Le Fil
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Pays:
Français
Thème (s):
Culpabilité, Espoir, Innocence, Justice, Vérité
Date de sortie:
11 septembre 2024
Durée:
1 heures 55 minutes
Évaluation:
***
Directeur:
Daniel Auteuil
Acteurs:
Grégory Gadebois, Daniel Auteuil, Sidse Babett Knudsen
Age minimum:
Adolescents et adultes

Le Fil, film de procès français réalisé et coécrit par Daniel Auteuil, 2024. Adapté d’un des récits de l’ouvrage autobiographique de Jean-Yves Moyart, Le Livre de maître Mô, lui-même inspiré d’une histoire vraie. Avec Daniel Auteuil et Grégory Gadebois.

Thèmes

Vérité, justice, compassion, culpabilité et innocence, espoir.

Original, le cinquième long-métrage de Daniel Auteuil qui est autant devant la caméra que derrière, présent autant avant le film (scénariste) que pendant, nous offre une vue profonde sur la vérité et sur l’homme.

 

  1. Les films de prétoire sont pris entre eux extrêmes. Pendant très longtemps, ils ont ressemblé à des polars en huis clos s’achevant par la détermination de la vérité qui, de surcroît, est conviction de justice (Douze hommes en colère, Sidney Lumet, 1956 ; Autopsie d’un meurtre, Otto Preminger, 1959). Avec deux sous-genres. Soit cette vérité est déjà connue, et tout le suspense réside dans sa reconnaissance conduisant au salut de l’innocent ou à la condamnation du coupable. Ce qui devrait constituer l’essence même du film de tribunal. Soit la vérité-justice est encore méconnue, et la trame judiciaire se double d’une histoire policière. Et, loin de nuire à l’unité de l’histoire, ce redoublement avive son intérêt, enrichit le suspense et accroît la jouissance cathartique du spectateur.

Mais, notamment avec ce long-métrage emblématique qu’est Anatomie d’une chute (Justine Triet, 2023), s’est fait jour un tout autre film de procès, qui se refuse résolument à trancher la question de la vérité pratique qu’est la justice et opte très intentionnellement pour laisser le spectateur dans la perplexité, voire dans le trouble – règne de la post-vérité oblige.

 

  1. Vers lequel de ces deux pôles Le fil penche-t-il ? Assurément et heureusement, le premier. Non sans un double déplacement inédit.
  2. Le premier est la subtile dénonciation d’un biais cognitif : l’intime conviction à laquelle on devrait ajouter a priori, tant elle est précoce et prend finalement la forme d’une autre distorsion, le biais de confirmation. En effet, Le fil peut d’abord se lire comme la construction d’un aveuglement qui est d’autant plus efficace que l’avocat entraîne dans sa certitude le spectacteur (en tout cas, je me suis laissé piéger au point de prendre l’avocate générale et la belle-sœur pour des ennemies… jurées de la vérité). En effet, maître Monier l’affirme péremptoirement aux jurés : « Je suis certain de son innocence », alors que ses preuves sont aussi fragiles que le dossier de son adversaire – affirmation apodictique qui est tout autre que le jugement prudentiel en double négation énoncé précédemment : « Je veux éviter toute erreur judiciaire ».

Pourtant, avec grande probité, Daniel Auteuil (le réalisateur et non plus l’acteur) a pris le soin de multiplier les mises en garde contre l’aveuglement. Celles-ci sont de trois ordres.

Les premières sont extérieures. Elles s’incarnent notamment dans l’avertissement d’Annie qui, en tant qu’épouse (ou ex-épouse ?, je n’ai pas réussi à savoir) et avocate, possède la triple et rare qualité de le connaître intimement, de ne rien ignorer des tentations d’un avocat pénaliste et de pouvoir prendre du recul, prévient Jean que, dans sa recherche unilatérale d’arguments en faveur de Nicolas, il ne décoïncide [1] pas pour envisager une autre hypothèse ; dans son investissement à temps plein et plus que plein, il fusionne avec son dossier avant même de fusionner avec son client ; et jusque dans son lexique (« Je suis prêt à tout pour le sauver. – On te demande juste de le sauver »), il s’identifie au Messie lui-même. Or, surtout en matière complexe, surtout lorsque manquent l’aveu formel et le flagrant délit, plus encore, lorsque la noise brouille la cible, la vérité ne peut advenir que de la multiplication et de la confrontation des points de vue (d’une personne) et plus encore des regards (de plusieurs personnes) [2].

Les deuxièmes sont intimes et synchroniques, en l’occurrence affectives. Jean éprouve une profonde compassion pour son client. Dès sa première rencontre, il relève qu’il est davantage centré sur ses enfants que sur lui-même. Par la suite, il ne cessera de relever combien il ne cherche guère à se défendre. Or, l’affectivité démesurée blesse l’intelligence. Innocence (ce trait psychologique qu’est la naïveté) n’est pas innocence (cette qualité éthique qu’est l’absence de faute).

Les troisièmes cécités proviennent d’un mécanisme endopsychique et diachronique. Or, on l’apprend, Jean a une revanche à prendre. Il s’est trompé à propos d’un dangereux récidiviste. Secrètement, ne désirerait-il pas se prouver à lui-même que sa compassion peut ne pas contredire la recherche de la vérité ?

 

  1. En demeurer là serait sans doute vulnérable, voire humble, mais aussi désespérant. Mais est-on enfermé dans cette dialectique tellement cartésienne et tellement française de la raison et de l’émotion ? L’amour est-il décidément un dieu aux yeux bandés ? N’a-t-on pas oublié la leçon du neuroscientifique qui se fait philosophe Antonio Damasio selon laquelle l’affectivité n’est pas l’ennemie, mais la partenaire de la connaissance [3]?

Heureusement, le film – et l’affaire qu’il relate, car le plus troublant et le plus décisif est qu’il narre une histoire réelle – montre une issue inattendue. Certes, il s’avèrera que Maître Monier a une nouvelle fois erré et que le prétendu innocent est un véritable coupable. Mais le plus étonnant est que nous l’apprenions de la bouche même de celui-ci. En un double aveu gradué. Le premier, juste après la condamnation, qui est celui du crime. Le deuxième, encore plus stupéfiant, qui est celui de sa motivation (la pédophilie). Or, on le sait, les abus de pouvoir ne s’accompagnent (presque jamais) d’une reconnaissnce de la faute : à la prédation sexuelle s’ajoute la perversion de sa négation. Comment est-il donc possible que Nicolas en arrive à cette confession formelle ? Il le dit lui-même très explicitement : « Personne ne m’avait respecté ainsi, même pas Roger », son meilleur et seul ami. Ainsi donc, le film nous offre une leçon autrement plus belle et plus noble que la précédente (sur le biais) : loin d’être l’adversaire de la vérité, l’amour y prépare et y conduit. Non plus chez celui qui l’exerce (et risque de sombrer dans la toute-puissance), mais chez celui qui en bénéficie. Décidément, ainsi que l’affirme un psaume souvent mobilisé dans ces critiques, mais ici dans un sens systémique, « amour et vérité se rencontrent » – à quoi l’on peut ajouter la suite, là aussi avec une particulière pertinence pour notre film : « justice et paix s’embrassent » (Ps 84,11).

 

  1. Trois images confirment cette interprétation.

La première réside dans les rêves-cauchemars récidivants à thématique tauromachique. Comme toutes les activités oniriques, ils ont un fondement dans la vie quotidienne (l’histoire instruite par Annie). Mais leur véritable sens est symbolique. En particulier le dernier où la sombre et violente vérité à affronter (la bête) est cernée, mais aussi entourée, contenue, enveloppée par les hommes à cheval.

La deuxième, au tout début, est un travelling qui passe d’une image d’une Madone miséricordieuse à l’avocat qui vient de passer la nuit avec son client et, en relisant la rencontre, naît progressivement à cette empathie profonde : son intuition n’est pas qu’une auto-conviction blessée, mais aussi un don qui vient de plus haut que lui et lui permet d’entrer en résonance avec ce qui, en l’autre homme, demeure intouchée par le vice le plus sordide.

La troisième est le plan final de cette seule rencontre en extérieur entre celui qui est plus qu’un avocat et celui qui est plus qu’un client, sous un ciel lumineux qui s’assombrit avec le temps, tout en demeurant une trouée vers le haut. Même quand la lumineuse vérité se dévêt de toute couleur pour devenir ténèbres, demeure toujours cette ouverture à Celui qui, « riche en miséricorde » (Ep 2,4) attend le retour du prodigue (cf. Lc 15,11-32). « Merci, Maître, vous m’avez redonné de l’espoir ». `

 

Polysémique, Le fil présente un sens littéral (ce fil bleu est-il ou non une preuve à charge ?), éthique (la vérité est un long fil d’Ariane qui ne se dévoile qu’à celui qui patiemment le déroule) et eschatologique (le jugement ne tient qu’à un fil).

Pascal Ide

[1] Au sens développé par François Jullien, Politique de la décoïncidence, Paris, L’Herne, 2020.

[2] « Dès lors qu’il y a jugement, il y a bruit » (Daniel Kahneman, Olivier Sibony et Cass R. Sunstein, Noise. Pourquoi nous faisons des erreurs de jugement et comment les éviter, trad. Christophe Jacquet et Olivier Sibony, Paris, Odile Jacob, 2021, p. 260).

[3] Cf. Antonio R. Damasio, L’erreur de Descartes. La raison des émotions, trad. Marcel Blanc, Paris, Odile Jacob, 1995 ; Spinoza avait raison, trad. Jean-Luc Fidel, Paris, Odile Jacob, 2003. Cf. site pascalide.fr : « Une conception intégrale de l’émotion ».

Maître Jean Monier (Daniel Auteuil), avocat pénaliste a renoncé à défendre des criminels, depuis qu’il a obtenu l’acquittement d’un assassin, récidiviste voici quinze ans. Mais à la suite d’une garde à vue à laquelle ne veut pas se rendre son ex-épouse, Maître Annie Debret (Sidse Babett Knudsen), un nouveau cas d’Assises se présente à lui : un père de famille paisible et affectueux, Nicolas Milik (Grégory Gadebois), est placé en détention, parce qu’il est accusé du meurtre de sa femme, alcoolique. L’affaire émeut maître Monier, convaincu de l’innocence de l’accusé. Roger Marton (Gaëtan Roussel), patron du bar « Chez Roger », meilleur et seul ami de Nicolas, également mis en cause dans l’affaire, meurt en prison.

Monier s’engage avec humanité dans la défense de l’accusé, contre la sœur de celle qui fut assassinée, Audrey Girard (Aurore Auteuil), qui est convaincue de la culpabilité de son beau-frère, et contre l’avocate générale, Adèle Houri (Alice Belaïdi), qui, intraitable, cherche à établir la preuve de la culpabilité de Milik, et sous la direction de la présidente (Isabelle Candelier). L’intime conviction que maître Mô partage avec Maître Judith Goma (Suliane Brahim) ne l’aveugle-t-elle pas, comme le pense Annie ? Nicolas est-il coupable ou innocent ? Pourrons-nous le savoir ? Aurons-nous accès à une preuve indubitable ou à un aveu formel ?

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