Le pardon. Une démarche 7/10

E) Pardon et Dieu

Jésus et le pardon, sur la Croix : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ».

L’infinie richesse de l’amour pardonnant est appelée par l’infinie pauvreté du pécheur.

1) Bienfaits du sacrement de pardon

o) Illustration cinéma : Gran Torino

Drame américain de Clint Eastwood, 2008.

1’) Contexte

Gran Torino n’est pas un film sur les voitures… Mais ce modèle de Ford sport de 1972 à la fois symbolise le caractère fort de Walt Kowalski et sert de médiation entre celui-ci et un jeune asiatique, Thao. Médiation qui rime avec communion et même rédemption.

Au tout début, son attitude (le regard acéré, le visage durci et surtout le râle plein de rage) exprime la fermeture emmurée dont on découvrira qu’elle se décline en jugement du plus proche, rejet de l’étranger, mise à l’écart de Dieu, auto-exclusion par culpabilité – que redouble la révolte de son corps cancéreux.

est celle des funérailles de Dorothée, la bien nommée. Pourtant elle est centrée sur son époux, vieilli pour l’occasion. Debout, regard acéré à qui rien n’échappe, surtout pas le nombril découvert de sa petite-fille et le filet des Lyons de son petit-fils, dents serrés dont s’échappe une murmuratio.

Entre les deux, un changement apparaît.

D’abord, on comprend. Loin de se réduire à un râleur raciste, ce vétéran de la guerre de Corée présente aussi la qualité des maîtres, ceux qui ne sacrifient jamais la liberté ou la vérité à leur confort, dénoncent tout mensonge, restent fidèlement ici dans son quartier de la « Motor City ».

Puis, Walt va se prendre d’amitié pour son voisin Thao qui est persécuté, avec sa famille, par un gang Mong, de la même ethnie. Walt va finalement jouer le rôle d’un père.

Scènes

Scène 8, à 27 mn. 37 sec. : le pardon qui pacifie l’âme.

Scène 25 au début de la scène 28 : 1 h. 32 mn. 33 sec. à 1 h. 42 mn. 20 sec.

2’) Leçons

Avouons-le, le dénouement bouleversant nous surprend : là où l’on attend que l’ex-inspecteur Harry répande le sang par haine, il verse le sien par amour. Cet étonnement ne révèle-t-il pas aussi une complicité avec nos appétits violents de vengeance ? Arrivé à cette hauteur, le cinéma devient le lieu d’une auto-révélation, voire une aide à la conversion.

On peut tirer trois leçons de ces scènes, trois leçons qui épousent la dynamique du don :

a’) La paix intérieure

Walt prépare, du plus extérieur au plus intérieur, son habit (pour la première fois de sa vie, il se fait tailler un costume sur-mesure), son corps (bain à la mousse, là aussi, c’est un hapax, il se fait raser de près), son âme (confession). Et la parole : « Je suis en paix ».

b’) Le don total de soi

La scène que nous avons vu montre Walt totalement ouvert : l’âme en paix, souriant dans son costume sur-mesure, la main béant sur ce briquet qui résume son histoire, jusqu’au corps abandonné les bras en croix. Il a réussi tout à la fois à sortir définitivement du ressentiment, donner un sens à sa maladie, accomplir la promesse faite à son épouse, se réconcilier avec Dieu et sa famille, délivrer Thao et Sue, « tout apprendre » au curé de sa paroisse. Quelle fécondité !

Et il meurt en se donnant totalement à Dieu. On entend les premières paroles : « Je vous salue Marie » ; n’oublions pas la fin qu’il a dû prononcer en son cœur : « et à l’heure de notre mort ».

c’) La réception : le pardon de Dieu

Il faut, non sans combat, la médiation de la grâce, par la présence du prêtre et, sur un autre registre, du chaman. Walt va à la mort comme on va à l’autel : pour donner sa vie.

A travers ce prêtre, Walt montre sa fidélité à l’égard de son épouse, donc une autre réception.

On objectera qu’il n’a pas confessé au prêtre l’unique péché grave qui perturbe sa conscience. Mais, d’abord, le prêtre n’est pas dupe : « Rien d’autre ? » Ensuite et surtout, il le révèle à son « fils » à travers une grille qui, semblable à celle du confessionnal, évoque le sacrement de la pénitence.

Donc, le pardon de Dieu (cause du pardon à soi-même) apporte la paix.

a) La lucidité et la paix de la conscience

Lisons un grand théologien – je parle du curé de Cucugnan, alias Marcel Pagnol. Avé l’assent

 

« Il y a quelqu’un d’autre [que le prêtre] qui entend votre confession : c’est vous-même et c’est ça le plus important [1] ! Le mal qu’on fait, sans trop s’en apercevoir… On évite d’y penser en le faisant… Mais quand il faut le dire à Dieu, on l’apprend soi-même comme une assez triste nouvelle : et quand on est sur le point de recommencer, ça vous met un peu mal à l’aise, on n’y va pas d’aussi bon cœur ». Enfin, « si vous saviez comme on est bien, comme on est calme après une bonne confession [2] ! Moi, j’y vais le lundi, chez M. le curé de Graveson. Eh bien ! mes amis, quand je reviens le soir à pied sur cette belle route, avec le soleil couchant juste en face, je suis joyeux comme un becfigue [3] […]. C’est le premier bienfait de la confession ». Et de raconter la confession d’un agonisant, tout heu­reux de recevoir le pardon. Voyant son sourire, « le premier peut-être depuis son berceau », le curé de Cucugnan eut envie de lui dire : « Espèce d’imbécile agonisant ! Alors, tu as passé trente ans de mi­sère, avec ce paquet de fumier pendu à l’artère du cœur, quand tu n’avais qu’à venir le déposer sans dire ton nom, dans notre petit confessionnal, derrière ce mauvais rideau qui est bien plus épais que la Muraille de Chine ? – La Muraille de Chine, c’est un mur tellement large qu’ils ont fait une route dessus ! – Toute ta vie, tu as gardé cette mauvaise action bien renfermée, comme un pet sous un drap de lit, qui vous empêche de bouger de peur de mourir asphyxié ? Vaï, tu t’es bien puni toi-même, et le Bon Dieu n’aurait pas été aussi cruel que toi [4]… »

b) La joie

Julien Green a fait une première forte expérience de ce pardon. En 1915, lors de sa première venue au catholicisme, il se confessait une fois par semaine à Saint-Honoré-d’Eylau : « La certitude que j’em­portais alors d’avoir été pardonné et que c’en était fini à tout jamais avec le péché me rendait fou de joie. Ce qui m’étonne encore c’est la persévérance de cet espoir et surtout du ferme propos dont il s’accompagnait toujours ».

Mais il ajoute un point important. En effet, l’on pourrait mesurer la grâce du pardon à ce que l’on ressent. Green s’est de nouveau éloigné de la foi catholique. Or, en 1928, lors de son second retour au catholicisme, il se confesse à un prêtre dominicain polonais que lui avait conseillé Raïssa Maritain. Il s’agit d’une nouvelle « sa première confession » : « Comme je m’at­tendais toujours à du merveilleux partout, je fus assez long à m’apercevoir que le miracle était passé à mon insu. La paix me fut rendue et le sentiment d’une libération du côté des sens. Point d’éblouissement, point d’extase. J’étais tout bonnement un catholique de plus qui venait de recevoir l’absolution. Le cœur léger, cela ne suffisait-il pas ? J’ignorais que la grâce n’est pas sensible [5] ».

c) La guérison

Et si la confession vous paraît encore inutile, incompréhensible ou fastidieuse, pourquoi ne pas en parler un prêtre disponible ? Car, disait le cardinal Charles Journet, « c’est surtout la grâce qu’il faut voir dans la confession. Dès qu’il y a ac­cusation suffisante, elle passe tout entière dans le cœur pour guérir ses bles­sures [6] ».

Enfin, le sacrement de réconciliation est doué d’une puissance salvi­fique. On n’en finirait pas de multiplier les exemples. La transformation effectuée par ce sacrement dans le fidèle, notamment lors de sa réception fréquente et ré­gulière, est sans doute l’une des plus grandes joies du prêtre, un des lieux par excellence d’exercice de sa paternité sacerdotale.

J’ai donné, je crois, l’exemple suivant :

Voici un témoignage (collecté par la communauté de l’Emmanuel au Synode des Evêques d’oc­tobre 1983, Rome). Il est intitulé : « Libérée de la haine ».

« Dès que les parents de mon mari ont connu notre projet de mariage, ils s’y sont opposés car ils avaient d’autres projets pour leur fils. Commencèrent alors une longue suite de vexations et de mé­chancetés tant de la part de mes futurs beaux-parents que de certains frères et sœurs de mon mari. Incomprise, critiquée, mon comportement passé au crible, la rancœur s’est installée en moi et y a grandi pendant six ans jusqu’à atteindre une véritable haine : Notre vie conjugale en était perturbée car j’explosais en des colères de plus en plus violentes suivies d’un désespoir profond. Cette haine me rendait malheureuse et m’effrayait pour ce que ce sentiment a de contraire à l’Evangile. Durant ces années j’avais souvent prié pour que Dieu m’accorde la grâce de pardonner : c’est certainement ce qui m’a conduite à me confesser spécialement de cette haine. J’ai tout raconté au prêtre : les souf­frances, les révoltes, le désespoir, l’angoisse d’être dans un état qui m’éloignait de Dieu ; il a alors prié tout haut pour que le Seigneur me libère de cette haine. Je me répétais chaque phrase et au fur et à mesure de cette prière, le poids qui m’écrasait se faisait plus léger et au moment de l’absolu­tion, un soulagement immense m’a envahie : j’ai su que le Seigneur venait de me guérir pour tou­jours ; la paix et la joie sont revenues dans mon cœur et, avec elles, une reconnaissance infinie pour la miséricorde qui venait de m’être manifestée d’une façon si évidente. Lorsque je suis rentrée à la maison, mon mari était ébahi par le changement radical qui s’était opéré en moi et, tous les deux, nous avons rendu grâce au Seigneur.

« Depuis, mon cœur n’est plus le même et mon comportement s’est transformé : je ne pense pas que mes beaux-parents m’aient adoptée, mais ma souffrance est paisible et offerte au Seigneur.

« Je rends témoignage de ce que le sacrement de réconciliation est une grâce extraordinaire de l’amour de dieu pour les pécheurs que nous sommes ».

Pascal Ide

[1] « Il faut rappeler que la réconciliation avec Dieu a comme conséquence, pour ainsi dire, d’autres réconcilia­tions qui porteront remède à d’autres ruptures produites par le péché : le pénitent pardonné se réconcilie avec lui-même dans la profondeur de son être, où il récupère la propre vérité intérieure ; il se réconcilie avec les frères que de quelque manière il a offensé et blessé; il se réconcilie avec l’Église; il se réconcilie avec la création toute en­tière ». (Jean-Paul II, Réconciliation et Pénitence, n. 31)

[2] Le sacrement de la Réconciliation reçu avec contrition, enseigne le Concile de Trente, « est suivi de la paix et de la tranquillité de la conscience, qu’accompagne une forte consolation spirituelle » (DS 1674).

[3] C’est un oiseau du genre bec-fin qui mange des figues.

[4] Les sermons de Marcel Pagnol, présentés par l’Abbé Général des Prémontrés Norbert Calmels, Le Jas O4 Forcalquier, Ed. Robert Morel, 1967, p. 107 à 114.

[5] Julien Green, Ce qu’il faut d’amour à l’homme, Paris, Plon, 1978, p. 81 et p. 127 et 128.

[6] Charles Journet, Comme une flèche de feu, p. 66.

17.1.2025
 

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