La progressive apparition du rythme liturgique

C’est progressivement que nous sommes arrivés au riche développement de l’année liturgique que nous vivons aujourd’hui [1].

1) Au point de départ, le rythme hebdomadaire

Dès le Nouveau Testament, il est attesté que, au temps des Apôtres, l’Église célèbre le dimanche comme fête de la Résurrection chaque semaine.

La primitive Église a-t-elle étendu ce rythmé liturgique à une durée plus longue, notamment l’année ? En l’occurrence, fête-t-on d’autres jours que le dimanche ? Les spécialistes estiment aujourd’hui que les premiers chrétiens ont d’abord abandonné les différentes fêtes juives.

2) Apparition d’un rythme annuel autour de la fête de Pâque

Les historiens pensent que, après l’ère apostolique, les fidèles du Christ ont instauré une fête chrétienne de la Pâque. C’est ce que semble montrer la querelle des quartodécimans.

Ainsi, il semble bien que, au plus tard au iie siècle, on a fêté annuellement la mort et la résurrection du Christ par une veillée pascale préparée par une temps de jeûne. A la fin du iie siècle, on célèbre la joie pascale, symbolisée par l’Alléluïa dans la cinquantaine pascale (ou pentekostè). Dès 240, le temps antépascal est organisé sous la forme de quarante jours qui prépare la Pâques [2]. Enfin, pour le temps suivant Pâques, il faudra attendra le ive siècle pour que se développe la liturgie du triduum pascal et que ce cinquantième jour soit fêté comme Pentecôte et, comme un relai, le quarantième comme Ascension.

Quoi qu’il en soit, le temps liturgique fut ainsi articulé autour d’une double célébration de la Résurrection de Notre Seigneur : chaque semaine, le dimanche et chaque année, le jour de Pâques. Ce qui ne veut pas dire que c’est acquis définitivement. Par exemple, il a fallu que le pape saint Pie X réforme l’année liturgique en redonnant sa primauté au dimanche sur les fêtes des saints.

3) Apparition du second pôle annuel : la Nativité [3]

La fête de la Nativité semble être fermement apparue au ive siècle : elle est assurément célébrée à Rome en 336 mais est probablement antérieure à l’édit de Milan en 313.

À l’instar de la Pâques, il y eut au point de départ, une divergence de date. A Rome, la date fut choisie, possiblement, aux alentours du solstice d’hiver pour s’opposer à la célébration païenne du même jour, qui rendait un culte à la naissance du dieu Soleil (Sol invictus). Ailleurs qu’à Rome, on fêtait le 6 janvier le baptême du Christ.

Par ailleurs, le sens a évolué. Au point de départ, la liturgie romaine a souligné l’aspect plus dogmatique : la fête de Noël célébrait ce que le Concile de Chalcédoine avait défini sur l’unique personne du Christ en deux natures. Plus tard, sous l’influence décisive de François d’Assise, cet aspect dogmatique plus objectif fut investi affectivement et assorti d’une dimension plus chaleureuse. Sans doute le succès immédiat rencontré par l’« invention » de la crèche correspondait-il à une besoin latent. Le succès fut d’ailleurs tel que, aux yeux de beaucoup, la fête de Noël a une importance comparable à celle de Pâques.

Ainsi l’année liturgique fut structurée à partir de ces deux pôles : Nativité et Mystère pascal. Outre la symétrie théologique (venue du Christ dans le monde, retour vers le Père : exitus-reditus), ces deux fêtes présentent des similitudes de structure : toutes deux sont préparées par un temps plus pénitentiel et suivies par un temps festif (temps de Noël et temps pascal).

4) Progressive mise en place de l’année liturgique complète

Plusieurs éléments nouveaux furent introduits progressivement à partir du ive siècle et les siècles suivants. Je laisse le soin aux spécialistes de déterminer les éléments. En tout cas, cette évolution manifeste une évolution de la sensibilité historique : le détail des événements de la vie du Christ nous intéressent. De plus, les Saints, application de l’Évangile, ont joué un rôle de plus en plus important. A quoi il faut ajouter le sens eschatologique qui oriente toute l’année vers le retour du Christ en gloire.

Mais ce travail fut surtout objectif. L’année liturgique fut véritablement appropriée comme un bien de la vie chrétienne seulement à partir du xixe siècle. Deux bénédictins jouèrent un rôle de premier plan dans ce travail. En France, ce fut l’œuvre de Dom Prosper Guéranger (1805-1875), à l’abbaye de Solesmes, qui commença à éditer l’Année liturgique (œuvre qu’acheva Dom Lucien Fromage, après sa mort) [4]. En Allemagne, Dom Odom Casel (1886-1947), moine de Maria Laach, joua un rôle de premier plan en insistant sur la présence du mystère du salut dans la liturgie [5].

Cette appropriation toucha tous les chrétiens surtout grâce au travail considérable opéré par le Concile Vatican II. En effet, celui-ci a consacré pas moins d’un chapitre à l’année liturgique dans sa première Constitution, Sacrosanctum Concilium. Mais ces résultats furent préparés. Nous venons de parler de l’œuvre de Casel. Ils furent complétés par des travaux de spiritualité de grande portée, ceux du bienheureux Dom Claude Marmion. Le bénédictin belge prolongea sur un plan plus mystique le travail historique de son coreligionnaire allemand : dans Le Christ dans ses mystères, il montre combien tout fidèle est appelé à contempler non seulement le Christ, mais toute sa vie pour participer à chacun de ses mystères ; or, si ceux-ci se déroulent dans l’Écriture, ils sont célébrés sur toute l’année liturgique.

5) Rythme pluriannuel

Aujourd’hui, pour diverses raisons, le rythme liturgique s’est encore élargi : non pas quant à l’essentiel (les grandes fêtes, notamment la bipolarité) qui demeure (et sans doute demeurera) toujours annuel, mais quant à un contenu plus accidentel (ce qui ne signifie pas accessoire), à savoir le lectionnaire qui, maintenant, s’étend sur plus d’une année. Précisément, depuis 1970, le cycle des lectures est de trois ans pour les dimanches et de deux ans pour les messes de semaine.

Il ne faudrait toutefois pas multiplier les élargissements. D’une part, un cycle trop vaste deviendrait artificiel et serait dénué de signification et de portée symbolique ; d’autre part, un trop grand éclatement ferait perdre le sens de l’unité.

Pascal Ide

[1] Cf. Pierre Jounel, « L’année », in Aymé-George Martimort (sous la dir. de), L’Église en prière. IV. La liturgie et le temps, Paris, Desclée, 1983, p. 43-166. P. Bradshaw, The Search for the Origins of Christian Workship, Londres, 1992, trad., La liturgie chrétienne en ses origines, Paris, 1993.

[2] C’est ce que montre la prédication d’Origène à Jérusalem en 240 (cf. Charles Renoux, « La quarantaine pré-pascale au iiie siècle à Jérusalem », La Maison Dieu, 196 (1993), p. 111-129). Une conséquence en est que le carême ne tire donc pas sa raison d’être d’un jeûne suivant l’Epiphanie, mais de sa finalité et de son terme qu’est Pâques.

[3] Cf. Dom Bernard Botte, Les origines de la Noël et de l’Epiphanie, Louvain, 1932.

[4] Cf. P. Guéranger et L. Fromage, L’année liturgique, Le Mans-Poitiers-Paris, 1841, 1878-1901.

[5] Cf. Odom Casel, Das christliche Kultmysterium, Ratisbonne, 1932.

6.2.2025
 

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