Spontanément, nous distinguons les objets en proches (par exemple, le sol) et lointains (par exemple, le Mont Blanc). En fait, cette distinction est trompeuse. Trois petites expériences.
Actuellement, vous êtes probablement assis (en train de lire !). Pourtant, vous n’avez pas ou plus conscience du dossier de votre fauteuil. Mais, dès que je vous en parle, vous en reprenez conscience. Et, pour cela, vous avez effectué, à votre insu, un infime mouvement de décollement de votre dossier. Il en serait de même si vous essayiez de sentir le sol sous vos pieds.
Quand, voici vingt-cinq ans, j’ai quitté mon diocèse pour ma nouvelle mission, au Vatican, je fus soudain pris d’une fringale de visite des monuments et lieux qui me sont chers dans le diocèse. Pourquoi ne pas l’avoir fait avant ? Tant que les choses (mais aussi les personnes) sont près, comme « sous la main », l’on n’a point conscience de leur proximité. C’est quand elles s’éloignent que, soudain, elles prennent un poids et une valeur insoupçonnés.
Quand vous venez à la messe, qu’est-ce qui suscite le plus votre attention ? Osons-le dire : c’est le plus souvent l’homélie ! Non pas (malheureusement !) que le prédicateur arrive toujours à capter votre attention, mais parce que c’est la partie de la messe qui est toujours différente. Et nous sommes moins présents aux autres parties, voire distraits, malgré leur proximité et surtout malgré leur plus grande importance (la lecture de l’Évangile, la consécration).
La première expérience me montre que les choses (ou les personnes) ne sont pas proches, mais qu’elles s’approchent. La deuxième qu’elles s’approchent quand je prends conscience qu’elles sont (depuis toujours déjà) là, qu’elles me sont données. Donc, quand je décolle de mon habitude. Péguy a un mot terrible et terriblement lucide : « Pire qu’une âme perverse, une âme habituée. Sur elle, la grâce ne mouille plus ». La troisième expérience témoigne que l’on peut passer à côté du plus grand parce que nous laissons la routine momifier ce qu’il y a de plus vivant et vitrifier notre reconnaissance.
Une solution : décoïncider, selon le suggestif néologisme du philosophe François Jullien. C’est-à-dire redevenir attentif aux présences furtives, mais tellement précieuses, qui m’entourent et sont autant de dons. Qu’il est révélateur que le terme reconnaissance soit construit à partir du préfixe « re » !
« Le Fils de l’homme est proche » (Mc 13,29). C’est-à-dire qu’Il ne cesse de s’approcher de moi. Et si je prenais conscience d’une parole répétitive de la messe (par exemple, ma réponse : « Et avec votre esprit ») ? Et si je me rendais présent au présent qu’est cet arbre sur le chemin qui conduit à Saint-François-Xavier ? Et si je souriais à cette personne toute proche qui m’accompagne et je lui disais ma joie d’être avec elle ? Et si, en cette trente-troisième journée mondiale des pauvres, je saluais, les yeux dans les yeux, la personne qui fait la manche à la sortie de notre église (et qui s’appelle Thierry !) ?
Pascal Ide