- À Noël, tout est possible !
C’est ce que narrent tant de contes de Noël qui montrent des événements merveilleux. Et surtout la merveille des merveilles : lorsqu’un méchant est touché par la grâce. Cette conversion, Charles Dickens la raconte dans Le Cantique de Noël. Plus près de nous, dans le temps et l’espace, la poétesse Marie Noël la met en scène dans de nombreux poèmes et récits.
Dans un de ses contes en prose, Le Voyage de Noël, Rose, une fille du peuple, pauvre, vit toute seule dans une pauvre chambre. Elle va à nouveau passer Noël seule lorsqu’il lui arrive une chose extraordinaire, un « voyage de Noël », qui est comme un avant-séjour au Paradis (la poétesse se souvient probablement de visions mystiques). Rose retrouve tous les morts aimés, comme ses chers parents. La table est servie pour le banquet, un arbre ruisselle de fleurs merveilleuses, etc. Pourtant, Rose demande à redescendre car elle n’a pas fini de faire du bien sur la terre. En effet, quinze ans auparavant, un de ses voisins, Patard, lui avait crié dessus, la traitant de « voleur » et de « sale bigote », parce que Rose était venu demander un balai que, en réalité, Patard lui avait pris et ne voulait pas lui rendre.
Or, Rose ne peut plus endurer, ce soir, « de le sentir hostile, là, tout près, à côté d’elle. Elle désirait lui dire n’importe quoi de bon à cause de Noël et de cette grande amitié qu’elle avait pour tous à cette heure et qui ne serait pas heureuse – non ! non ! – si Patard restait en dehors comme un chien sans gîte ». Alors, elle lui prépare un petit gâteau, avec le peu de moyens qu’elle a pour le préparer. Comme toujours, l’irascible ivrogne l’accueille mal : « Ah ! oui, petit qu’il est, votre gâteau d’avare sans œufs ni beurre ». Et il l’avale d’un coup : « Voilà. Son compte est réglé ! » Et il lui claque la porte.
Elle s’en va, tout de même contente de lui avoir manifesté son affection. Or, contre toute attente, quelques temps plus tard, quelqu’un vient frapper à la porte de Rose. Qui donc ? Patard qui se met à bougonner et bégayer : « Vous m’avez fait une politesse, je vous la rends. On n’est pas un rustre, on sait vivre. Après avoir bouffé votre gâteau, je me suis embêté. Je me suis dit, à cette heure la voisine doit s’embêter aussi et je suis venu voir si on ne pourrait pas, des fois, s’embêter ensemble. »
Patard s’asseoit dans le fauteuil et regarde autour de lui : « Il ne fait pas riche ici. Votre turne ressemble à la mienne… en moins sale. Et pourtant, c’est rigolo, on y est bien ». Et, plus tard, après s’être délecté d’une orange : « Il y a de la joie. Et on ne sait pas seulement d’où ça sort ». Et : « C’est pas tous les jours. C’est Noël.
– C’est Noël… », répéta Rose. Sa voix chantait.
Oui, à Noël, tout est possible ! Même qu’un vieux grincheux colérique et ingrat devienne un homme souriant et reconnaissant !
Celle qui s’appelle Marie Rouget, à la Noël 1904, alors qu’elle a 21 ans, a lle-même vécu un drame : elle a découvert son frère Eugène mort dans son lit au petit matin. Très proche de lui, elle vit cette perte dans une intense douleur. Elle décide de s’appeler désormais en poésie « Marie Noël » pour prendre « un nom de grâce », comme on quitte ses habits de la semaine pour ses habits du dimanche (l’image est d’elle). Par la suite, Marie-Noël vivra toujours cette fête de la Nativité comme une fête des dons divins, par conséquent comme une fête de la joie, mais aussi comme une fête dont la mort n’est pas absente, sans toutefois jamais avoir le dernier mot. Le mystère de Noël préfigure celui de la Croix qui ouvre à celui de la Résurrection du prince de la paix et de la lumière.
- À Noël, tout est possible ! Pourquoi ? Neuf mois avant Noël, donc, le 25 mars, à l’Annonciation, nous entendons l’ange, annonçant à la Vierge Marie qu’elle va concevoir le Sauveur, ajouter : « à Dieu, rien n’est impossible ! » (Lc 1,37). Et si rien n’est impossible à Dieu, c’est parce que Dieu est tout-puissant, qu’il n’y a aucune limite à sa Sagesse et à son Amour infinis.
Pour nous, la toute-puissance se caractérise par les grandes choses. Mais elle se révèle encore plus omnipotente quand elle donne à voir le plus grand dans le plus petit. Un adage ignatien affirme : « Ce qui n’est pas contenu par le plus grand (comme l’univers) et qui pourtant est contenu par le plus petit, cela est divin » [1]. Et c’est ce qui se passe à Noël : le plus grand, Dieu lui-même, vient dans le plus petit, un nouveau-né, infiniment vulnérable, de plus, dans une étable, loin de tout soin et de toute sécurité. Le Ciel à fleur de terre ! Oui, cela est divin ! Oui, à Noël, tout est possible !
Il y a quelques heures, j’atterrissais, de retour d’un voyage de mission au Rwanda. Ce tout petit pays, qui fait 1 % de la surface de son grand voisin, la République démocratique du Congo, est pourtant le seul d’Afrique qui a bénéficié d’apparitions reconnues de la Vierge Marie. Entre 1981 et 1989, Notre Dame est d’abord apparue à trois jeunes filles, séparément, puis publiquement. Elle a montré dans des visions terrifiantes ce qui allait arriver en 1994, en invitant vivement à la conversion. Elle fut aussi l’éducatrice de ces voyantes. Elle s’est donc occupée et même préoccupée du plus grand comme du plus petit. Par exemple, un jour, Marie félicitait l’une des trois jeunes filles pour le lavage qu’elle avait effectué ; puis elle ajoutait avec gravité : « Mais regarde, tu as laissé un seau d’eau sale ; or, cette eau attire les moustiques qui transmettent la malaria » (oui, c’est ce mot qu’elle a utilisé dans le kynerwandais, la langue locale). Se présentant comme Mère du Verbe, Notre Dame de Kibého veillait donc à éduquer patiemment à l’attention aux choses les plus infimes et les plus concrètes. Avant le diable, Dieu se cache dans le détail dont le soin est un signe d’amour.
- À Noël, tout est possible ! Si nous ne faisons pas d’obstacle à l’œuvre de Dieu ! C’est l’exemple que donne Rose. C’est le contre-exemple du pays des mille collines qui est celui des mille bénédictions et aussi celui des mille problèmes passés (le génocide) et des mille défis présents.
Retournons-y pour passer du Ciel à la Terre. Précisément, rendons-nous, dans le plus grand parc national, à la frontière de la Tanzanie. Tout en m’émerveillant des rhinocéros blancs, des impalas ou des grues grenet, je me suis épris d’un animal particulier : la girafe ! En effet, le guide m’a appris plusieurs choses d’elle.
Tout d’abord, qui n’a été frappé par la nonchalance paisible qui s’en dégage ? J’en ai compris la raison. La savane se partage entre les carnivores et les herbivores, les premiers étant habités par la combativité avec laquelle ils s’attaquent à leur proie et les seconds par la peur qui leur permet de fuir leur prédateur. Or, bien qu’herbivore, la girafe, du fait de sa taille imposante (5 mètres) et de son poids impressionnant (1 100 kilos), est dénuée de prédateur. Ainsi, ni tendue par l’agressivité, ni tenaillée par la peur, elle avance avec sérénité.
Ensuite, la girafe est le seul grand mammifère à ne pas pousser de cris. Elle se doit donc d’être observatrice de tous les signaux non verbaux émis par ses semblables. Silencieuse, elle ne cesse de scruter calmement son environnement ; ruminante, donc méditante, elle ne cesse de remâcher ce qu’elle a reçu et gardé.
Enfin, toujours comparativement ou relativement, la girafe est l’animal doué du plus grand cœur. La raison en est évidente : elle doit pulser le sang de son muscle cardiaque jusqu’à son cerveau qui est sis trois mètres plus haut.
Comment ne pas se prêter à une lecture symbolique ? Puisqu’à Noël, tout est possible, demandons au Maître de l’impossible d’être, nous de même, des médiateurs de paix, qui écoutent plus qu’ils ne parlent (nous avons deux oreilles et une bouche, pour écouter deux fois plus que nous ne parlons !) et surtout qui aiment, donc qui veulent le bien de leur prochain et servent Dieu d’un cœur sans partage.
Pascal Ide
[1] « Non cœrceri a maximo, contineri tamen a minimo, hoc divinum est ». Cette maxime est tirée de la préface d’Hyperion de Hölderlin et provient d’une oraison funèbre sur saint Ignace de Loyola, dont la source est un anonyme (Imago primi saeculi Societatis Iesu, Antverpiae, 1640) et qui fut reprise par le jésuite hongrois Hevenesi en 1705 dans un recueil de maximes « ignatiennes », les Scintillae ignatiane. Pour une histoire de la maxime, cf. Hugo Rahner, « Die Grabschrift des Loyolas », Stimmen der Zeit, 139 (1947), p. 321-337. Pour un commentaire théologique, cf. Gaston Fessard, La dialectique des Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola. Tome I. Liberté, Temps, Grâce, coll. « Théologie » n° 35, Paris, Aubier, 1966, p. 167-177. Cf. site pascalide.fr : « Le rythme paradoxal de l’être ».