Si Penser c’est rendre grâce – le livre autobiographique de Pierre Magnard – est riche en souvenirs touchants et en pensées stimulantes, malheureusement l’omniprésence d’un ego en mal de reconnaissance ne permet pas à son auteur d’assez universaliser son propos et son message. C’est comme si, englué dans son besoin de retour, la pensée ne pouvait prendre tout son envol et accèder au concept. Paradoxe d’un homme trop soucieux de soi qui a passé sa vie à explorer un génie qui n’a cessé d’ascétiquement s’arracher à son moi pour mieux s’attacher mystiquement à celui du Christ. Paradoxe redoublé d’un titre qui se voulait programmatique et qui demeure asymptotique ou plutôt désespérément symptomatique : l’auteur ne cesse d’incurver l’action de grâces vers le bénéficiaire, au lieu de la destiner à son Bienfaiteur.
Jusqu’à la page finale où, sans résister à l’envie d’égotiser une dernière fois, il pose enfin les bonnes questions, au ras même de sa vulnérabilité :
« Quand mon épouse Agnès apparut, son amour enchantant le monde, je crus pouvoir coudre ensemble tous ces lopins auquel sa présence donnait une justification d’exister, mais comment vivre maintenant l’épreuve de son absence ? Rendu à ce que j’étais avant elle, je me trouve confronté à un insupportable défi : Dieu a vu pour moi plus grand que je n’étais ; il ne m’aura pas permis de m’installer durablement sur terre et me contraint toujours à regarder le ciel. Qui dira la souffrance de cet excès de Dieu, mais qui dira aussi l’espérance qu’en contient la promesse [1] ? »
Commentons brièvement. L’absence de son épouse rend Pierre Magnard à la plus grande pauvreté. Il éprouve alors au plus vif de lui-même, il pâtit sans pouvoir en faire la théorie, le hiatus platonicien entre l’idéal et le réel. Mais le christianisme convertit cette déhiscence en promesse du côté du donateur et en espérance du côté du récipiendaire. Alors, enfin, denken ist danken…
Pascal Ide
[1] Pierre Magnard, Penser c’est rendre grâce, Paris, Le Centurion, 2020, p. 217-218.