L’homme, création inachevée selon Marie Balmary

L’une des intuitions fondamentales du troisième livre de Marie Balmary, La divine origine, est que la création de l’homme est inachevée [1]. Le premier récit de la création en Gn 1 en offre plusieurs signes.

D’abord, l’achèvement de l’œuvre est signifié par l’affirmation : « Et Dieu vit : que c’est bien ! » (ou : « Cela est bon »). On en a un contre-exemple : le second jour, lors de la séparation des eaux par la voûte (v. 8). Et cela s’explique, car la finalité poursuivie est que la terre soit habitable ; or, elle ne l’est que séparée de l’amas des eaux d’en bas et cela n’est fait que le troisième jour où il est en effet dit : « Et Dieu vit : que c’est bien ! » (v. 10) Or, pour la création de l’homme, cette formule est absente. C’est donc que la création de l’humain est inachevée.

Les trois autres arguments sont tirés des versets 26 et 27 ici traduits littéralement : « Et Dieu dit : ‘Faisons adam [des humains] en notre image, comme notre ressemblance.’ Et Dieu créa l’adam en son image, en image de Dieu il le crée, mâle et femelle, il les créa. »

Le verbe créer (bara), par opposition à faire, est utilisé trois fois, et une fois le verbe faire (asa). Or, dans la Bible hébraïque, seul Dieu est le sujet du verbe créer, alors que le verbe faire a d’autres sujets possibles. Il est donc clairement affirmé que Dieu crée l’homme. Mais cette explication suffit-elle à épuiser le sens du texte ? Pourquoi est-il aussi dit, et cette parole est de surcroît placée dans la bouche de Dieu, que l’homme est fait ? André Wénin suggère que ce faire se distingue du créer en ce que l’homme en a la charge, en est le responsable. Par le pluriel « faisons », à la première personne du pluriel, « Dieu se parle non seulement à lui-même, comme on le dit souvent, mais aussi aux humains pour les inviter à parachever par leur ‘faire’ l’agir créateur de Dieu [2]. »

De plus, le verset 27 dit que les humains sont créés « mâles et femelles » ; or, mâles et femelles ne sont pas encore hommes et femmes, ils ne le sont que potentiellement ; c’est donc que Dieu crée l’être humain de manière inachevée. Précisément, cette potentialité ne s’achèvera que par une rencontre. En effet, Dieu crée des sujets. Mais l’homme ne s’humanise pleinement que dans la rencontre : le « je » ne devient pleinement « je » que par le « tu ». Or, celle-ci est de l’ordre du « faire » humain. Donc, là encore, l’inachèvement de la création de l’homme par Dieu est patent, et intentionnel.

Enfin, les versets 26 et 27 nouent une première fois ensemble « image » et « ressemblance » puis ne font plus mention que de l’« image ». Or, comment interpréter cette étonnante disparition, dissymétrique, de « ressemblance » ? On le sait, souvent, les Pères et les Docteurs de l’Église ont interprété la distinction ainsi : l’image concerne la nature inaliénablement donnée par Dieu et la ressemblance la grâce que l’homme peut perdre. Dès lors, il revient à l’homme qui ne peut pas perdre l’image, de trouver, par son « faire », la ressemblance perdue – non sans la grâce de Dieu, bien entendu [3].

Pascal Ide

[1] Cf. Marie Balmary, La divine origine. Dieu n’a pas créé l’homme, Paris, Grasset, 1993, notamment p. 76-78, p. 80-86, p. 109-116.

[2] André Wénin, « Pas seulement de pain ». Violence et Alliance dans la Bible, coll. « Lectio divina » n° 171, Paris, Le Cerf, 1998, p. 27.

[3] Marie Balmary cite en ce sens Origène et saint Basile de Césarée (La divine origine, p. 113-116).

1.10.2022
 

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