Loin d’être étranger au surnaturel ou à la Révélation, l’imaginaire y prépare. C’est ce que montre le chapitre que Joseph Ratzinger, Benoît XVI consacre à la virginité de Marie [1]. En effet, il y rapporte les mythes d’origine égyptiens (la génération divine des pharaons) et grecs (l’enfantement virginal d’Hercule ou de Persée). Mais, plus encore, il rappelle la fameuse quatrième églogue de Virgile qui évoque l’avènement d’un nouvel ordre du monde à partir de ce qui est « intègre », précisément, grâce à la venue d’une vierge : « Déjà la vierge revient [Iam redit et virgo] ». Je ne m’intéresse pas ici à l’interprétation démythologisante de la virginité de Marie, mais à la relation de ce mythe à l’histoire.
On peut expliquer ce vers à partir du contexte socio-historique où le grand poète latin a vécu : à l’époque de l’empereur Auguste où vécut Virgile (quelques décennies avant la naissance de Jésus), le pays a été bouleversé par des guerres extérieures et civiles ; avec la venue d’Auguste, l’espérance naît d’une grande période d’ordre et de paix pour le monde. Or, dans la représentation mythique du monde, les éons se suivent, de sorte qu’à une période de guerre succède une période de paix, celle-ci suscitant une grande espérance. De plus, la nouveauté inouïe et pourtant tant espérée est typiquement symbolisée par la naissance d’un enfant. Enfin, la virginité est symbole de pureté, d’intégrité, donc du bien, surtout après le mal qui désintègre brutalement. Comme, dans la représentation antique, gréco-romaine, le monde est entièrement régi par le divin, cet enfant ne peut qu’être divin et sa naissance qu’être miraculeuse, donc virginale. Voilà pourquoi Virgile rend compte de cette nouveauté tant espérée par le mythe si parlant de la naissance virginale d’un enfant divin (il parle d’un « germe divin [deum suboles] »). En ce sens, le récit des Bucoliques relève d’un genre totalement anhistorique : il révèle les profondeurs de la psychè humaine et non de l’épaisseur historique de l’événement. Il se différencie donc totalement des évangiles de l’enfance qui, eux, parlent d’une réalité historique, non pas cosmologique. Pour autant, sont-ils indifférents au mythologique, à l’imaginaire ?
Le propos de notre théologien est de réfuter les thèses démythologisantes d’Eduard Norden et de Martin Dibelius, et de rendre compte de la réalité historique de la naissance virginale de Jésus. Toutefois, il n’écarte pas toute mythologie. D’abord, il retient l’interprétation symbolique du mythe pour éclairer la virginité : « Jésus est le nouvel Adam, un nouveau commencement ab integro – de la Vierge », non sans souligner la nouveauté chrétienne : perspective théologique et non pas cosmologique, liberté des acteurs (décision divine, obéissance de Marie), infinie différence entre Dieu et l’homme, divino-humanité de Jésus qui n’est pas un demi-dieu. Ensuite, il ajoute prudemment : « Peut-être peut-on dire que les rêves secrets et confus de l’humanité sur un nouveau commencement se sont réalisés dans cet avènement – en une réalité que Dieu seul pouvait créer [2] ». Enfin, il cite dans sa bibliographie l’ouvrage de Schönborn sur Noël [3] qui reprend les explications de C. S. Lewis [4]. Or, dans un récit autobiographique décisif, l’auteur des (futures) Chroniques de Narnia et spécialiste des féeries montre qu’il a retrouvé sa foi chrétienne non pas en abandonnant son intérêt pour les mythes, mais en comprenant que l’attente présente dans ceux-ci trouvait son accomplissement dans la réalité, c’est-à-dire l’événement qu’est l’avènement du Messie. Nous le montrerons dans un prochain texte.
Pascal Ide
[1] Joseph Ratzinger, Benoît XVI, L’enfance de Jésus, trad. Marie des Anges Cayeux, Jean Landousies, Jean-Marie Speich, Paris, Flammarion, 2012, p. 77-84.
[2] Ibid., p. 83.
[3] Christoph von Schönborn, Noël, quand le mythe devient réalité, trad. Marie-Ange O’Connell, coll. « Essais », Paris, Desclée, 1991.
[4] Cf. Clives Staples Lewis, Surpris par la joie, trad. Marc Tadié, Paris, Seuil, 1964, p. 208 s.