Guide de lecture du document de la CTI sur le Concile de Nicée 2/6

Chapitre 1

Le Symbole pour le salut : doxologie et théologie du dogme de Nicée

Comme dit dans l’introduction générale et dans le titre du chapitre, ce premier chapitre considère le Concile de Nicée sous l’angle doxologique, c’est-à-dire en rendant grâce pour son contenu dogmatique. Cette doxologie se manifeste, subjectivement (existentialement !), par l’émerveillement et, objectivement, par « l’immensité » ou, plus précisément, l’immensité dynamique que traduit le leitmotiv du « semper major » qui jalonne régulièrement le texte, attribué d’abord à Dieu, puis, analogiquement, à ses dons, à l’homme et à l’Église.

Le texte se structure à partir du contenu dogmatique dont parle aussi le titre :

  1. La Sainte Trinité (1)
  2. Le Christ (2)
  3. Le salut (3)
  4. L’Église (4)

0) Introduction

a) Objet

  1. Célébrer Nicée en son 1700eanniversaire, c’est avant tout s’émerveiller du Symbole que le Concile nous a légué et de la beauté du don offert en Jésus Christ dont il est comme l’icône en paroles.

b) Plan

Nous commencerons donc notre étude de Nicée en parcourant ce Symbole afin de dégager l’extraordinaire immensité de la foi trinitaire, de la christologie et de la sotériologie qu’il exprime, ainsi que ses implications anthropologiques et ecclésiologiques, avant de conclure par sa portée œcuménique.

c) Perspective

Il s’agit pour ainsi dire d’un acte de théologie doxologique. Celle-ci ne vise pas à un approfondissement de chaque thème de ce concentré de foi chrétienne qu’est le Symbole – tâche qui aurait été de peu d’utilité et de toute façon impossible dans le cadre du présent travail –, mais elle cherche à dégager la richesse des énoncés et des vérités offerts par le credo nicéen sur le plan dogmatique, notamment ceux qui présentent le plus d’enjeu et de fécondité pour cette période de l’histoire de l’Église et du monde, au moment même où nous célébrons l’anniversaire de Nicée.

[1. Saisir l’immensité des trois Personnes divines qui nous sauvent : « Dieu est Amour », infiniment]

 

Après l’introduction qui énonce le symbole de Nicée-Constantinople (n. 8), la sous-partie s’organise de la manière suivante :

1) La Trinité en son immanence

  1. a) En son contenu (1.1)
  2. b) En sa formulation technique (1.2)

2) La Trinité en son économie (1.3)

1.0 Introduction

  1. Le symbole de Nicée-Constantinople est structuré autour de l’affirmation de la foi trinitaire :

 

« Nous croyons en un seul Dieu Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre,

de toutes les choses visibles et invisibles,

Et en un seul Seigneur Jésus Christ, le Fils de Dieu, l’unique engendré,

qui a été engendré du Père avant tous les siècles, lumière de lumière,

vrai Dieu de vrai Dieu, engendré non pas créé, consubstantiel au Père,

par qui tout a été fait ; […]

Et en l’Esprit Saint, qui est Seigneur et donne la vie, qui procède du Père,

qui avec le Père et le Fils est coadoré et coglorifié,

qui a parlé par les prophètes […] » .

[1.1 La grandeur de la paternité de Dieu le Père, fondement de la grandeur du Fils et de l’Esprit]

1) De manière analytique
a) Le Père

1’) Contenu dogmatique

  1. Au point de départ de la foi de Nicée se trouve l’affirmation de l’unité de Dieu. Le christianisme est fondamentalement un monothéisme, qui se pose en continuité avec la révélation faite à Israël. Cependant, le Symbole ne pose pas d’abord « Dieu » tout court, et encore moins la nature divine une, mais bien la Première hypostase divine qui est le Père. En tant que « créateur du ciel et de la terre » (cf. Gn 1,1 ; Ne 9,6 ; Ap 10,6), il est Père de toutes choses [11]. En outre, le Christ révèle l’inouïe paternité intra-divine de Dieu, fondement de sa paternitéad extra. Si le Christ est Fils divin, de manière unique, cela implique qu’il y a une génération en Dieu : Dieu le Père donne tout ce qu’il a et tout ce qu’il est. Dieu n’est pas un principe pauvre et égoïste : il estsine invidia [12]. Sa paternité, comme sa toute-puissance, est capacité à se donner entièrement. Ce don paternel n’est pas seulement un aspect parmi d’autres, mais définit le Père, qui est entièrement paternité [13]. Dieu est Père depuis toujours, et n’a jamais été un Dieu « solitaire » [14]. Cette paternité du Dieu Un est le premier aspect de la foi chrétienne qui provoque l’émerveillement et dont il s’agit de célébrer l’immensité en redécouvrant Nicée 1700 ans après. Il s’agit donc d’en explorer les implications pour la compréhension du mystère trinitaire.

2’) Perspective doxologique

  1. La foi au Père témoigne de la plénitude surabondante de Dieu. Le premier article n’est pas simplement une définition de Dieu, mais tout d’abord une louange qui s’inscrit dans la tradition doxologique de la liturgie juive et des premières liturgies chrétiennes [15]. Le Dieu « tout-puissant (pantokratōr) » fait écho à diverses expressions vétérotestamentaires, comme, par exemple, « Seigneur Sabaoth », reprise dans le Nouveau Testament dans le cadre des liturgies célestes (Ap 4,8 ; 11,17 ; 15,3 ; 16,14 ; 19,6).
b) Le Fils
  1. La révélation dans le Christ de la paternité de Dieu manifeste aussi l’immensité du Fils et de l’Esprit. Si Dieu le Père donne tout, hormis sa paternité, cela signifie que le Fils et l’Esprit sont pleinement égaux au Père en leur divinité. Dans le Symbole, le Fils est « un seul », il est « Seigneur » (Kyrios, qui traduit le Tétragramme dans la Septante), « Fils de Dieu », « l’unique engendré » (ho monogenēs) dans l’intimité du Père, « Dieu issu de Dieu », « lumière issue de la lumière », « vrai Dieu issu du vrai Dieu », consubstantiel (homoousios) au Père. Notons, par exemple, que dans le Quatrième Évangile, le Fils est plusieurs fois nommétheos: Jn 1,1 ; 5,18 ; 20,28. Le Fils est engendré « avant tous les siècles », ce qui signifie dans le Symbole qu’il est co-éternel au Père (cf. Jn 1,1). Cela vise des positions d’Arius selon lequel « il était un temps où [le Fils] n’était pas », « avant d’être né il n’était pas » et « il est devenu à partir de ce qui n’était pas » [16], ou encore « le Fils est à partir du néant », par « volonté et conseil » du Père » [17]. C’est pour cela que le Fils peut être confessé comme celui « par [qui] tout a été fait » (cf. 1 Co 8,6 ; Jn 1,3). Dieu est si grand que le Père est capable d’engendrer un autre, qui est égal à lui selon la divinité. Dieu excède tout que ce nous pouvons en concevoir et imaginer, car son Unité assume une pluralité réelle qui ne rompt pas l’Unité.
c) L’Esprit

1’) Exposé de l’article

  1. Le Père donne également tout à l’Esprit, qui est défini dans les termes spécifiques et réservés à la divinité : « Esprit », « Saint » et « Seigneur » (de nouveau une évocation du Tétragramme). De même que le Père est créateur et que le Fils est la Parole par laquelle le Père crée toutes choses, l’Esprit est professé comme « donateur de vie ». De même que le Fils est engendré du Père, l’Esprit « procède du Père ». Les affirmations sur l’Esprit font intentionnellement écho à l’article sur le Fils [18]. Par conséquent, l’Esprit peut et doit donc être adoré avec le Père et le Fils – en confirmation du caractère doxologique du Symbole.

2’) Conséquence : l’affirmation explicite de la divinité de l’Esprit

  1. Il est essentiel de tenir à la fois la divinité de l’Esprit comme « troisième » en Dieu et son lien au Père, ainsi qu’au Fils. En effet, encore aujourd’hui des difficultés demeurent à le considérer comme une Personne divine à part entière et non comme une simple force divine, voire cosmique. On priera parfois le Père et le Fils en omettant l’Esprit, contrairement à la prière de l’Église qui s’adresse toujours au Père, par le Fils, dans le Saint-Esprit. On reconnaîtra une importance toute légitime à l’Eucharistie, à la Vierge Marie ou à l’Église – sans mesurer combien ces dernières sont précieuses précisément parce qu’elles sont vivifiées par l’Esprit [19]. À l’inverse, d’autres donneront une place centrale, voire exclusive à l’Esprit Saint, jusqu’à repousser le Père et le Fils à l’arrière-plan, ce qui revient, paradoxalement, à une forme de réductionnisme pneumatologique, puisqu’il est Espritdu Pèreet Esprit du Fils (Ga 4,6 ; Rm 8,9). La grandeur surabondante de l’Esprit Saint exprimée dans la foi de Nicée est une protection contre ces réductionnismes.
2) De manière synthétique
  1. Ainsi, de la plénitude fontale de la paternité de Dieu, découle la plénitude surabondante du Dieu Père, du Fils et de l’Esprit,semper major. Or la plénitude fontale du Père implique unetaxis (un ordre) dans la vie du Dieu trinitaire. Le Père est la source de toute la divinité [20]. La deuxième personne est bien Dieu et lumière, mais elle l’est en tant que « Dieu de Dieu », « lumière de la lumière ». Tout en étant confessé comme égal selon la divinité avec le Fils et le Père, l’Esprit est exposé d’une manière assez différente des deux autres. Nous venons de voir (cf. supra § 12) qu’il est présenté avec des caractéristiques divines et doit être adoré avec le Père et le Fils. Cela dit, les différences d’expression sont notables : ce qui est dit du Père et du Fils « un » ou du Fils « consubstantiel » n’est pas répété à propos de l’Esprit. Sans rien enlever à sa co-divinité, la manière de mentionner l’Esprit dans le Symbole souligne sa distinction personnelle. Ainsi, le propre de l’Esprit Saint met en lumière l’unicité de chaque personne divine. D’une certaine manière, en Dieu, « hypostase » ou « personne » est un terme analogique, au sens où chacun des trois « noms » divins est pleinement une personne, mais l’est d’une manière unique. Cette unicité montre également que l’égalité, d’une part, et la différence et l’ordre, d’autre part, ne se contredisent pas. Cela aussi est le fruit de la surabondante paternité du Père. Recevoir Nicée signifie recevoir la richesse de la paternité divine qui établit l’égalité mais aussi la différence et l’unicité.

[1.2 Réflexion sur le recours à l’expression homoousios]

1) L’expression elle-même
a) Exposé

Nous l’avons noté plus haut, le document ne propose pas un exposé ex professo de la consubstantialité. Relevons toutefois qu’il dit l’essentiel quand il parle « d’une communication de l’unique substance du Père », donc quand il explicite le mystère de la génération éternelle du Fils à partir de l’autodonation totale du Père.

  1. L’une des contributions centrales de Nicée est la définition de la divinité du Fils dans les termes d’une consubstantialité : le Fils est « consubstantiel » (homoousios) au Père, « engendré du Père », « c’est-à-dire de la substance du Père » [21]. La génération du Fils est autre chose que la création, parce qu’il s’agit d’une communication de l’unique substance du Père. Le Fils est non seulement pleinement Dieu comme le Père, mais bien d’une substance numériquement identique à la sienne, car il n’y a pas de division dans le Dieu un [22]. Répétons-le : le Père donne tout au Fils, selon la logique d’une vie divine, qui estagapēet qui excède toujours ce que l’esprit humain peut concevoir.
b) Conséquence : caractère non scripturaire
  1. Pour la première fois des termes non scripturaires sont employés dans un texte ecclésial officiel et normatif – nous y reviendrons dans les IIIeet IVechapitres. L’intention des Pères du Concile n’était pas d’introduire une nouveauté dans la foi apostolique, mais de la protéger en explicitant ce qu’est réellement la génération en Dieu. C’est pour cela que dans le symbole de 325, homoousios est introduit par l’expression « c’est-à-dire » : la terminologie grecque ontologique est au service des expressions traditionnelles scripturaires [23]. Le terme, d’origine gnostique et condamné par le synode régional d’Antioche (264-269), sera très disputé dans les décennies qui suivront Nicée. Mais à partir des années 360 les adhésions se multiplièrent, jusqu’à sa pleine et paisible ratification à Constantinople (381). Sont alors reconnus son rôle d’explicitation et de protection de la foi, ainsi que la capacité créatrice de la raison humaine, de la philosophie et de la culture, dans l’accueil de la Révélation. Comme déjà avec les Saintes Écritures, cela souligne que la Révélation implique un dialogue entre Dieu et l’homme, dialogue qui se fait des deux côtés par des paroles humaines, situées, limitées, et donc toujours à interpréter. Non seulement la vie divine se révèle comme surabondance, mais la forme même de la Révélation, capable de se dire en mots humains, et bientôt de se traduire en toutes les langues, se montre ici semper major.
2) Autres expressions, scripturaires

Ce développement permet aussi de répondre à l’objection implicite selon laquelle Nicée ne devrait pas introduire des expressions non scripturaires.

  1. Cette expression n’est cependant pas la seule employée dans le symbole pour exprimer la divinité salvatrice du Fils. Elle se trouve insérée parmi une série de termes d’origine scripturaires et liturgiques : « vrai Dieu du vrai Dieu », « Dieu de Dieu » et « lumière de la lumière ». Aucun terme ne peut à lui seul épuiser la surabondante plénitude de la Révélation. La foi a besoin de l’articulation des expressions scripturaires, philosophiques et liturgiques, de concepts, d’images et de noms divins (Père, Fils, Esprit Saint) pour s’exprimer de la manière la plus juste et la plus complète. Les modes d’expression des différentes Églises et communautés ecclésiales peuvent se soutenir mutuellement dans cette redécouverte, car certaines insistent davantage sur l’une ou l’autre : ainsi la tradition orientale met l’accent sur la compréhension du Christ comme « lumière de lumière ». La pluralité de son vocabulaire contribue certainement à rendre la foi qui y est exprimée accessible dans les différentes cultures et selon laforma mentisde chaque être humain.

[1.3 L’unité de l’histoire du salut

Comprendre le contenu du symbole de Nicée-Constantinople suppose de comprendre l’histoire du salut qui précède et prépare la Révélation trinitaire. En effet, nous ne parvenons à la Trinité immanente qu’en partant de la Trinité économique.

1) La création
  1. Pour bien comprendre la portée du symbole de Nicée-Constantinople, il convient de comprendre l’unité du cadre de l’histoire du salut qui informe la profession de foi. En effet, l’attribution de la création ou du « don de la vie » aux trois personnes souligne l’unité entre l’ordre de la création et l’ordre du salut. La divinisation commence déjà avec l’acte créateur, l’histoire du salut commence déjà avec la création. Contre le marcionisme et les diverses formes de gnosticismes, il faut tenir que c’est le même Dieu qui crée et qui sauve, et la même réalité créée, bonne car voulue par Dieu, qui est restaurée dans la rédemption. Ainsi, la grâce n’introduit pas une rupture mais offre un accomplissement, car elle est déjà à l’œuvre dans la création qui lui est ordonnée.
2) L’Ancien Testament
  1. De même, l’économie du salut accompli dans le Christ n’est présentée dans sa véritable et pleine signification que si l’on souligne sa fidélité à la révélation faite au peuple d’Israël, sans quoi la foi exprimée à Nicée perdrait sa légitimité et la plénitude de sa dimension historique. Évidemment, la dimension trinitaire et christologique de la foi nicéenne n’est pas acceptée par la tradition rabbinique mais, d’un point de vue chrétien, elle est comprise de manière essentielle comme unenouveautéqui s’inscrit pourtant dans la continuité avec la révélation confiée au peuple élu. La doctrine de la Trinité ne se veut certes pas une relativisation, mais un approfondissement de la foi dans le seul et unique Dieu d’Israël [26]. Nous avons déjà souligné que les références au Dieu « un » et « créateur du ciel et de la terre » font écho à l’Ancien Testament, où Dieu se révèle comme celui qui crée par amour, entre en relation par amour et appelle à être aimé en retour. Dieu appelle Abraham son « ami », « celui qu’il aime » (Is 41,8 ; 2 Chr 20,7 ; Jc 2,23), et il s’entretient avec Moïse « face à face, comme on se parle d’homme à homme » (Ex 33,11). De même, le choix de l’homoousios est précisément fait pour protéger le caractère monothéiste de la foi chrétienne : en Dieu, il n’y a pas d’autre réalité que la réalité divine. Le Fils et l’Esprit ne sont autres que Dieu lui-même et non pas des êtres intermédiaires entre Dieu et le monde ou de simples créatures. En outre, la révélation faite à Israël témoigne du Seigneur comme de l’Un et Unique qui s’engage, se voue, et se communique dans l’histoire des hommes. Le christianisme comprend l’Incarnation comme la plénitude inouïe de la façon de faire (l’économie) du Dieu d’Israël qui descend et qui habite au milieu de son peuple, réalisée dans l’union de Dieu avec une humanité singulière, Jésus [27].
3) L’arrière-plan juif

Ce long paragraphe est l’un des plus originaux et le plus riche en théologie biblique. D’un mot, la Trinité non seulement ne contredit pas l’unité divine, mais elle en déploie toute la richesse : « Il existe l’idée d’une richesse surabondante en Dieu qui ne contredit pas son unicité et son unité ».

a) La foi trinitaire s’inscrit dans la continuité de la foi monothéiste d’Israël
  1. De plus, le développement de la foi trinitaire telle qu’elle est exprimée à Nicée n’est pas sans arrière-plan juif. Le Symbole est structuré par une triple répétition : « nous croyons en un Dieu Père… et en un Seigneur Jésus-Christ… et en l’Esprit Saint ». En effet, la foi trinitaire naissante des premiers siècles développe l’unité des noms divins, Père, Fils et Esprit, à partir de la foi monothéiste d’Israël exprimée au début duSh’ma Israel, « le Seigneur notre Dieu est un » (Dt 6,4), par une répétition de cette prière centrale du judaïsme, en étendant l’attribut de l’unité-unicité de Dieu Un au Fils : « Je crois enun seul Dieu… et en un seul Seigneur… ». C’est déjà le cas dans les ébauches d’expression de la foi trinitaire propres au Nouveau Testament : « Pour nous, il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui viennent toutes choses, et nous sommes par lui ; et un seul Seigneur Jésus-Christ, en vertu duquel existent toutes choses, et nous existons pour lui » (1 Co 8,6 nous soulignons). Celles-ci, « binitaires », co-existent avec des formules « trinitaires » : « Il y a un seul corps et un seul Esprit […] ; il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ; il y a un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, et parmi tous, et en tous » (Ep 4,4-6 nous soulignons ; cf. aussi 1 Co 12,4-6). Évidemment, le contenu va rapidement évoluer vers des conceptions qui ne pourront être acceptées par le rabbinisme, mais c’est à partir de pierres d’attente et de l’intérieur des structures liturgiques juives que se développe la foi chrétienne.
b) La foi trinitaire développe la richesse du monothéisme d’Israël

1’) Principe : la richesse surabondante en Dieu

Par ailleurs, il faut souligner la richesse polyédrique du monothéisme d’Israël qui se dévoile à travers la Bible hébraïque et les écrits de l’époque du Second Temple [28]. Il existe l’idée d’une richesse surabondante en Dieu qui ne contredit pas son unicité et son unité. Cela se témoigne dans la multiplicité des figures de Dieu, comme la dimension « binitaire », en un certain sens, que certains spécialistes perçoivent dans la dualité entre « l’Ancien des jours » et celui qui est « comme un fils d’homme » (Dn 7,9-14). Cette richesse se manifeste encore dans les différentes figures de Dieu lors de son action dans le monde : l’Ange du Seigneur, la Parole (dābār), l’Esprit (rûa) et la Sagesse (ākmâ). Certains exégètes contemporains soutiennent d’ailleurs qu’il y eut une première étape binitaire dans la confession de foi chrétienne, qui inscrivait naturellement la confession de foi en Jésus de Nazareth comme Kyrios exalté après la mort, avec un rang proprement divin, dans la continuité du monothéisme exprimé dans la Bible.

2’) Application : relation de développement

Ainsi, même s’il est capital de ne pas rétroprojeter la foi trinitaire sur l’Ancien Testament, il est néanmoins possible de percevoir entre l’Ancien et le Nouveau un processus de développement, bien que non linéaire, une forme de rassemblement de ces différentes réalités en deux figures : le Fils-Logos et l’Esprit. Lorsqu’il est arrivé qu’on considère l’affirmation de deux autres personnes divines comme une association extrinsèque au Dieu unique, on a manqué la reconnaissance de l’idée chrétienne d’une fécondité intrinsèque du Père au sein de la substance une et indivisible des trois personnes coéternelles.

[2. Saisir l’immensité du Christ Sauveur et de son acte de salut]

Cette deuxième sous-partie montre l’apport christologique du Concile de Nicée. Comme la première, une introduction énonce la partie du symbole concernant le Christ. Le plan, annoncé dans cette introduction est le suivant :

 

1) L’Incarnation et l’être du Christ (2.1)

2) La Rédemption ou la mission du Christ

  1. a) En général (2.2)
  2. b) En particulier dans son sommet qu’est le mystère pascal (2.3)

0) Introduction

  1. Au cœur du deuxième article du symbole de Nicée-Constantinople se trouve la confession de l’incarnation et de l’acte rédempteur du Fils. Après avoir professé la divinité du Christ, Fils de Dieu, nous confessons aussi que :

 

Nous croyons en un seul Seigneur Jésus Christ

qui à cause de nous les hommes et à cause de notre salut est descendu des cieux,

s’est incarné de l’Esprit Saint et de la Vierge Marie [32] et s’est fait homme ;

a été crucifié pour nous sous Ponce Pilate, a souffert et a été enseveli,

est ressuscité le troisième jour selon les Écritures et est monté aux cieux,

siège à la droite du Père et reviendra dans la gloire juger les vivants et les morts ;

et son règne n’aura pas de fin.

[2.1 Voir le Christ dans toute sa grandeur]

1) Sa grandeur en perspective christologique
a) Exposé
  1. Nicée nous permet de « voir le Christ dans toute sa grandeur [33]». Les deux dimensions qui font de lui l’unique médiateur entre Dieu et les hommes sont marquées par la mention des deux acteurs de l’incarnation : « Il s’est incarné de l’Esprit Saint et de la Vierge Marie ». Il est pleinement Dieu, lui qui provient d’une Vierge par la puissance de l’Esprit de Dieu ; il est pleinement homme, lui qui naît d’une femme. Il esthomoousios au Père mais aussi à nous, selon le double énoncé plus tardif de Chalcédoine [34] – en sachant que le terme homoousios ne peut pas avoir un sens univoque lorsqu’il s’agit de rapporter le Fils incarné au Père ou aux êtres humains. Le Verbe qui se fait chair est la Parole de Dieu elle-même, qui assume de manière unique et irréversible une humanité singulière et finie. C’est parce que Jésus était personnellement (hypostatiquement) identique au Fils éternel, qu’il a pu, en souffrant la mort humaine de façon tragique, rester en relation vivante avec le Père et transformer la séparation d’avec Dieu, le péché et la mort (cf. Rm 6,23), en accès à Dieu (cf. 1 Co 15,54-56 ; Jn 14,6b). C’est parce que Jésus était homme véritable – « en tout semblable à nous, sauf le péché » (He 4,15) – qu’il a pu assumer notre péché et passer par la mort. Cette double consubstantialité fait que le Christ seul peut sauver. Lui seul peut opérer le salut. Lui seul est communion des êtres humains avec le Père [35]. Lui seul est le Sauveur de tous les êtres humains de tous les temps. Aucun autre être humain ne peut l’être avant lui ou après lui. L’inouï de la communion parfaite entre Dieu et l’homme s’est réalisé en Christ, au-delà de toute forme de réalisation que l’être humain peut lui-même imaginer.
b) Sa difficile réception actuelle
  1. On ne se dissimulera pas la difficulté actuelle à croire en la pleine divinité et la pleine humanité du Christ.Il existe dans toute l’histoire du christianisme, et encore aujourd’hui, une véritable résistance à reconnaître la pleine divinité du Christ. Jésus peut être plus aisément considéré comme un maître spirituel initiatique ou comme unmessie politique qui prêche la justice, alors que, dans son humanité, il vit sa relation éternelle au Père. Mais il existe aussi une grande difficulté à admettre la pleine humanité du Christ, lui qui peut éprouver la fatigue (Jn 4,6), des sentiments de tristesse et d’abandon (Jn 11,35 ; Gethsémani) et même de colère (Jn 2,14-17) et qui, mystérieusement mais réellement, ignore certaines choses (« seul le Père connaît l’heure… », Mt 24,36). Le Fils éternel a choisi de vivre tout ce qu’il est au titre de l’infini de la nature divine, qui demeure, dans la finitude de sa nature humaine et à travers elle.
2) Sa grandeur en perspective trinitaire
  1. Notons toutefois que, même si la partie du Symbole consacrée à la deuxième personne est la plus développée, la perspective christologique contenue dans la foi de Nicée est nécessairement trinitaire. Le Christ estsemper majorjustement parce que là où il est, il y a toujours plus que lui : le Père reste le Père, le « Saint d’Israël ». Certes, « celui qui a vu [le Christ] a vu le Père » (Jn 14,9), mais, comme le dit Jésus, « le Père est plus grand que [lui] » (Jn 14,28). Arius lui-même l’avait bien vu lorsqu’il citait l’Évangile : « Un seul est bon » (Mt 19,17) [36]. De plus, le Christ ne peut être compris sans le Père et l’Esprit Saint : avant d’être conçu comme l’Homme-Dieu et l’Époux, il est présenté dans le Nouveau Testament comme Fils du Père et Oint par l’Esprit. De même, il ne sauve pas les hommes sans le Père qui est la source et la fin de toutes choses – car celui-ci est union filiale avec le Père. Il ne sauve pas les hommes sans l’Esprit, qui fait crier « Abba, Père » (Rm 8,15) et dont l’action intérieure permet à l’être humain d’être transformé et d’entrer activement dans le mouvement qui le conduit au Père.

[2.2 L’immensité de l’acte du salut : sa consistance historique]

En plus de l’ontologie du Christ, le concile de Nicée en célèbre aussi la sotériologie.

a) Exposé
  1. La grandeur du Sauveur se dévoile aussi dans la plénitude surabondante de l’économie de salut. Nicée présente le réalisme de l’œuvre de rédemption. Dans le Christ, Dieu nous sauve en entrant dans l’histoire. Il n’envoie pas un ange ou un héros humain, mais vient lui-même dans l’histoire des hommes, en naissant d’une femme, Marie, dans le peuple juif (« né d’une femme, né sous la loi », Ga 4,4), et en mourant dans une période historique précise, « sous Ponce Pilate » (cf. 1 Tim 6,13 ; voir aussi Ac 3,13) [37]. Si Dieu est entré lui-même dans l’histoire, l’économie du salut est le lieu de sa Révélation : dans l’histoire, le Christ révèle authentiquement le Père et l’Esprit et donne pleinement accès au Père dans l’Esprit. De plus, parce que Dieu entre dans l’histoire, il ne s’agit pas seulement d’un enseignement à mettre en pratique, comme dans le marcionisme ou la gnose « au nom menteur », mais d’une action effective de Dieu. L’économie sera le lieu de l’œuvre salvatrice de Dieu. Nous confessons qu’un évènement historique a radicalement changé la situation de tous les êtres humains. Nous confessons que la Vérité transcendante s’est inscrite dans l’histoire et agit en elle. C’est pourquoi le message de Jésus ne peut être dissocié de sa personne : ilestpour tous « le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14,6) et non un maître de sagesse parmi d’autres.
b) Difficulté implicite

Cette difficulté implicite objecte que le Symbole ignore l’Ancien Testament ; pourtant, le Nouveau l’accomplit ; ne ferait-il pas le jeu d’une théologie dualiste de la substitution ? L’objection est ainsi l’occasion de proposer une nouvelle fois une théologie d’Israël.

1’) Exposé
  1. Malgré son insistance sur l’histoire, le Symbole ne mentionne ni n’évoque explicitement une grande partie du contenu de l’Ancien Testament ni, en particulier, l’élection et l’histoire d’Israël.
2’) Réponses

L’on peut distinguer au moins cinq réponses qui sont signalées par un retour à la ligne.

Évidemment, un Symbole n’a pas vocation à être exhaustif. Cependant, il est utile de souligner que ce silence ne signifie en aucun cas la caducité de l’élection du peuple de l’ancienne alliance [38]. Ce que révèle la Bible hébraïque n’est pas uniquement une préparation mais est bien déjà l’histoire du salut, qui se poursuivra et s’accomplira dans le Christ : « L’Église du Christ reconnaît que les débuts (initia) de sa foi et de son élection se trouvent déjà, selon le mystère divin du salut, dans les patriarches, Moïse et les prophètes » [39]. Le Dieu de Jésus-Christ est le « Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob », il est le « Dieu d’Israël ».

D’ailleurs, le Symbole souligne discrètement la continuité entre le peuple juif et le peuple de la nouvelle alliance par la mention de « la vierge Marie », qui situe le Messie dans le cadre d’une famille juive et d’une généalogie juive, et qui fait également écho au texte vétérotestamentaire (Is 7,14 LXX). Cela opère un pont entre les promesses de l’Ancien Testament et du Nouveau, comme le fera aussi l’expression « il est ressuscité le troisième jour selon les Écritures » dans la suite de l’article, où « Écritures » signifie l’Ancien Testament (cf. 1 Co 15,4).

La continuité entre l’Ancien et le Nouveau Testament se rencontre de nouveau lorsque l’article sur l’Esprit indique que celui-ci « a parlé par les prophètes », ce qui représente peut-être une note anti-marcionite [40].

Quoi qu’il en soit, pour être pleinement compris, ce Symbole né de la liturgie prend tout son sens lorsqu’il est proclamé dans la liturgie et articulé avec la lecture de l’ensemble des Saintes Écritures, Ancien Testament et Nouveau Testament. Cela situe la foi chrétienne dans le cadre de l’économie du salut qui inclut de manière native et structurelle le peuple élu et son histoire.

[2.3 La grandeur de l’acte du salut : le mystère pascal]

1) La passion du Christ

Elle aussi, la passion du Christ s’éclaire à la umière de l’homoousios.

  1. Le réalisme et la dimension trinitaire du salut en Christ trouvent leur aboutissement dans le mystère pascal. Le Fils, lumière de Dieu et vrai Dieu, s’incarne, souffre, meurt, descend au shéol et ressuscite. Il s’agit encore ici d’une nouveauté inouïe. La difficulté d’Arius ne concernait pas seulement l’unité de Dieu, incompatible avec la génération d’un Fils, mais aussi la compréhension de sa divinité, incompatible avec la passion du Christ. Pourtant, c’est justement dans le Christ et seulement dans le Christ que nous comprenons ce dont Dieu est capable en propre, au-delà de toutes les limites de nos précompréhensions. Il s’agit de prendre au sérieux le cri de Jésus comme étant le cri du Fils de Dieu, exprimé dans la sueur de sang et la peur : « Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi. » (Mt 26,39b). Le mothomoousioslui-même aide à réaliser l’inouï de la kénose de l’Incarnation : seule l’affirmation du Fils « consubstantiel » au Père permet de réaliser la radicalité et la profondeur de ce à quoi ce même Fils a consenti en assumant la condition humaine. Dans un sens, on pourrait dire que le Fils, semper major, se fait véritablement minor, et que le Dieu Très-Haut descend au plus bas en Jésus-Christ (cf. Ph 2,5-11). Or, même si seul le Christ naît, souffre la passion et meurt, nous pouvons dire que « unus de Trinitate passus est [41] ». Toute la Trinité est impliquée, chaque personne de manière singulière, dans la passion salvifique du Christ. Ainsi, la Passion nous révèle le sens réellement divin de la « toute-puissance ». La toute-puissance du Dieu trinitaire est identique au don de soi et à l’amour. Le Rédempteur crucifié n’est donc pas la dissimulation, mais la révélation de la toute-puissance du Père.
2) La résurrection du Christ

Comme le Christ, sa résurrection est un universale concretum, c’est-à-dire un événement unique, donc singulier, qui rayonne sur la totalité du temps, donc universellement.

a) L’événement singulier…
  1. La plénitude de l’acte rédempteur du Christ ne se manifeste entièrement qu’avec sa résurrection, accomplissement du salut, où se trouvent confirmés tous les aspects de la création nouvelle. La résurrection témoigne de la pleine divinité du Christ, seule capable de traverser et de vaincre la mort, mais aussi de son humanité, puisque c’est bien la même humanité, numériquement identique à celle de sa vie terrestre, qui est transfigurée et glorifiée. Il ne s’agit pas d’un symbole ou d’une métaphore : le Christ ressuscite dans son humanité et dans son corps. La résurrection transcende l’histoire mais est advenue au cœur de l’histoire des êtres humains et de cet homme Jésus. De plus, elle est profondément trinitaire : le Père en est la source, l’Esprit en est le souffle vivifiant et le Christ glorifié vit – toujours dans son humanité – au sein de la gloire divine et en communion inaltérable avec le Père et l’Esprit. Notons que c’est la résurrection du Christ, « premier-né d’entre les morts » (Col 1,18 ; cf. Rm 8,29), qui révèle l’engendrement éternel du Fils, « premier-né de toutes créatures » (Col 1,15). Ainsi, la paternité et la filiation divines ne sont pas d’abord des développements de modèles humains, même s’ils sont exprimés en mots humains marqués culturellement, mais elles sont des réalitéssui generisde la vie divine.
b) … qui se déploie jusqu’à la fin des temps
  1. Le Symbole souligne que la résurrection de Jésus-Christ se déploie jusqu’à la fin des temps, lorsque le Christ « reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts ; et son Règne n’aura pas de fin ».Avec la résurrection, la victoire est définitivement acquise, mais elle doit se réaliser pleinement dans la Parousie. L’espérance chrétienne est plénière : elle ne s’appuie pas uniquement sur l’ephapaxde la Passion et la Résurrection, ou sur le don présent de la grâce, mais aussi sur l’à-venir du retour glorieux du Christ et de son Règne. Notons que cet aspect de la foi de Nicée se comprend davantage et reçoit une force accrue si lui aussi est lu dans un contexte où l’Église se met à l’écoute de l’Ancien Testament et de la foi du peuple juif d’aujourd’hui. L’attente messianique actuelle du peuple d’Israël met en lumière l’intégralité des promesses messianiques de paix sur toute la terre et de justice pour tous, dans un monde entièrement renouvelé (Is 2,4 ; 61,1-2 ; Mi 4,1-3), que les chrétiens attendent avec la Parousie. Cela peut et doit éveiller l’espérance chrétienne du retour du Ressuscité, car alors seulement sera pleinement visible son œuvre rédemptrice [42].

[3. Saisir l’immensité du salut offert aux hommes et l’immensité de notre vocation humaine]

Le symbole de Nicée célèbre désormais l’homme (en sa relation avec Dieu). En effet, il entrelace la donation divine et la réception humaine. Or, Dieu toujours plus grand offre un don à sa (dé)mesure. Donc, l’homme doit lui-même être agrandi pour le recevoir et ainsi être semper major.

Voilà pourquoi sont montrés successivement :

 

1) La grandeur du don divin (3.1)

2) grandeur du récepteur humain

  1. a) En sa singularité (3.2)
  2. b) En son appartenance communautaire (3.3).

 

En fait, ce 3e § traite d’abord de l’ecclésiologie, puis l’applique à l’anthropologie. Il aurait été plus logique de le rattacher à la quatrième partie qui ne considère qu’un aspect de l’ecclésiologie.

0) Introduction

Le document y énonce sa thèse en sa réfraction.

  1. Célébrer Nicée ne consiste pas seulement à s’émerveiller devant la plénitude surabondante de Dieu et du Christ Sauveur, mais aussi devant la grandeur surabondante du don offert aux êtres humains et de la vocation humaine qui y est dévoilée. Le mystère de Dieu dans son immensitéest révélation de la vérité sur l’homme, lui aussisemper major. Il s’agit ici de développer les implications sotériologiques et anthropologiques des affirmations trinitaires et christologiques du symbole de Nicée, mais aussi de prendre en compte l’enseignement de la fin du troisième article sur l’Esprit Saint, qui présente la foi en l’Église et dans le salut :

 

[Nous croyons] une seule sainte Église, catholique et apostolique.

Nous confessons un seul baptême pour la rémission des péchés ;

Nous attendons la résurrection des morts et la vie du monde à venir. Amen.

[3.1 La grandeur du salut : l’entrée dans la vie de Dieu]

Comme toujours, le document montre tout ce que la foi de Nicée révèle, ici, du don divin à l’homme, qui est double : en négatif, la rémission des péchés ; en positif, la divinisation.

1) L’arrachement au péché ou rémission
a) Le péché
  1. Parce que le Christ nous sauve, la foi de Nicée confesse la « rémission des péchés » et « la résurrection des morts ». Le Symbole mentionne le péché car nous avons besoin de savoir de quel mal nous sommes délivrés. Le péché, au sens théologique strict, n’est pas seulement le vice ou la faute, qui offense les intentions du Créateur dans la créature (cf. Rm 2,14-15), mais il est aussi une rupture délibérée d’avec Dieu au sein d’une relation théologale avec celui-ci. En ce sens plénier, le pécheur prend conscience de son péché dans la lumière de l’amour miséricordieux de Dieu : le péché doit être « découvert » par l’œuvre de la grâce elle-même afin que celle-ci puisse convertir les cœurs [43]. Ainsi, la révélation du péché est le premier pas de la rédemption et doit être confessé comme tel.
b) L’arrachement qu’est le salut
  1. Avec l’exorbitante prétention de la résurrection des morts, la foi de Nicée professe que le salut est complet et plénier. L’homme est libéré de tout mal, y compris du « dernier ennemi » qui doit être détruit par le Christ pour que tout soit soumis à Dieu (cf. 1 Co 15,25-26). La foi en la résurrection implique non pas simplement la survie de l’âme mais bien la victoire sur la mort [44]. De plus, l’homme n’est pas sauvé seulement selon son âme mais dans son corps lui-même. Rien de ce qui fait l’identité et l’humanité de l’homme ne demeure en dehors de la création nouvelle que propose le Christ. Enfin, ce don sera acquis pour toujours, car il se déploie dans « la vie du monde à venir », l’eschătonpleinement réalisé. Depuis Pâques, aucun péché n’a plus le pouvoir de séparer le pécheur de Dieu – du moins s’il saisit la main du Crucifié Ressuscité, qui se tend jusqu’au plus profond de l’abîme pour s’offrir aux brebis perdues : « Ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni le présent ni l’avenir, ni les puissances, ni les forces des hauteurs ni celles des profondeurs, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus Christ notre Seigneur » (Rm 8,38-39).
2) L’attachement à Dieu ou divinisation

En fait, selon l’enseignement bien compris de la doctrine du surnaturel, notre divinisation est identiquement notre humanisation.

  1. Parce que le Christ nous sauve en tant que vrai Dieu, la résurrection signifie pour nous l’entrée dans la vie divine, humanisation et divinisation à la fois, comme en témoigne le commentaire parJésus du psaume 81,6 en Jean 10,14 : « Vous êtes des dieux » [45]. Et parce qu’il nous sauve en tant que Fils, engendré du Père, cette divinisation est filiation adoptive et conformation au Christ ; elle est l’entrée par l’Esprit Saint dans l’amour du Père. Nous sommes aimés et régénérés par l’amour même par lequel le Père aime et engendre éternellement le Fils. Telle est l’implication sotériologique de la paternité de Dieu professée par Nicée. Enfin, parce que le Christ nous sauve en tant que Fils, avec le Père et le Saint-Esprit, cette filiation est une plongée réelle dans les relations trinitaires. Voilà pourquoi le Symbole naît de la profession de foi baptismale trinitaire et que le baptême se fait « au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit ». L’immensité du don ainsi révélé s’actualise dans le mystère de l’Ascension du Christ : « il est monté au ciel », manifestant que le Christ lui-même est « notre ciel » [46]. Le Fils exalté enverra le don de Dieu promis, l’Esprit de Pentecôte. Aucune vision plus restreinte du salut ne serait réellement chrétienne.

[3.2 L’immensité de la vocation humaine à l’Amour divin]

Le mystère de l’homme semper major qui reçoit ce don est triplement éclairé : par la Trinité, le Christ et l’eschatologie.

1) La portée anthropologique de la théologie trinitaire (ou l’identité trinitaire de l’homme)
a) Énoncé
  1. Tout ce qui précède ne peut pas ne pas avoir de conséquences sur la vision chrétienne de l’être humain. Celui-ci aussi est révélé dans la grandeur surabondante de sa vocation, commehomo semper major. Le symbole de Nicée ne comporte pas d’article anthropologique au sens strict, mais l’être humain, dans sa vocation à la filiation divine en Jésus, pourrait être décrit commeobjet de la foi. Conformément aux Écritures Saintes, sa véritable identité est révélée par le mystère du Christ et le mystère du salut comme mystère au sens strict, analogue à celui de Dieu et du Christ, même si ceux-ci le dépassent incomparablement.
b) Exposé
  1. Ce grand mystère est d’abord lié à celui du Dieu trinitaire et du Christ. La révélation de la paternité de Dieu est la révélation du mystère de la paternité tout court : « Je fléchis les genoux devant le Père, de qui toute paternité au ciel et sur la terre tire son nom » (Ep 3,14). La révélation, chez Jean notamment, du Fils Unique, est la manifestation de la filiation au sens propre, qui découle ontologiquement du Premier Engendrement et qui relève du mystère de la Trinité lui-même. Dans une forme d’inversion du rapport de compréhension, c’est la paternité et la filiation trinitaires qui éclairent et purifient la paternité, la maternité, la filiation et la fraternité humaines, situées culturellement et marqués par le péché.

1’) La filiation comme caractéristique la plus profonde

La paternité divine manifeste tout d’abord que la filiation est la caractéristique la plus profonde de l’être humain : celui-ci est don donné à lui-même par Dieu le Père et il est appelé à se recevoir de Dieu et, en Lui, des autres et du monde créé qui l’entoure pour devenir toujours plus lui-même. Pour cette raison, son identité et sa vocation sont révélées tout particulièrement dans le Christ, Fils incarné, « homme parfait » qui, « dans la révélation même du mystère du Père et de son amour, manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation » [47].

2’) La participation à la paternité divine

D’autre part, les êtres humains sont aussi appelés à participer au mystère de la paternité, en étant père et mère charnels et spirituels. À l’image de la paternité divine, les paternités et maternités humaines impliquent le don de soi, une égalité entière entre les parents et les enfants, entre ceux qui donnent et ceux qui reçoivent, mais aussi une différence et une taxis entre eux.

3’) L’action pneumatique

Enfin, il n’y pas d’anthropologie réellement chrétienne qui ne soit pneumatologique. Seul l’Esprit « qui donne la vie » humanise entièrement l’être humain, le rend fils et fille, père et mère. Analogiquement, on peut sans doute parler d’une forme de co-spiration de l’Esprit, ou d’inspiration conjointe [48], car nos actes et nos paroles les plus féconds le sont à la mesure de la coopération qu’ils y offrent à l’Esprit, lequel à travers eux console, relève et guide. Ainsi, la vérité et le sens de la paternité, de la filiation et de la fécondité humaines doivent être révélés, car elles ne sont pas seulement des réalités naturelles ou culturelles mais une participation à la manière d’être du Dieu trinitaire. Elles ne peuvent être comprises en profondeur sans la Révélation et, de même, ne peuvent être exercées sans la grâce. Voilà encore une bonne nouvelle à redécouvrir aujourd’hui à partir de Nicée.

2) La portée anthropologique de la christologie
  1. Dans un sens, l’homoousioslui-même peut avoir une portée anthropologique. Un homme a donné accès à Dieu. Bien entendu, le Christ dit de manière unique et propre : « Qui me voit, voit le Père » (Jn 14,9), du fait du mystère de l’union hypostatique. Cependant, cette union unique en lui s’inscrit en cohérence avec le mystère de l’être humain « créé à l’image et à la ressemblance de Dieu » (Gn 1,27). Dans ce sens, et réellement, tout être humain reflète Dieu, fait connaître et donne accès à Dieu. Le Pape Paul VI exprimait ce paradoxe en soulignant d’une part que « pour connaître l’homme, l’homme véritable, l’homme intégral, il faut connaître Dieu », mais d’autre part aussi que « pour connaître Dieu, il faut connaître l’homme [49]. » Ces paroles doivent être prises au sens fort : non seulement chaque être humain donne à voir l’image de Dieu, mais il n’est pas possible de connaître Dieu sans passer par l’être humain. De plus, comme nous l’avons vu plus haut (§ 22), l’Église aura recours à l’expressionhomoousiospour exprimer la communauté de nature du Christ en tant que vrai homme, « né d’une femme » (Ga 4,4), la Vierge Marie, avec tous les êtres humains [50]. Les deux versants de cette double « consubstantialité » du Fils incarné se renforcent l’un l’autre pour fonder de manière profonde, efficace, la fraternité de tous les êtres humains. Nous sommes en un sens frères et sœurs du Christ selon l’unité d’une même nature humaine : « Il lui fallut donc se rendre en tout semblable à ses frères » (He 2,17 ; cf. 2,11-12). C’est ce lien en humanité qui permet au Christ, consubstantiel au Père, de nous entraîner dans sa Filiation avec le Père, et de faire de nous des enfants de Dieu, ses propres frères et sœurs et, par conséquent, les frères et sœurs les uns des autres dans un sens nouveau, radical et indestructible.
3) La portée anthropologique de l’eschatologie
a) Pour la valeur du corps
  1. Le mystère de l’homme dans sa grande dignité est également éclairé par la dimension eschatologique du symbole de Nicée. La foi en la « résurrection des morts », aussi nommée « résurrection de la chair [51]», affirme la beauté du corps et la beauté de ce qui se vit dans le monde par le corps, malgré la fragilité et les limites humaines. Elle affirme la valeur de ce corps personnel concret qui sera ressuscité, transfiguré, mais se maintiendra numériquement identique [52]. Elle pose ainsi une requête éthique : si les actes d’amour véritables posés dans et par le corps en cette vie sont en quelque sorte les premiers pas de la vie ressuscitée, le respect du corps implique de vivre droitement et avec pureté tout ce qui touche celui-ci. Notons que les christologies qui ne posent pas une pleine humanité du Christ risquent d’induire une conception du salut comme fuite du corps et du monde, plutôt que comme pleine humanisation de l’homme. Or cet ancrage dans le monde et le corps, créés bons et accomplis par la création nouvelle, sont une des marques du christianisme. Nous retrouvons ici le lien profond entre création et salut : tous les traits humains de Jésus, reçues de Marie, sa mère, sont des bonnes nouvelles et invitent chaque être humain à considérer ce qui fait de sa propre humanité concrète comme une bonne nouvelle.
b) Pour la valeur de la personne

1’) Exposé général

  1. En outre, l’espérance de la résurrection, comme aussi celle de la « vie éternelle du monde à venir », atteste l’immense valeur de la personne individuelle, qui n’est pas appelée à la disparition dans le néant ou dans le tout, mais à une relation éternelle avec ce Dieu qui a élu chacun avant la fondation du monde (cf. Ep 1,4). Déjà, l’élection d’Abraham, d’Isaac et de Jacob et l’alliance irrévocable avec le peuple d’Israël révèlent l’alliance que Dieu veut nouer avec toutes les nations et chaque être humain en une indestructible fidélité. De même, l’incarnation du Fils éternel en un être humain singulier, confirme, fonde et accomplit la dignité imprescriptible de la personne, en tant que frère et sœur de Jésus Christ.

2’) Importance particulière aujourd’hui

  1. Notre monde a aujourd’hui un immense besoin de redécouvrir ces aspects du mystère de l’homme qui le présentent dans sa grandeur, sans ignorer sa misère : « L’homme passe infiniment l’homme », a dit Blaise Pascal [53]. Cette conviction chrétienne lance un défi à toutes les formes du réductionnisme anthropologique. La foi en la paternité, la filiation et l’inspiration féconde (« pneumatique ») des personnes humaines fonde et oriente toute authentique conception de l’autonomie, de la liberté et de la créativité de l’humain. Celles-ci prennent origine dans le Dieu, Père, Fils et Esprit Saint, pour qui toute-puissance, sagesse et amour ne font qu’un dans le don de soi. À l’inverse, la perte de la foi en la résurrection et en la vie éternelle tournera au refus de donner sa vraie place au corps et à la valeur sacrée de chaque individu dans son unicité et sa transcendance. Or le Créateur nous a révélé ses intentions : « Tu l’as voulu un peu moindre qu’un dieu, le couronnant de gloire et d’honneur » (Ps 8,6).

[3.3 La beauté du don de l’Église et du baptême]

Comme nous le notions plus haut, cette sous-partie est clairement ecclésiologique jusque dans son titre. Elle rentre donc dans la dernière partie de ce premier chapitre qui montre l’apport de la foi de Nicée à l’ecclésiologie. Elle le montre ici en général et la quatrième partie considèrera la première note de l’Église qu’est l’unité. Toutefois, « sauvant » sa place ici même, nous faisons du développement ecclésiologique un principe qui est ensuite appliqué à l’anthropologie (et non pas un exposé dont la conséquence serait anthropologique).

1) Principe
a) La confession de l’Église
  1. Les différents fils tissés jusqu’à présent se nouent dans les affirmations ecclésiologique et sacramentelle du Symbole. La foi de Nicée signifie aussi croire l’Église « une, sainte, catholique et apostolique » et au baptême « pour la rémission des péchés ». L’Église et le baptême sont à célébrer comme des dons eux aussisemper majora. Parce qu’ils confirment et manifestent la plénitude surabondante de tout ce qui est exposé dans le reste du Symbole, ils sont les objets paradoxaux de la foi : il s’agit de reconnaître en eux bien plus que ce qui se voit. L’Église estune au-delà de ses divisions visibles, sainte au-delà des péchés de ses membres et des erreurs commises par ses structures institutionnelles, catholique et apostolique au-delà des replis identitaires ou culturelles et des tourmentes doctrinales et éthiques qui l’agitent sans cesse. En ce sens, il s’agit d’éviter tant le « monophysisme » que « l’arianisme » ecclésiologiques : le premier sous-estime, voire occulte, la dimension humaine de l’Église alors que le second escamote la dimension divine de l’Église au profit d’une vision purement sociologique et fonctionnelle. De même, dans la foi, le baptême est compris comme source d’une vie nouvelle et de la purification du péché au-delà de ce qui est visible dans la vie imparfaite et parfois éloignée de Dieu des baptisés eux-mêmes. Il déploie et surélève la dignité inviolable de chaque être humain en le conformant au Christ, prêtre, prophète et roi.
b) La confession du baptême
  1. « Croire » l’Église et « confesser » un seul baptême, c’est recevoir un don de foi qui permet de discerner au cœur même de leur dimension humaine et fragile la présence agissante et sanctifiante de l’Esprit Saint. L’Esprit rend l’Église une, sainte, catholique et apostolique et donne son efficacité au baptême. « Croire » l’Église et le baptême, c’est également y percevoir en elle et à travers elle l’action salvifique du Christ. De même que le Christ est le sacrement fondamental de Dieu, sa présence réelle et agissante dans le symbole réel de son humanité, de même, l’Église est « sacrement universel de salut » [54]. Enfin, « croire » l’Église et le baptême, c’est y discerner la présence du Dieu trinitaire. L’Église estsemper major, car elle trouve sa source et ses fondations dans le Dieu trine et en elle vivent le Père, le Fils incarné, et l’Esprit. En elle, la foi de Nicée est proclamée et célébrée – par le baptême et les autres sacrements : « Gloire à toi, Père et Fils avec le Saint Esprit dans la sainte Église [55]».
2) Application : la portée anthropologique

En l’occurrence, la foi dans l’Église et le baptême révèle la dimension communautaire de l’homme.

  1. À la croisée entre la sotériologie et l’anthropologie, croire l’Église et confesser un seul baptême confirme et déploie l’immensité du salut et du mystère de l’être humain. Le salut n’est pas un processus simplement individuel, mais communautaire et surnaturel, reçu par la coopération d’autres hommes qui sont nos prochains, et produisant un fruit spirituel pour d’autres qui sont aussi nos prochains [56]. Ceci éclaire la nature de l’être humain qui n’est pas une monade isolée, mais un être social, inséré dans une famille, une nation, une communauté de foi, et dans l’humanité entière [57]. En conséquence, la foi en l’Église et au baptême implique que la rédemption s’inscrive dans des actes et des structures visibles, liés à la dimension corporelle de l’individu et du corps social, lesquels se déploient dans l’histoire. Ceux-ci sont le lieu de l’Esprit vivificateur et inspirateur qui œuvre entre leurs limites et au-delà pour rejoindre tout être humain. Au fond, en témoignant de l’articulation de l’individu et du tout, de la corporéité et de l’inscription dans l’histoire, l’Église s’inscrit dans l’œuvre du Christ qui « manifeste pleinement l’homme à lui-même » [58]. De manière particulière, comme « sacrement d’unité [59]», l’Église professée par la foi de Nicée est le signe et l’instrument de l’unité de tous ces aspects de l’humain et de l’humanité entière : la vision chrétienne de l’homme fait éclater l’étroitesse de tous les réductionnismes qui refusent soit la communauté au profit de l’individu, soit l’individu au profit du collectif, et qui ne tendent pas vers l’unité.

[4. Célébrer ensemble l’immensité du salut : la portée œcuménique de la foi de Nicée et l’espérance d’une date commune pour la célébration de Pâques]

La dernière partie de ce premier chapitre montre l’apport de la foi de Nicée à l’ecclésiologie, précisément à la première note de l’Église qu’est l’unité. Or, celle-ci est déchirée par la division. Cette partie traite donc de l’œcuménisme qui vise à rétablir l’unité visible. Celui-ci est envisagée dans son sens large, dont on sait aujourd’hui qu’il englobe le judaïsme : en vivant de la foi dans la première alliance, il vit de la foi dans le Messie qui y est annoncé et préfiguré.

1) Exposé

a) L’œcuménisme proprement dit
1’) Finalité
  1. La foi de Nicée, dans sa beauté et sa grandeur, est la foi commune à tous les chrétiens. Tous sont unis dans la profession du symbole de Nicée-Constantinople, même si tous ne confèrent pas à ce Concile et à ses décisions un statut identique. L’année 2025 est donc une inestimable occasion de souligner que ce que nous avons en commun est beaucoup plus fort, quantitativement et qualitativement, que ce qui nous divise : ensemble, nous croyons au Dieu trinitaire, au Christ vrai homme et vrai Dieu, au salut en Jésus-Christ, selon les Écritures lues en Église et sous la motion de l’Esprit Saint. Ensemble, nous croyons l’Église, le baptême, la résurrection des morts et la vie éternelle. Le Concile de Nicée est tout particulièrement vénéré par les Églises d’Orient, non pas simplement comme un concile parmi d’autres ou le premier d’une série, mais commeleConcile par excellence, qui a promulgué la confession de foi des « 318 pères orthodoxes ».
2’) Moyens

a’) En général

  1. Par conséquent, 2025 est l’occasion pour tous les chrétiens de célébrer ensemble cette foi et le Concile qui a permis de l’exprimer. L’œcuménisme théologique, légitimement, concentre son attention et ses efforts sur les nœuds non-résolus de nos différences, mais il est sans doute aussi fécond, sinon plus fécond encore, decélébrer ensemble, pour avancer vers le rétablissement de la communion plénière entre tous les Chrétiens, afin que le monde croie. Nous avons déjà souligné comment l’insistance des différentes traditions chrétiennes permet de mettre en valeur les richesses du texte du Symbole (cf. supra § 17). La célébration commune de Nicée pourra être un parcours œcuménique d’enrichissement mutuel qui offrira, chemin faisant, une meilleure compréhension du mystère, une plus grande communion entre les traditions ecclésiales et un attachement plus fort à la profession commune de la foi chrétienne.

b’) En particulier : établir une date commune de Pâques

  1. Une des visées de Nicée fut d’établir une date commune de Pâques pour exprimer l’unité de l’Église dans toute l’Oikoumenē. Malheureusement aucune date commune ne fait jusqu’à nos jours l’objet d’un accord unanime. La divergence des chrétiens à propos de la fête la plus importante de leur calendrier crée des dommages pastoraux à l’intérieur des communautés, jusqu’à diviser des familles, et suscite le scandale auprès des non-chrétiens, affectant ainsi le témoignage rendu à l’Évangile. C’est pourquoi le Pape François, le Patriarche Œcuménique Bartholomée, et d’autres chefs d’Église, ont de nombreuses fois appelé de leurs vœux l’établissement d’une date commune de célébration de Pâques. Or il se trouve que, en 2025, Pâques est à la même date pour l’Orient et l’Occident. Ne serait-ce pas une occasion providentielle à saisir pour continuer à célébrer la Passion et la Résurrection du Christ, la « fête des fêtes » (Matines byzantines de Pâques), en communion dans toutes les communautés chrétiennes ? Plusieurs propositions de date indivise assez réalistes existent. Sur cette question l’Église catholique reste ouverte au dialogue et à une solution œcuménique. Déjà dans l’appendice de la ConstitutionSacrosanctum Concilium, le concile Vatican II ne s’opposait pas à l’introduction d’un nouveau calendrier et soulignait que cela devrait se faire « avec l’assentiment de ceux à qui importe cette question, surtout des frères séparés de la communion avec le Siège apostolique [60]». Notons l’importance accordée par le monde oriental aux éléments posés dans la postérité de Nicée pour déterminer la date de Pâques : Pâques doit être célébrée « le premier dimanche suivant la pleine lune qui suit ou coïncide avec l’équinoxe de printemps [61] ». Le dimanche évoque la résurrection du Christ le premier jour de la semaine, tandis que la pleine lune qui suit l’équinoxe de printemps rappelle l’origine juive de la fête, le 14 Nissan, mais aussi la dimension cosmique de la résurrection, puisque l’équinoxe de printemps évoque le moment où la durée du jour l’emporte sur celle de la nuit et où la nature reprend vie après l’hiver.
b) Élargissement à la religion juive

L’exposé se limite à la commune observance de la Pâque.

  1. Notons que c’est dans le cadre du Concile de Nicée que l’Église choisit de manière décisive de se séparer de la date de la Pâque juive. L’argument selon lequel le Concile a voulu se démarquer du judaïsme a été avancé, en se basant sur les lettres de l’Empereur Constantin telles qu’elles sont rapportées par Eusèbe, qui présentent notamment des justifications anti-juives pour le choix d’une date de Pâques qui ne soit pas liée au 14 Nissan [62]. Cependant, il faut distinguer les motivations attribuées à l’Empereur de celles des Pères du Concile. En tout cas, rien dans les canons du Concile n’exprime ce refus de la manière de faire des juifs. L’on ne peut ignorer l’importance pour l’Église de l’unité du calendrier et du choix du dimanche pour exprimer la foi en la résurrection. Aujourd’hui, au moment où l’Église fête le 1700eanniversaire de Nicée, telles sont de nouveau les visées d’une réflexion sur la date de Pâques. Au-delà de la question du calendrier, il serait souhaitable de toujours mieux souligner le rapport entre Pâques etPesaen théologie, dans les homélies comme dans la catéchèse, afin d’atteindre une compréhension plus large et plus profonde du sens de Pâques.

2) Application pratique : vivre l’œcuménisme

  1. Aux vigiles de Pâques et dans toute liturgie baptismale le symbole de Nicée-Constantinople est proclamé dans sa forme la plus solennelle qui est dialoguée. Cette profession de foi qui fonde la vie chrétienne individuelle et la vie de l’Église trouvera toute sa force si elle est enracinée dans la révélation faite à nos « frères aînés » et nos « pères dans la foi [63]» et vécue en communion visible par tous les disciples du Christ.

Pascal Ide (pour la présentation et le plan)

4.5.2025
 

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