Nightmare Alley, drame et thriller américain co-écrit et réalisé par Guillermo del Toro, 2021. Adapté du roman de William Lindsay Gresham, Le Charlatan, 1946 (trad. Denise Nast, Paris, Julliard, 1948 et multiples rééd.). Avec Bradley Cooper, Rooney Mara, Cate Blanchett, Willem Dafoe.
Thèmes
Répétition, mal.
Si le thriller dramatique de Guillermo del Toro divise critiques et spectateurs, c’est d’abord parce que lui-même a divisé éthique et esthétique.
On a tout dit du perfectionnisme propret de ce film-fleuve, du jeu subtil de Bradley Cooper, de sa reconstitution scrupuleuse de l’atmosphère des cirques et de la high society newyorkaise pendant la seconde Guerre mondiale, des multiples références cinématographiques assumées, etc.
Mais demeure une histoire profondément perssimiste qui répète sous mode romanesque l’existence tourmentée de son auteur (connaisseur des spectacles de foire, alcoolique, dépressif, suicidaire) – dont la femme, la poétesse Joy Davidman, épousera en secondes noces C. S. Lewis, ainsi que le raconte Les ombres du cœur (Richard Attenborough, 1993) – autant que la trouble fascination du réalisateur du Labyrinthe de Pan (2006) pour la cruauté humaine. Relevons deux points éthiques, voire spirituels très problématiques.
Le premier est la place accordée au déterminisme de la répétition. Jusque narrativement, l’histoire est structurée par l’ignoble parricide qui en scande le rythme : dans la scène finale ; au milieu, lors de la transition entre la première partie, rurale, et la deuxième partie, citadine ; dans la scène presque finale, lorsqu’est enfin révélée le meurtre fondateur. Ce copycat serait-il la motivation secrète du réalisateur-scénariste ? En effet, ce que, au début, Stan semble refuser du Geek, sinon de toute sa compassion, du moins de toute sa fascination-répulsion, sera ce qu’il deviendra au terme. De même que, par le travail sur le divan, le passé refoulé ne peut que revenir pour prétendre sauver le patient, de même ce passé défoulé ne peut manquer de se répéter pour perdre Stan et le passé impardonné de l’abus de se répéter dans la vengeance du Dr Lilith Ritter. Le jeu diachronique de la réitération fatale se mire dans les échos synchroniques des doubles : si méprisante soit la psychologue newyorkaise à l’égard de ce mentaliste du Midle West, elle n’en est que le reflet luxueux et luxurieux, le machiavélisme en plus : hantée par la même rancœur vindicative, entée sur la même blessure à vif ; aussi solitaire que Stan, elle lui est étroitement solidaire.
Or, si la répétition est, pour Freud, la raison la plus radicale de la pulsion de mort, rien d’étonnant à ce que Tanathos étende si souvent ses ailes ténèbreuses sur cette tragédie sans espérance et que le démoniaque résonne dans le prénom (Lilith) du Dr Ritter.
Car, et c’est le deuxième point qui rend ce film définitivement inacceptable, il est construit sur une inversion intentionnelle du schème rédempteur présent au moins implicitement dans toute histoire digne de ce nom : création-décréation-recréation. Ici, tout commence par la déchéance intime du fils indigne, soulignée par la symbolique contrastée du froid assassin et du feu destructeur. Tout se continue, après une fuite sans fin ni terme, dans une recherche inaboutie de réparation (pitié pour l’homme-bête, amour peut-être sincère pour la pure Molly). Mais tout s’achève dans le retour inéluctable de la violence, ni traitée psychologiquement, ni reconnue éthiquement, ni pardonnée théologalement (Dieu est plusieurs fois nommé par le vidéaste mexicain) – violence amplifiée par la malice anonyme de Big Apple, que symbolise ce monstre à sang froid qu’est le Dr Ritter. Dès lors, à l’espérance dramatique, mais béatifique de la renaissance se substitue le désespoir tragique de la naissance : « Je suis né pour ça » – les derniers mots de Stan s’abîmant en un rire cynique qui, lui-même, s’étrangle dans les cris et les sanglots.
Spectateur potentiel, passe le cauchemar qu’est Nightmare Alley…
Pascal Ide
En 1939, Stanton « Stan » Carlisle (Bradley Cooper) brûle sa maison du Midwest après avoir mis un corps dans un trou dans le sol. Prenant un bus sans savoir où il va, il s’arrête au dernier arrêt et trouve un cirque mêlant fête foraine et freak show et décide d’aider le propriétaire nommé Clem a ranger son matériel. Il est rapidement embauché par le directeur, Clement « Clem » Hoately (Willem Dafoe) comme homme à tout faire. L’une des attractions préférées de Clem est un « Geek » (Paul Anderson), mi-homme, mi-animal, qui vit misérablement dans une cage et dévore des poulets vivants. Clem lui explique qu’il recherche des alcooliques ou des toxicomanes au passé trouble et les attire avec des promesses d’emploi temporaire. Leur donnant de l’opium mélangé à de l’alcool, il les abuse physiquement et mentalement jusqu’à ce qu’ils sombrent dans la folie et la dépravation, créant ainsi un geek pour son carnaval.
Stan se lie aussi avec la clairvoyante Zeena « Madame Zeena » Krumblein (Toni Collette) et son mari alcoolique, Peter « Pete » (David Strathairn). Ce dernier enseigne l’art de la fausse télépathie, grâce à un code entre le voyant et son assistante et fait croire qu’il est capable d’invoquer les morts ; mais, cherchant à distraire et non à manipuler, il finit toujours par révéler à la foule qu’il l’a trompée. Par ailleurs, Stan séduit Molly Cahill (Rooney Mara), une jeune femme timide de la troupe, en lui proposant un spectacle à deux. Quand il réussit à berner le maire venu arrêter Clem, Molly accepte l’amour de Stan et part avec lui pour la ville et l’aventure. Comme cadeau de départ, Zeena offre a Stan le carnet de Pete, tout en lui rappelant de ne jamais abuser des personnes.
Deux ans plus tard, Stan s’est réinventé avec succès en « Great Stanton », manipulant la riche élite urbaine de New York, avec l’aide de Molly comme assistante et grâce aux techniques de Zeena et Pete. Un soir, Stan fait sensation dans la salle et rencontre le mystérieux Dr Lilith Ritter (Cate Blanchett), une psychologue et psychanalyste, qu’il réussit aussi à fasciner par sa capacité à percer les pensées des personnes. Poussé par l’appât du gain, Stan passe un contrat avec Lilith : elle lui révèle les secrets de ses patients afin qu’il fasse croire à ses pouvoirs de télépathe et lui apporte des sommes d’argent de plus en plus considérables. Mais qui manipule l’autre ? Peut-on jouer sans risque à ce jeu avec des personnages autrement plus dangereux que les paysans du Midwest comme le millionnaire tourmenté et solitaire Ezra Grindle (Richard Jenkins) ? Stan peut-il indûment transgresser l’interdit du spiritisme ? Enfin et surtout, quel passé trouble cache-t-il ?