Le corps dans le cinéma américain grand public des années 2000

La représentation du corps dans le cinéma américain grand public a changé depuis une dizaine d’années, disons – s’il faut donner une date emblématique – depuis le premier film de la série des Batman.

Le corps est plus éclaté. La prise de vue morcelle les plans ; la caméra fragmente le mouvement du corps en action (je songe par exemple à Mission impossible I et II). Le cinéma a emprunté aux game boys, au clip, à la publicité leur manière de resserrer le montage. On sait que l’œil et le cerveau du jeune est aujourd’hui capable de déchiffrer des images qui échappent à leurs aînés. Il y a aussi le désir de nous situer en plein dans l’action, d’effacer la différence spectateur-acteur.

Le corps est aussi plus violent. C’est pour une part une conséquence de l’éclatement. Si l’érotisme est peut-être moins présent, la violence l’est davantage : depuis Timothy Dalton et Pierce Brosnan, les James Bond sont devenus presque monogames et les jolies femmes très habillées, mais les corps se déchirent plus. Cette hyperviolence devient même gratuite, comme dans les films de Tarentino ou la série à succès des Scream. La violence, subie ou voulue, juste ou injuste, s’efface au profit du seul impact d’affects sanguinolents éclatant sur la toile dans un chaos vociférant. L’image ne sert plus l’esprit mais le dessert. Cette évolution est inquiétante : désormais, la distinction ne passe plus entre ceux qui usent justement de la force et injustement de la violence tous les personnages sont indistinctement  on passe de la passion à la pulsion

Ces deux premières caractéristiques sont plus négatives et même inquiétantes. Mais le corps que montre le cinéma fait aussi davantage rêver. A la suite du succès phénoménal de la saga Star Wars, la science-fiction s’est rajeunie. Les progrès de la maîtrise des techniques du virtuel y sont pour beaucoup ; l’évolution des budgets aussi : qu’on songe aux 150 millions de dollars du premier film à effets virtuels conséquents, Jurassik Park 1 ou aux 220 millions de dollars (au moins) du Titanic qui ont permis de construire un paquebot atteignant 90 % du navire réel. Mais, là encore, on sent une évolution régressive : les possibilités techniques sont telles que le réalisateur est tenté de préférer l’image-choc au symbole porteur de sens. La passion laisse la place à la pulsion. D’ailleurs, le spectateur ne s’y trompe pas, lui qui a boudé Indiana Jones et le temple maudit, au scénario évanescent, mais a ovationné le troisième de la série (La dernière croisade), à l’histoire bien construite et jubilatoire.

Une conséquence de ces caractéristiques (qui sont combinés au mieux dans l’excellent Matrix) n’est pas sans importance pédagogique : ce corps en morceaux, pulsionnel mais aussi porteur de songes rend plus dépendant. Comme d’une drogue, le corps du spectateur est en recherche d’effets visuels gonflés à l’adrénaline. Il ne s’éclate que s’il voit des corps s’éclater, de plus en plus. D’où les clones français des films américains, type Taxi 2.

Application concrète : le cinéma outre-atlantique est un bon produit de divertissement mais à consommer avec modération, et surtout en alternance avec des films plus méditatifs. Au fait, pourquoi ne se louerait-on pas une vidéo de Rohmer ce soir ?

19.2.2018
 

Les commentaires sont fermés.