Le Conformiste (il Conformista), drame franco-germano-italien réalisé par Bernardo Bertolucci, 1970. Inspiré par le roman éponyme d’Alberto Moravia, 1951. Avec Jean-Louis Trintignant, Dominique Sanda et Stefania Sandrelli.
Thèmes
Vérité, mythe de la caverne, conversion.
On l’a dit et redit, le drame du scénariste et réalisateur italien, est une critique interne du fascisme : « Le film est une analyse d’une adhésion au fascisme motivée par des ressorts intimes et psychologiques : un viol et un meurtre subi et commis par un enfant. Marcello Clerici ne cessera de vouloir effacer ces traumatismes en se fondant dans une pseudo-normalité : en entrant au parti fasciste, en se mariant, en se conformant à ce qu’attendent la société italienne, l’Église et le régime de Mussolini » (notice Wikipédia).
On l’a moins observé – d’autant que c’est une originalité à l’égard du roman de Moravia –, le film reprend la structure même du mythe de la Caverne (cf., par exemple, Julia Annas, Introduction à la République de Platon, trad. Béatrice Han, coll. « Les grands livres de la philosophie », Paris, p.u.f., 1994, p. 324-326). D’abord, de manière générale : de même que Le Conformiste est une critique à peine voilée du fascisme, de même le dialogue La République où est inséré ce mythe (au début du Livre 7) est une critique à peine dissimulée de la démocratie athénienne, en but à toutes les apparences et donc à toutes les violences.
Plus en détail, la célèbre allégorie passe par plusieurs temps : certes, l’affranchissement de l’état de prisonnier, mais aussi la sortie de cette caverne, autrement dit, le dépassement de la connaissance sensible (dans la caverne) vers la connaissance intelligible (hors de la caverne). Or, à l’instar de Platon, l’intrigue raconte le cheminement d’un homme qui quitte l’illusion du conformisme pour accéder, au terme, à la vérité.
Toutefois, le film introduit une différence de taille entre son interprétation de l’histoire italienne et le mythe. En effet, la sortie de l’illusion fasciste se fait par un retour sur soi, la découverte que fait Marcello de la vérité de sa propre histoire. Au terme du film, en 1943, Marcello reconnaîtra Lino, qu’il croyait avoir assassiné. Il prend alors conscience que toute sa vie s’est construite autour de la problématique de ce viol et d’une culpabilité infondée. De même que le régime de Mussolini s’effondre, ce qu’attestent les statues déboulonnées qui sont traînées dans la rue, de même ses illusions s’affaissent, avec les idoles qu’il avait édifiées. Demeure le vide, mais un vide que pourra remplir la vie, c’est-à-dire, enfin, la vie intérieure que les simulacres, l’apparence du fascisme lui avait fait déserter. La place est désormais libre pour qu’advienne la vérité sur sa propre existence.
Or, autant chez Platon, la conversion à la vérité, précisément au soleil de la vérité qu’est le Bien est extatique, sortie de soi, et impersonnelle, autant, chez saint Augustin, cette conversion est un passage personnel de l’extérieur vers l’intérieur. Et, avant d’être typique d’Augustin, cette retraite est biblique. Elle constitue le pivot de la parabole de l’enfant prodigue : celui-ci ne va de la fuite de la maison paternelle vers le désordre, au retour à cette même maison et une vie à nouveau centrée, qu’en passant par ce temps intermédiaire autant que médiateur de la « rentrée en soi-même » (Lc 15,17).
Donc, pour être platonicien Bernardo Bertolucci est aussi augustinien. Le film qui atteste les comptes à régler avec l’Église et le christianisme, en demeure encore secrètement tributaire, leur empruntant le meilleur : l’arrachement au mensonge et l’accès intérieur à la vérité.
Pascal Ide
- Très jeune garçon, humilié et maltraité par des camarades, Marcello Clerici (Jean-Louis Trintignant) est protégé, puis sexuellement agressé par un jeune chauffeur de maître, Lino Seminara (Pierre Clémenti). Marcello lui prend son pistolet et le vise, il pense l’avoir tué et s’enfuit. Tourmenté par un sentiment de culpabilité mais surtout d’anormalité, il éprouve le besoin d’être conforme à ce que la société attend d’un homme, à se fondre dans la masse. Cette envie est renforcée par la répugnance que lui inspirent la vie familiale, désordonnée, dispendieuse, et ses parents (son père, fasciste de la première heure, a sombré dans la démence et est interné, tandis que sa mère, grande bourgeoise déchue, est une toxicomane manipulée et abusée par son chauffeur). Comme, dans l’Italie fasciste, être normal c’est être fasciste, adhérer au parti et le servir, Marcello entre dans la police secrète. En même temps, il veut une épouse la plus médiocre possible, petite-bourgeoise jolie et sotte, Giulia (Stefania Sandrelli), loin de l’image maternelle et de l’idéal de la grande-bourgeoisie à laquelle il appartient.
- Les services secrets demandent à Marcello de profiter de son voyage de noces pour contacter son ancien professeur de philosophie, Luca Quadri (Enzo Tarascio), devenu l’un des principaux dirigeants anti-fascistes en exil à Paris. Marcello, au fond de lui, est réticent, mais il est sans cesse contrôlé et poussé par un homme des services secrets, l’agent fasciste Daniele Manganiello (Gastone Moschin) qui lui ordonne d’assassiner Quadri. Or, quand il est reçu au domicile du professeur, il rencontre son épouse Anna (Dominique Sanda), aussi belle que non-conformiste et intelligente, et tombe aussitôt fou amoureux de cet anti-type de Giulia. Comment résoudre ce dilemme proprement cornélien ?