Moralisme et psychologisme, recto et verso d’une même erreur

Nous oscillons souvent entre une conception moraliste et psychologiste de l’homme. La première survalorise notre volonté, jusqu’à la toute-puissance, la seconde surinvestit l’involontaire, jusqu’à l’impuissance. Selon les personnes, mais aussi, pour une même personne, selon les périodes de la vie, prédomine la tentation et l’illusion, soit que, avec un effort, elle pourra toujours y arriver, soit que, quel que soit ses résolutions, elle n’y arrivera jamais.

Cette double vision tronquée de l’homme s’enracine dans notre histoire, moderne et contemporaine ; plus encore, elle est la projection actuelle de ces deux phases de notre histoire.

Le projet de la modernité tel qu’il apparaît à la Renaissance, par exemple avec Marsile Ficin et plus encore Pic de la Mirandole (xve siècle) et qui se précisera avec René Descartes (1596-1650), a placé l’homme au centre de l’univers. Que ces auteurs soient chrétiens n’y change rien, et les successeurs ne s’y sont pas trompés. Précisément, l’homme est exalté dans son esprit. Certes, on le sait souvent obscurci (en son savoir) et faible (en son vouloir), mais le monde moderne se propose comme un vaste projet de reconstruction de ces limites pour que l’homme accède enfin à une vraie transparence à lui-même et à une absolue maîtrise de soi, donc à une plénière possession de ces deux capacités spirituelles que sont l’intelligence et la volonté. Tel est le projet d’autoconstitution ou d’autofondation qui va caractériser la modernité, libre de toute donation antérieure : la vérité s’identifiera à l’évidence sans reste et la liberté à la maîtrise de son agir sans conditionnement.

L’homme n’allait pas tarder à déchanter et se rendre compte du caractère prométhéen de son projet. Le penseur allemand Frédéric Nietzsche (1844-1900) sera le chantre adulé de la destitution de l’homme. Aussi haut l’homme s’est élevé, aussi bas va-t-il l’abaisser. Ce que l’homme prend comme son essence n’est que le reflet des illusions véhiculées par le langage. Marx et Freud vont prendre le relai. Le soupçon va gagner et l’on va découvrir que cette maîtrise du sens et des pulsions n’est qu’un avatar.

Appliquons ces remarques historiques à notre sujet. Nous sommes les héritiers de cette double tendance dont nos manières d’agir portent des traces très nettes. L’exaltation de l’homme se traduit par l’illusion du moralisme et l’humiliation de l’homme par celle du psychologisme. Ces deux visions de l’homme sont aussi partielles, tronquées et donc erronées l’une que l’autre, même si elles nous révèlent quelque chose de l’homme.

Le juste regard sur l’homme blessé est un fil tendu entre les deux abîmes du moralisme et du psychologisme, sur lequel, joyeux, glisse le funambule qu’est tout acte humain. Celui qui moralise l’acte blessé se trompe, car il réduit l’acte à ce qui apparaît. Celui qui le psychologise se trompe aussi, car, tout à l’opposé, il le réduit à ce qui est aussi involontaire qu’inapparent. En vérité, l’acte humain est un palimpseste : la conscience écrit sur le parchemin de l’inconscient. L’Evangile nous a appris qu’il est impossible de définitivement séparer le bon grain de l’ivraie.

Pascal Ide

13.12.2021
 

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