RATZINGER J., Peuple et maison de Dieu dans l’ecclésiologie de saint Augustin, trad. E. lborra, préf. J.-M. Salamito, Perpignan, Artège, 2017. Parue dans la Nouvelle revue de Théologie (NRT) 140 (2018) n° 2, p. 347-348.
Quelle heureuse initiative que la traduction de la thèse de théologie de ce jeune théologien déjà prodigieusement doué qui non seulement rédige à 24 ans, en moins de neuf mois (de juillet 1950 à mars 1951), cet ouvrage de plus de 400 p., mais remporte le prix décerné par la Fac. de théol. de l’Univ. de Munich à la meilleure thèse sur l’idée d’Eglise chez St Augustin. Elle est une bonne nouvelle pour les amateurs (au sens étymologique) francophones de Joseph Ratzinger, mais aussi pour les connaisseurs de St Augustin et de l’ecclésiologie. Le lecteur familier du futur Benoît XVI y retrouvera sans étonnement, mais non sans joie, la conjonction féconde de l’approche historique et de l’approche doctrinale actualisante, de la rigueur et de la limpidité du style, un don déjà génial pour les synthèses ici des parcours de la pensée patristique et pour la problématisation.
Par ailleurs, alors que sa thèse n’est pas encore publiée sous forme de livre, le travail est suffisamment reconnu et important pour que le jeune abbé Ratzinger soit invité au prestigieux colloque suscité par l’Institut d’études augustiniennes, en 1954, pour le seizième centenaire de la naissance d’Augustin, et donnera lieu aux trois tomes décisifs d’Augustinus Magister. C’est dire si (et cela est encore vrai aujourd’hui) l’apport de Ratzinger est considéré comme incontournable.
C’est plus encore par le contenu ecclésiologique que cette thèse fait date. Certes, en négatif, avec une belle liberté, le jeune doctorant se permet de discrètement critiquer l’intuition de son directeur de thèse : Gottlieb Söhngen désirait valoriser la notion de « peuple de Dieu » (et « maison de Dieu ») dans l’ecclésiologie augustinienne ; or, l’analyse serrée de Ratzinger atteste que plus centrale, mais sans exclusive, est celle de corps du Christ, défendue par Emile Mersch et promue par Pie XII, contre laquelle son directeur réagissait. Surtout, en positif, notre A. se trouve conduit à valoriser de manière puissante le lien entre l’identité de l’Eglise et la charité, par la médiation de l’Eucharistie, notamment à travers la redéfinition du sacrifice opérée par le NT (cf. § 17). Il anticipe ainsi ce qu’il affirmera dans la « Note annexe » de La foi chrétienne hier et aujourd’hui : l’amour comme pro- existence, c’est-à-dire comme don, est « la structure fondamentale de la réalité chrétienne ».
Un seul regret à une époque où les Humanités ne font plus partie des pré- supposés de la formation universitaire : les nombreux textes latins (et grecs) en note ne sont pas traduits, contrairement à l’option heureuse prise par l’édition des Œuvres complètes du Card. de Lubac.
Pascal Ide