Relisons Cyrano de Bergerac – cette pièce tant aimée des Français et de votre serviteur – à partir de la parole qui clôt chacun de ses actes. Les cinq paroles, faut-il le préciser ?, sont de Cyrano lui-même :
« C’est parce qu’on savait qu’il est de mes amis ! »
Cyrano dit de l’ivrogne Lignières qui est menacé de mort : « C’est parce qu’on savait qu’il est de mes amis ! » (Acte I, scène 7) Alors qu’on l’imaginerait volontiers solitaire – « Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! » (Acte II, scène 7) –, il est aussi un ami et un ami fidèle.
« La giroflée »
Cyrano réplique au mousquetaire impertinent : « La giroflée » (Acte II, scène 11). Alors qu’on présente comme un orgueilleux – « Vous êtes fier » (Acte II, scène 7) –, il est un homme d’honneur et non de point d’honneur.
« Ça, – je vous le promets »
À Roxane lui demandant que Christian écrive souvent, Cyrano répond : « Ça, – je vous le promets » (Acte III, scène 14). Alors qu’on pourrait le réduire à être l’homme d’un bon mot ou d’un geste brillant – « Jeter ce sac, quelle sottise ! – Mais quel geste ! » (Acte I, scène 4) –, il est l’homme de la fidélité, de la parole donnée.
« Bretteurs et menteurs sans vergogne / Ce sont les cadets… »
Cyrano récite au milieu des balles : « Bretteurs et menteurs sans vergogne / Ce sont les cadets… » (Acte IV, scène 10). Alors qu’on se le représente comme un mal-aimé – « Ma mère Ne m’a pas trouvé beau » (Acte V, scène 6) –, il est le frère et le père d’une famille, les Cadets de Gascogne.
« Mon panache »
Tombant dans les bras de ses fidèles amis, Le Bret et Ragueneau, tandis que Roxane se penche vers lui et lui baise le front, Cyrano répond : « Mon panache » (Acte V, scène 6). Alors qu’on le donnerait pour un homme haineux – « La Haine est un carcan, mais c’est une auréole ! » (Acte I, scène 8) –, il est un homme adonné à son idéal qui jamais ne s’est compromis avec les demi-vertus.
Conclusion
Ces cinq paroles font tressaillir toute la vie de Cyrano et nous révèlent son cœur : son amitié, sa fiabilité, son honneur, son sens de la famille et sa vertu.
Si ces paroles font tressaillir toute la vie de Cyrano et vibrer notre cœur, ne nous donnent-elles pas aussi accès à la vie même de l’être qui est amour, c’est-à-dire réception, appropriation et donation ? Elles sont, en effet rythmées par ces trois moments : la réception, c’est-à-dire l’enracinement dans une famille (« Bretteurs et menteurs sans vergogne / Ce sont les cadets… ») ; l’appropriation, c’est-à-dire l’amour de soi (« La giroflée ») et l’inscription dans la durée (« Ça, – je vous le promets ») ; la donation de soi (« Mon panache ») qui s’achève par la communion qu’est l’amitié (« C’est parce qu’on savait qu’il est de mes amis ! »).
Pascal Ide