Batman vs Superman. L’Aube de la Justice
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Thème (s):
Bien, Mal
Date de sortie:
23 mars 2016
Durée:
2 heures 33 minutes
Directeur:
Zack Snyder
Acteurs:
Ben Affleck, Henry Cavill, Jesse Eisenberg...

Film fantastique américain de Zack Snyder, 2016.

Thèmes

Le mal ; le bien.

De prime abord, Batman versus Superman renouvelle le genre tant apprécié, mais passablement essoufflé, des films inspirés des Marvel et DC Comics, en remplaçant l’opposition bien-mal par celle des super-héros (la prochaine illustration est un autre film attendu, la prochaine mouture de Captain America : Civil War). Toutefois, ce premier affrontement n’est-il pas voué à l’anti-suspense absolu ? En effet, d’un côté, le super-héros par excellence, l’Idée platonicienne de super-héros, Superman, possède le plus grand nombre de super-pouvoirs portés à un degré illimité, du moins sur la Terre, au point qu’on lui attribue à plusieurs reprises la puissance de détruire la planète entière. De l’autre, le seul super-héros qui ne soit doté d’aucun super-pouvoir, Batman, est réduit à développer au maximum ses capacités physiques et mentales, il est vrai en bénéficiant de l’aide (très appréciable !) d’une fortune qui, elle, semble presque infinie. Bref, comme le dit Lex Luthor à plusieurs reprises, il s’agit d’une lutte entre l’homme et (le) dieu.

A moins que…

primo, Superman ne soit physiquement affaibli. Ici, rien d’original : déjà le deuxième (Superman 2 de Richard Lester, sorti en 1980) épisode de la franchise avait employé la kryptonite pour annuler l’invulnérabilité du super-héros – tout en laissant irrésolu, ici comme le précédent opus de la saga, l’embarrassant paradoxe : pourquoi un cristal qui dope l’intelligence d’un habitant de Krypton débiliterait son corps ?

secondo, sa réputation de sauveur ne soit très sérieusement mise en cause et donc qu’il soit isolé de ses fidèles fervents (une scène les montre à genoux, le révérant comme un dieu descendu du ciel). La réputation, expliquent les moralistes, est un grand bien car elle permet de faire le bien. C’est pour cela que la médisance (qui consiste à dire un mal qui est vrai) est si grave – même si elle l’est moins que la calomnie (qui consiste à dire un mal qui est mensonger). Or, Lex Luthor montre que, lors de son expédition en Afrique pour sauver Lois Lane prise en otage par des terroristes, le super-héros n’a pas empêché la mort d’un maximum de victimes. Plus encore, il prouve que, même sur le sol américain, il est impuissant à contrer un simple acte terroriste (détecter un fauteuil roulant piégé d’un employé de Wayne Enterprises) qui pourtant détruit le Capitole et élimine de nombreux sénateurs – dont le plus courageux vis-à-vis de Superman, la sénatrice June Finch (Holly Hunter).

tertio, plus profondément encore, ce mal extérieur de l’impopularité ne soit intériorisé par Superman lui-même et ne le conduise à une auto-exclusion. Ici, Luthor joue sur les deux fronts : la culpabilité de Bruce Wayne, en confirmant son message intérieur qui est autant source de sa vocation de Batman que de sa démesure justicière – « Tu es responsable de la mort de tes parents » – ; la mission même de Superman, en le soumettant à la justice humaine et donc en attestant qu’il est aussi impuissant que celle-ci, donc, en dernière instance, qu’il est inutile. Ce faisant, le diabolique Luthor s’attaque simultanément à ses deux ennemis.

Toutefois, le scénario arrête là la déconstruction et résiste – heureusement ! – à la tentation Deadpool. Superman et Batman ne sont pas rongés par la souffrance psychique, le remords ou le doute jusqu’à basculer dans le mal – comme le fit Harvey Dent-Double Face dans Le chevalier noir (Christopher Nolan, 2008). Ils sont affaiblis, voire aveuglés (Luthor réussit à transformer les alliés, sinon les amis, en ennemis), mais demeurent habités par un altruisme foncier, voire prêts à donner leur vie pour le salut de l’humanité.

Aussi « le combat du siècle » entre les deux super-héros que promeut et promet l’affiche ne peut tenir – là encore heureusement ! – ses promesses : il faut au final leur opposer un adversaire. Et un adversaire qui soit à leur démesure. En effet, méritant authentiquement son surnom de « génie du mal », Luthor – outre sa capacité à ingérer toute la science de Krypton – réussit à manipuler les deux super-héros en concevant un plan diabolique dont l’unité n’apparaît qu’au terme. J’ajoute toutefois que Jesse Eisenberg ne m’a pas totalement convaincu, tant sa composition hésite entre la folie incarnée de Jack Nicholson (le premier Jocker, celui du Batman de Tim Burton, sorti en 1989) et la perversion inspirée (si je puis dire) de Heath Ledger (le second Jocker, celui du Dark Night déjà cité). A trop loucher sur ses géniaux aînés, il a surjoué un personnage composite plus qu’inventé une figure nouvelle.

Enfin, et c’est pour moi la plus heureuse surprise : la victoire du bien ne se réduit pas à un combat des chefs interminable et brutal plus ou moins ingénieux ; ni au seul don de soi de Superman et de Batman – même s’il est hautement appréciable et signifiant (nous allons y revenir) ; ni enfin au triomphe trop souvent vu et à la morale inopérante à être trop voyante, de la « sainte alliance » (l’union fait la force), en l’occurrence du trio Superman – Batman – Wonder Woman, contre la solitude déshabitée du méchant – Luthor, via Doomsday qui n’a pu naître à partir du cadavre du général Zod qu’à partir de son sang – qui défait tout lien en s’adorant lui-même. Bref, en jouant le symbole, au sens étymologique, contre le dia-bole, toujours au sens étymologique.

Le retournement, véritablement inattendu et efficacement dissimulé, tout en étant espéré et même secrètement préparé, repose sur deux événements.

Le premier est la coïncidence des prénoms « Martha » : Martha Kent (Diane Lane), la mère toujours vivante de Clark ; Martha Wayne, la mère décédée de Bruce. Ce qui est en jeu n’est pas tant la méprise, donc l’erreur, qui arrête le bras meurtrier de Batman et sauve Superman, ni même seulement cette parole qui réactive la blessure originaire – le vitriol de la culpabilité liée à la mort des parents qu’il n’a pu protéger de la mort – et lui permet de prendre conscience de la surdétermination vengeresse de sa prétendue justice. Mais la concomitance-convergence d’un même prénom d’une même personne hautement et doucement aimée, prononcée dans un même souffle. Et cette synchronisation, signe de l’esprit, résonne comme un appel à sortir de la spirale du soupçon et de la violence.

Le second – qui s’inscrit dans le prolongement du premier – consiste dans le surgissement d’un nouveau personnage de DC Comics, Diana Prince / Wonder Woman (Gal Gadot). Dans un premier temps, la survenue de ce personnage mystérieux qui, pour sa plus grande joie, a poussé le spectateur à multiplier les fausses pistes, ressemble fort à ce qui, par contraste, est un désagréable deus ex machina. Mais une telle interprétation oublierait un élément clé : l’enjeu du film n’est rien moins que l’espérance du salut. Wonder Woman s’est fondue parmi les humains et a abdiqué la mission qu’elle remplissait en Belgique au cours de la Première Guerre mondiale, parce qu’elle a désespéré de cette humanité irréversiblement mauvaise – et, avec elle, les autres méta-humains comme Flash, Aquaman et Cyborg (dont Batman récupère les informations), eux aussi noyés parmi les terriens. Mais le sacrifice de Superman et de Batman fait refleurir son espérance et réveille en elle l’appel originaire, sa mission qui fait un avec son identité. Comment ne pas relever la succession des faits : don de soi de Superman ; blessure au cœur et mort corporelle ; descente dans les bras de Loïs Lane (Amy Adams) qui, selon une mise en scène trop travaillée pour être aléatoire, rappelle la Pietà ; mise au tombeau ; ébauche de lévitation de la dernière poignée de terre au contact du bois du cercueil (en grec, le verbe ressusciter n’est-il pas celui qui dit aussi « se lever » ?) ? Il faut dire plus. La véritable source de l’espérance de Wonder Woman – et bientôt des autres méta-humains encore disséminés parmi les terriens, Flash, Aquaman et Cyborg, dont Batman récupère les informations – réside dans la loi spirituelle peut-être la plus décisive de l’humanité : celui qui consent à mourir corporellement par amour ressuscite spirituellement dans le cœur de ceux qui accueillent son acte avec reconnaissance. Autrement dit, en donnant sa vie jusqu’à la perdre, la personne, loin de disparaître, intériorise et universalise sa fécondité. Une parole du Christ formule cette loi sous forme d’une brève parabole : « Si le grain si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12,24). Toujours en grec, martyr ne signifie-t-il pas « témoin » ?

Si le film de Zack Snyder m’a réellement plu, cela tient sans doute, je ne me le cache pas, à sa grande proximité, avec l’univers des frères Nolan (n’ont-ils pas réalisé la trilogie Batman autant qu’écrit et produit Man of Steel ?) : aussi complexe (presque trop : le début nous éparpille, les scènes se succèdent jusqu’à nous perdre sans relecture unifiante), aussi sombre – même la figure enveloppante et tutélaire d’Alfred Pennyworth (Jeremy Irons) murmure avec cynisme que Wayne est incapable d’avoir des enfants –, aussi profond (le film pose les vraies questions qui sont éthiques, plus, spirituelles : qui peut être sauvé ? qui peut sauver ?)

Clément Barré

[1] Watchmen, Zack Snyder, 2009 adaptation de la bande dessinée de Alan Moore et Dave Gibbons (1986-1987)

[2] Avengers (2012) et Avengers, Age of Ultron (2015), Joss Whedon

[3] Je parle volontairement de sauveur et non pas de Dieu, car la figure de Superman est proprement messianique, il représente Dieu en tant qu’il sauve les hommes.

[4] Dardevil, Mark Steven Johnson, 2003

[5] Cf entre autre source l’excellent film d’animation : Batman, under the Red Hood, Brandon Vietti, 2010

[6] « Je t’ai bien eu, Batman ! »

[7] Batman the animated serie, Bruce Timm et Eric Radomski, 1992

[8] Batman Begins (2005), The Dark Knight (2008), The Dark Knight rises (2012) de Christopher Nolan

[9] The social Network, David Fincher, 2010

[10] Dans le film d’animation Superman/Batman : Public Enemis de Sam Liu (2009), Lex Luthor est élu président des USA, cela est également présent dans les bandes dessinées.

[11] « Objectivement il y a sur Terre une quantité stupéfiante d’injustices et de souffrances qu’un Dieu tout puissant devrait pouvoir empêcher. Soit Dieu ne peut pas empêcher le mal, et il n’est pas tout puissant. Soit, il ne le veut pas, et alors il n’est pas bienveillant. Soit il n’en a pas conscience et il n’est pas omniscient. » http://menace-theoriste.fr/croire-en-dieu/

Craignant que Superman n’abuse de sa toute-puissance, le Chevalier noir décide de l’affronter : le monde a-t-il davantage besoin d’un super-héros aux pouvoirs sans limite ou d’un justicier à la force redoutable mais d’origine humaine ? Pendant ce temps-là, une terrible menace se profile à l’horizon…

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