L’adoucissement progressif de Mickey : la preuve par le visage

Dans un article justement fameux, Stephen Jay Gould, paléontologue et professeur d’histoire des sciences à l’université de Harvard, s’est interrogé sur l’évolution des visages de Mickey dessinés par Walt Disney. Pour être distrayant, l’écrit est aussi très instructif . Ayant primitivement étudié ce texte en logique dans L’art de penser (1992), nous en proposerons brièvement une double lecture logique : plus narrative (le plan) et argumentative (l’ordre de démonstration).
1) Lecture du texte
a) Les faits
Du point de vue psychologique, l’évolution de Mickey montre qu’il s’humanise. Au début, il est même légèrement sadique. Dans leur première apparition à l’écran, Steamboat Willie (1928), « Mickey et Minnie rouent de coups et maltraitent les animaux qui se trouvent à bord du bateau à vapeur […]. Ils font couiner un canard dans une étreinte fougueuse, tournent la queue d’une chèvre comme une manivelle, tordent les mamelles d’une truie, se servent des dents d’une vache comme d’un xylophone et jouent de la cornemuse avec son pis ».
Or, cette évolution intérieure s’accompagne d’un progrès anatomique : Mickey rajeunit. En effet, « les enfants, quand on les compare aux adultes, ont une tête et des yeux plus grands, des mâchoires plus petites, un crâne plus proéminent et bombé et des pieds et des jambes plus petits et plus potelés ». Or, Mickey a parcouru le chemin organique inverse : « Pour lui donner les jambes plus courtes et plus potelées d’un enfant, ils abaissèrent la taille et couvrirent les jambes efflanquées d’une sorte de pantalon flottant. […] Sa tête devint relativement plus grosse et ses traits plus juvéniles. La longueur du museau de Mickey n’a pas varié, mais plus subtilement, c’est un épaississement prononcé qui le fait apparaître moins saillant. L’œil de Mickey a grossi » (p. 114) et le crâne de même.
Ainsi, la silhouette de Mickey rajeunit, tandis que son psychisme et sa moralité s’améliorent.
b) Les causes
« Pourquoi Disney a-t-il voulu modifier son personnage le plus célèbre de manière si progressive et toujours dans la même direction ? »
1’) Preuve
Gould énonce d’abord le principe : « Dans un de ses articles les plus célèbres, Konrad Lorenz affirme que les humains utilisent des différences caractéristiques de forme entre les bébés et les adultes comme d’importantes indications de comportement ».
Puis il applique ce principe général. Ainsi, « il pense que des traits juvéniles entraînent chez les adultes humains des ‘mécanismes de déclenchement innés’ [ce que l’on appelait autrefois les instincts] pour l’affection et le soin des petits. Lorsque nous voyons un être vivant possédant des traits de bébé, nous ressentons immédiatement un élan automatique de tendresse désarmante ». Lorenz précise notamment : « Une tête relativement importante, un crâne disproportionné, de grands yeux placés bas, le devant des joues fortement bombé, les extrémités courtes et épaisses, une consistance ferme et élastique et des gestes gauches ».
En conséquence : « Disney a agi de manière successive sur les principaux déclencheurs fondamentaux de Lorenz ». (p. 115 et p. 116)
Enfin, Gould en tire la conclusion : « Les caractéristiques abstraites de l’enfance humaine provoquent en nous de puissantes réactions émotionnelles, même lorsqu’elles apparaissent chez d’autres animaux. J’émets l’opinion que l’évolution régressive suivie par Mickey au cours de sa croissance reflète la découverte inconsciente de ce principe biologique par Disney et se artistes ». (p. 119)
2’) Confirmations
« Donald, lui aussi, a rajeuni avec le temps. Son bec s’est raccourci et ses yeux se sont agrandis […]. Mais Donald, ayant hérité de la mauvaise conduite qui était originellement celle de Mickey, reste plus adulte dans ses formes avec un bec en avant et un front plus incliné ».
Inversement, « les méchantes souris, adversaires de Mickey, ont, au contraire, toujours une silhouette plus adulte, bien qu’elles partagent souvent avec Mickey le même âge chronologique ». (p. 119 et 120)
2) Analyse du texte
Reprenons le texte et considérons le type de démonstration qu’il met en œuvre. La thèse est claire : Mickey rajeunit pendant que son caractère s’améliore. La première partie du texte le montre inductivement à partir de différents paramètres : la taille du crâne, des yeux, etc. Mais l’intelligence reste insatisfaite et demande pourquoi. Autrement dit, elle désire passer du fait à la cause. Se fondant sur les travaux de Lorenz, Gould propose en fait une hypothèse (ou une théorie) dans la seconde partie de son texte : les dessinateurs veulent que leur héros soit accueilli ; or, un héros au traits enfantins est toujours accueilli ; donc… Mais ce raisonnement ne peut conclure (quant à la forme, c’est-à-dire la disposition de ses termes). Ce n’est qu’un enthymème.
Le biologiste Gould a donc démontré sa thèse par un double raisonnement par induction et enthymème (qui a même structure que la théorie). Or, ces argumentations sont seulement probables et n’engendrent pas la certitude. De fait, le chercheur n’a le plus souvent que ces deux types de raisonnement à sa disposition.
3) Conclusion
Revenons au contenu. Disney a donc procédé à un adoucissement progressif de son personnage phare, Mickey ; de plus, l’évolution intérieure de sa psychologie, voire de son éthique, se visibilise dans le changement intérieur de sa morphologie. Il en est de même, mais ici, de manière réelle et non fictionnelle, pour la nature. C’est ce que montre une autre étude sur le site : « L’adoucissement, loi de l’évolution humaine ».

Pascal Ide

29.8.2023
 

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