- Imaginez un micro-trottoir en direct pour une radio ou une chaîne télévisée nationale à l’entrée de notre église. Le journaliste vous demande à brûle-pourpoint : « Nous fêtons la Pentecôte. En deux mots, pour le grand public, qui est l’Esprit-Saint ? » Que répondriez-vous ? J’ai dit « en deux mots » et tout de suite, puisque vous êtes en direct !
Osons-le reconnaître, nous aurions du mal à dire qui est l’Esprit-Saint et ce qu’il fait. Pour au moins trois raisons.
La première est que Jésus ne nous aide pas en donnant à la troisième Personne divine ce nom d’Esprit ! Si nous savons tous ce qu’est un père ou un fils, nous n’avons qu’une vague idée de ce qu’est un esprit. Au mieux, nous aurions chacun une description différente, au pire, nous penserions pêle-mêle, à une maison hantée, à une table tournante (« Esprit, es-tu là ? »).
La deuxième est que l’Esprit-Saint semble jouer à cache-cache. Le Fils a, en Jésus, une voix et un visage. Le Père, lui, a une voix (il parle à trois reprises dans le Nouveau Testament : retrouvez-les !). Mais, l’Esprit, lui, n’a ni voix ni visage. Plus encore, ses missions visibles ne sont pas humaines, mais cosmiques – colombe (Baptême du Christ), souffle (Pâques), vent et feu (Pentecôte) – et même fluides, sinon évanescentes – ombre (Annonciation), nuée (Transfiguration)
Enfin, nous l’ignorons, mais, souvent, nous attribuons au Christ, voire à ces appellations trop vagues de « Dieu » ou « Seigneur » ce qui relève en propre de l’Esprit-Saint. On pourrait dire de ce dernier ce que le patriarche Jacob disait de Dieu, au sortir de son premier songe : « Vraiment le Seigneur est ici, et je ne le savais pas » (Gn 28,16).
Alors, qui est ce mystérieux Esprit-Saint ? Il faudrait un cours ou un Mooc pour entrer dans le détail ! Trois pistes : une parole, une image, une action.
- Un grand théologien allemand, Heribert Mühlen (1927-2006), a eu cette parole profonde : « l’Esprit est une personne en deux personnes [1]», en l’occurrence le Père et le Fils. L’argumentation, aussi originale que la thèse, part d’un constat linguistique. Toutes les langues non seulement possèdent des pronoms justement qualifiés de personnels, mais distinguent les six pronoms suivants : je, tu, il, nous, vous, ils, chacun désignant un mode originel de relation à la personne [2].
Or, l’Écriture, en particulier l’évangile selon saint Jean, applique ces pronoms aux relations entre les Personnes divines. C’est particulièrement vrai de la prière sacerdotale où le Fils dialogue avec son Père en convoquant les pronoms « je » et « tu » : « comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi » (Jn 17,21). La relation entre le Père et le Fils est donc une relation je-tu ou moi-toi.
Par ailleurs, toujours dans le quatrième évangile, le Fils utilise aussi le « nous » : « Si quelqu’un m’aime, il observera ma parole, et mon Père l’aimera, nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure » (Jn 14,23). Or, l’Esprit est celui qui unit le Père et le Fils qui sont comme le je et le tu divins. Puisque le pronom personnel qui unit le « je » et le « tu » est le nous, l’Esprit Saint est donc le nous en personne, le nous entre le je du Père et le tu du Fils [3].
Le jeudi de l’Ascension, je vous invitais à entrer dans une relation désintéressée avec Dieu, autrement dit à entrer dans le don. Or, le don est pour la communion : loin d’être asymétrique, le don appelle le retour et l’échange qu’est la communion. Aussi, dimanche dernier, méditions-nous sur la prière de Jésus : « Que tous soient un ! ». L’unité comme va-et-vient : « Toi en moi et moi en toi ». Enfin, ce dimanche de Pentecôte, l’Esprit-Saint, qui est le « nous » divin » vient intérioriser en nous cette communion.
Mais cette explication est encore théorique.
- Jeudi dernier, nous avons vécu un moment important de notre Année Sainte : le jubilé des prêtres d’Île-de-France. Plus de mille prêtres des huit diocèses de la province ecclésiastique se sont retrouvés dans un des huit lieux qui avaient été choisis avant de converger vers notre Cathédrale métropolitainre, Notre-Dame-de-Paris, pour une messe joyeuse autour de notre archevêque. Grand moment de communion fraternelle. Pour ma part, je me suis retrouvé à la Basilique Saint-Denys où est notamment enterré le premier évêque de Paris. Avant d’entrer dans cette superbe cathédrale de lumière où reposent pas moins de 43 rois et 32 reines, dont saint Louis, je me suis arrêté sur le tympan du xiie siècle qui a été superbement restauré. Une représentation inspirée de la sainte Trinité nous accueille.
L’on y voit le Père qui a le même visage que son Fils, le Fils éternel, selon la parole de Jésus : « Qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14,9).
On y voit trois représentations du Christ : Jésus-Hostie dans une grande hostie ; Jésus-Porte (« Je suis la Porte des brebis » : Jn 10,6), les âmes des défunts le traversant littéralement pour entrer au Ciel ; Jésus au milieu des Douze Apôtres, mais une treizième personne s’est glissée, de plus, à la première place, une femme : Marie, donc, vous, chacun d’entre nous.
Enfin, l’Esprit-Saint est sculpté sous la forme d’une colombe comme au baptême de Jésus. Rien de plus classique. En revanche, ce qui l’est moins, c’est qu’il est vu d’en haut, comme en plongée et que ses pattes, repliées sous lui, asymétriques, donnent l’impression qu’il est en train de prendre son élan. « Il est sur les starting-blocks, commente le vicaire général du diocèse ! L’Esprit-Saint est un champion olympique ! »
Oui, frères et sœurs, représentez-vous l’Esprit-Saint comme celui qui s’apprête à bondir dans vos cœurs et dans chacun de ceux qui vous entourent. Vous avez entendu tout à l’heure la parole de Jésus : « le Défenseur, l’Esprit Saint […] vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit » (Jn 14,26).
Nous en faisons tous l’expérience : une chose est d’entendre une parole, autre chose est de la mettre en pratique. Chaque dimanche, la prédication vous invite à la conversion. Mais quelles sont les paroles que vous intériorisez, que vous mémorisez et que vous allez mettre en pratique ? Nous avons besoin de l’aide de l’Esprit-Saint : pour voir clair et pour changer. Il ne demande qu’à bondit dans nos cœurs pour nous donner sa lumière et son énergie.
Il y a quelques jours, je dînais avec une de mes nièces. Un moment, je perçois qu’elle veut me dire quelque chose, mais qu’elle n’ose pas. Je l’encourage. Elle me lance : « Je te trouve parfois sévère avec Maman ! – Peux-tu me donner un exemple pour que je comprenne ? » Elle m’en donne un. Je tente de m’expliquer, peut-être de me justifier : « Mais il me semble que ce que j’ai dit était vrai ! – Oui, rétorque-t-elle, c’était vrai, mais tu aurais pu le dire avec plus de patience et de compassion ! » Je m’arrête intérieurement, songe à saint Augustin qui distingue veritas et severitas. Puis je lui souris en la remerciant. J’ajoute : « Tu as raison ! Je vais désormais faire attention ! » L’Esprit-Saint était passé par cette parole courageuse de ma nièce, tout en éclairant mon intelligence et en dynamisant ma volonté.
- Chers paroissiens, cela fait plus de cinq années que je suis parmi vous. Avec toute l’affection réelle que je vous porte, et aussi avec tout le souci qui est le mien du salut de vos personnes, j’aimerais vous demander une chose :
« L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5,5).
Alors, si vous disiez à l’un de vos proches : « Je t’aime ! ». Tout simplement. Sans ajouter : « beaucoup » ou, pire : « bien ».
Oui, cela demande du courage et même parfois beaucoup de courage ! Esprit de force, donne-moi ce courage ! Mais n’appelons plus pudeur ce qui est en réalité de la peur. Et si c’est trop difficile par oral, eh bien faites-le par écrit.
Avant de prononcer ces mots qui vivifient (« Je t’aime »), priez l’Esprit-Saint, l’Esprit qui répand l’amour de charité en nos cœurs. Mais n’attendez pas le dernier jour de votre existence (que d’ailleurs nous ignorons tous !) pour les dire : à votre conjoint, à votre père, à votre mère, à chacun de vos enfants, à ce(tte) grand(e) ami(e), etc.
Ne vous contentez pas de montrer cet amour par un geste ou par un cadeau. Dites-le ! Ces paroles si simples, vous le savez pour en avoir fait au moins un jour l’expérience (rappelez-vous !), font tellement de bien.
Ne croyez pas qu’on se lasse d’entendre ces paroles de vie. Tant qu’elles sont dites du fond du cœur.
Et si cette déclaration d’amour que vous allez faire à l’un de vos proches, vous l’adressiez aussi à votre plus proche prochain, Celui qui est plus intime à nous-mêmes que nous-mêmes : Jésus (cf. Jn 14,23) ?
Bon, j’espère que vous pourrez maintenant répondre aux journalistes qui vous attendent aux différentes sorties de l’église !
Pascal Ide
[1] Heribert Mühlen, Der heilige Geist als Person, Münster, Aschendorff, 1963, p. 164. Souligné par moi.
[2] Cf. Ibid., p. 99-100.
[3] Cf. Ibid., p. 97-98.