Éloge des frontières

La thèse du philosophe Régis Debray dans Éloge des frontières [1] est simple. Pour autant, elle n’est pas réactive. La néovulgate de la démocratie est aujourd’hui le « sans-frontières ». Or, cette idéologie du no-limit engendre son contraire : les limites se réinventent en se durcissant. Entre le sans-frontières qui dilue et le mur qui enferme, il s’agit donc d’affirmer le bien (l’utilité et la nécessité) de la frontière. Autrement dit, celle-ci constitue un juste milieu entre l’ouvert qui dissipe et le fermé qui emprisonne.

Le style de l’opuscule est enlevé, volontiers polémique. Toutefois, le contenu ne manque pas d’analyses plus conceptuelles : le dedans et le dehors (chap. 1) ; le sacré (chap. 2) ; les nids et les niches (chap. 3) ; l’axiome d’incomplétude (chap. 4) ; la loi de séparation (chap. 5). J’avoue mon faible pour l’axiome d’incomplétude (à ne pas confondre avec le théorème). On peut l’énoncer ainsi : « Aucun ensemble ne peut se clore à l’aide des seuls éléments de cet ensemble » (p. 61). Défendant la nécessité de la clôture pour élever le regard, autrement dit le passage de l’horizontal au vertical, il louche non seulement vers le principe systémique selon lequel « le tout est plus que la somme de ses parties », mais vers l’émergence d’une transcendance.

Au fond, le livre généreux de Régis Debray est un plaidoyer pour une reconfiguration du vivant contre sa fluidification généralisée. Aussi parle-t-il heureusement d’un « prétendu combat du clos contre l’ouvert, tandem en réalité aussi inséparable que le chaud et le froid » (p. 62).

Pascal Ide

[1] Régis Debray, Éloge des frontières, Paris, Gallimard, 2010.

5.10.2024
 

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