Astérix et le Griffon

Astérix et le Griffon. 39. Les aventures d’Astérix, bande dessinée française scénarisé par Jean-Yves Ferri et dessiné par Didier Conrad, 2021.

À Rome, Jules César reçoit son géographe Terrinconus, qui lui parle du griffon, un animal mythique qui, selon le géographe, aurait été vu jadis par l’explorateur grec Trodéxès de Collagène dans le Barbaricum, territoire de l’est de l’Europe non-occupé par les Romains. Pour appuyer ses dires, Terrinconus fait venir devant César une prisonnière sarmate, une amazone nommée Kalachnikovna, à qui il fait dire qu’elle peut les conduire au griffon. Tenté par le fait de pouvoir exhiber un tel animal dans le cirque de Rome afin d’accroître sa popularité, César envoie donc une expédition menée par Terrinconus.

Quelques mois plus tard, Astérix, Obélix, Idéfix et Panoramix voyagent en traineau dans la steppe enneigée, quelque part au pays des Sarmates, en plein Barbaricum. Se croyant perdus mais guidés par le loup Wolferine, ils arrivent enfin chez Cékankondine, chaman sarmate et ami de Panoramix. Le chaman a appelé le druide gaulois par l’intermédiaire de rêves : il a vu dans ses visions, grâce à son tambour, que les Romains approchaient en grand nombre pour s’emparer du griffon, animal sacré des Sarmates. Au même moment, l’expédition romaine arrive dans les steppes, menée par Terrinconus, le centurion Dansonjus et le venator Jolicursus, et guidée par deux Scythes servant de guides touristiques.

Les Gaulois visitent le village de Cékankondine, une société matriarcale où les femmes sont des guerrières amazones tandis que les hommes restent à la maison et s’occupent des enfants. Idéfix disparaît pour aller courir avec une meute de loups, tandis que les femmes du village, menées par Maminovna, épouse de Cékankondine, reviennent au village en annonçant l’arrivée imminente des Romains, avec Kalachnikovna toujours prisonnière, qui s’avère être la nièce de Cékankondine. Astérix, Obélix et les guerrières décident donc d’aller suivre les Romains, qui installent leur camp. Astérix s’aperçoit que sa potion magique a gelé dans sa gourde. Les deux Gaulois parlementent avec les Romains pour faire libérer Kalachnikovna, mais les Romains, qui apprennent par Obélix faisant une gaffe, que seul le chaman connaît le lieu où se trouve le griffon, exigent qu’on leur livre le chaman à la place de l’amazone.

 

Le mérite, la signature et la cause du succès non démenti de la BD Les Aventures d’Astérix le gaulois devenue Les aventures d’Astérix (je parle de la trentaine d’albums de René Goscinny et Albert Uderzo) tient à la rare jonction entre un récit authentique et un humour éthique – servis par un graphisme semi-réaliste soignant les décors et croquant les personnages.

J’ai déjà eu l’occasion de dire la faillite catastrophique autant qu’inexplicable du passage du dessinateur aux commandes du scénario : à la légèreté inventive de l’esprit de Goscinny, Uderzo a substitué la lettre répétitive des calembours juxtaposés lestant une histoire qui s’essouffle tant qu’elle va jusqu’à explorer un fantastique diamétralement contraire au réalisme goscinnyen.

Avec l’arrivée du scénariste actuel, émerge à nouveau un récit cohérent et un humour plus relevé, sinon plus élevé. Ce dernier opus a tiré la leçon, qui raconte une véritable histoire animée par un suspense avéré (qui est donc ce griffon ? d’ailleurs, existe-t-il ? que cache avec lui Terrinconnus ?) et soutenue par un rythme alerte, invente des personnages heureusement caricatureaux – par exemple,  le géographe Terrinconus adopte les traits de l’auteur de La Carte et le Territoire, Michel Houellebecq –, multiplie les calembours, eux-mêmes à différents degrés – « Ma femme Maminovna, une vraie petite femme d’extérieur » (p. 12) ; « On respecte les distances » (p. 30) ; « Une pince et deux selles » (p. 31) – et a trouvé un thème bien d’actualité : le féminisme.

L’opération est-elle réussie ? L’esprit Goscinny est-il de retour ? Les réponses seront aussi nombreuses que les lecteurs (qui se poseront la question !). Pour ma part, je regrette que, au lieu d’une mise en abîme du Gafam (Amazone et Internet sous les traits des Scythes), l’auteur se contente de quelques jeux de mots bien trouvés – « Pas de livraison gratuite d’Amazone » (p. 13) ; « Scythe bloqué » (p. 15) –, mais sans portée morale. De même, je déplore que, au lieu d’une dérision d’un féminisme radical souvent dérisoire, nous assistions à une concession sans recul et donc sans (véritable) humour. Bon, l’on pourrait se réjouir de ce que ces Amazones tombent amoureuses, donc quittent leur revendication solipsiste et retrouvent la polarité vers le masculin. Mais, sur le fond, nous sommes plutôt témoins d’une promotion acritique de l’idéologie féministe. La BD en offre une double confirmation qui atteste une unité de l’album plus profonde et plus inquiétante qu’il n’y paraît. En effet, le thème est mis en résonance avec ses deux autres harmoniques actuelles. La première, écologique, est le thème de la wilderness : Idéfix – et non les femmes – court avec les loups, retrouvant avec et par eux sa nature sauvage. La seconde, anthropologique, est le thème des peuples premiers : le chaman est l’équivalent très valorisé du druide, étonnamment réduit à l’impuissance et à ses seuls talents culinaires. La potion qui rend invicible concèderait-elle trop à la volonté de puissance machiste ?

 

Si Astérix et le Griffon renoue heureusement avec l’inspiration inaugurale, en revanche, il cède et concède ingénument à l’esprit du temps et s’éloigne d’autant de l’esprit de la saga.

Pascal Ide

 

13.1.2022
 

Comments are closed.