Jésus est monté à la droite du Père pour « répandre les dons de l’Esprit Saint sur l’immensité du monde », ainsi que le demande la première prière de la messe. Encore faut-il reconnaître ces dons et l’Esprit qui les infuse en nos cœurs (cf. Rm 5,5). Cinq moyens, parmi d’autres.
- Faire sa part et toute sa part.
Quand saint Thomas d’Aquin préparait une leçon (un cours) ou un écrit, il priait pour confier son travail, réfléchissait longuement, étudiait les commentaires, relisait ses notes, faisait appel à sa mémoire. Mais il arrivait souvent qu’il ait encore des doutes, des questions. Alors il allait dans la chapelle « mettre sa tête dans le tabernacle », c’est-à-dire, en fait, à côté de celui-ci, et il suppliait, en larmes, jusqu’à ce que l’Esprit-Saint, l’Esprit de Vérité, lui donne la lumière. Alors, réconforté, il partait donner son cours à ses étudiants ou dicter un article à ses secrétaires. L’un de ceux-ci raconte d’ailleurs qu’une fois, frère Thomas s’était heurté à un passage du livre d’Isaïe, qu’il ne comprenait pas. Après avoir cherché, il avait alors intercédé avec persévérance et c’est saint Paul lui-même qui était venu lui donner l’interprétation !
Cet exemple, qui peut largement s’étendre au-delà de la seule recherche intellectuelle, nous enseigne une première loi spirituelle : le plus souvent, Dieu veut que nous fassions notre part, toute notre part, avant de lui-même intervenir. Parce qu’il est lui-même l’auteur de nos talents, de nos compétences et qu’il nous demande ardemment de les développer. Disons-le autrement. Dieu attend que nous fassions 100 % de notre travail (et un peu plus !). Lui fait et fera 100 % de son travail (et beaucoup plus !). Un célibataire me disait : « J’ai passé un deal avec le Seigneur : je m’occupe de toi, je m’engage à la paroisse, etc., et Toi, Tu T’occupes de moi pour me trouver ma femme ! » Je lui ai répondu que ce n’était pas ce que nous montraient les Évangiles : Jésus n’avait pas créé du pain, mais multiplié les cinq pains qu’on lui avait apportés. L’Esprit-Saint ne se substitue pas à mon esprit, il se joint à lui (cf. Rm 8,16), ce qui est très différent. Être spirituel n’est pas être spiritualisant !
- Être disponible.
Les Actes des Apôtres rapportent un événement riche d’enseignement :
L’ange du Seigneur adressa la parole à Philippe en disant : « Mets-toi en marche en direction du sud, prends la route qui descend de Jérusalem à Gaza ; elle est déserte. » Et Philippe se mit en marche. Or, un Éthiopien, un eunuque, haut fonctionnaire de Candace, la reine d’Éthiopie, et administrateur de tous ses trésors, était venu à Jérusalem pour adorer. Il en revenait, assis sur son char, et lisait le prophète Isaïe. L’Esprit dit à Philippe : « Approche, et rejoins ce char. » Philippe se mit à courir, et il entendit l’homme qui lisait le prophète Isaïe ; alors il lui demanda : « Comprends-tu ce que tu lis ? » (Ac 8,26-30)
L’ange du Seigneur, qui est l’autre nom de l’Esprit (comme la suite le montre), ne montre pas d’emblée son dessein à Philippe. Il lui demande seulement sa disponibilité, son obéissance. Une première fois. Puis une deuxième fois. Il semble même demander quelque chose d’insensé : aller sur une route déserte ! Mais, docile, l’Apôtre répond à chaque demande. Ce n’est qu’après le deuxième acte qu’il comprend l’intention divine et que, pour la première fois, il intervient et parle. Ce qui donnera lieu à l’une des plus belles conversion des Actes des Apôtres. Et sans doute l’une des plus fructueuses : l’on imagine sans peine l’impact que le baptême de ce proche de la reine d’Éthiopie eut en ce pays lointain. Notre fécondité est proportionnelle à notre docilité.
Certains sont tentés par le spiritualisme (que Dieu fasse tout à ma place). D’autres, tout au contraire, sont tentés par le volontarisme (faire à la place de Dieu). Les premiers ont besoin de s’incarner, tenir leur place dans le monde au lieu de le fuir, déployer leurs ressources et croître en vertus. Les seconds, au contraire, ont besoin de déployer leurs voiles pour que l’Esprit y souffle, de découvrir que, en plus des sept vertus, ils ont reçu les sept dons du Saint-Esprit, d’aérer des plannings bourrés comme des valises, de s’arrêter régulièrement non seulement pour prier (car même la prière peut être réglée comme du papier à musique et bâillonner le Bon Dieu !), mais pour écouter ce qui vient à l’improviste, par exemple pendant une ou deux minutes. Concrètement, en demandant à l’Esprit-Saint : « Viens, montre-moi ce que Tu veux que je fasse. Je te permets de bousculer mes plans ! » Ce qui ouvre au prochain conseil.
- S’ouvrir à la nouveauté.
Actuellement, sur les écrans passe un film que je trouve excellent, Top Gun : Maverick. Sans entrer dans le détail, ce pilote surdoué autant que tête brûlé qu’est Maverick est mis à pied par son supérieur qui trouve irréalisable une de ses propositions d’attaque de l’ennemi. Pourtant, Maverick le sait de sa longue expérience, c’est très probablement la seule à être efficace et la moins coûteuse en hommes. Que fait-il ? Sans demander l’avis de personne, il emprunte un chasseur et réalise l’exploit, ce qui emporte l’adhésion enthousiaste de tout le staff. Je ne suis pas en train de dire que Maverick est poussé par l’Esprit-Saint ! Mais je relève qu’il y a une manière d’être fidèle à la lettre qui censure l’Esprit. Ce fut le drame des Pharisiens. En transgressant la lettre de la loi (l’interdiction de voler), Maverick en a accompli l’esprit.
Là encore, ouvrons les Actes des Apôtres, que l’on a justement surnommés l’Évangile de l’Esprit-Saint. Ce livre est un festival d’innovations épatantes et ébouriffantes ! Un exemple parmi d’autres. Après une nuit de prière, Jésus a pris bien soin de nommer douze Apôtres qui symbolisent les douze tribus d’Israël et que l’on appelle justement les Douze. D’ailleurs, après la trahison de Judas, les Douze devenus Onze élisent un nouvel Apôtre. Or, que vient faire l’Esprit-Saint dans les Actes ? Il en introduit un treizième, et de taille : saint Paul. En effet, autant les douze premiers ont pour mission la conversion de leurs frères juifs, autant le converti de Tarse, lui, a pour mission, rien moins, que celle des Gentils, c’est-à-dire des païens. Sans lui, nous ne serions pas là aujourd’hui !
Répétons-le : cette rupture apparente est au service d’une continuité plus profonde. L’Esprit-Saint est l’Esprit de Jésus et non pas un nouvel Esprit. Si quelqu’un dit : « J’ai remplacé ma messe du dimanche par cette messe de mariage, samedi » ; si un autre dit : « Ma femme ne cesse de me rejeter depuis des années. J’ai rencontré une autre femme qui me comprend merveilleusement. C’est un véritable don de Dieu », je suis assuré que ces personnes se trompent et ne sont pas inspirées par l’Esprit, parce qu’elles transgressent, l’une le troisième commandement du Décalogue, et l’autre, le neuvième commandement que Jésus est venu, non pas « abolir, mais accomplir » (Mt 5,17). La fécondité de l’Esprit est proportionnelle à notre obéissance ; elle l’est aussi à notre capacité à sortir de nos schémas, tout en demeurant fils et fille de l’Église.
- Discerner les coïncidences.
Mais comment nous parle l’Esprit-Saint ?
Il y a quelques années, je sors d’une session des familles à Paray-le-Monial, et je suis fatiguée car j’y ai peu dormi. Il pleut, la session est finie, il faut reprendre le quotidien… Sur la route du retour, mon mari me lance : « Et si on prenait un chant du carnet vert ? » J’en suis incapable. Pas le moral et pas le cœur du tout à louer ! Je fais alors cette prière intérieure : « Impossible, Seigneur ! Si tu veux que je loue, il faudrait un “trucˮ vraiment énorme, sinon, c’est impossible. » À ce moment-là, nous devons nous arrêter net dans un virage car un camion fait une manœuvre pour sortir d’un garage et nous barre le passage. Je lève alors la tête et vois écrit en énorme et rouge sur le camion : « Louez-moi ! » Le Seigneur m’a prise au mot ! Merci Seigneur pour ton humour, et ton appel à la louange [1].
On pense souvent que la coïncidence ou le signe est le langage de la troisième Personne divine. C’est vrai. Et, de fait, se mettre à l’écoute de l’Esprit-Saint, s’arrêter, c’est se rendre capable de repérer et de s’étonner d’une coïncidence, transformer une rencontre en chance. Si mes rendez-vous s’enchaînent, si j’ai programmé chaque minute de ma journée, si je suis sur l’écran de mon smartphone, si je contrôle tout et tout le monde, il y a peu d’espace et peu de temps pour que l’Esprit puisse me suggérer une inspiration.
Toutefois, si le langage de la coïncidence est fréquent, il n’est pas suffisant. Car il est seulement extérieur. Pour qu’il y ait signe de l’Esprit, il doit être conjugué à cet autre langage que sont les fruits intérieurs comme la paix et la joie (cf. Ga 5,22-23), ce que saint Ignace de Loyola appellera la « consolation ». Par exemple, lorsque saint Augustin se convertit à Milan, à la fois il entend la voix de l’enfant chantant une comptine « Prends, lis », ouvre les Écritures et tombe sur le passage de saint Paul qui résume sa vie désordonnée (cela, ce sont les heureuses coïncidences extérieures), et il ressent en lui une grande joie spirituelle, qui est le fruit de l’Esprit (cela, c’est la face intérieure du signe).
Encore faut-il bien comprendre ces fruits. Il ne s’agit pas seulement d’une joie ou d’une paix psychologique, mais d’une joie spirituelle. Par exemple, je me sens poussé à parler à l’un de mes collègues dont le comportement n’est pas ajusté. J’hésite ; j’ai peur de sa réaction. Je demande son avis à une personne qui me le déconseille, vu le caractère de la personne. Je me sens soulagé et interprète ce soulagement comme un fruit de l’Esprit. Mais cette tranquillité n’est que le réconfort de ne pas avoir à affronter quelqu’un qui me fait peur. D’ailleurs, elle n’est que passagère et sera rapidement éventée par une nouvelle tension avec ledit collègue. La grande joie qu’a ressentie le converti du jardin de Milan est spirituelle, parce qu’elle est durable et le tourne vers Dieu : cette joie théologale est un authentique fruit de l’action de l’Esprit-Saint en nos cœurs.
- Renoncer.
Le père Emiliano Tardif, grand spirituel et thaumaturge dont la cause de canonisation est introduite, raconte qu’il se promenait un dimanche dans une ville et que, passant devant un cinéma, il voit à l’affiche un titre de film qui lui plaît. Il achète un ticket et s’apprête à rentrer dans la salle de projection, lorsqu’il entend une voix intérieure qui lui dit : « Ne contriste pas l’Esprit-Saint ». Qu’auriez-vous fait ? Qu’aurais-je fait ? Le père Tardif est sorti.
Cette dernière condition n’est pas la moins importante ni la plus facile. Écouter l’Esprit-Saint, c’est aussi désapprendre de ce que nous croyions savoir et devoir faire. La mécanique des vases communiquants nous l’enseigne : on ne remplit pas un récipient déjà rempli. « À vin nouveau, outres neuves », disait Jésus qui souhaite tellement répandre en nos cœurs, le vin nouveau de l’Esprit, pour que nous vivions de sa sobra ebrietas (« sobre ébriété »). Et le renoncement ne porte pas seulement sur nos péchés, mais aussi, redisons-le, sur nos plans trop bien ficelés qui ligotent l’Esprit au lieu de le libérer.
Faire sa part et toute sa part, être disponible, s’ouvrir à la nouveauté, discerner les coïncidences, renoncer. Viens, Esprit-Saint, toi le Défenseur et le Consolateur ! Père très saint, donne-moi, donne à chacun de nous une double part de l’Esprit de Jésus !
Pascal Ide
[1]. Témoignage de Bénédicte dans Il est vivant !, n° 329 (janvier-février 2016), p. 25.