Bonne année 2023 avec Benoît XVI (1er janvier 2023. Sainte Marie, Mère de Dieu)

Suite à la liturgie et à l’évangile de ce jour, trois attitudes de Marie. Trois exemples de notre cher Benoît XVI qui a achevé hier son pèlerinage terrestre. Trois leçons de vie pour ce passage à la nouvelle année.

 

  1. Re-connaître pour reconnaître. Il est dit de Marie que « toutes les choses dites », tous les événements, elle les « gardait avec soin dans son cœur et les conservait » (Lc 2,19). Littéralement, en grec, elle les « symbolisait ». C’est-à-dire que, en faisant mémoire, elle transforme les signes en symboles, le visible en invisible, elle découvre le sens que Dieu y a déposé. N’allons surtout pas nous imaginer que la Vierge Marie disposait de lumières ou de révélations particulières ! Comme nous, elle cheminait dans la foi. Comme nous, n’avait à sa disposition que ses sens, sa mémoire, son intelligence. Mais elle les nourrissait de deux choses : la Parole de Dieu qu’elle méditait sans cesse ; les événements de sa vie où elle savait aussi que Dieu lui parlait. Cela lui suffisait ; cela suffit toujours…

En 1997, à la question posée par le journaliste Peter Seewald : « Mais où est Dieu, où le trouve-t-on ? », le cardinal Joseph Ratzinger ré­pondit : « Il ne parle naturellement pas à voix haute, mais Il parle par signes et à travers les circonstances de notre vie, à travers nos semblables. Il y faut certes un peu de vigilance et il ne faut pas se laisser totalement accaparer par tout ce qui est superficiel [1] ». Cette sensibilité aux signes de Dieu n’a pas disparu chez le pape. Relisant, quelques semaines plus tard, le moment important et éprouvant de son voyage pastoral en Pologne que fut la visite au camp d’Auschwitz-Birkenau, il notait que l’apparition d’« un arc-en-ciel » fut alors, pour lui, « un motif de grand réconfort [2] ».

Et si, en ce tout début d’année 2023, nous prenions le temps de faire anamnèse de l’année écoulée d’abord pour rendre grâce de tout ce que « le Père riche en miséricorde » (Ep 2,4) « de qui vient tout don parfait » (Jc 1,17) nous a donné ? Re-connaître pour reconnaître. Prendre le temps de faire mémoire pour rendre grâces.

 

  1. Relire pour relier. En fait, un verset plus haut, il est dit que les personnes présentes à la crèche sont « étonnées » (Lc 1,18) de ce qui était dit par les bergers. Et, quelques versets plus loin, il est dit à nouveau que la disparition et les retrouvailles de Jésus au temple, Marie « gardait » ces événements, les paroles de Jésus dans son cœur (v. 51). En fait, le verbe est légèrement différent et signifie que, à la mémoire, Marie joint la méditation, la réflexion. Car elle n’a pas compris. De plus, elle a beaucoup souffert de chercher Jésus pendant trois jours : « Ton père et moi, nous te cherchions tourmentés [ou tout angoissés] » (v. 48). Comment réagit-elle ? Ou plutôt, comment agit-elle ?

Nous, nous avons tendance à oublier les moments d’orage dès que les beaux jours reviennent, comme la femme qui accouche oublie les douleurs de l’accouchement. Ou, pire, parfois, nous nous révoltons contre Dieu. Marie, elle, sait que Dieu qui est plus grand que tout nous parle à travers ce qui est plus grand que nous. Saint Augustin l’a exprimé dans une parole célèbre : « Si comprehendis, non est Deus : si tu comprends [tout de suite], ce n’est pas Dieu ». Je ne suis pas en train de dire la même chose sous une autre forme. La trame de nos vies est parfois un drame. Quelle leçon en tirerons-nous pour notre quotidien ? Relire pour relier. Savoir pour ne pas recommencer. Nous arrêter pour tirer les leçons, ne pas répéter les mêmes erreurs, comprendre le sens des renoncements que Dieu nous demande de vivre.

Si le pape allemand a eu un tel rayonnement ecclésial pendant plus de quarante ans, c’est d’abord parce qu’il a renoncé à ce qu’il aimait et pour lequel il se sentait appelé et compétent : étudier et enseigner. « L’humilité du renoncement […] fait partie de l’essence de l’amour [3] ». C’est ce que nous contemplons en cette octave de Noël : « Dieu est bon au point de renoncer à sa splendeur divine et descendre dans l’étable [4] ». Le professeur de théologie Joseph Ratzinger a d’abord consenti à devenir archevêque d’un des plus gros diocèses du monde ; puis, pendant 23 ans à occuper l’un des deux postes les plus importants du Saint-Siège, au Vatican, comme préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, remettant régulièrement sa démission au pape Jean-Paul II qui, tout aussi régulièrement, la refusait (!) ; enfin, alors qu’il avait déjà 78 ans et rêvait de retourner dans ses chères préalpes bavaroises jouer du piano à quatre mains avec son frère Georg, en devenant le successeur de Pierre. Autant d’arrachements qui disent son attachement à la volonté de Dieu et sont la condition de son extraordinaire fécondité. « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12,24).

 

  1. Faire mémoire pour faire avenir. Marie ne fait pas seulement mémoire et relecture que pour mieux vivre la mission que Dieu lui donne. Alors que, ce matin, une radio nationale rapportait comme une parole de grande sagesse : « Cette année, je vais plus me centrer sur moi au lieu de penser aux autres », Marie nous rappelle qu’avoir des racines n’a de sens que pour nous donner des ailes. Voilà pourquoi la liturgie la célèbre comme « Mère de Dieu ». Elle n’est « pleine de grâces » que pour devenir la Mère du Sauveur et, ayant enfanté la Tête, enfanter son corps qu’est l’Église.

Lors d’une homélie sur saint Augustin qu’il aime et connaît tant, les ob­servateurs ne s’y sont pas trompés : Benoît XVI décrit son propre chemin à travers la fécondité du renoncement vécu par le grand saint africain. Après son baptême, le Père africain a fondé un monastère avec ses amis et vit une vie monastique toute adonnée à la prière et à la contemplation. Or, quatre années plus tard, en 391, alors qu’il se rend à la ville d’Hippone et rentre dans une église, la foule le force à devenir prêtre. Augustin commente l’événement dans une lettre en disant que « au temps de mon ordination, quelques-uns de mes frères me virent, dans la ville, verser des larmes ». Or, cette tristesse venait du renoncement à la vie contemplative dont il rêvait : « Le beau rêve de la vie contemplative avait disparu – explique Benoît XVI –, la vie d’Augustin s’en trouva fondamentalement transformée. À présent, il ne pouvait plus s’adonner à la méditation dans la solitude ». Mais ce renoncement à « la grande œuvre philosophique de toute une vie, qu’il avait rêvée » était en vue d’une fécon­dité plus grande : « À sa place, nous fut donné quelque chose de plus précieux : l’Évangile traduit dans le langage de la vie quotidienne et de ses souffrances [5] ».

Dernière leçon de vie. Nous arrêter pour décider de ce que sera cette année nouvelle. Quelle mission recevrons-nous de Dieu ou continuerons-nous à recevoir de lui, en y consentant du fond du cœur au lieu de la subir ? À quel engagement Dieu nous appelle-t-il ? Une nouvelle fois : à quoi nous arracher pour mieux nous attacher ?

 

Re-connaître pour reconnaître. Relire pour relier (s’arracher pour s’attacher). Faire mémoire pour faire avenir. Le testament spirituel de Benoît XVI qui vient de nous être révélé ce matin épouse les trois moments que nous venons d’égrener. D’abord, le pape remercie, Dieu, ses parents, sa sœur et son frère, ses amis et ses collaborateurs, son pays et Rome, sa « deuxième patrie ». Puis, il fait mémoire des moments difficiles : Dieu « m’a guidé à travers de nombreuses tribulations […]. En regardant en arrière, je vois et je comprends que même les parties sombres et pénibles de ce chemin ont été pour mon Salut et que c’est justement là qu’Il m’a bien guidé ». Enfin, selon le commandement de Jésus à Pierre pendant sa Passion – « Simon, j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères » (Lc 22,31-32) –, Benoît XVI nous exhorte : « Tenez bon dans la foi ! Ne vous laissez pas troubler […]. Jésus-Christ est vraiment le chemin, la vérité et la vie – et l’Église, dans toutes ses imperfections, est vraiment son Corps ».

Pascal Ide

[1] Cardinal Joseph Ratzinger, Le sel de la terre. Le christianisme et l’Église catholique au seuil du troisième millé­naire. Entretiens avec Peter Seewald, trad. Nicole Casanova, Paris, Flammarion/Le Cerf, 1997, p. 31.

[2] « Ce fut pour moi un motif de grand réconfort de voir à ce moment-là un arc-en-ciel apparaître dans le ciel, alors que devant l’horreur de ce lieu, dans l’attitude de Job, j’invoquais Dieu, ébranlé par la frayeur de son absence apparente et, dans le même temps, soutenu par la certitude que, malgré son silence, il ne cesse d’être et de demeurer avec nous. L’arc-en-ciel a été comme une réponse : oui, je suis là, et les paroles de la promesse, de l’Alliance, que j’ai prononcées après le déluge, sont valables aujourd’hui également (cf. Gn 9,12-17) » (Discours à la Curie romaine, vendredi 22 décembre 2006).

[3] Homélie de la messe de minuit, lundi 25 décembre 2006.

[4] Homélie de la messe de minuit, dimanche 25 décembre 2005.

[5] Homélie de la messe à Pavie, dimanche 22 avril 2007.

1.1.2023
 

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