Chaque rayon de lumière est une parure d’ange

Notre époque est ambivalente. D’un côté, la théologie, la prédication, la catéchèse ne parlent quasiment plus de l’action des anges dans le cosmos. De l’autre, ils sont omniprésents dans la nébuleuse New Age (une cinquantaine de livres en dix ans !). Si l’on élargit histoire et géographie : en Afrique, en Asie du Sud-Est, chez les peuples premiers, le monde invisible pèse plus que le monde visible, alors qu’en Occident, le second a supplanté le premier. Et si le vide – dont la grâce, comme la nature, a horreur – du rationalisme avait préparé le trop-plein des nouvelles gnoses ? La Révélation chrétienne a-t-elle réellement évincé ces « êtres spirituels, non corporels » que sont les anges (CEC, n. 328) de la nature ?

Ouvrons la Bible. Celle-ci est sobre, mais elle est aussi explicite : « La Loi fut édictée par le ministère des anges » (Ga 3,19 ; cf. Ac 7,53), qui donc agissaient lorsque sur la montagne tonnante et fumante du Sinaï (cf. Ex 19,16-18). C’est par un ange que la piscine de Bethesda possède par moments une puissance curative (cf. Jn 5,3-4). Depuis la Genèse (Gn 19,3), jusqu’à l’Apocalypse (Ap 7,1), en passant par les livres historiques (2 R 19,35 ; 2 Sm 24,15-17), sapientiaux (Ps 19,1 ; 119,89-91), apocalyptiques (Dn 3,19-93), et, dans le Nouveau Testament, les Évangiles (Mt 28,2) ou les écrits pauliniens, johanniques et les lettres pastorales (1 Tm 5,21), les anges agissent avec efficacité dans la nature.

Les anges – car ils sont des « myriades de myriades » (Dn 7,10) – agissent donc, par mission divine, sur le cosmos matériel. Comment les concevons-nous ? Au mieux, comme une présence céleste, virevoltant autour du trône divin (Is 6,2) et comme une action ponctuelle (Lc 1,26 s). Et si, tout au contraire, avec les Pères alexandrins imprégnés de l’Écriture, Origène, Cyrille et Athanase, il fallait croire et parfois comme voir qu’ils sont constamment autour de nous ? Dans le Credo de Nicée-Constantinople, nous confessons un unique « univers visible et invisible » ; le Catéchisme de l’Église catholique affirme qu’« ils sont là, dès la création (cf. Jb 38,7) » (n. 332). Actif et contemplatif, l’ange loue Dieu pour la terre qui est remplie de sa gloire ; il protège l’homme des souffrances et de la mort que tel élément pourrait causer, comme il le fit avec les saints enfants dans la fournaise ; voire, il veille sur telle vallée, telle montagne ; il nous prépare au monde à venir. À l’instar des trois seuls anges dont la Bible révèle le nom qui est aussi une mission – Michel, Gabriel et Raphaël –, les anges combattent, font signe et prennent soin.

Les sciences ne nous ont-elles pas appris à attribuer à la nature ce que, à une époque mythologique, on attribuait aux anges ? Mais la nature se réduit-elle à ce que nous en voyons ? Laissons la parole à l’un des grands théologiens contemporains, récemment béatifié, qui s’inscrit dans la tradition d’Alexandrie :

« Je les regardais [les anges] non seulement comme les ministres employés par le Créateur dans les dispensations faites aux juifs et aux chrétiens, ainsi que nous le lisons clairement dans l’Écriture, mais, en allant plus avant, comme les agents de l’économie du monde visible, ainsi que l’Écriture l’implique aussi. Je les considérais comme étant les causes réelles du mouvement, de la lumière de la vie, et des principes élémentaires de l’univers physique, qui offrent à nos sens leurs combinaisons et nous suggèrent alors la notion de cause et d’effet et ce qu’on appelle les lois de la nature ». Plus de trente ans avant, Newman disait des anges : « Chaque souffle d’air, chaque rayon de lumière et de chaleur, toutes les beautés de la nature sont pour ainsi dire les parures de leurs vêtements, l’ondulation des robes de ceux ‘dont la face contemple l’Éternel’ (Mt 18,10) ».

Et si, me rendant à la gare Montparnasse et m’émerveillant de ces pommiers du Japon qui explosent de couleurs, je joignais ma louange au chœur des anges ?

 

Pascal Ide

 

Source des citations : John Henry Newman, Apologia pro vita sua, trad. L. Michelin-Delimoges, Paris, Bloud & Gay, 1939, p. 57 ; « Les puissances de la nature ». Homélie, 29 septembre 1831, Le songe de Gérontius, suivi de deux sermons et de trois poèmes sur les anges, coll. « Archivum angelicum » n° 11, Strasbourg, Trifolium, 2011, p. 66.

4.8.2017
 

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