Le cardinal Bourne, évêque de Londres, a raconté à un autre cardinal, Charles Journet, l’histoire suivante : « Un catholique, visitant les tombeaux des rois à Westminster, arrive près de celui de la persécutrice Élisabeth et lui donne un grand coup de pied. La nuit suivante, une dame lui apparaît, si belle qu’il croit que c’est la Sainte Vierge. Mais elle lui dit : Non, non, je ne suis pas la Sainte Vierge, je suis Élisabeth. – Comment se fait-il que vous soyez au Ciel ? – Mais justement ! Les catholiques que j’ai persécutés priaient pour moi avant de mourir, et c’est pourquoi je suis dans le paradis » (Dieu à la rencontre de l’homme, p. 159).
« Aimez vos ennemis », nous demande Jésus aujourd’hui. Cette exigence si nécessaire est si élevée qu’il vaut mieux donner la parole à ceux qui l’ont vécue. « S’il y a un seul homme qui ne vous aime pas – écrit saint Claude La Colombière –, nous sommes malheureux. C’est pourquoi vous devez aimer tout le monde ; et s’il y en a un seul que vous n’aimiez pas, vous n’avez point de charité, parce que le motif de la charité est universel pour tous les hommes, comme celui de la foi pour tous les articles. – Mais j’aime les pauvres, j’aime la plupart des riches, je souffre de la plupart des gens, à la réserve d’un seul. – Il y a donc quelque raison, dans les autres, qui n’est pas dans celui-ci. Cette raison n’est pas de Dieu. Donc votre amour n’est pas une charité chrétienne » (« De l’amour du prochain », Écrits spirituels, p. 436).
L’objection ne manquera pas de poindre : surnaturel, ce commandement est surhumain. Continuons à nous mettre à l’école du saint jésuite : « Gardez-vous bien de vous plaindre de cette loi trop dure, car elle est faite en votre faveur. C’est un effet de la tendresse que Dieu a pour vous ; c’est qu’il veut que tout le monde vous aime. Car en vous ordonnant d’aimer vos frères, il ordonne à tous vos frères de vous aimer. Quelle ingratitude d’être le premier à violer une loi que Dieu n’a faite que pour nous ! »
Alors, chers amis, entraînons-nous ! Graduellement. Commençons par cesser de dire du mal de cet ennemi (qui peut être anonyme comme une institution !), désarmons notre cœur. Puis, reconnaissons lui au moins une qualité. Puis deux. Osons constater que, parfois, nous mettons aussi de l’huile sur le feu ou que nous nous comportons nous-mêmes en ennemi, même si nous avons l’impression que c’est lui, elle, eux, qui ont commencé. Posons un acte bon (comme lui adresser un sourire ou dire pour lui un « Notre Père »), surtout sans attendre de retour. Enfin, pardonnons « du fond du cœur » (Mt 18,35).
Alors, peut-être dira-t-on un jour de nous ce que l’on disait de saint Dominique : « Parce qu’il aimait tout le monde, tout le monde l’aimait ». Ou de sainte Thérèse d’Avila : « Si vous voulez qu’elle prie pour vous, jouez-lui un mauvais tour ! »
Pascal Ide