Dans la pièce d’Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac et Christian assiégent Arras, qui est aux mains des Espagnols. Pour se venger d’eux, le comte de Guiche les a éloignés de la belle Roxane dont ils sont tous deux amoureux. Soudain arrive un carrosse. Les soldats s’interrogent, lorsqu’une voix crie : « Service du Roi ! ». Aussitôt, tout le monde se range. Roulement de tambours, chapeaux bas. La portière s’ouvre et… Roxane jaillit du carrosse. De Guiche s’étrangle : « Service du Roi ! Vous ? » Et Roxane de répondre, superbe : « Mais du seul roi, l’Amour ! » (Acte 4, scènes 4 et 5) – Amour que Rostand écrit avec un A majuscule.
Qui n’a fait l’expérience, un jour, d’être amoureux ? L’amour est ce qui exerce le plus puissant empire sur un cœur. Celui que nous aimons et qui nous aime en retour, voilà le véritable roi de nos cœurs. Il suscite notre attention, il mobilise notre énergie, il occupe nos pensées. D’ailleurs, ce qui est vrai de l’amour conjugal l’est a minima de nos grandes amitiés. Oui, il n’y a qu’un seul roi : l’amour.
Vous me direz : c’est bien beau, mon Père, mais il y a belle lurette que je ne suis pas amoureux. Un homme, marié depuis une vingtaine d’années, ne ressentait plus rien pour son épouse. Inquiet, il prend rendez-vous avec le prêtre qui les a préparés au mariage (bonne idée !) : « Quand je me suis marié, j’étais tout feu tout flamme. Puis, au fur et à mesure des années, la casserole d’eau chaude est devenue une casserole d’eau froide. Je me demande s’il ne faut pas que je me sépare avant de devenir complètement indifférent ». Le prêtre pria un instant, puis répondit : « Vous vous inquiétez parce que vous n’êtes plus heureux en ménage. Mais la bonne question ne serait-elle pas plutôt : est-ce que je rends l’autre heureux ? » Retourné par l’interrogation et bientôt converti, l’homme revint à la maison et commença à se centrer sur son épouse, multipliant les petits actes de service et de patience – « La charité est patiente et serviable » (1 Co 13,4). Bientôt, une flamme nouvelle s’alluma qui ne fit que grandir.
Bien sûr, vous me voyez venir ! Si, en ce dernier dimanche de l’année (un sommet), la fête du Christ-roi nous montre la scène spectaculaire du jugement dernier, ce n’est pas seulement parce que Jésus s’y présente comme roi, mais parce qu’il nous apprend comment il règne : lorsque nous prenons soin de notre prochain, surtout du plus vulnérable. Donc, quand nous aimons, concrètement.
Jésus règne – personnellement, comme socialement, ainsi que le dit le pape Pie XI en instaurant cette fête du Christ-Roi – si nous nous donnons. Nous aimons le Dieu invisible si nous aimons notre frère qui le rend visible : « Celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne saurait aimer le Dieu qu’il ne voit pas » (1 Jn 4,20). Les neurosciences nous ont rappelé que ce qui nous transforme, ce sont les actes répétés. Et elles nous ont appris que, pour être efficace, cette répétition devait être quotidienne. Comme dire un « merci » du fond du cœur tous les jours à quelqu’un. Et si nous nous inscrivions au parcours gratitude qui se déroule actuellement sur la paroisse ? Le Christ est aussi Roi parce qu’il n’est que « merci », action de grâces (« Eucharistie ») vis-à-vis de son Père (cf. Jn 1,2.18).
Pascal Ide