Annexe 14. « Demain est un autre jour »
« Demain est un autre jour ». Le bestseller de Margaret Mitchell, Autant en emporte le vent, comme le film de Viktor Fleming qui en fut tiré trois ans plus tard, en 1939, s’achèvent sur cette parole fameuse. Lassé du narcissisme de son épouse, Rhett Butler vient de la quitter et laisse Scarlett O’Hara effondrée.
En fait, le roman de Margaret Mitchell dit plus. Scarlett d’abord abattue par la décision irrévocable de Rhett fuit : « Je ne veux pas y penser maintenant ». Puis, elle pense à ce qui constitue le plus grand amour de sa vie, Tara, la terre et le domaine paternels. Faisant mémoire de la « blanche maison qui lui souhaite la bienvenue parmi les feuillages rougissants de l’automne », elle sent « descendre sur elle comme une bénédiction ». C’est alors qu’elle relève la tête et que la phrase fameuse est prononcée : « Demain, je chercherai un moyen de ramener Rhett [1] ». Scarlett renaît donc à la vie en passant de la reconnaissance à l’espérance. Autrement dit, elle passe du sens théorétique (Tara, en Géorgie) qui est aussi le sens allégorique (c’est une terre travaillée par l’homme) déchiffré dans son sens allégorique, au sens eschatologique [2].
Annexe 15. Bibliographie sélective en français de Ken Wilber
Cf., par exemple, en langue française : Ken Wilber, Le Paradigme holographique, éd. Ken Wilber, Montréal, Le Jour Éd., 1984 ; Les Trois yeux de la connaissance. La quête du nouveau paradigme, trad. Paul Couturiau, coll. « L’Esprit et la matière », Monaco et Paris, Éd. du Rocher, 1987 ; Une brève histoire de tout, trad. Marie-Andrée Dionne, Mortagne, 1997 ; Une théorie de tout. Une vision intégrale pour les affaires, la politique, la science et la spiritualité, trad. Kevin Dancelme, Paris, Almora, 2014 ; Le livre de la vision intégrale. Relier épanouissement personnel et développement durable, trad. Maurice Brasher et Myriam Mora, Paris, InterÉditions-Dunod, 2008 ; Pratique de vie intégrale. Le livre d’exercice du xxie siècle pour la santé physique, l’équilibre émotionnel, la clarté mentale, et l’éveil spirituel, trad. Marie-Claire Dagher, Paris, Almora, 2017.
Annexe 16. La fraternité universelle selon François d’Assise
L’Occident a peut-être besoin de l’Orient pour lui rappeler l’harmonie entre l’homme et la nature. Mais symétriquement, l’Orient a besoin de l’Occident pour lui rappeler la dignité de l’homme et l’efficace transformante de sa liberté. De plus, loin d’être récente ou nouvel-âgiste (pour parler comme les canadiens), la conscience de cette connexion est ancienne et occidentale. Telle fut l’attitude de saint François d’Assise. Le franciscain Éloi Leclerc l’explique dans une vision historique qui reprend un séquençage devenu classique :
« Pour l’homme moderne, seul l’homme est le ‘frère’ de l’homme, tandis que toutes les autres créatures appartiennent à un monde d’’objets’ que nous pouvons manipuler, utiliser et dominer à notre guise. La science, en réduisant notre vision du monde à son seul aspect quantitatif et mesurable, nous a habitués à voir dans la nature un champ d’‘objets’. Dès lors, notre présence au monde se déploie sous le signe du dualisme : d’un côté, nous avons affaire à des personnes ; de l’autre, à des ‘objets’ de la nature. Et entre ces deux domaines, nous établissons une séparation radicale, en invoquant la transcendance de l’être spirituel que nous sommes.
« Tout autre est l’univers de François d’Assise. On n’y trouve pas cette coupure radicale entre le monde des hommes et le reste des créatures. Certes, les hommes y sont l’objet d’un amour de prédilection ; mais cet amour des hommes s’insère lui-même dans une immense piété cosmique qui rend amies toutes les créatures. François ne fraternise pas seulement avec ses semblables, mais avec toutes les créatures. Et quand il donne le nom de frère ou de sœur aux éléments matériels eux-mêmes, il ne faut pas voir là une simple manière allégorique de parler. François éprouve véritablement des sentiments fraternels à l’égard de ces humbles réalités ; et il existe entre elles et lui une communion affective réelle. Pour lui, toutes les créatures sont issues du même amour créateur ; elles en sont l’expression diversifiée. Cette communion d’origine fonde à ses yeux la grande fraternité cosmique [3] ».
Annexe 17. Des animaux au Ciel ? Une hypothèse de saint Grégoire de Nysse
Pour Origène, les êtres infra-humains n’ont pas de place au Ciel. En effet, la contemplation de Dieu suffira à l’homme ; or, animaux, plantes, etc., ne semblent finalisés que pour l’homme.
« Lorsque donc il nous est promis que Dieu sera tout en tous (1 Co 15,28), il ne faut pas penser, comme c’est lorsque, que les animaux, les bestiaux et les bêtes parviendront à cette fin, pour qu’on n’indique pas que Dieu est présent dans les animaux, les bestiaux et les bêtes ; et non plus dans le bois et la pierre [4] ».
On trouve le même ostracisme chez saint Augustin ou saint Thomas.
Il n’en est pas de même chez Grégoire de Nysse. Le saint Cappadocien emploie même une superbe image pour dire la réintégration finale, voire la médiation :
« Même après leur dissolution, l’âme demeure dans les éléments [du corps humain] dans lesquels elle a dès le début commencé d’exister. Elle est pareille à un gardien de son propre bien. […] Elle ne perd pas de vue ce qui lui est propre. […] Elle demeure toujours dans les éléments [qui composèrent son corps], quels que soient le lieu et la manière dont la nature les dispose. Si la puissance qui régit l’univers les appelle, une fois désagrégés, à se réunir à nouveau, alors, comme les différents fils qui, accrochés à un même point, suivent tous ensemble et pareillement le mouvement de celui qui les tire, quand les éléments sont attirés par la seule puissance de l’âme, aussitôt la corde de notre corps sera tressée, grâce à l’âme, chaque élément s’entrelaçant de nouveau avec les autres pour aboutir à la tresse originelle et familière [5] ».
L’argumentation est simple et profonde. D’un côté, le corps est composé d’éléments matériels qui sont informés par l’âme et deviennent notre organisme ; mais ils conservent quelque chose de cette âme qui les a informés. De l’autre, l’âme est considérée comme une « puissance » bienveillante qui ne cesse de veiller sur ces éléments et les appellera, à la fin des temps, pour les réunifier. Comment ne pas songer au « tout est lié » cher au pape François, mais l’étend au-delà de la corruption ? Comment ne pas penser à la chora platonicienne ? Voire à l’eau comme médiatrice universelle, donc comme unificatrice des corps, comme mémoire de leur structure ?
Grégoire de Nysse va même plus loin, s’interrogeant sur la manière dont Dieu procède. Un être matériel, explique-t-il, est le « syndrome », c’est-à-dire la conjonction ou le concours d’un certain nombre de propriétés. Or, ces propriétés sont immatérielles : la couleur, la taille, le poids, etc. Mais l’esprit humain est de même nature. Comme le semblable connaît le semblable, il est donc capable de comprendre ces êtres matériels. Or, Dieu est l’être spirituel par excellence. C’est lui qui produit toutes ces propriétés immatérielles et les fait concourir à la formation des réalités matérielles.
« Rien de ce qui s’observe dans un corps n’est en soi un corps, ni la forme, ni la couleur, ni le poids, ni la taille, ni la masse, ni aucune qualité visible ; rien de ce que l’on peut mentionner pour qualifier un corps. Chacun de ces éléments est une abstraction intelligible, c’est leur conjonction [sundromos] et leur unité qui devient un corps. Donc, puisque c’est l’esprit et non les sens, qui comprend les qualités propres à constituer un corps, et puis le divin est de l’ordre de l’esprit, quelle difficulté y a-t-il pour une réalité intelligible de créer des éléments intelligibles, dont la conjonction [sundromos] engendre la nature des corps [6] ? »
Et ce qui vaut pour la création vaudra aussi pour la résurrection. Sauf que le Christ ne se contentera pas de recomposer les corps, il les transformera, leur donnera des propriétés « plus divines » :
« Maintenant, en effet, tout ce qui est épais et solide est naturellement emporté vers le bas, mais alors [à la résurrection], la modification du corps l’entraînera vers le haut. Ainsi l’Écriture dit qu’après la transformation de la nature en tous ceux qui sont revenus à la vie grâce à la résurrection, ‘nous serons emportés sur des nuées pour rencontrer le Seigneur dans les airs, et ainsi nous seront toujours avec le Seigneur’. Si, par conséquent, le corps des êtres transformés n’a plus le poids, mais que se meuvent dans les régions célestes avec la nature incorporelle ceux dont les éléments ont été recomposés en une condition plus divine, forcément le reste des propriétés du corps sont également changées en attributs plus divins : ainsi la couleur, l’aspect, le contour et toutes les propriétés prises individuellement [7] ».
Pascal Ide
[1] Margaret Mitchell, Autant en emporte le vent, 5e partie, chap. 63, trad. Pierre François Caillé, Paris, Gallimard, 1938, p. 1312-1313.
[2] Bien sûr, ici, Scarlett ne contemple pas un nouveau domaine paternel, Tara n’est pas transfiguré. Ce n’est que le symbole d’un avenir meilleur. On objectera que parler de sens est présent, alors que le sens anagogique doit encore arriver. Sur le caractère déjà présent de ce quatrième sens, cf. site : « Le sens anagogique commence aujourd’hui ». Nous en parlerons aussi au chap. 17.
[3] Éloi Leclerc, Le cantique des créatures. Une lecture de saint François d’Assise, Paris, DDB, 1988, p. 179-181. Rééd. : Le « cantique des créatures » ou Les symboles de l’union. Une analyse de saint François d’Assise, Paris, Éd. franciscaines, 2014.
[4] Origène, Traité des Principes, III, 6, 2, trad., coll. « Sources chrétiennes » n° , Paris, Le Cerf, 1980, p. 239.
[5] Saint Grégoire de Nysse, L’âme et la résurrection. Dialogue avec sa soeur Macrine, trad. Bernard Pottier, coll. « Donner raison » n° 30, Bruxelles, Lessius, 2011, p. 107.
[6] Ibid., p. 140-141.
[7] Grégoire de Nysse, De mortuis, IX, 62, Gregorii Nysseni Opera, IX, 28-68, éd. Heil, Leyden, Brill, 1967, p. . Trad. par Franck Dubois, Pourquoi les vaches ressuscitent (probablement). Ou pourquoi mon papa ne restera pas bloqué toute sa vie dans l’ascenseur, Paris, Le Cerf, 2019, p. 99.