Les 4 sens de la nature Chapitre 13 Annexe 25 et 26 : Quelle classification des émotions et Les quatre étapes du deuil selon Christophe Fauré

Annexe 25. Quelle classification des émotions. Saint Thomas, Laborit et Cie 

Pour cela, je m’aide de la grille d’émotions élaborées par saint Thomas d’Aquin dans sa Somme de théologie, Ia-IIæ, q. 22-48, en particulier q. 23 et 25. Bien qu’ancienne, elle demeure la classification la plus précise que je connaisse. Par exemple, la distinction fight or flight, affectionnée des anglosaxons, outre son behaviorisme, réduit les réactions face au danger ou au mal à la colère et à la peur. La classification des trois réactions de défense, mise en évidence par Henri Laborit chez l’animal et chez l’homme, la fuite, la lutte, le repli, est fondée sur trois émotions de base : la peur, la colère et la tristesse. Plus riche que la précédente, toutefois, elle ignore la culpabilité et réduit le désespoir à être une forme aiguë de la tristesse [1].

Annexe 26. Les quatre étapes du deuil selon Christophe Fauré 

Qui ignore les cinq étapes décrites par le médecin suisse Élisabeth Kubler-Ross : déni, colère, marchandage, tristesse et acceptation [2] ? Le psychiatre spécialiste du deuil Christophe Fauré a reconfiguré ces étapes en quatre [3] :

1) Le déni, le choc et la sidération

Dans cette première étape, le patient (comme l’entourage), même préparé, refuse les faits qui sont trop intensément douloureux et pourraient conduire à la « folie ». Il ne peut entrer d’un coup et doit donc le faire progressivement. Cette étape se caractérise donc par un évitement de la douleur et de l’intériorité qui en est la condition.

2) L’attente, la fuite et la recherche

Puis, survient le vide et la perte qui en est la cause ; or, ces constats objectifs sont accompagnés d’une décharge émotionnelle intense : la tristesse et l’angoisse de la perte.

Alors, ce qui caractérise cette étape est, tout au contraire, une recherche intense de présence du disparu : alors il veut « retrouver coûte que coûte le défunt et annuler sa mort dont l’idée reste encore intolérable [4] ». La conséquence en est encore la fuite, l’hyperactivité, une certaine confusion et désorientation.

3) La déstructuration

La cause en est que, le temps passant, les souvenirs s’estompent, les liens sont moins intensément ressentis, se désagrègent, voire les repères disparaissent. Alors, la personne éprouve un grand besoin de liens et de sens. En même temps, sa souffrance atteint son maximum, sous forme de désespoir, de peur, de colère, voire de révolte.

4) La restructuration

C’est le début de la sortie du deuil et donc « d’un retour à la vie [5] ». Il se traduit par une reconfiguration des liens : « redéfinition de la relation à autrui et au monde ; redéfinition de la relation au défunt ; redéfinition de la relation à soi-même [6] ». Et par l’émergence d’un nouveau sens : « il existe potentiellemnet un espace de vie où on peut recommencer quelque chose d’autre [7] ».

 

Ajoutons que Fauré refuse la notion de « travail de deuil », parce que, selon lui, ces étapes sont un processus naturel, une « transition mentale, personnelle et émotionnelle [8] ». Il y a sans doute un processus spontané, prévu par la nature ; toutefois, il ne va pas sans un certain nombre de décisions, ainsi que l’atteste les postures victimaires qui stagnent et récupèrent la perte pour se plaindre.

En revanche, en se contredisant (il parle de « travail de deuil » !), le psychiatre ajoute justement que le pardon est nécessaire : « Le lent travail de deuil ne consiste-t-il pas aussi, à faire la paix avec celui qui est parti, en dépit de tout ce qui reste à partager et à pardonner [9] ? » De ce point de vue, il serait précieux que notre civilisation thermo-industrielle mette en place des processus, voire des rituels de réparation des injustices et de reconnaissances des responsabilités [10].

Pascal Ide

[1] Cf. la vulgarisation et l’application à la psychothérapie par Catherine Aimelet-Périssol, Comment apprivoiser son crocodile. Écoutez le message caché de vos émotions pour progresser sur la voie du bien-être, coll. « Réponses », Paris, Robert Laffont, 2002.

[2] Cf. Elisabeth Kübler-Ross, Les Derniers instants de la vie, trad. Cosette Jubert et Étienne de Peyer, Genève, Labor et fides, 1975.

[3] Cf. Christophe Fauré, Vivre le deuil au jour le jour, Paris, Albin Michel, 2012.

[4] Cf. Ibid., p. 70.

[5] Cf. Ibid., p. 129.

[6] Cf. Ibid., p. 131.

[7] Cf. Ibid., p. 134.

[8] Cf. Ashlee Cunsolo & Karen E. Landman (éds.), Mourning Nature. Hope at the Heart of Ecological Loss and Grief, Montréal (Québec), McGill-Queen’s University Press, 2017, p. 275.

[9] Cf. Christophe Fauré, Vivre le deuil au jour le jour, p. 317.

[10] Cf. Joanna Macy et Molly Young Brown, Écopsychologie pratique

4.1.2021
 

Les commentaires sont fermés.