Soi-même par un autre. Ou comment Peter Pan redevient un enfant

Le film fantastique de Steven Spielberg, Hook ou la revanche du capitaine Crochet, 1991), est une heureuse illustration de la loi de vie que l’on n’accède à soi que par autre que soi. Peter Banning, alias Peter Pan (Robin Williams), a perdu son identité, son imagination, sa mémoire. Spielberg inverse donc l’interprétation traditionnelle de Peter Pan qui en fait un adolescent incapable de grandir et de devenir un adulte responsable, un enfant jouisseur sans autre ni lendemain. Ici, nous avons affaire à un quadragénaire marié qui, en revanche, a totalement oublié l’enfant du pays imaginaire. Et, de ce fait, ne sait pas jouer avec ses propres enfants.

Dans l’une des plus belles et des plus émouvantes scènes [1] – en accès libre sur Youtube [2] –, Peter essaie de convaincre les Enfants perdus d’aller délivrer ses enfants des mains du Capitaine Crochet qui veut les tuer. Mais comment ceux-ci accepteraient-ils ? Leur monde, manichéen, est le suivant : les adultes, synonymes de pirates d’un côté, les enfants dont Peter demeure le paradigme, de l’autre côté. Plus encore, comment Clochette peut-elle croire qu’un homme trop vieux, qui « a du bide » et des enfants, ne connaît même pas les jeux les plus élémentaires, et surtout « ne sait pas voler, se battre et pousser son cri », est le légendaire Peter Pan ? En désespoir de cause, une ligne de partage est tracée sur le sol ; mais tout le monde rejoint son jeune rival, Rufio (Dante Basco), et le laisse seul derrière la ligne qui sépare les méchants adultes et les innocents enfants. Seul ? Non pas. Demeure un tout jeune garçon surnommé « Pockets » (Isaiah Robinson) qui, lui, est véritablement innocent. Étrangement, il ôte les lunettes de Peter, prostré, accablé, et commence à se livrer à ce qui semble un massage. Peter est arrivé à un tel point de lassitude et de découragement, voire d’humiliation, qu’il se laisse faire. En fait, le massage recherche un message. Silencieux, infiniment attentif, il s’avère être à une exploration, plus, un remodelage, une méta-morphose. Et soudain éclot le miracle : l’enfant fait naître sur le visage si sérieux et si triste, un sourire, puis un rire. Alors, fuse l’exclamation émerveillée : « Oh, tu es là, Peter ! » L’enfant Peter n’avait pas disparu. Il était uniquement perdu, oublié. Seul un autre enfant pouvait, de l’extérieur, le reconnaître, le révéler, actualiser la mémoire. Décidément, l’on n’accède à soi que par autre que soi. L’introspection – qui est fille de l’illusion cartésienne d’un cogito transparent – n’aboutit souvent qu’à une image déformée de soi. De ce fait, Peter ne peut s’auto-guérir tant les blessures sont profondes. Pour autant, l’enfant-médecin ne peut que révéler ce qui existe déjà en lui ; il n’a pas d’autre pouvoir que celui de réveiller les semences de vie présentes chez le patient.

Pascal Ide

[1] Il s’agit de la scène 11. Elle se déroule de 0 h. 55 mn. sec. à 0 h. 58 mn. 00 sec.

[2] Site consulté le 17 novembre 2023 : https://www.youtube.com/watch?v=0AkJ5HlzIGs

4.12.2023
 

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