Oppenheimer versus Barbie

Le mercredi 19 juillet dernier, sortaient sur nos écrans deux des blockbusters les plus attendus de l’été : Oppenheimer (écrit et réalisé par Christopher Nolan) et Barbie (lui aussi co-écrit et réalisé par Greta Gerwig). Et les spectateurs américains (mais pas que !) ont souhaité comparer les deux machines hollywoodiennes, au point que certaines salles de cinéma ont proposé l’achat d’un double ticket (à prix réduit, of course !). Or, tout les oppose.

Certes, dans le genre : d’un côté, un biopic, de l’autre, un récit doublement fictionnel, puisque Barbieland est un monde parfait irréel et irréalisable ; d’une part, un drame qui s’avère être une tragédie ; d’autre part, une comédie.

Certes aussi, dans les postures totales des réalisateurs qui s’avèrent aussi être scénaristes (pour être précis, Barbie n’est que co-écrit par la cinéaste) : l’équilibre éthique et métaphysique qui confine au mystérique de Nolan versus le féminisme militant et affiché de Greta Gerwig pour qui l’avenir de la femme est aussi indéterminé que son identité [1].

Mais surtout dans le contenu. D’abord, quant à l’intention : d’un côté, la mise en garde vis-à-vis des prétendus affranchissements humains à l’égard non seulement des lois morales (tuer massivement des innocents), mais des lois physiques (la théorie ne garantit pas à 100 % que la réaction en chaîne initiée par la fission de l’atome d’uranium s’arrêtera) ; de l’autre, l’incitation à de multiples et trompeuses désaliénations, éthiques, mais aussi anthropologiques, voire métaphysiques (l’abandon de l’immortalité pour entrer dans la finitude de l’être-pour-la-mort), et ultimement religieuses (relecture de la chute comme libération du joug divin). Ensuite quant aux moyens : d’un côté, la loi qui, en limitant l’homme, lui rappelle heureusement que seul Dieu est purement et simplement infini, et surtout qu’en distinguant le bien et le mal, l’homme vulnérable est aussi responsable de promouvoir le premier et de conjurer le second ; de l’autre, la prétendue levée des normes (les adages soixante-huitards ne sont jamais loin : « Il est interdit d’interdire » ; « Sous le pavé, la plage » ; n’oublions pas que le wokisme n’est rien d’autre que la digestion américaine, donc pragmatique et autrement plus efficace, de la French theory promue sur les barricades estudiantines) par la dissémination des désinhibitions psychologiques, des désaffiliations sociales et des dérégulations juridiques qui, sur le long terme, conduiront à de nouvelles dépendances et de douloureuses pathologies (souvenons-nous de la contagion du sida qui, si elle n’est assurément pas un châtiment divin, fut en revanche en partie le résultat du désordre moral).

Enfin quant au spectateur : si apparemment Barbie au sourire ensoleillé de Margot Robbie paraît destiné à toute la famille et Oppenheimer à un public apte à encaisser un spectacle horrifique, l’inversion des valeurs invite à une inversion des critères de choix…

[1] Osons rappeler que la seule relation à l’aventure diffère chez l’homme et chez la femme : s’il serait sexiste d’éliminer la femme de l’aventure ainsi que tant d’écrivains (par exemple, Conan Doyle) et bédéistes (par exemple, Edgar P. Jacobs) l’ont si longtemps fait, réservant dans le meilleur des cas le sexe prétendument faible au repos de l’aventurier, en revanche, il semble véridique d’affirmer que le premier aime vivre le risque de l’aventure en solo ou entre gars, alors que la seconde, elle, apprécie de la vivre accompagnée de son homme. Ajoutons que si John Eldredge attribue trop exclusivement et asymétriquement à l’homme la protection de la femme (mais que faisait donc Adam lorsqu’Ève était tentée ?), non sans courir de réinviter le machisme, il faudrait plutôt distinguer deux modalités différenciées de la protection, qui, selon Blaise Pascal, est l’acte de la force (également, mais diversement exercée selon les sexes) : l’homme a besoin de se sentir enveloppé par la femme, de manière discontinue, peut-être au début, assurément au terme de son action, lorsqu’il retourne at home où, comme dans les westerns de John Ford, sa Belle accueille le père de ses enfants et l’époux de son amour ; la femme, elle, aspire à éprouver en continu cette présence forte et douce où elle puise sa fécondité et une énergie souvent plus durable.

Pascal Ide

4.8.2023
 

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