Les quatre manifestations de l’Esprit-Saint (Baptême du Seigneur, dimanche 10 janvier 2021)

À Noël, le Christ s’est « manifesté » (Tt 2,11), c’est-à-dire s’est rendu visible. Au Baptême, c’est rien moins que la totalité de la Trinité qui se rend perceptible à nos sens. Au fait, combien comptons-nous de manifestation visible de l’Esprit-Saint dans le Nouveau Testament ? L’Esprit se montre ici « sous la forme d’une colombe » ; à la Pentecôte, il se visibilisera notamment sous la forme de « langues de feu » (Ac 2,1-13). Mais il y en a aussi deux autres, estime la Tradition. Nous mettons de côté l’Annonciation. Assurément, l’Esprit prend Marie « sous son ombre » ; mais cette présence active par laquelle le Fils s’incarne est éminemment secrète et n’a rien de visible. Alors, quelles sont les deux autres épiphanies de l’Esprit ?

La deuxième manifestation est encore une théophanie trinitaire : la Transfiguration ! (Mt 17,1-9) Nous entendons à nouveau la voix du Père et l’Esprit apparaît sous la forme de la « nuée lumineuse ». Or, alors que le Père montrait le Fils comme celui en qui il trouve toute sa joie au Baptême, à la Transfiguration, il demande : « Écoutez-le ». Autrement dit, alors qu’au Jourdain, il le désigne comme le « Dispensateur de la Grâce », sur la « Montagne Sainte », il le montre comme le « Docteur de la vérité ».

La troisième épiphanie de l’Esprit se déroule le soir même de Pâques. Le Christ déjà glorifié apparaît à ses Apôtres toutes portes closes, leur donne sa paix. Puis, il souffle sur eux. Or, l’on se souvient que, en grec, comme d’ailleurs en hébreu, le terme « souffle » (pneuma et ruah) signifie aussi « esprit ». D’ailleurs Jésus ajoute : « Recevez l’Esprit Saint » et il précise : « Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis » (Jn 20,21-23). La troisième Personne divine apparaît donc comme l’auteur des sacrements. Cette Pentecôte dite johannique précède et prépare la grande Pentecôte lucanienne des Actes des Apôtres où l’Esprit est répandu sur la totalité du Corps de l’Église. Et il est significatif qu’il s’y donne à connaître sous la forme de langues. La langue, en effet, est l’organe de la parole qui communique la pensée et la vérité.

Ainsi, les quatre manifestations de l’Esprit sont étroitement corrélées [1]. Si elles sont toutes adressées aux fidèles, les deux premières passent par le Christ et les deux suivantes leur sont données immédiatement. Or, l’Esprit est « l’Esprit du Fils » (Ga 4,6) qui nous « rappellera tout » ce que Jésus a dit (cf. Jn 14,26). Comme « la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ » (Jn 1,17), l’Esprit donne à son Église d’abord la grâce, puis la vérité. Une fois n’est pas coutume, permettez-moi de synthétiser ces analyses en un tableau synoptique :

 

 

 

L’Esprit communique le Christ lui-même

 

 

En sa grâce

En sa vérité

L’Esprit se manifeste visiblement à l’Église

Indirectement ou médiatement par le Christ

Sous la forme d’une colombe au Baptême du Christ

Sous la forme d’une nuée lumineuse à la Transfiguration du Christ

Directement ou immédiatement

Comme un souffle le soir de Pâques (Pentecôte johannique)

Sous la forme de langues de feu à la Pentecôte

 

Quelle leçon en tirer pour nous ? Qu’est-ce que l’Esprit « répandu en nos cœurs » (Rm 5,5) nous inspire à la contemplation de cette « connexion des mystères » ?

Nous pouvons nous émerveiller de l’admirable ordonnance du dessein divin, de la progressivité pédagogique avec laquelle Dieu se communique à nous et se révèle, de la providence bonne, sage et puissante par laquelle il conduit toutes choses.

Nous pouvons nous centrer sur le mystère même du Baptême, nous étonner de ce que les cieux, fermés par notre péché, non seulement s’ouvrent à nouveau, mais « se déchirent » (Mc 1). Peut-être monte en nous notre gratitude pour le Dieu Trinitaire qui se révèle et se donne à nous : à Dieu dont toute la joie est de descendre, quelle demande ferons-nous monter vers lui, quel désir exprimerons-nous ? Peut-être nous laisserons-nous toucher par Jésus qui, recevant de son cousin Jean le baptême de conversion pour les péchés, accepte d’être pris pour le contraire de ce qu’il est, à savoir un pécheur. N’est-ce pas à cette école que la petite Thérèse est entrée, elle qui raconte :

 

« Lorsque je veux augmenter en moi cet amour, lorsque surtout le démon essaie de me mettre devant les yeux de l’âme les défauts de telle ou telle sœur qui m’est moins sympathique, je m’empresse de rechercher ses vertus, ses bons désirs, je me dis que si je l’ai vue tomber une fois elle peut bien avoir remporté un grand nombre de victoires qu’elle cache par humilité, et que même ce qui me paraît une faute peut très bien être à cause de l’intention un acte de vertu. Je n’ai pas de peine à me le persuader, car j’ai fait un jour une petite expérience qui m’a prouvé qu’il ne faut jamais juger. C’était pendant une récréation, la portière sonne deux coups, il fallait ouvrir la grande porte des ouvriers pour faire entrer des arbres destinés à la crèche. La récréation n’était pas gaie, car vous n’étiez pas là, ma Mère chérie, aussi je pensais que si l’on m’envoyait servir de tierce je serais bien contente ; justement mère Sous-Prieure me dit d’aller en servir, ou bien la sœur qui se trouvait à côté de moi ; aussitôt je commence à défaire notre tablier, mais assez doucement pour que ma compagne ait quitté le sien avant moi, car je pensais lui faire plaisir en la laissant être tierce. La sœur qui remplaçait la dépositaire nous regardait en riant et voyant que je m’étais levée la dernière, elle me dit : ‘Ah ! j’avais bien pensé que ce n’était pas vous qui alliez gagner une perle à votre couronne, vous alliez trop lentement…’ Bien certainement toute la communauté crut que j’avais agi par nature et je ne saurais dire combien une aussi petite chose me fit de bien à l’âme et me rendit indulgente pour les faiblesses des autres. Cela m’empêche aussi d’avoir de la vanité lorsque je suis jugée favorablement car je me dis ceci : Puisqu’on prend mes petits actes de vertus pour des imperfections, on peut tout aussi bien se tromper en prenant pour vertu ce qui n’est qu’imperfection [2] ».

Pascal Ide

[1] Cette répartition s’inspire largement de S. Thomas d’Aquin, Somme de théologie, Ia, q. 43, a. 7, ad 6um. Cf. aussi le commentaire qu’en donner Charles Journet, L’Église du Verbe Incarné. III. Essai de théologie de l’histoire du salut, Paris, DDB, 1969, p. 565-567.

[2] Ms C, 12 v°-13 v°.

10.1.2021
 

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