Le grand don du temps pascal est bien entendu celui du Ressuscité qui met définitivement sous ses pieds son dernier ennemi, la mort, et, pour qui croit, la mort éternelle. Mais c’est aussi justement, la foi. Ou plutôt, le chemin (la pâque !) de l’incrédulité à la foi ; ou de la foi tiède à la foi vive. Mais qu’est-ce que la foi ?
- Nous sommes entre deux conceptions de la foi, aussi vraies que partielles [1].
Il y a d’abord la foi-compréhension. Elle insiste sur le contenu, la vérité, l’intelligence, la lumière. C’est elle que définit l’épître aux Hébreux : « La foi est la garantie des biens que l’on espère, la preuve des réalités qu’on ne voit pas » (He 11,1) [2]. Elle trouve toute sa place dans la liturgie quand nous confessons notre Credo. C’est elle dont parle l’acte traditionnel de foi : « Mon Dieu, je crois fermement toutes les vérités que tu as révélées et que tu nous enseignes par ton Église, parce que tu ne peux ni te tromper, ni nous tromper ».
Il y a ensuite la foi-confiance. Alors que la foi-compréhension souligne d’abord la relation de l’intelligence à la Vérité divine, la foi-confiance accentue d’abord la rencontre de personne à personne, de Jésus avec chaque homme. Elle est omniprésente dans les Saintes Écritures, en particulier les Évangiles, en particulier celui selon saint Jean. Qu’est-ce que la rencontre de Jésus avec Nicodème (Jn 3), la Samaritaine (Jn 4), l’aveugle de naissance (Jn 9), sinon la conversion de leur incrédulité ou de leur ignorance à la foi ? Et cette foi-confiance traverse les lectures des dimanches de Pâques : entrant dans le tombeau vide qui a contenu le cadavre de Jésus, Jean « vit et crut » (Jn 20,8) ; mettant sa main dans le côté du Ressuscité, Thomas « cesse d’être incrédule » et devient « croyant » (v. 27) ; voyant Jésus rompre le pain, les yeux des pèlerins d’Emmaüs « s’ouvrirent, et ils le reconnurent » (Lc 24,31).
Bien que vraies, ces deux conceptions s’opposent. La foi-compréhension parle à l’intelligence, et la foi-confiance parle au cœur. La première est centrée sur la personne, la seconde sur la rencontre entre les personnes. Les théologiens et ce que l’on appelle « les sensibilités ecclésiales », mais aussi nous-mêmes opinons en faveur de l’une et de l’autre. Celui qui a plus d’affinité avec la foi-compréhension se nourrira par des exposés catéchétiques ou théologiques ; celui qui a plus d’affinité avec la foi-confiance visionnera volontiers des témoignages. Ces postures s’accompagnent parfois de jugements : la foi-compréhension juge la foi-confiance superficielle et affective ; la foi-confiance juge la foi-compréhension cérébrale et desséchée. Et pourquoi ne pas nous impliquer, nous les prédicateurs ? Les homélies de vos prêtres elles-mêmes ont un penchant ou vers l’enseignement ou vers l’exhortation (dois-je préciser le mien ?!). Le pape Benoît XVI n’est pas le pape François !
- Comme toujours dans l’Église catholique, la vérité n’est pas dans le « ou… ou… », mais dans le « et… et… ». Comment inclure la foi-compréhension et la foi-confiance ? Partons du récit de l’évangile de ce jour.
La foi apparaît d’abord et avant tout comme une rencontre. Jésus qui est la Parole d’abord se tait ou plutôt questionne, donc exprime son intérêt : « De quoi discutez-vous en marchant ? » (Lc 24,17). Et son attitude attentive et attentionnée, toute centrée sur l’autre conduit les pèlerins à dire leur tristesse, leur désespoir et leur perplexité. Quand nous venons à la messe, Jésus nous accueille d’abord avec tout ce que nous portons et qui parfois nous accable. Transformons-le en prière et en supplication. Comme la syrophénicienne (cf. Mc 7,24-31), comme cette femme qui, dimanche dernier, à l’église Saint-Sulpice, où se déroulait une grande fête de la miséricorde divine, s’était postée devant la croix et interpellait Jésus avec insistance. Or, en se confiant à Jésus, Cléophas et son compagnon – ou sa compagne ? (cf. Jn 19,25) – disent leur confiance à Jésus. Pour la Bible, la foi est donc d’abord foi-confiance.
Puis vient la catéchèse de Jésus qui « leur interpréte, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait » (Lc 24,27). Comme j’aurais aimé être là, recevoir cette leçon totale d’exégèse ! Presque deux heures ! Cette durée me fait rêver ! Peut-on faire aujourd’hui une exception ?! En tout cas, nous sommes passés de la foi-confiance à la foi-compréhension. Ou plutôt, Jésus inscrit la foi-compréhension dans la foi-confiance qui est première. C’est d’abord parce qu’il a rencontré les pèlerins, leur a montré son attention aimante et compatissante qu’il peut alors leur éclairer leur intelligence. Il passe de la tête au cœur.
Mais attention, il ne les oppose surtout pas. Écoutons le reproche qu’il adresse à leur incrédulité : « Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! » (Lc 24,25). Les pèlerins « lents à croire » sont malades autant dans leur « cœur » que dans leur « intelligence ».
Il est facile de comprendre que la foi-compréhension a besoin de la foi-confiance. « Le christianisme est le Christ », dit Guardini. La Vérité est une Personne, nous révèle Jésus à l’heure de sa Passion (cf. Jn 14,6). Si je n’aime pas Jésus, comment reconnaître en lui le Fils de Dieu et mon Sauveur ? Mais il semble superflu d’ajouter la foi-compréhension à la foi-confiance. Cette dernière semble nous donner tout.
En fait, nous ne pouvons avoir confiance en Dieu que parce qu’il est fiable. Et il n’est fiable que parce qu’il dit vrai. Le lien à quelqu’un n’est solide et durable que si sa parole est vraie. Voilà pourquoi Jésus réconforte les pèlerins en parcourant l’histoire sainte : il leur montre ainsi que tout ce que Dieu a promis, il l’accomplit. Il ne promet pas par exemple, d’ôter toutes les pierres sur le chemin, le nôtre ou celui de l’autre. Mais il promet que, un jour, pour qui demeure fidèle, tout fera sens : « Je te dis que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu » (Jn 11,35). « Si tu comprends, ce n’est pas Dieu ». Aujourd’hui, crois. Demain, tu verras. Ta foi n’est pas absurde, elle n’est pas un saut dans le vide. Si tu relis ta vie passée, tu verras que je t’ai déjà accordé de nombreuses bénédictions, je ne t’ai pas lâché la main. Voilà pourquoi, en hébreu, le terme ‘emûnah, dérivée du verbe ‘amàn, « soutenir », signifie soit la fidélité de Dieu, soit la foi de l’homme. De là vient le mot Amen que nous pouvons traduire par « je crois ». Citons encore saint Augustin : « L’homme est fidèle quand il croit aux promesses que Dieu lui fait ; Dieu est fidèle quand il donne à l’homme ce qu’il lui a promis [3] ».
- Alors, chers amis, quelles leçons tirerons-nous de cette unité entre foi-compréhension et foi-confiance ?
D’abord une meilleure compréhension de nous-même. Sans la foi-compréhension, la foi-confiance pourrit ; sans la foi-confiance, la foi-compréhension durcit. Il est bon de connaître ses pentes, non point pour y glisser, mais pour les remonter ! Et ici, changer le type de livre sur ma table de chevet ou le genre de podcast sur mon smartphone.
Ensuite, nourrissons notre intelligence de la foi. Pour ceux qui sont à Paris, les formations en présentiel ne manquent pas. Pour ceux qui sont à distance, les formations en ligne de qualité, comme celles proposées par les Bernardins, ne sont pas moins nombreuses.
Enfin, et c’est encore plus important, puisque c’est la source, affermissons notre foi-confiance. Procédons comme Jésus, faisons mémoire de notre histoire sainte. Au lieu de nous « empresser d’oublier ce que Dieu a fait » (Ps 105,13), de nous focaliser sur nos échecs, de nous culpabiliser de nos manques ou, pire, de nous victimiser en accusant l’autre ou Dieu, demandons la grâce de voir toutes les bénédictions de Dieu pour nous. Posons-nous et demandons-nous par exemple : hors mes parents, quelles furent les trois personnes qui m’ont le plus apporté dans la vie ? Or, même si l’une ou l’autre n’est pas croyante, elles sont un don de Dieu pour moi.
Et posons des actes de foi avec les paroles même de l’Écriture : « Seigneur, augmente en nous la foi » (Lc 17,5). Ou de la Tradition : « Jésus, j’ai confiance en Toi » (la prière que Jésus a enseignée à sainte Faustine).
De même que le quatrième dimanche de Carême est celui de « Lætare : Réjouis-toi », de même, le troisième dimanche de Pâques est celui de « Jubilate : Jubilez » : « Garde à ton peuple, sa joie, Seigneur » (collecte). « La joie d’être sauvé » (Ps 50,9) et « sauvé par la foi » (Rm 1,17). Quelle joie d’avoir reçu le don de la foi !
Pascal Ide
[1] Ces deux noms sont empruntés aux papes François et Benoît dans la lettre encyclique Lumen fidei sur la foi, 29 juin 2013, n. 23.
[2] Le Catéchisme de l’Église catholique parle de « la définition de la foi donnée par l’épître aux Hébreux » (n. 145).
[3] Saint Augustin, In Psal. 32, II, s. I, 9 : PL 36, 284. Cité par Lumen fidei, n. 10.