Chanter tes louanges, ô Marie ? C’est ce que nous propose l’Office des Lectures, aujourd’hui, avec la belle homélie de saint Amédée de Lausanne pour l’Assomption. C’est ce que font les grands saints « mariaux » à commencer par saint Bernard de Clairvaux, saint Louis-Marie Grignion de Montfort ou saint Jean-Paul II.
Et pourtant, l’on sait combien cette attitude éveille de résistance chez nos frères protestants, notamment évangéliques, et chez certains catholiques, qui, de fait, observent parfois un exclusivisme de la dévotion mariale chez d’autres frères catholiques et craignent que ce que l’on te donne soit ôté à ton Fils, notamment son unique médiation salvifique.
Ces louanges sont fondées sur ce que la théologie et la spiritualité mariales appellent les priviléges de Marie dont les plus importants (mais non les seuls) font l’objet des quatre affirmations dogmatiques qui la concernent. Dans l’ordre chronologique de la vie de Marie (qui n’est pas celui de leur affirmation dans la Tradition) : l’Immaculée Conception, la Maternité divine, la virginité (triple : avant, pendant et après l’Incarnation) et l’Assomption. Observons d’ailleurs en passant que les propriétés (en leur signification technique qui est lisible dans le mot lui-même : ces caractéristiques de sainteté propres à Marie) épousent les rythmiques ternaire et quaternaire du don. En l’occurrence : l’Immaculée Conception correspond au don originaire ; la virginité (entendue en son sens plénier qui est d’abord subjectif et vertueux, à savoir l’humilité obéissante) à l’appropriation ; la Maternité divine (qui est sa mission et s’étendra progressivement à la Maternité ecclésiale) à la donation ; l’Assomption à la réception divine en retour.
Célébrons avec enthousiasme les louanges de Marie. Mais [1] non sans conditions. Et celles-ci sont, me semble-t-il, au nombre de trois : pauvreté, progressivité, sponsalité.
La première des qualités mariales est la totale disponibilité. L’on peut substituer à ce substantif, comme quasi-équivalent, pauvreté, obéissance ou humilité. Le fondement, incriticable, est scripturaire. Il réside dans la deuxième parole de Marie qui, en quelque sorte, se définit elle-même : « Voici la servante du Seigneur » (Lc 1,38). Le premier mot (« voici ») efface le « je » sans l’annuler, le deuxième devrait se traduire par « esclave » (comme dans l’hymne aux Philippiens) et le troisième montre que, nullement autodestructeur, le retrait du « je » n’est destiné qu’au service de Dieu. La raison, aussi simple que profonde, a été déclinée par le théologien suisse Hans Urs von Balthasar à de multiples reprises : Marie a reçu Dieu autant qu’il a voulu se donner.
Même si celle qui est « remplie de grâces » donne tout de sa libre volonté aimante, elle ne pourra se donner totalement, donc devenir intégralement réceptive à la grâce divine et communicable que progressivement, c’est-à-dire historiquement, avançant de plénitude en plénitude, du bonheur germinal de la foi (« Bienheureuse celle qui a cru ») vers le bonheur terminal de la vision (béatifique).
Marie, tu ne t’es totalement reçue du Dieu unitrine pour te donner totalement à Lui, qu’en vivant dans une communion sans fusion et sans indifférenciation avec chacune des Personnes divines. Tu es fille de Dieu pour devenir mère de Dieu, dans les noces éternelles avec le Dieu de l’Alliance.
Alors, redisons avec sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, Marie, tu es plus Mère que Reine ! Et continuons : tu es plus Épouse que Mère et plus Servante qu’Épouse !
Pascal Ide
[1] Et il ne s’agit pas du « oui, mais » toxique où le « mais » annule le contenu du « oui » et donc équivaut à un « non » !