991, vol. 1, Sermon 4, p. 25. Souligné dans le texte.
[5] Id., « Connaître la volonté de Dieu sans y obéir », trad. Maurice et Simone Montabrut, I, 3, Sermons paroissiaux. I. La vie chrétienne, éd. Pierre Gauhier, coll. « Textes », Paris, Le Cerf, 1993, p. 49-60, ici p. 55. Souligné dans le texte.