BOUILLOT B., Le noyau de l’âme selon Edith Stein. De l’épochè phénoménologique à la nuit obscure, coll. De Visu, Paris, Hermann, 2015. Parue dans la Nouvelle Revue Théologique (NRT) 139 (2017) n° 3, p. 498-499.
L’ouvrage de cette laïque consacrée de la communauté du Chemin Neuf, actuellement enseignante au Centre Sèvres (Fac. jésuites de Paris), est issu de la thèse qu’elle a soutenue, en 2013, à la Fac. de philosophie de l’Inst. cath. de Paris. Il s’attache à élaborer l’un des concepts les plus centraux et les plus originaux de l’assistante de Husserl : le« noyau de l’âme ». En effet, cette notion traverse toute l’œuvre et en assure l’unité d’inspiration. Pour le montrer, l’A. se penche successivement sur les trois périodes de son activité philosophique, proprement phénoménologique, ontologique et mystique, chacune étant rythmée par une trilogie d’ouvrages. Dans la première période, le noyau de l’âme est interprété phénoménologiquement: elle renvoie à une transcendance irréductible à la conscience, « la structure unitaire totale de la personne humaine » (p. 187). En s’ouvrant à la métaphysique sans jamais abandonner l’approche phénoménologique, la thèse du noyau personnel permet à Edith Stein de fonder la singularité humaine, en opposition avec le principe aristotélico-thomiste de l’individuation par la matière (p. 36ls).Enfin, si elle reconfigure le noyau de l’âme, l’expérience mystique l’accomplit. En effet, celle-ci est nuit obscure qui ouvre à l’union intime avec Dieu;ainsi, la vacuité de l’épochè se trouve comme transfigurée dans la loi kénotique du « se perdre pour se trouver » (p. 427s).
Ce n’est pas l’un des moindres mérites de ce travail remarquable par la largeur de son information, la connaissance intime des enjeux de la phénoménologie, la clarté de son écriture et la fermeté de son argumentation, que de montrer la constante fidélité de la convertie à la phénoménologie. Et ainsi de souligner cette incompréhensible tache aveugle de la phénoménologie française: son ignorance du travail d’Edith Stein et, plus généralement, des membres du Cercle de Göttingen : Adolf Reinach, Roman Ingarden, Hedwig Conrad-Martius, etc. Tout en demeurant phénoménologues, ils se sont inscrits dans le sillage des Recherches logiques, et font partie de ce que l’on appelle parfois la « phénoménologie réaliste » (p. 10). – P. Ide