Les bonnes intentions
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Pays:
Français
Thème (s):
Communication Non-Violente, Triangle dramatique de Karpman
Date de sortie:
21 novembre 2018
Durée:
1 heures 43 minutes
Évaluation:
**
Directeur:
Gilles Legrand
Acteurs:
Agnès Jaoui, Alban Ivanov, Tim Seyfi

 

 

Les bonnes intentions, comédie française de Gilles Legrand, 2018. Avec Agnès Jaoui, Alban Ivanov, Tim Seyfi, Claire Sermonne.

Thèmes

TDK, CNV.

Le titre pourrait s’appliquer au film. Mais les bonnes intentions suffisent-elle à sauver les actions ?

 

Isabelle est une Sauveteuse professionnelle. En effet, du Triangle dramatique de Karpmann (TDK), dont ces lignes parlent souvent – ne serait-ce que parce qu’il est très fréquent ! –, cette quinquagénaire survoltée peut cocher toutes les cases caractéristiques du personnage du Sauveteur, et cela, tous les jours. Notamment le signe (le symptôme) le plus caractéristique : Isabelle dépense tout son temps (et pas seulement son temps) à aider l’autre, que l’autre le veuille ou non. Un autre indice ne trompe pas. Cette droguée de l’autre reconfigure l’espace autour d’elle selon les divers pôles du TDK : ceux qu’elle aide deviennent de plus en plus des Victimaires réclamant d’être aidés même au-delà de ses compétences d’Isabelle, même au-delà des exigences de la loi ; ceux qui, comme sa famille, refusent d’entrer dans son jeu, sont au contraire diabolisés en Bourreaux ; et quand elle-même se décourage ou s’épuise, elle se lamente avec amertume de ne pas être sauvée par son entourage, donc en devient la Persécutrice. Sa manipulation va jusqu’à transformer le repas familial de Noël (cette « infâme partouze capitaliste ») en partage caricatural sur les associations humanitaires. Enfin, et c’est la clé de l’intrigue, Isabelle remporte la médaille d’or du sauvetage en faisant passer gratuitement le code de la route à ses protégés avec la complicité d’un branquignol qu’elle cherche par la même occasion à aider…

Dès la première scène, le tableau clinique complet apparaît : elle distribue des feuilles de cours d’alphabétisation à des réfugiés sans-logis qui ne lui ont rien demandé et qui les prennent avec joie, ce qu’elle prend bien entendu pour un acte de reconnaissance, alors qu’elles finissent toutes dans le brasero… La manipulatrice involontaire se fait manipuler volontairement par des personnes qui, dignité oblige, ne veulent pas être assistées.

 

De même, le film est pétri de bonnes intentions en montrant sans complaisance les motivations ambiguës d’Isabelle et les conséquences délétères de son altruisme démesuré : à consacrer tout son temps, toute son énergie, voire tout son argent (qui se trouve justement ne pas être le sien) à ceux du dehors, elle finit par négliger ceux du dedans – négliger devant se prendre en son beau sens étymologique : « nier le lien » – et faire la leçon à tout le monde. Or, le scénario a pour climax (sommet), non pas la conversion, au sens propre de retournement, de la femme qui, enfin, prend conscience de ses ambivalences et de ses violences, mais, tout au contraire, celle de sa famille : le mari, parti seul avec leurs enfants pour un mariage en Bosnie, prend soudain conscience de tout le bien que sa femme fait aux siens, permettant à son frère non seulement de finir ses études de médecine, mais de rencontrer la femme de sa vie – belle scène où il passe de la gêne à recevoir une gratitude débordante qu’il ne mérite en rien, à vouloir donner cette même gratitude qu’Isabelle mérite en tout – ; l’adolescent qui, sortant de son ego dilaté à la mesure du monde virtuel où le plonge la caméra dont il est addict, découvre avec admiration le monde de l’autre qui est celui du bénévolat ; enfin, la fille elle aussi en pleine crise de révolte antimaternelle, se rapproche de la mère qui la révolte avec compassion et amour lors de l’enterrement de son arrière-grand-mère, certes parce qu’elle est émue par la souffrance sans feinte et par la vérité sans fard de sa mère, mais, plus encore, par le courant de générosité qu’elle a suscité. Ainsi, au terme, l’héroïne a réussi à retourner tout son entourage, et même ceux qu’elle aide et les autres bénévoles, dans son altruisme contagieux, sans en rien se convertir elle-même.

Et ce retournement spirituel discutable s’atteste en un retournement spatio-temporel incontestable : Ajdin renoue avec l’intention pleine de dévouement qui animait son couple à l’origine (lors de leur premier contact, la thérapeute de couple n’a-t-elle pas demandé de raconter leur première rencontre ?). Leur appartement bourgeois n’est-il pas transitoirement transformé en centre d’hébergement social ?

 

La même ambivalence se retrouve dans la charge contre la CNV (Communication NonViolente – sans espace) : impérativement recommandée par la « psy », laborieusement pratiquée par le couple, victorieusement appliquée par Elke, l’outil forgé par Marshall Rosenberg est à la fois montré (on voit le maître-ouvrage : Les mots sont des fenêtres ou sont des murs) à plusieurs reprises, et accusé de manquer de « cœur ». Pourtant, le secret de la démarche en quatre étapes (observer, ressentir, nommer son besoin, demander) – d’ailleurs réduite à la troisième de surcroît incomprise (« J’ai besoin que tu… ») –, ne peut s’exercer dans la pensée du fondateur que dans un espace d’empathie affective, c’est-à-dire d’amour inconditionnel, pour soi et pour l’autre.

 

Enfin, le titre du film disait déjà (presque) tout. Un proverbe célébre affirme qu’un lieu aussi chaud que peu chaleureux, est pavé de bonnes intentions. Or, c’est ce que devient la vie de ceux qui côtoient Isabelle, lorsqu’ils n’ont pas la chance d’être déclassés ou exclus. Pourquoi l’attitude de la Sauveteuse qui présente toutes les apparences du bien et même de la justice est-elle infernale, ou plutôt diabolique au sens étymologique (exact opposé du sym-bole qui rassemble, le dia-bole fragmente) ?

D’abord, parce qu’elle divise la famille et la fait souffrir. Mais, beaucoup plus profondément et plus gravement, parce que la bonne intention valorisée et intensément altruiste qu’affiche le Saint-Bernard dissimule une intention beaucoup moins noble et intensément narcissique qui est le besoin de retour. Si le Sauveteur sert tout le monde jusqu’à l’asservir, c’est secrètement pour se servir au passage. Là encore, dès la première scène, tout est montré : Isabelle promptement canonisée (« Tu es une sainte ») non seulement ne refuse pas ce Santa subita injustifié, mais esquisse un sourire triomphant. Or, à aucun moment, cet égocentrisme d’autant plus dévastateur qu’il est insu n’est dénoncé ni conscientisé.

Le remède n’est donc pas, comme le propose l’histoire, d’injecter plus d’attention à ses proches ou, pire, comme le conseille la grand-mère –de ne jamais abandonner ses bonnes intentions : l’aïeule d’autant plus idéalisée qu’elle est, malheureusement, irréconciliée, avec sa fille (et mère d’Isabelle), radicalise sa posture d’assistante tous risques et tous besoins. La seule issue aurait été de montrer Isabelle conjuguer cette édifiante attention aux autres à un humble désintéressement, une authentique estime de soi et une respectueuse attention de la liberté d’autrui.

 

Harry, un ami qui vous veut du bien, le film si dérangeant de Dominik Moll qui, en 2000, emporta cinq César, avait été autrement plus conséquent et éloquent en dépeignant à quelles conséquences mortelles pouvait conduire une générosité absolutisée qui, en paraissant prendre soin de l’autre, ne fait que prendre addictivement soin de son ego en souffrance.

Pascal Ide

Non contente de travailler dans un centre social où, bénévole, elle donne des cours d’alphabétisation, Isabelle (Agnès Jaoui) court les associations où elle apporte vêtements et médicaments. Mais la crise guette, la révolte gronde. Dans sa famille, son surinvestissement dans l’humanitaire la conduit à négliger son mari, un bosniaque rencontré à Sarajevo en 1995, Ajdin (Tim Seyfi), et leurs deux enfants. Dans le centre que commande un directeur improbable sans nom et sans parole (Didier Bénureau), elle est mise en concurrence avec Elke (Claire Sermonne), une nouvelle enseignante d’origine allemande aux méthodes innovantes. Loin de s’arrêter, Isabelle décide alors d’embarquer ses élèves en demande professionnelle, avec l’aide d’un moniteur calamiteux (Alban Ivanov), Attila, pour qu’ils puissent passer le code de la route. Quo non ascendam (ou descendam) ?

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