L’étoile, une leçon de vie (dimanche de l’Épiphanie, 7 janvier 2024)

Pourquoi Dieu s’est-il manifesté aux mages par une étoile ? Notamment pour trois raisons .

 

  1. Tout d’abord, Dieu multiplie les chemins pour rejoindre les hommes, chacun là où il en est.

Sainte Thérèse avait appris du Père Pichon : « Il y a bien plus de différence entre les âmes qu’il n’y en a entre les visages [1] ». Voire, il y a encore plus de différence entre nos histoires saintes qu’il n’y en a entre nos âmes. Aussi, Dieu qui fait toutes choses « avec sagesse et par amour » (quatrième prieure eucharistique) se manifeste-t-il différemment à des personnes différentes, ainsi que l’observe saint Thomas : aux justes Syméon et Anne, en les conduisant « par une impulsion intérieure du Saint-Esprit » ; aux bergers qui sont Juifs eux aussi, mais peu sensibles à ces motions intimes, en les instruisant par les anges (« les juifs étaient accoutumés à recevoir les réponses divines par l’entremise des anges ») ; et aux mages par des signes cosmiques : « les païens, et surtout les astronomes, étaient accoutumés à observer le cours des étoiles [2] ».

Et Thèrèse avait tiré la leçon de cette profusion inventive : « Aussi est-il impossible d’agir avec toutes de la même manière ». Et de donner un exemple : « Avec certaines âmes, je sens qu’il faut se faire petite, ne point craindre de m’humilier en avouant mes combats, mes défaites ; voyant que j’ai les mêmes faiblesses qu’elles, mes petites sœurs m’avouent à leur tour les fautes qu’elles se reprochent et se réjouissent que je les comprenne par expérience. Avec d’autres j’ai vu qu’il faut au contraire pour leur faire du bien, avoir beaucoup de fermeté et ne jamais revenir sur une chose dite. S’abaisser ne serait point alors de l’humilité, mais de la faiblesse [3] ».

Et nous ? Comment Dieu nous a-t-il rejoint ? Parfois, nous nous comparons et regrettons de ne pas avoir une conversion forte comme celle de Charles de Foucauld. Pourtant, « les œuvres de Dieu sont parfaites » (Dt 32,4). Et nous-même, adaptons-nous notre pédagogie, notre catéchèse différemment à chacun de ceux qui nous sont confiés ?

 

  1. Ensuite, l’astre nous rappelle que Dieu nous conduit par la nature, ce qui ne signifie pas que c’est la nature seule qui conduit nos vies.

C’est ce qu’explique un commentaire d’un Père cappadocien, saint Grégoire de Nazianze [4] : au ive siècle où il parle, pour les païens, ce sont les astres, les lois du cosmos, qui gouvernent le monde et l’homme, avec lui. Or, dans l’épisode de la venue des mages, l’on découvre que, certes, ceux-ci sont conduits par l’étoile. Mais c’est Dieu lui-même qui décide de son apparition, de son éclipse momentanée, de sa réapparition, et qui montre la nécessité de compléter son enseignement par celui, autrement plus précis, de la Parole de Dieu. Autrement dit, ce n’est pas la nature qui nous commande avec nécessité, mais un Dieu personnel qui gouverne les astres et les emploie à sa convenance. Aussi, explique le Père de l’Église, « le moment où les mages, guidés par l’étoile, adorèrent le nouveau roi, le Christ, marqua la fin de l’astrologie, parce que désormais les étoiles tournaient selon l’orbite déterminée par le Christ [5] ».

Et nous ? Pensons-nous que Dieu est maître du cosmos ? Savons-nous recueillir les signes que le Créateur nous y donne ? Cherchons-nous Dieu au sein de la nature qu’il nous donne, par exemple, dans la limpidité particulière de la lumière en ce mois de janvier ? Inversement, notre époque est-elle si différente de celle de saint Grégoire, aujourd’hui où presqu’un journal sur deux a son horoscope ? Peut-être n’est-il pas inutile de nous rappeler combien c’est Dieu et non pas les astres qui conduisent nos vies. Saint Paul opposait la vie « selon le Christ », c’est-à-dire sous la seigneurie du Christ, condui et la vie sous la seigneurie des « éléments du cosmos » (cf. Col 2,8).

 

  1. Enfin, et si l’étoile elle-même avait un enseignement à nous délivrer ? Dieu n’accorde-t-il pas une attention toute particulière aux étoiles, lui qui « appelle chacune par son nom » (Is 40,26). Le psalmiste fait même un rapprochement étonnant : « Le Seigneur guérit les cœurs brisés et soigne leurs blessures. Il compte le nombre des étoiles, il donne à chacune un nom » (Ps 146[147],3-4). Quelle attention ! Quand on songe qu’il y a plus de 100 fois plus d’étoiles dans notre galaxie que d’hommes sur notre Terre, soit plus de 100 milliards d’étoiles, et qu’il y a plus de 100 milliards de galaxies !

Et chaque étoile est à elle seule un enseignement. Il n’y a pas plus simple que la constitution d’un astre. Si rares soient les particules dispersées dans le vide intersidéral, elles sont attirées par la force de gravitation. Elles commencent à s’agglomérer de plus en plus. Au début, le corps stellaire est informe, puis quand il atteint une certaine taille, il s’équilibre et adopte une configuration sphérique. Plus la matière s’accumule, plus elle se condense, toujours sous l’effet de la masse. Mais, en se densifiant, la matière chauffe, comme l’air lorsqu’on le presse avec une pompe à vélo, sauf que les températures sont ici considérablement plus élevées. Or, à une certaine chaleur, la matière change d’état et se met à rayonner. Les forces qui, jusque là étaient seulement dirigées du dehors vers le dedans, à savoir les forces gravitationnelles, sont équilibrées par des forces désormais tournées vers l’extérieur, celles de rayonnement électromagnétique. Bref, l’étoile se met à irradier.

Or, et voilà je voulais en venir, ce rayonnement présente trois caractéristiques. Il se produit tout de suite. Il n’y a donc pas besoin de déclencer le processus. Ce rayonnement se produit dès que l’étoile possède une quantité suffisante de matière (et la matière la plus simple qui soit : l’hydrogène présent dans l’univers). Ensuite, cette irradiation diffuse dans toutes les directions sans exception : Dieu « fait lever son soleil sur les bons comme sur les méchants » (Mt 5,45). Enfin, cette diffusion de lumière est centrifuge, uniquement tournée vers les planètes, sans nul retour vers le soleil, et cela toute la durée du rayonnement (qui, pour une étoile de taille moyenne comme le Soleil, est de rien moins que 10 milliards d’années !). Ainsi, ces étoiles qui, avec la lumière (cf. Gn 1,2) font partie des toutes premières créatures, nous parlent-elles du Créateur : elles donnent sans retard, sans restriction et sans retour.

Et moi-même (je ne dis pas : mon conjoint, mon enfant, mon collègue !), comment est-ce que je donne ? En particulier, est-ce que je reprends de la main gauche ce que j’ai donné de la main droite ? Et si, en ce début d’année, je prenais la décision, chaque jour, au moins une fois, de donner sans attendre de retour et sans procrastiner ? Comme une étoile. Alors Dieu me conduirait, comme il conduit chaque étoile qu’il appelle par son nom.

Pascal Ide

[1] Ms C, 23 v°.

[2] Somme de théologie, IIIa, q. 36, a. 5.

[3] Ms C, 23 v°.

[4] Cf. Poèmes dogmatiques V, 53-64 : PG 37, 428-429.

[5] Benoît XVI, Lettre encyclique Spe salvi sur l’espérance chrétienne, 30 novembre 2007, n. 5.

7.1.2024
 

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