Bien évidemment, l’empathie, au moins prise analogiquement, existe chez d’autres animaux. C’est, par exemple, ce que montrent les travaux du célèbre primatologue hollandais Frans de Waal pour qui le grand singe, en particulier le bonobo [1], possède « une aptitude particulière à adopter, jusqu’à un certain point, la perspective de l’autre [2] ». Toutefois, cette compétence empathique est singulièrement présente chez le chien.
En effet, le chien atteint un niveau de conscience que l’on estime au moins égal à celui des grands singes [3]. C’est ainsi qu’il opère par « trial and error ». Mais c’est surtout au plan affectif que la proximité est la plus patente. L’on rencontre chez lui les émotions de base qui se trouvent aussi chez les animaux supérieurs : joie, peine, calme, angoisse, colère, désespoir. Ce qui le caractérise en propre, selon le zoologue hongrois Vilmos Csányi, c’est l’empathie [4], d’où découle une fidélité qui va jusqu’à la mort. Il s’établit ainsi une proximité familière, une interaction, une synergie très singulière entre l’animal et l’humain.
L’apparition du chien explique-t-elle cette propriété particulière ? Du chien, on parle d’« animal artificiel » ou de « coévolution » [5] avec l’homme car, plus que tout autre animal, il a bénéficié d’une longue pédagogie de dressage, d’une familiarité prolongée avec l’homme, de sorte qu’il a assimilé une partie de ses caractéristiques. Or, la personne humaine se caractérise par une capacité particulière à se mettre à la place de l’autre. Ainsi, en transmettant au chien une partie de nos « traits mentaux [6] », nous lui aurions aussi communiqué notre empathie. La comparaison avec le loup l’atteste : celui-ci est domestiqué, mais il n’aura jamais la même proximité avec l’homme. Pour ma part, je me demande si, à cette compétence acquise, ne se joint pas aussi une disposition innée. De fait, de tous les nombreux animaux domestiqués par l’homme (en termes quantitatifs, c’est-à-dire individuels, on estime que 98 % des mammifères sont aujourd’hui domestiqués…), le chien est de loin le plus doué en empathie.
Quoi qu’il en soit, la similitude n’est pas telle qu’elle efface toute différence. Le théologien hongrois Alexandre Ganoczy rapporte les différences cognitives classiques : « un langage syntactique et abstrait », la capacité à raconter l’ensemble de leurs expériences, à élaborer des plans d’action à long terme, à poser des questions, la création de systèmes de connaissance, invention de symboles religieux, etc. « Somme toute, Csányi se refuse de tomber dans l’anthropomorphisme [7] ». Un indice est révélateur : l’enfant est plus connecté avec le groupe que le petit du chien.
Pascal Ide
[1] Ce sont des chimpanzés « pygmées » qu’on trouve en République Démocratique du Congo. Cf. Frans de Waal, Bonobos : le bonheur d’être singe, trad., Paris, Fayard, 1999
[2] Frans de Waal, « Les chimpanzés et nous », La Recherche, 341 (2001), p. 103-106, ici p. 103. « Il existe en effet un nombre croissant d’observations tendant à établir que les chimpanzés comprennent la façon dont les humains montrent du doigt, et sont eux-mêmes capables de désigner, par différents moyens, des objets que leur interlocuteur n’est pas en état de percevoir. J’ai écrit récemment un article sur ce sujet [The Chronicle of Higher Education, 19 janvier 2001]. Et ce n’est pas seulement dans les laboratoires que les grands singes le font, mais aussi dans la nature. Un chercheur espagnol, Jordi Sabater-Pi, a observé un bonobo mâle qui, ayant détecté non loin de lui la présence d’êtres humains invisibles, s’est mis à pousser des cris en direction de ses compagnons, tout en leur montrant du geste la direction dans laquelle se trouvaient les humains. Cette capacité communicative n’est pas encore du langage, bien sûr, mais elle constitue bien une étape en direction du langage » (Ibid.).
[3] Vilmos Csányi, If Dog Could Talk. Exploring the Canine Mind, New York, North Point Press, 2005, p. 232.
[4] Ibid., p. 60, 72.
[5] Cf. Erich Jantsch, Die Selbstorganisation des Universums. Vom Urknall zum menschlichen Geist, München, Deutscher Taschenbuch, t1986.
[6] Vilmos Csányi, If Dog Could Talk. Exploring the Canine Mind, p. 42.
[7] Alexandre Ganoczy, Christianisme et neurosciences. Pour une théologie de l’animal humain, Paris, Odile Jacob, 2007, p. 46. Cf. « Excursus sur l’homme et le chien », p. 44-46. Le théologien hongrois se fonde surtout sur les études de son compatriote Vilmos Csányi cité plus haut.