La vertu morale de justice 1/5

« Que le droit jaillisse comme les eaux et la justice comme un torrent intarissable ! » (Am 5,24)

 

Nous parcourons successivement l’objet de la justice (le droit), son acte (le jugement) et la vertu même de justice, en elle-même et en ses espèces.

1) Un exemple

Les grands espaces (Big Country), Western américain de William Wyler, 1958. Avec Gregory Peck, Carroll Baker, Jean Simmons, Charlton Heston.

La scène se déroule de 1 h. 15 mn. 25 sec. à 1 h. 19 mn. 20 sec.

Ah ! la musique de Jerome Moross…

Histoire

Le capitaine de marine James McKay (Gregory Peck), jeune retraité, arrive par diligence de la côte Atlantique dans les vastes régions de l’Ouest américain (big country !), pour se marier avec sa fiancée Patricia Terrill, dite Pat (Carroll Baker). Il est froidement accueilli par Steve Leech (Charlton Heston), le contremaître du ranch Terrill, qui est secrètement amoureux de la jeune femme. Steve le conduit à Pat qui l’attend chez sa bonne amie, célibataire et maîtresse d’école, Julie Maragon (Jean Simmons), et tous deux partent en calèche vers le ranch. En cours de route, les fils Hannassey, conduits par leur aîné, Buck (Chuck Connors), éméchés, arrêtent la calèche et chambrent le beau et propre capitaine à cravate de soie. Alors que, pour James, qui en a connu d’autres dans la marine, il s’agit d’un incident sans lendemain, Pat rapporte l’affaire à son père, le Major Henry Terrill (Charles Bickford), qui décide une expédition punitive contre les Hannassey. James découvre alors le conflit grave, plus, la haine, opposant le père de sa fiancée à son voisin, Rufus Hannassey (Burl Ives), père des quatre chenapans : chacun veut éliminer l’autre pour acquérir Basse Prairie (Big Muddy), la terre de la belle Julie, dont Buck est amoureux, car il s’y trouve le principal point d’eau d’une région où la richesse est constituée par les troupeaux de bovins.

Commentaire de la scène

Cette scène nous montre les différents ingrédients de la justice :

  1. La sortie de la violence comme substitut de la justice.
  2. La finalité qu’est la paix. Et l’usage commun.
  3. La détermination du juste : « Dites votre prix ». Le do ut des : payer. Chacun remplit sa part du contrat.
  4. Le symbole qu’est la poignée de mains. Le poids de la parole donnée est doublé d’un geste qui la scelle. La justice réside dans l’attitude intérieure plus qu’extérieure. Le contrat moral. « Les promesses doivent être tenues, et les contrats rigoureusement observés dans la mesure où l’engagement pris est moralement juste. Une part notable de la vie économique et sociale dépend de la valeur des contrats entre personnes physiques ou morales [1]».

Nous sommes plutôt habitués, dans les films, à une seule sorte de relation entre hommes et femmes : la relation amoureuse (ou son envers, la haine) ; on les sent amoureux. Mais amour n’est pas justice. Baiser n’est pas poignée de mains.

  1. Le deuxième symbole qu’est cette terre abreuvée par l’eau médiatrice.

2) L’objet de la justice. La relation à la loi

La justice a pour objet ce qui est juste, c’est-à-dire le droit. Or, ce qui est juste est édicté par la loi. Agir justement demande donc d’obéir à ce que dit et dicte la loi.

a) Le droit, objet de la justice

En gros, le mot droit, entendu par rapport à l’homme, prend deux sens : un premier, large, désigne ce qui est correct. Est droit ce qui correspond à une certaine rectitude et surtout à une rectitude dans l’ordre de la conduite, dont de l’éthique : on parle ainsi d’un homme droit, d’une action droite. Dans son acception stricte et plus restreinte, la rectitude vertueuse connotée par le droit se caractérise par le fait qu’elle s’établit dans les relations avec autrui. C’est ainsi que dans cette discipline qu’est le droit on étudie les différents types de réglementation dans les relations entre les personnes (individuelles ou « morales » c’est-à-dire les associations). Or la justice met de l’ordre dans nos rapports avec les autres. Voilà pourquoi son objet est le droit.

Concrètement cela signifie quelque chose de très important. Partons du cas de la prudence pour bien comprendre. L’acte prudentiel se prend à l’intime du sujet lui-même. Même s’il demande conseil, ultimement, la personne est seule à mesurer ce qui convient le mieux pour atteindre la fin : non pas seulement d’abord parce que l’acte libre est par excellence un acte personnel (on est toujours seul à se décider : c’est ce qui fait la grandeur et aussi parfois le tragique de nos existences, ainsi que leur poids de responsabilité), mais parce que je suis seul à percevoir l’ajustement fin-moyens ; il variera d’ailleurs selon les individus. C’est donc qu’un acte prudent ne peut s’apprécier selon un étalon extérieur : c’est moi qui décide qu’il est bon d’acheter cette bouteille de vin au marché (acte de prudence ou d’imprudence !), ce n’est pas moi qui décide du prix. Cela ne signifie pas que l’acte prudentiel soit arbitraire mais que sa détermination est interne à la personne. Un signe en est que la loi pour tous : de ce point de vue il y a une seule justice, puisque la loi est l’expression (sous forme impérative) du droit. Par contre il y a autant de prudences que d’individus. On pourrait dire de la prudence et de la force et de la tempérance ce que Pierre Daninos disait des Français : « La France est le seul pays du monde où, si vous ajoutez dix citoyens à dix autres, vous ne faites pas une addition mais vingt divisions ! »

Mais ce n’est plus du tout le cas pour la justice : ici la rectitude, la convenance ne se prend pas par rapport à soi, mais par rapport à un autre : il y a donc une extériorité, une objectivité dues à l’altérité. Aussi la détermination de la justice est objective : ce qui importe avant tout est l’acte accampli, dans son extériorité repérable : et c’est sur lui que portera le jugement. Quand un radar vous prend en excès de vitesse, votre action est objectivement injuste, eu égard à ce que commande la loi, quelles que soient par ailleurs votre intention, votre étourderie ou vos motivations, si nobles soient-elles.

C’est pour cela que le terme de justice a pu prendre un sens autonome par rapport aux personnes : on parle d’occuper un rang dans la justice ; justice peut aussi désigner des bâtiments (le tribunal degrande instance). En regard, les autres vertus sont toujours attachées à des individus : la prudence, la force ou la tempérance n’existent pas en soi, mais toujours dans des personnes qui sont plus ou moins prudentes, fortes ou tempérantes. Cela ne doit pas pour autant justifier le glissement vers le sens subjectiviste que nosu avons critiqué : la justice demeure en premier lieu une vertu, donc une qualité intérieure.

Nous reparlerons de manière détaillée de cette très importante distinction en étudiant le courage. Mais comprenons en tout cas ce que signifie : le droit est objet de la justice. D’entrée de jeu située dans le registre objectif, la justice devient apte à régler les relations entre hommes. Là plus que jamais, se vérifie l’adage : l’enfer est pavé de bonnes intentions. C’est ainsi que Saint Thomas peut dire en un texte hardi : « On appelle juste, c’est-à-dire ayant toute la rectitude de justice, ce à quoi aboutit l’acte de justice, sans même considérer la façon dont le sujet l’accomplit, alors que, au contraire, pour les autres vertus, c’est la manière dont le sujet agit qui détermine la rectitude de son acte ».

b) Le fondement du droit

Nous venons de voir que l’acte juste détermine ce qui est droit (par opposition à ce qui est faux) dans nos relations à autrui. Mais quelle est l’instance déterminant cette rectitude ? Est-elle arbitraire ?

Le fondement du droit est double : la nature des choses et la convention des hommes. Aussi le premier droit est-il qualifié de naturel car il est commandé par la nature même de l’homme alors que le second, est appelé positif car c’est la raison humaine, la raison positive, comme on l’appelle, qui le décide.

Prenons un exemple : est-il naturel que les voitures circulent sur des voies séparées et en l’occurrence roulent à droite dans notre pays ? La réponse est normande : oui et non. Oui, en tant qu’il est conforme au bien de l’homme, et donc à sa nature, qu’il ne lèse pas autrui : c’est ce que permet la circulation sur des voies séparées dès que le trafic est un peu fourni. Non, en tant que les voitures roulent à droite ou à gauche : un sens n’est pas plus juste ou plus éthique que l’autre ! Mais quelle est l’autorité qui a décidé cela ? L’homme, la positivité humaine. Et si le choix est arbitraire, il n’était pas arbitraire de choisir. Il fallait bien décider d’un sens : dans le monde, il n’y a que deux sortes de conduite : à droite ou à gauche ! C’est donc que le droit positif n’est pas toujours purement arbitraire, même s’il est conventionnel. En fait c’est une détermination du droit naturel qu’il est nécessaire d’incarner et de préciser. Le droit positif est édicté non pas à l’encontre de l’ordre naturel mais dans son prolongement.

Cette distinction droit naturel – droit positif est capitale pour le discernement. Il est par exemple naturel à un pays d’avoir son indépendance et d’assurer sa protection ; mais il ne l’est pas que celle-ci s’exerce par une armée de métier plus que par des conscrits. À l’instance humaine douée de l’autorité de trancher. Par ailleurs le droit naturel est plus universel que le droit positif. Celui-ci s’efforce d’appliquer, de concrétiser le droit naturel dans les matières plus particulières : il est requis par le bien-être de l’homme qu’il ait accès à la culture, mais le droit naturel ne dit pas quelle part du budget doit être dégagée pour la promotion du théâtre.

Par contre le droit positif demeure toujours au service de l’homme et ne peut jamais violer cette prescription : une loi raciste, une loi interdisant la syndicalisation, une loi dépénalisant l’avortement sont toutes foncièrement perverses. En de tels cas, et selon ce que dit la prudence, l’on est en conscience tenu de désobéir à la loi. Insistons sur ce dernier point : l’acte humain est par essence libre et responsable, y compris l’acte d’obéissance qui n’est pas démission mais soumission éclairée et volontaire à la vie et à l’ordre d’un autre. Aussi ne peut-on jamais décharger sa responsabilité ou celle d’un autre en invoquant la loi (le poids de celle-ci ne peut excuser, mais cela est une autre question). On ne peut donc par exemple accepter l’acte d’autorité d’un patron qui dirait à une infirmière : « Posez ce cocktail lytique (on appelle ainsi un mélange de médicaments qui cause une euthanasie active, c’est-à-dire qui assurément tuera le malade), c’est moi qui en prends la responsabilité ».

3) Les fausses conceptions de la loi

Aujourd’hui, les fausses conceptions dans la détermination de la loi (ce qui est juste) sont si nombreuses et si profondes qu’il convient de les indiquer, car elles faussent la vertu de la justice (en amont).

a) En général : laxisme et rigorisme

Face à la loi, nous adoptons souvent une des deux attitudes opposées : rigorisme ou laxisme.

La première est le rigorisme. Pour ne donner qu’un exemple dans le domaine délicat qu’est la liturgie, la Congrégation pour le culte divin a édicté récemment une règle stipulant que le célébrant emploie un plateau pour la communion ; or, lors des offices à la Basilique Saint-Pierre, à Rome, le pape lui-même n’applique pas cette norme. Il module donc cette loi qui touche des matières contingentes en fonction des situations.

Le laxisme, tout au contraire, place la liberté au-dessus de la loi. Si individuellement, nous opinons soit vers la psychorigidité, soit vers le laisser-aller, collectivement, la pensée unique aujourd’hui a clairement opté pour le second pôle. Or, celui-ci adopte souvent aujourd’hui la figure du conséquentialisme. Le conséquentialisme est le système éthique mesurant la moralité des actes non au bien qu’énonce la loi morale mais aux résultats, aux conséquences. D’où son nom.

b) La tentation laxiste

D’un mot, quand on ne peut pas adapter sa vie à la loi, la seule manière est d’adapter la loi à sa vie.

1’) Une illustration cinématographique

Ce film n’est assurément pas pour enfants de chœur. Mais cette illustration est d’autant plus décisive qu’elle est formulée par le démon lui-même.

L’associé du diable, Film fantastique américain de Taylo Kackford, 1998.

Les scènes se déroulent de 1 h. 54 mn. 25 sec. (« Vous êtes quoi ? ») à 1 h. 57 mn. 35 sec., et de 1 h. 58 mn. 14 sec. à 1 h. 59 mn. 45 sec.

o’) Histoire

Kevin Lomax (Keanu Reeves), jeune et brillant avocat, marié à la charmante Mary Ann Lomax (Charlize Theron), se fait démarcher par l’un des plus puissants cabinets new-yorkais dirigé par un certain John Milton (Al Pacino). Poussé par une ambition dévorante, Kevin ne résiste pas. Malgré les mises en garde de sa très dévote mère, Mrs Lomax (Judith Ivey), malgré la dégradation de sa relation avec Mary Ann et de la santé de celle-ci, Kevin consacre un temps croissant à son travail. Son ascension est fulgurante. Cette réussite insolente est-elle due à ses seuls talents ? Surtout, qui est ce John Milton ? S’il n’est qu’un homme machiavélique et manipulateur, pourquoi s’intéresse-t-il d’aussi près à Kevin ? Pourquoi cherche-t-il à le détacher de son épouse ? Alors qu’il vient de perdre sa femme dans les conditions les plus tragiques, la vérité qui attend Lomax est encore infiniment plus éprouvante. A moins que tout ne soit qu’illusion. Hors la vanité.

Ajoutons que Lomax a accepté de se compromettre à de nombreuses reprises. Ce qui va ressurgir dans l’échange suivant.

Commentons.

a’) Milton rend Lomax à sa liberté

Comme l’avait prévu Milton, Lomax enchaîne : une fois nommé son adversaire, il entre dans le jeu de l’accusation et laisse monter une autre colère latente : « Mary Ann l’avait compris. Elle le savait. Alors, vous l’avez détruit.

– C’est moi que tu accuses pour Mary Ann ? Là, j’espère que tu plaisantes. Mary Ann, tu aurais pu la sauver. N’importe quand. Tout ce qu’elle voulait, c’est que tu l’aimes. Mais tu avais mieux à faire ». Sous-entendu : ton travail… et aussi la séduction des autres femmes.

« Non, ce n’est pas vrai », crie Kevin. Faible défense pour un grand avocat.

Lomax argumente : « Quand tu es arrivé à New York, tu as commencé à regarder ailleurs. A l’instant même où tu es arrivé ». Milton a d’autant moins de peine à le dire qu’il épie tout.

« C’est pas vrai. Vous ne savez rien de nous, rien de ce qu’il y a entre nous ». En refusant à cette réduction du mystère, Kevin répond juste.

Pour la première et unique fois, Milton concède, comme s’autojustifiant : « Eh ! Je ne te reproche rien ».

Profitant de ce recul, en bon tribun, Kevin continue : « Vous êtes un menteur ! » Ce jugement, au fondement biblique (Jn 8), rend à Kevin une nouvelle liberté. Il comprend alors brusquement que Milton ne fait que travestir la réalité. Par conséquent, cette vérité qu’il est venu chercher sur lui, sur sa vie, il ne la saura jamais. Il a enfin compris qu’on ne discute pas avec un être qui non seulement le surpasse en capacité oratoire et en psychologie, mais dont l’intention n’est que perverse. Du coup, Lomax amorce un mouvement de recul vers l’ascenseur. Va-t-il retrouver sa liberté par la seule voie possible, la fuite ?

Ce serait oublier que le démon ne nous ligote jamais par un seul lien. Ne pouvant peser directement sur notre liberté, il l’englue de multiples manières. En l’occurrence, Milton est devenu l’unique pourvoyeur des plaisirs de Lomax depuis son arrivée à New York ; celui-ci n’a plus de raisons de vivre hormis celles que lui offre Milton : « Kevin, tu ne trouveras rien de mieux ailleurs ». Autrement dit : reste.

Mais Milton-Satan sait l’ampleur de la colère accusatrice de Kevin. Il doit donc affronter cette accusation. Voilà pourquoi il relance le sujet si dramatique de son épouse : « Arrête de te mentir à toi-même. Je t’ai dit de t’occuper de ta femme. Tout le monde comprendra que tu arrêtes. Je ne te l’ai pas dit, cela ? » Ici, Milton est très fin : car s’il a pu, l’espace d’un moment, renvoyer Lomax non seulement à sa liberté mais aussi au bien objectif (quitter New York), il le faisait sans risque : déjà le jeune avocat trop attiré par les plaisirs défendus, il ne pouvait plus ce qu’il voulait. « Tu m’a répondu quoi ? » Alors Milton imite la voix de Kevin : « J’abandonne l’affaire, John, elle se rétablit et je lui en veux à mort ». Par ce jeu de miroir, il le renvoie à son insupportable culpabilité. Il lui suffit de nier le refoulement en ravivant sa mémoire : « Tu ne t’en souviens pas ? »

La coupe est pleine, Milton a suffisamment culpabiliser Kevin pour que celui-ci ait besoin de faire appel à sa défense habituelle : l’accusation. Il va revenir à la charge à quatre reprises. Elles seront toutes réfutées, de plus en plus radicalement, par Milton :

« J’ai compris ce que vous avez fait : vous m’avez tendu un piège.

– Qui t’a dit de faire des pieds et des mains pour M. Kitis ? Qui a fait ce choix ?

– Je l’ai fait parce que vous m’avez provoqué. Vous m’avez tendu un piège.

– Il fallait l’oser. Le pape, les brahmanes, les charmeurs de serpent, tous vous bouffez au même râtelier. Qui a eu cette idée ?

– Vous avez joué avec moi. C’était un test, votre test.

– Et Kevin, sachant qu’il était coupable, toi, qu’est-ce que tu as fait ? Après avoir vu les photos, tu appelles cette salope de menteuse, tu l’as fait venir à la barre.

– Vous l’avez fait venir, vous l’avez mis là, vous l’avez fait mentir.

– Je n’ai pas fait cela, Kevin. Quand je t’ai dit, dans le métro : ‘C’est peut-être ce procès que tu dois perdre’, tu n’étais pas d’accord ? »

Alors que Kevin s’enferme dans sa posture victimaire en cherchant à se déresponsabiliser, Milton aligne des faits, de plus en plus accablants, de plus en plus implacables. Cette domination intellectuelle écrasante se double d’une domination affective : alors que Lomax perd progressivement son sang-froid, la violence de son propos étant inversement proportionnelle à sa vacuité, Milton demeure souverain ; maître de lui, il est maître de l’autre.

Il reste un dernier mécanisme de défense pour le brillant avocat qui ne peut se résoudre à n’être plus qu’un minable accusé : faire appel aux exigences professionnelles qui lui sont imposées : « Je ne perds pas, moi, s’écrit Lomax. Je gagne. Je gagne. Je suis avocat. C’est mon boulot, c’est mon métier, c’est ce que je fais ».

Avec un calme jouant du contraste, Milton répond, superbe : « Fin de la plaidoirie ». Lomax ne pouvait tomber plus à plat. Silence. Milton enchaîne : « La vanité, c’est décidément mon péché préféré. C’est décidément fondamental le narcissisme. C’est notre propre opium (notez le « notre » : lucide, mais surtout, astucieusement temporisateur). Tu sais, Kevin, c’est pas que tu ne t’intéressais pas à Mary Ann, seulement tu t’intéressais encore plus à quelqu’un d’autre : à toi-même ».

En énonçant le péché le plus profond de Lomax, Milton démontre de manière définitive la responsabilité de son protégé. Enfin démasqué, totalement mis à nu, Lomax s’effondre. Plus encore que ses mots (« C’est vrai, tout est de ma faute. J’ai abandonné »), c’est son corps qui parle : bouche tordue de douleur, larmes de culpabilité, regard baissé. Milton n’en demande pas plus. Notons d’ailleurs qu’ici, il n’y a pas (du moins encore) l’amorce d’un véritable regret qu’exprimerait la prise de conscience de la souffrance infligée à Mary Ann : Lomax est seulement tourné vers lui.

b’) Milton déculpabilise Lomax

Aucune liberté empêcherait Lomax de décider pour Satan, donc de pécher ; mais trop de liberté lui ôterait sa proie. Après avoir démasqué la faute, Milton va donc jouer sur le clavier de la déculpabilisation : « Non, ne sois pas trop sévère envers toi-même. Tu avais autre chose à penser, crois-moi.

– Je l’ai laissée derrière moi et j’ai continué ma route.

– Tu ne peux pas continuer à te punir comme ça, Kevin ! Est-ce que tu te rends compte où tu en es arrivé par toi-même ? » Notons en passant, car nous y reviendrons, que Milton n’hésite pas un moment à se contredire : il affirmait au début que Kevin n’aurait pu y arriver sans son aide et maintenant, il vante ses capacités. Lomax est habité par une telle confusion et une telle détresse, qu’il ne peut prendre le recul et passer en position méta afin de nommer ce double langage. La culpabilité qui le ronge est si destructrice que, une fois perdu le refuge de l’accusation, une fois mise à nu son infinie responsabilité qu’il n’a pas d’autre solution, l’instant d’après, d’accepter le vêtement protecteur de la déculpabilisation symétriquement tout aussi absolue : « Tu n’a pas le droit. Pas pour toi… »

L’air change ; une discrète musique, un frôlement ; des pieds nus effleurent gracieusement l’épais tapis. La superbe Cristabella (Connie Nielsen), à la chevelure rousse-feu, apparaît, frôlant Kevin, plus encore par son regard séducteur que par sa longue robe moulante. Surgit alors l’autre raison pour laquelle Milton a besoin de déculpabiliser son fils : le libérant de Mary Ann, il pourra orienter son désir vers celle dont le nom même n’évoque l’être haï (le Christ) que pour mieux le pourfendre (par la beauté… du diable). Il achève donc sa phrase : « …ni pour ta sœur. Enfin, ta demi-sœur, pour être précis ». Cristabella vient embrasser Milton, comme une fille son père, et ajoute, faisant faussement croire à Lomax, particulièrement vulnérable, qu’elle est de son côté : « Ne le laisse pas te faire peur ».

Milton poursuit : « Kevin, j’ai eu tant d’enfants. J’ai été déçu si souvent. Désillusion après désillusion. Et puis vous voilà tous les deux ». Loin de faire appel à la pitié de Lomax (est-il capable d’en éprouver ?), Milton joue sur un mécanisme autrement puissant chez son killer de fils : l’amour-propre, le désir d’être le premier, le vainqueur. D’où la réponse :

« Qu’est-ce que vous attendez de moi ?

– Je veux que tu acceptes d’être toi-même ». Cette formule oxymorique – peut-on vouloir ce qui n’est possible qu’à l’autre ? – résume subtilement la tactique de l’entrisme satanique.

Joignant le geste à la parole, Milton touche le front de Kevin. Mais celui-ci recule, comme dégoûté. Il résiste ; il n’est donc pas encore prêt à désirer sa demi-sœur. Milton en devine aussitôt la cause : la culpabilité. Tel devra donc être l’objectif de sa prochaine attaque : « La culpabilité, c’est un énorme tas de briques. Tout ce que tu as à faire, c’est de le poser ». En effet, le diable sait qu’il ne peut aisément évacuer son pire ennemi, le sens de la faute. Il lui faut prévenir les objections que Kevin ne manquera pas de se faire sur la fragilisation de son foyer. Il lui faut donc excuser. Pour cela, il réduit la conscience morale à une simple pesanteur psychologique dont il faut se débarrasser au plus vite.

A moins que ce ne soit l’amour toujours présent de Mary Ann. C’est pourquoi Cristabella, aussi fine que son père, s’approche et enlace doucement le jeune avocat : « Eh, je sais par quoi tu passes, j’y suis passée. Serre-moi, serre-moi fort. Oui ! Oublie tout le reste ». Cependant, même la proximité consolante et désirable du corps de Cristabella, jointe à la parole déculpabilisante de Milton ne suffit pas.

Kevin se dégage, d’un air buté : « Non, je ne peux pas faire cela ».

Cristabella n’est pas capable de démêler la part du remords, de la fidélité et de l’amour. Dans un bref et dense échange de regards avec Milton où se devine toute la machiavélique complicité des deux pseudo-amours, sororal et paternel, elle lui repasse le relais : Kevin n’est pas encore mûr pour l’accomplissement du dessein. Ondulante comme un serpent, enveloppante comme une tentation, Cristabella – ou plutôt Anticrista-bella – s’éloigne en beauté, attendant son tour. Contrairement à ce que pense la vision manichéenne et conformément à ce qu’avait vu saint Augustin, le désordre de la sensibilité requiert d’abord le désordre de la raison : pas d’intempérance sans orgueil.

Pour convaincre l’avocat, John Milton doit réendosser son costume de rhéteur : « Pour qui tu portes ton sac, Kevin ? Dieu ? C’est ça ? Tu sais quoi ? Je vais te dévoiler une petite info exclusive ». La caméra élargit soudain le champ comme pour symboliser l’ampleur nouvelle des paroles qui vont être prononcées et nous détacher de l’immédiat affrontement des protagonistes. Le plan englobe aussi Cristabella assise, fumant, attendant son tour : le Tentateur manipulateur devient un moment professeur, ses trois titres rimant avec menteur. « Dieu aime regarder. C’est un farceur, tu sais. Réfléchis. Il accorde à l’homme les instincts, il vous fait ce cadeau extraordinaire. Et après, ce qu’il s’empresse de faire et ça, je peux te le jurer, pour son propre divertissement, sa propre distraction cosmique, personnelle, il établit des règles en opposition. C’est d’un mauvais goût épouvantable. Regarde et surtout ne touche pas. Touche, mais surtout ne goûte pas. Et pendant que vous êtes en train de sautiller, lui il se fend la pêche, à s’en cogner son cul de cinglé au plafond ». Milton pointe son doigt vers le ciel et se met à hurler le visage défiguré par la haine : « C’est un refoulé, c’est un sadique. C’est un proprio qui n’habite même pas l’immeuble. Vénérer un truc pareil ? Jamais ».

On s’étonnera, voire on s’inquiétera de la virulence blasphématoire du propos : par son excès, Satan ne va-t-il pas se trahir ? Il ne faudrait tout de même pas oublier, et le film ne le sombre nullement dans cette erreur, que le démon demeure un ange déchu uniquement habité par la haine jalouse de Dieu ; or, le jaloux, comme le haineux veut la destruction de celui qu’il envie et s’il ne le peut, de son œuvre. Voilà pourquoi, si Milton n’oublie pas de s’attaquer à la source même de la culpabilité qui entrave encore tant Kevin – c’est-à-dire sa conscience morale, c’est-à-dire Dieu –, il en profite pour faire d’une pierre deux coups et donner libre cours à sa hargne et son ressentiment contre son Créateur.

2’) Exposé plus général. Forme individuelle

Nous allons donc prendre le temps de le développer à partir de deux exemples avant d’en donner la théorie.

a’) L’exemple du faux-témoignage

Sleepers, drame américain de Barry Levinson, 1996.

Les scènes se déroulent de 2 h. 1 mn. 20 sec. à 2 h. 1 mn. 20 sec. (le passage où l’on voit le prêtre prier dans l’église) ; puis de 2 h. 2 mn. 40 sec. à 2 h. 8 mn. 15 sec.

1’’) Histoire

En 1967, dans le quartier new-yorkais de Hell’s Kitchen, quatre jeunes amis inséparables, Lorenzo Carcaterra alias « Shakes » (adulte : Jason Patric), Michael Sullivan (adulte : Brad Pitt), John Reilly (adulte : Ron Eldard) et Tommy Marcano (adulte : Billy Crudup) vivent dans les rues sous le regard bienveillant du père Bobby (Robert de Niro). Malgré son attention, ceux-ci sont tentés par de sales coups, jusqu’au jour où, pour dérober quelques hot-dog, ils en viennent à tuer accidentellement un homme. Leur vie va basculer, lorsqu’ils sont jugés et envoyés pour une peine de 1 an à 18 mois dans la maison de redressement pour mineurs, Wilkinson Home For Boys, une des plus strictes de l’État de New York. Les geôliers tout puissants tabassent et violent régulièrement les jeunes garçons.

On les retrouve en 1981, quatorze années plus tard. John et Tommy sont devenus des voyous et même des assassins notoires, alors que Michael est procureur, et Shakes, journaliste. Un jour, John et Tommy tombent par hasard dans un bistrot sur l’un des gardiens pédophiles de la maison de correction qui les a abusés, Sean Nokes (Kevin Bacon). Ils tirent sur lui et le tuent. Pris par la police, ils sont jugés pour meurtre. Déjà délinquants, ils sont passibles de la peine de mort pour cet assassinat de sang froid. Une seule chose pourrait les sauver : un alibi assurant qu’ils n’étaient pas dans le bistrot. Lors du procès, Shakes raconte les mauvais traitements reçus par ses amis, John et Tommy. Bobby qui l’écoute en est profondément ému. Lui seul peut témoigner qu’il était avec eux et alors les sauver, tout en faisant condamner le pédophile et ses collègues. Que faire ? S’il ne dit rien, ces criminels qui sont d’abord des victimes mourront ; s’il témoigne en les protégeant, il ment.

2’’) Evaluation

Le lendemain, il atteste qu’il était, la nuit du meurtre, à un match de basket avec les accusés. John et Tommy sont acquittés.

Demander : qu’en pensez-vous ?

a’’) Pour

  1. D’abord, le prêtre fait preuve de courage en risquant lui-même la prison pour sauver ces hommes qu’il aime comme des fils. Ne le voit-on pas prier, donc demander d’être éclairé par Dieu ?
  2. De plus, l’intention est bonne ; or, c’est l’intention qui détermine la bonté d’un acte.
  3. Certes, le prêtre transgresse le huitième commandement, mais il fait épikie : il respecte l’esprit de la loi qui consiste à condamner les criminels qui demeurent impunis. Certes, il s’est parjuré, mais il a jugé avec justesse.
  4. Justice doit être rendue. Or, le gardien pédophile court toujours alors qu’il est coupable. Qui dit qu’il ne va pas continuer.
  5. En outre, ces hommes sont d’innocentes victimes de ceux qui les ont abusés. Comment surmonter la colère vengeresse qui monte face aux abuseurs ?
  6. Enfin, il y a de l’application du principe du moindre mal ; or, le mal du faux-témoignage est inférieur à celui de la peine de mort. « He testified against Wilkinson and the evil ».

b’’) Contre

Je regrette qu’il ait menti. Plus encore, il faute gravement :

  1. Le témoignage de la conscience. Le narrateur, Shakes, dit au début : « I’ve never recordered from seeing Father Bobby take the stand and lie for us ». « Je ne me suis jamais remis », dit la traduction. Et, au terme : « Still, I was sorry he had to do it ». C’est donc que le bien n’efface pas le mal.
  2. A cette voix se joint le témoignage non verbal des amis qui ont su garder une vie droite : le regard de Micky et Shaker.
  3. La traduction française est encore plus forte que l’anglais : elle rend la formule « Father Bobby take the stand and lie for us » par « porte un faux témoignage ». Or, contrairement à la traduction habituelle, les Dix Paroles énoncent : « Tu ne témoigneras pas faussement contre ton prochain » (Ex 20,16). Jésus dit de même en s’adressant au jeune homme riche : « Ne tue pas, ne commets pas d’adultère, ne vole pas, ne porte pas de faux témoignage, ne fais pas de tort, honore ton père et ta mère » (Mt 19,16-19 ; Mc 10,18).
  4. D’ailleurs, au moment d’être emprisonné, l’un des garçons demande au père Bobby de mentir pour protéger ses parents. Le prêtre répond à juste titre : « Tu me demandes de mentir ? ». Et le garçon de répondre : « It’s a good lie, c’est un pieux mensonge », ce à quoi son interlocuteur ne dit rien. La scène se déroule de 0 h. 30 mn. 05 sec. à 0 h. 30 mn. 45 sec.
  5. Enfin, la faute du prêtre est d’autant plus grave qu’il ment après avoir promis sur la Bible.

3’’) Réponse aux objections

  1. On ne saurait séparer les vertus les unes des autres. Un courage injuste est-il un véritable courage ?
  2. Ce film illustre le faux témoignage (le). Il ne s’agit pas de nier la bonne intention. Ce qui est en cause est l’objet même.
  3. Nous ne sommes pas face à un cas d’épikie. L’épikie pose un jugement vertueux de non-application d’une loi dans un cas particulier en raison de circonstances spéciales. Mais certains interdits sont absolus, intransgressibles, ainsi qu’on le redira. Et tel est le cas de la mise à mort. Par conséquent, cette suspension ne vaut pas pour ces cas là..
  4. Nous sommes face non pas à un acte de justice mais de vengeance. En effet, Shake, le journaliste, tient entre ses mains le Comte de Monte Cristo. Or, dans une scène antérieure, Micky, l’avocat, tente de le convaincre que désormais est venue « l’heure de la vengeance [It’s payback time] », en lui disant qu’il lit tous les jours un passage du roman d’Alexandre Dumas : « Revenge, sweet, lasting revenge ».

D’ailleurs, dans une scène au début du film, l’on voit le prêtre s’affronter à un homme dont il a appris qu’il a battu l’un des enfants. Au lieu de dénoncer cet homme à la police, il le menace. Autrement dit, il a déjà un tempérament de justicier, il se place spontanément au-dessus de la loi. La scène se déroule de 0 h. 16 mn. 55 sec. à 0 h. 18 mn. 00 sec.

Ajoutons que, si le roman raconte une histoire de trahison et de vengeance, ce n’est en rien un apologue de celle-ci. L’on dit moins que la plus « dostoïevskienne » des œuvres de Dumas est aussi un roman du pardon. L’auteur connaît trop l’âme humaine pour croire que la vengeance soit un terme : elle ne saurait donner la paix.

Lorsqu’Edmond Dantès consomme sa dernière vengeance, après que le premier est devenu fou et que le second est mort, voici comment il répond à Danglars qui lui demande qui il est : « Je suis celui que vous avez vendu, livré, déshonoré ; je suis celui dont vous avez prostitué la fiancée », etc. Mais il finit : « et qui cependant vous pardonne, parce qu’il a besoin lui-même d’être pardonné [2] ». Et, à la toute fin, dans la lettre qu’il a écrit à Maximilien, Dantès nomme exactement son péché, car il se voit dans la lumière de Dieu : « Dites à l’ange qui va veiller sur votre vie, Morrel, de prier quelque fois pour un homme qui, pareil à Satan, s’est cru un instant l’égal de Dieu, et qui a reconnu, avec toute l’humilité d’un chrétien, qu’aux mains de Dieu seul sont la suprême puissance et la sagesse infinie [3] ». La preuve de la vérité de ce qu’il appelle son « remords » est la dernière parole de la lettre qui est aussi l’ultime du roman : « Attendre et espérer [4] ! » Celui-là seul qui a épuisé tout espoir humain sait que la saveur de l’espérance est divine, car son origine – comme son terme – l’est.

  1. Si blessés soient-ils, ces hommes demeurent libres et doivent être présumés responsables. Ils doivent donc appliquer la loi.
  2. Une telle interprétation relève d’une morale conséquentialiste et nie donc l’existence de lois morales universelles. Loin d’être exemplaire, ce film illustre une transgression d’un commandement sans exception justifiée au nom d’un prétendu bien supérieur. Et cet acte est d’autant plus grave que ce commandement n’est pas seulement « tu ne mentiras pas », mais « tu ne porteras pas de faux témoignage » du Décalogue, et que le prêtre jure de dire la vérité sur la Bible.

4’’) Confirmation

Ce film a été loué pour le témoignage courageux de ce prêtre qui a agi ainsi pour les sauver. Certes, il s’est parjuré, mais il a jugé, avec justesse, que le mal du faux-témoignage était inférieur à celui de la peine de mort. Une telle interprétation relève donc d’une morale conséquentialiste et nie donc l’existence de lois morales universelles. Loin d’être exemplaire, ce film illustre une transgression d’un commandement sans exception justifiée au nom d’un prétendu bien supérieur. Et cet acte est d’autant plus grave que ce commandement n’est pas seulement « tu ne mentiras pas », mais « tu ne porteras pas de faux témoignage » du Décalogue, et que le prêtre jure de dire la vérité sur la Bible.

Tout à l’inverse, dans les années 30 ou 40, d’autres films ont mis en scène un prêtre dur à cuire et ami des jeunes les plus misérables, mais ne transigeant pas avec la vérité. Comparons l’attitude de Bobby avec celle du Père Connolly dans Angels with dirty faces. Il est confronté à une situation semblable et conclut : « A quoi bon enseigner que l’honnêteté paie, si autour d’eux c’est la malhonnêteté qui paie […], si le voyou et le gangster sont considérés avec le même respect qu’un homme d’affaires prospère ou un héros populaire ? » Joignant le geste à la parole, il décide de se séparer de la loi de la jungle qui règne dans le quartier ; puis il enseigne aux jeunes à faire de même. Le père Bobby, lui, n’a pas le courage de les arracher à leur milieu : « Le père Bobby est plutôt un travailleur social tirant le meilleur d’une situation mauvaise, qu’un prêtre ayant les yeux tournés vers l’éternité. Les prêtres joués par Pat O’Brien, Bing Crosby et Spencer Tracy en savaient plus [5] ».

b’) L’exemple du mensonge

Est-il au moins permis en certains cas de mentir ? Il ne s’agit pas ici du cas délicat du mensonge à un nazi nous demandant si nous cachons chez nous des Juifs (et c’est le cas), mais du cas plus personnel et moins honorable où mentir nous permet d’éviter un dommage plus grand, voire de sauver notre vie. Plutôt que de parler en général, prenons l’exemple du docteur Augoyard développé par le P. Pinckaers, déjà cité [6] :

 

« Ceux qui ont vu le film du procès de Kaboul montrant le Dr Augoyard en train d’avouer qu’il ait fait de l’espionnage pour les puissances capitalistes, n’ont pu échapper à une question secrète. Ce médecin français venu apporter généreusement l’aide de ses soins à la population afghane dans les régions occupées par la rébellion, pouvait-il vraiment accepter de faire des ‘aveux’ évidemment faux, préfabriqués et imposés ? L’explication venait spontanément à l’esprit et elle s’est vérifiée rapidement : les «aveux» étaient le prix de la libération. Le cas n’en pose pas moins un problème fondamental qu’il faut avoir le courage d’aborder, car il engage des valeurs fondamentales. Le Dr Augoyard l’a bien senti : ‘Un jour on m’a dit que j’allais être jugé, mais que ma condamnation ne serait que théorique pourvue que j’accepte de dénigrer les rebelles publiquement. J’ai accepté. Cela n’a pas été facile moralement…’ a-t-il déclaré à son retour en France.

« Certes il ne convient pas que nous jugions, à notre tour, le Dr Augoyard, car personne ne sait avec certitude ce qu’il aurait fait à sa place, dans ces circonstances dures où sa liberté et sa vie étaient en cause. De tels problèmes ne peuvent être traités qu’avec humilité et délicatesse. Ils n’empêchent qu’au-delà de la personne du Dr Augoyard, la question nous atteint ».

 

Or, cette question est celle du mensonge : peut-on « pour certaines raisons, sous la pression de la menace et de sévices éventuels, accepter de mentir, spécialement dans le cadre d’un procès public qui, par nature, doit être un organe de la vérité et de la justice ? »

 

« Les raisons du Dr Augoyard sont compréhensibles. ‘De toute façon ils m’auraient eu à l’usure’. Le choix était là cependant […] : ou les ‘aveux’ et la libération, ou le refus et les risque de la mort. Une telle proposition est cruciale pour tout homme : elle met en péril ce qu’il a naturellement de plus cher, sa liberté, son avenir, se projets peut-être fort généreux, ses liens familiaux et culturels, son existence. […]

« Les dissidents soviétiques viennent ici à notre aide. Quand Soljenitsine lance un mouvement qu’il intitule : ‘ne pas vivre dans le mensonge’, quand il donne comme consigne de ne jamais mentir, il en pense pas à des problèmes de casuistique évidemment, mais il témoigne de son expérience. Il sait que le mensonge, accepté une fois, introduit dans l’engrenage du Système et y entraîne bientôt l’homme tout entier, précisément parce que le oui donné au mensonge blesse l’homme dans on être spirituel et le laisse désarmé devant la logique rigoureuse de l’’utile’, où il devient un pur moyen pour réaliser une finalité politique ou économique. […] Les dissidents soviétiques sont plus lucides que nous à cause de leur expérience et de leur longue souffrance ».

 

On pourrait aussi citer le cas du dramaturge tchèque Vaclav Havel : la dissidence était pour lui une protestation en faveur de « la vie dans la vérité [7] ». Et les chrétiens ne sont pas seuls à témoigner de cette hiérarchie de valeur qui accorde une primauté à la vérité sur la vie, au risque même du martyr qui trouve ici tout son sens : « Considère comme le plus grand des crimes de préférer sa propre vie à l’honneur et, pour l’amour de la vie physique, de perdre ses raisons de vivre [8] ».

La seule position éthique est donc la suivante :

 

« Celui qui accepte, même par faiblesse, de mentir formellement et de collaborer sciemment avec l’injustice, blesse au fond de lui-même le sens de la vérité qui est constitutif de notre être spirituel ; il court le risque de se détruire, comme personne, en devenant l’esclave d’une sorte de système du mensonge mis en œuvre pour la réalisation d’une politique, le service d’une idéologie [9] ».

 

Cette question pose le problème plus général de l’existence des normes morales absolues. Ce sont des lois qu’aucune circonstance ou situation culturelle ne viendrait relativiser. De telles normes existent-elles, ainsi que nous avons l’air de le dire du mensonge ? Il est hors de question de régler cette vaste question dans le détail : nous renvoyons à l’ouvrage clair et profond de Pinckaers. Relevons seulement une des confusions fondant la thèse selon laquelle les actes sont diversement bons et que l’on ne peut définir de lois éthiques ne connaissant aucune exception la confusion entre fin éthique et fin technique, de la « bonté » et la « justesse » : l’utilitarisme. Lisons la suite de l’analyse du moraliste fribourgeois.

 

« Mais en outre, l’offre (le choix : libération ou la mort) était très habile : elle atteignait le Dr Augoyard au point faible de sa mentalité d’Occidental. Nous vivons, en effet, dans nos sociétés occidentales, selon une conception de la vie largement dominée par la considération de l’utilité et de l’efficacité matérielle, qui risque d’emporter à la traîne des grands idéaux de liberté, de vérité, d’égalité, de démocratie et autres qui subsistent dans nos mémoires. Or par ce calcul utilitaire qui régit de plus en plus nos jugements pratiques, nous nous rapprochons beaucoup des marxistes. Il ne reste qu’un point de dissentiment : notre amour de la liberté individuelle et du bien-être qui se résume dans la sauvegarde de la vie. Ainsi a-t-on pu qualifier le monde occidental de société de consommation, et certains ont même brandi, de façon significative, le slogan : ‘Plutôt rouges que morts !’ [Mehr rot als tot]

« Le marché proposé au Dr Augoyard l’atteignait donc là où la mentalité occidentale le laissait le plus démuni pour résister : la priorité accordée à la vie et au bien-être, et il le poussait dans une logique de l’utile dont la conclusion devait finalement coïncider avec ce que voulaient obtenir les juges, quelle que fût la différence des intentions et des buts qui restait entière. Le Docteur devait arriver à se dire comme certains rebelles afghans, prisonniers avec lui, qu’il lui était utile d’être libéré après aveux, pour reprendre éventuellement ensuite le travail et la lutte ».

c’) Mécanismes

Ces comportements sont sous-tendus par un mécanisme : progressivement, le laxiste fait de son action la loi, la mesure même du juste. Ce faisant, subrepticement, il passe du péché de faiblesse au péché de malice.

Comme le disait Dom Bayle, un personnage secondaire du roman de Paul Bourget, Le démon de midi : « Il faut vivre comme on pense, sinon, tôt ou tard, on finit par penser comme on a vécu [10] ».

Aujourd’hui, nous sommes dans le règne hédoniste autojustifié : « Quiquid placet sanctum est » [11]. Il est intéressant de noter combien ce qui se croit le plus résolument moderne est aussi vieux comme le monde. Déjà saint Augustin notait cette flatterie de nos tendances, notre tentation de les justifier.

La chute, publiée en 1956, est la dernière œuvre achevée par Albert Camus [12]. Un an plus tard, il recevra le prix Nobel de littérature. Trois ans plus tard, il décède, brutalement (1960). La brève présentation que fait Camus de son personnage permet d’entrer d’emblée dans le cœur du récit : « L’homme qui parle dans La chute se livre à une confession calculée. Réfugié à Amsterdam dans une ville de canaux et de lumière froide, où il joue à l’ermite et au prophète, cet ancien avocat attend dans un bar douteux des auditeurs complaisants. Il a le cœur moderne, c’est-à-dire qu’il ne peut supporter d’être jugé. Il se dépêche donc de faire son propre procès mais c’est pour mieux juger les autres. Le miroir dans lequel il se regarde, il finit par le tendre aux autres [13] ». Détaillons.

1’’) Le refus du jugement

a’’) Thèse

L’une des principales raisons de la résistance actuelle au sacrement de la réconciliation est la difficulté que nous avons à consentir à un jugement sur nos actions. Cette affirmation peut étonner. En effet, notre Europe, voire notre Occident, et la France en particulier, est doué d’un sens très aigu de l’auto-critique. Il faut avoir parcouru d’autres continents pour mesurer combien cette censure tournée contre soi est caractéristique de cette part du monde. Quoi qu’il en soit, ce constat contredit donc notre jugement : nous pratiquons – à l’excès – le mea culpa. D’un mot, je répondrai en distinguant jugement extérieur et intérieur. Si nous sommes experts dans ce jugement intime qui est si proche de la culpabilité, nous récusons systématiquement un jugement extérieur. Mais celui-ci est-il possible ?

Plutôt que de m’étendre en longues considérations historiques, je souhaiterais illustrer cette thèse d’une cohabitation paradoxale, ambivalente d’un côté d’auto-dévaluation, de confession démesurée et de l’autre d’auto-proclamation ou déclamation de son omni-innocence à partir d’un exemple emblématique, celui de Clamence, le héros de La chute. Ce récit fictif est plus réel que la réalité. Camus n’avait-il pas pensé intituler son récit : Un héros de notre temps ? En effet, l’homme de lettres français juge l’homme d’aujourd’hui avec la lucidité de celui qui vit sa condition de l’intérieur. Plus encore, Jean-Baptiste Clamence se présente à ses interlocuteurs comme « juge-pénitent » : cette étrange profession consiste à s’accuser soi-même afin de pouvoir ensuite être juge. Mais le remède, l’issue proposée par Camus, n’est pas à la hauteur de cette terrible conscience. Sur ce point aussi, il est à bien des égards moderne ou plutôt post-moderne.

L’on aurait aussi pu partir des Fleurs du mal. Baudelaire en disait qu’elles étaient un itinéraire spirituel. De fait, les six sections de ce recueil poétique sont comme les étapes d’un voyage explorant la misère de l’homme (sans Dieu) et, en creux, la grandeur de l’homme. Or, ce cheminement n’est pas celui du poète, mais de tout homme. Le dernier vers n’apostrophe-t-il pas le lecteur ainsi : « Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère » ?

b’’) Présentation

La chute, publiée en 1956, est la dernière œuvre achevée par Albert Camus [14]. Un an plus tard, il recevra le prix Nobel de littérature. Trois ans plus tard, il décède, brutalement (1960).

La brève présentation que fait Camus de son personnage permet d’entrer d’emblée dans le cœur du récit : « L’homme qui parle dans La chute se livre à une confession calculée. Réfugié à Amsterdam dans une ville de canaux et de lumière froide, où il joue à l’ermite et au prophète, cet ancien avocat attend dans un bar douteux des auditeurs complaisants. Il a le cœur moderne, c’est-à-dire qu’il ne peut supporter d’être jugé. Il se dépêche donc de faire son propre procès mais c’est pour mieux juger les autres. Le miroir dans lequel il se regarde, il finit par le tendre aux autres [15] ».

c’’) Brève analyse

L’ouvrage est découpé en 6 parties non numérotées. Il se présente comme un récit à la première personne, tout d’une traite. Je systématiserais non seulement selon les journées mais selon les moments intérieurs.

La première journée est en quelque sorte la présentation. Jean-Baptiste Clamence – mais il s’agit d’un faux nom, selon son propre aveu, le vrai patronyme demeurant inconnu – aborde un compatriote dans un bar douteux d’Amsterdam, le Mexico-City. Il lui propose de lui servir d’interprète auprès du barman. Il se présente et indique qu’il est « juge-pénitent ». En traversant le quartier juif, il évoque les horreurs de la guerre et les crimes des nazis. Il lui parle aussi de la Hollande, « pays de marchands et de rêveurs ». Clamence quitte son interlocuteur devant un pont : il s’est juré de ne plus jamais franchir un pont la nuit. Il donne rendez-vous à son interlocuteur pour le lendemain.

  1. Le moment de l’illusion (de bonté)

La deuxième journée, Clamence évoque son passé. Il dévoile d’abord les aspects positifs, son excellence et même son côté « un peu surhomme [16] ». Il raconte à son interlocuteur comment, jadis avocat à Paris, il mena une brillante carrière. Il était respecté de tous et épris des nobles causes. En parfait accord avec lui-même et avec les autres, « sa vie était une fête, et il était heureux ».

  1. Le moment de l’auto-accusation

Or, un soir d’automne, alors qu’il contemple la Seine depuis le pont des Arts, Clamence entend un rire mystérieux. Ce rire « amical pourtant » a remis « les choses en place [17] ». Il rentre chez lui, contrarié. Lorsqu’il se regarde dans le miroir, son sourire lui semble double. L’innocence auto-proclamée, cette face de satisfaction volent soudain en éclat. Dès lors, à partir de la troisième journée va commencer une entreprise systématique de dénigrement. Non pas seulement l’exposé symétrique de ses défauts, mais le démasquage, le débusquage de toutes ses duplicités, de toutes ses hypocrisies. Clamence va déconstruire sa vertu pour y découvrir le vice caché. Tous les domaines de sa vie passent à ce laminage sans pitié. Il se dit généreux ; or, il se souvient d’une altercation avec un motocycliste qui tourne à son désavantage ; et l’épisode, humiliant, nourrit un ressentiment vengeur [18]. Il croit aimer sinon la femme du moins les femmes ; or, la fidélité à tous est l’infidélité à chacune : « je les aimais […], ce qui veut dire que je n’en ai jamais aimé aucune [19] ». La mémoire lui revient progressivement, révélant les nombreux cadavres encombrant ses placards : il se souvient de cette jeune fille qui s’est jetée dans la Seine du pont Royal et que, paralysé par le froid, non seulement il n’a rien fait pour la sauver, mais il n’a pas cherché à prévenir de la disparition ; surtout, il se souvient que, pendant la guerre, dans un camp de prisonnier, il a bu l’eau d’un agonisant, précipitant ainsi son décès.

Toutes ces attitudes s’enracinent dans l’égocentrisme : « Il y avait plus de trente ans que je m’aimais exclusivement [20] ». Ce rire sur le pont lui a ouvert les yeux sur sa vanité : « Moi, moi, moi, voilà le refrain de ma chère vie [21] ». Vanité lorsqu’il s’en est pris violemment à un automobiliste. Vanité aussi à l’égard des femmes, ou plutôt de ses conquêtes féminines : « je satisfaisais l’amour que je me portais, en vérifiant chaque fois mes beaux pouvoirs [22] ».

Clamence nomme aussi le mécanisme qui lui a permis d’ignorer cette vérité : l’auto-cécité Il se dédouble entre une partie superficielle, erronée et une partie profonde, vraie. Il se cache à lui-même ce qu’il est et il oublie ce qu’il fut et qu’il ne veut pas être. Il faut donc ajouter à l’égoïsme et à l’orgueil, le mensonge.

  1. Le moment de l’accusation

Comment sortir de cette spirale destructrice de la confession ? Clamence pense au suicide, thème camusien s’il en est. Mais il y a renoncé : on l’aurait trop vite oublié ; il n’aurait pu jouir de son acte ; et, la raison la plus profonde, il aime la vie, sa vie, il s’aime : « je plie, parce que je continue de m’aimer [23] ». De même, ayant découvert sa propre duplicité, Clamence a essayé de rechercher l’amour de ses contemporains, mais il ne s’est heurté qu’à leur jugement péremptoire. De même, écœuré, il s’est livré à la débauche, puis a sombré dans le « mal confort », avant d’admettre sa culpabilité et de se convaincre que tous les hommes sont coupables. Le Christ lui-même a donné l’exemple en mourrant sur la croix pour une faute, le massacre des enfants de Judée, dont il se sentait obscurément coupable.

Dès lors, une seule voie est possible. La quatrième journée, la confession se poursuit dans une île du Zuyderzee. Clamence va passer de l’auto-jugement sans appel à un jugement universel tout aussi définitif. Ainsi apparaît la figure du « juge pénitent ». « Après de longues études sur moi-même, j’ai mis au jour la duplicité profonde de la créature [24] ». Clamence n’a pas la naïveté de s’extraire, de se différencier de ceux que Sartre appelait les « salauds », ainsi que nous le faisons si souvent en parlant des « gens », comme si nous étions différents. Mais, plus subtilement, il s’ingénie à se rendre odieux pour casser l’image d’honnête homme qu’on a de nos concitoyens ; il ne dévoile ses propres bassesses que parce qu’elles sont le lot commun de l’humanité : ce qu’il y a de plus personnel vaut d’être dévoilé car, paradoxalement, c’est ce qu’il y a de plus universel. « Plus je m’accuse, plus j’ai le droit de vous juger [25] ».

Lors de la cinquième journée, Clamence, malade, reçoit son compagnon dans sa chambre. Il a la fièvre et est au lit. Il raconte à son interlocuteur comment, pendant la guerre, alors qu’il était prisonnier, il avait volé de l’eau à un compagnon agonisant. À présent, dans le placard de sa chambre, il a caché un tableau, Les juges intègres de Van Eyck, que recherchent toutes les polices du monde. Il a l’espoir que ce recel lui vaudra un jour d’être arrêté. Il explique enfin en quoi consiste son métier de juge-pénitent : il se confesse aux autres des fautes que chacun peut avoir commises, puis il implique peu à peu son interlocuteur et pour finir, retourne le miroir afin que chacun puisse s’accuser à son tour. Il est donc d’abord pénitent, puis devient juge et se libère. Malgré sa fièvre, il souhaite se lever pour aller voir tomber la neige ; ce qu’il fait, puis se recouche. Chaque fois qu’il aborde un « client », il espère que ce sera un policier venu l’arrêter pour le recel du tableau. Cette fois encore, il avait l’espoir. Mais l’inconnu abordé dans ce bar d’Amsterdam se trouve être, un avocat parisien, comme lui…

2’’) Universalisation de l’attitude

Or, cette tentation d’accusation caractérise l’homme contemporain. La chute paraît en 1956, mais a été portée les années qui suivent la seconde guerre mondiale. Or, elles se caractérisent par les excès de l’épuration : Camus, bien que résistant, est intervenu en faveur de Rebatet et Brasillach. Il y a aussi l’horreur nazie, soviétique et la guerre d’Algérie qu’il a vécue comme un drame personnel.

Cette attitude d’universelle accusation s’accompagne d’un aveu lui aussi universel. Elle n’est excusable que parce que son auteur s’accuse, ne s’exclut pas naïvement. Avant le Journal d’Amiel, cette posture semble germer, semble-t-il, dans les Confessions de Rousseau : pendant plus de quarante ans, le souvenir du ruban volé et surtout l’accusation d’une servante innocente lui ont fait perdre le sommeil.

Tels sont donc les deux traits de cette attitude contemporaine : l’auto-dénigrement exhibitionniste, le sanglot de l’homme blanc ; l’universelle accusation. Double est la corrélation. La première, selon Camus, est pour soi : « étendre le jugement à tout le monde pour le rendre plus léger à [ses] propres épaules [26] » ; pour l’autre, mais ici c’est le chrétien Mauriac qui parle : « Celui qui confesse tout aide au soulagement de ceux qui n’avouent rien [27] ».

3’’) La cause profonde : l’athéisme

Or, il est hautement révélateur que Clamence se caractérise comme clairement athée : « Ah ! Pour qui est seul, sans dieu et sans maître, le poids des jours est terrible [28] ». Il s’agit de l’athéisme de celui qui divinise la liberté, ce mot qu’il ne cesse de proclamer : « Il faut se choisir un maître, Dieu n’étant plus à la mode [29] ». Par conséquent, Camus établit une corrélation claire entre le refus du jugement et l’absence ou plutôt le déni de Dieu : « Ces hommes sans lois… ne peuvent supporter aucun jugement […] Celui qui adhère à une loi ne craint pas le jugement qui le replace dans un ordre auquel il croit. Mais le plus haut des tourments humains est d’être jugé sans loi. Nous sommes pourtant dans ce tourment [30] ». De même, plus tard : « Drôle d’époque, vraiment ! […] Il n’y a plus de père, plus de règle ! On est libre, alors il faut se débrouiller […] Ils ne croient qu’au péché, jamais à la grâce [31] ».

4’’) Une ébauche d’issue

En creux, il se dit donc le besoin universel de pardon, mais venant de Dieu. Cette sécularisation de l’aveu sans pardon est-il au fond d’origine chrétienne : « on ne pouvait mourir sans avoir avoué tous ses mensonges [32] ». De fait, Clamence ne peut faire taire les besoins fondamentaux de son âme : il avoue qu’il a lui aussi « besoin d’aimer et d’être aimé [33] ». Parlant de l’amitié il soupire : « Si j’en suis capable moi-même ? Je voudrai l’être, je le serai. Oui, nous en serons tous capables un jour, et ce sera le salut [34] ». Mais l’homme, la femme l’a déçu. De même, Clamence dit son désir de vérité en avouant tous ces mensonges : « n’y eût-il qu’un seul mensonge de caché dans une vie, la mort le rendrait définitif […] et ce meurtre absolu d’une vérité me donnait le vertige [35] ». Comment se relever ? En demandant à Dieu ce que l’homme ne peut faire.

« Temps modernes. Ils admettent le péché et refusent la grâce [36] ». Comme le notait Chapelle commentant Ricœur : nous sommes à l’époque d’après la chute et d’avant la rédemption. En ce sens, nous demeurons chrétiens. Nous sommes devenus pauvres mais n’avons pas oublié que nous avons été riches.

L’on pourrait ajouter un autre discernement : le moderne n’a pas médité la quatrième semaine. Il sait que le Christ est mort en Croix, voire il l’appelle son ami ; mais il ne croit pas que le Christ est ressuscité : « il est parti pour toujours ». Et les chrétiens ont trahi le Christ : « ils jugent et condamnent, le pardon à la bouche et la sentence au cœur [37] ».

3’) Exposé plus général. Forme systématique
a’) La morale conséquentialiste

Cette posture éthique est tellement répandue qu’il finit par imprégner notre vision des choses à notre insu.

À côté du conséquentialisme spéculatif (comme position doctrinale), il existe donc un conséquentialisme pratique. Il n’est par exemple pas rare que nous nous jugions à nos résultats : « Je n’ai pas réussi mon éducation, puisque mon enfant ne va pas à la messe ».

L’encylique Splendor veritatis a fermement condamné le conséquentialisme, rappelant qu’il y a des actes que l’on ne peut jamais commettre, quel que soit le bien que l’on puisse en tirer. Ainsi on ne peut jamais blasphémer, commettre un adultère ou tuer un innocent, quelles que soient les circonstances. « Une intention bonne (par exemple : aider le prochain) ne rend ni bon ni juste un comportement en lui-même désordonné (comme le mensonge et la médisance). La fin ne justifie pas les moyens. Ainsi ne peut-on pas justifier la condamnation d’un innocent comme un moyen légitime de sauver le peuple [38] ».

b’) La morale procédurale

Une autre tentation relativise tout autant l’existence d’une loi objective universelle et donc la mise en œuvre de la justice. John Rawls a proposé une théorie purement procédurale de la justice [39] séparant le juste du bien : ce qui est juste n’est pas déterminée par un critère indépendant, objectif mais par des procédures adéquates acceptées par consensus. La justice se fonde ni sur l’utilité, ni sur la seule loi établie par la majorité, mais sur le bien, un bien qui lui-même exprime la nature de l’homme, cette nature étant, ultimement, créée par Dieu.

 

« La justice – écrit le Compendium de la doctrine sociale de l’Église – est particulièrement importante dans le contexte actuel où la valeur individuelle de la personne, sa dignité et ses droits, malgré les bonnes intentions proclamées, sont sérieusement menacés par la tendance toujours plus large de faire un usage exclusif du critère d’utilité et de propriété [40] ».

c’) La tentation de Ponce Pilate

Aujourd’hui, ne doit-on pas craindre le retour de Ponce Pilate, selon le titre de l’ouvrage courageux et salutaire de l’ancien évêque de Strasbourg, qui avait marqué à l’époque de sa parution [41] ? Le sous-titre constitue tout un programme : « L’Église provoquée au courage », le courage de la vérité.

Voici le diagnostic : Ponce Pilate « est un homme intelligent, professionnellement compétent et soucieux d’être un bon fonctionnaire. Il est clairvoyant, sensible au bien, désireux d’être juste. Mais il est faible, versatile, opportuniste. […] Dans le secret de sa conscience, il estimait Jésus de Nazareth. Il le savait innocent. Il eût été content d’arriver à le sauver. Mais il a peur de l’impopularité ». En faisant châtier Jésus, il met déjà « le doigt dans l’engrenage de l’injustice et du mal » et « il y passera tout entier ».

« Ponce Pilate ne risque-t-il pas de revenir ? N’est-il pas déjà parmi nous ? On le trouve dans tous les pays et dans tous les camps, partout où ‘l’Innocent’ continue à déranger ». Et d’en présenter un tableau tristement actuel, involontairement cruel où l’on pourrait distinguer différents critères : « Beaucoup d’hommes sont devenus semblables à Ponce Pilate, des hommes comme lui capables d’influence, comme lui intelligents, pleins de bonnes intentions, désireux de bien faire et qui n’ont pas peur de parler ou d’agir quand cela ne comporte aucun risque. Mais lorsqu’il s’agit de faire un choix difficile, de redresser une situation, ils cherchent comme Pilate des alibis. Ils se disent que, pour garder de l’influence, il faut savoir faire des concessions ; il ne faut pas déplaire même à ceux qui ont tort. Ils appellent patience ce que d’autres appellent faiblesse et lâcheté [42] ». Au fond, « ceux qui imitent Ponce Pilate cherchent avant tout à se protéger [43] ». Et de conclure : « Le procès du Christ continue. Il doit nous empêcher de dormir [44] ».

d’) L’exception

Il ne faut pas confondre ces déviances morales avec l’exception. La loi positive, civile devrait exprimer ou au moins respecter la loi naturelle. Il demeure que l’obéissance à la législation étatique, obéissance que tout homme d’un pays donné est appelée à vivre, n’est pas absolue. Seule la loi naturelle requiert cette fidélité sans défaillance. L’existence de lois iniques a d’ailleurs conduit le pape Jean-Paul II à rappeler qu’en certains cas, l’on doit suivre la loi morale contre la loi civile : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Ac 5,29) [45]. Ce qui est vrai de la loi nationale, faut-il le préciser vaut aussi pour les législations internationales.

Il faudrait ici parler de l’objection de conscience.

4) Nature de la justice

Il se pose deux difficultés. Tout d’abord, la justice semble plutôt relever de la structure extérieure, ce que l’on appelle « la justice » et qu’incarnent par exemple les structures judiciaires, l’appareil juridique, que de la vertu. Ensuite, dans l’Écriture, la justice relève plus de l’ordre théologal que de l’ordre moral. Dans l’un des textes les plus fameux de l’Écriture, il est dit que « le juste vivra par la foi » (Rm 1,17) ; or, la foi est une vertu théologale.

Pour répondre, je distinguerai un triple concept de justice ou plutôt une triple approche que, par référence à saint Augustin, je qualifierai d’extérieure, intérieure et supérieure.

a) Justice extérieure

Quand on parle aujourd’hui de justice, on traite de réalités objectives et extérieures : les structures, le Palais de justice, les différents codes de justice, les juges, etc. La justice est une réalité sociale et politique, nationale et internationale. Au mieux, la justice évoque un ensemble plus ou moins complexe, voire contraignant de prescriptions et de normes. Toutefois ces règles demeurent extérieures à nous-mêmes, voire étrangères à nos vies.

b) Justice intérieure

Pourtant, avant d’être une réalité extérieure et collective, la justice est une réalité intérieure et personnelle. Avant de concerner la politique, elle concerne l’éthique. À côté de la justice sociale, tant soulignée par le monde contemporain, existe une justice en quelque sorte subjective, la virtus cardinalis de justice. Alors que les trois autres vertus cardinales – la prudence, le courage et la tempérance – concernent la relation de l’homme avec lui-même, la justice le perfectionne dans sa relation avec l’autre : elle est « la capacité de vivre vraiment vraiment avec l’autre », « l’art de la vie commune », disait le moraliste Josef Pieper [46]. Au fond, on ne parlait pas tant de la justice (qui est une abstraction) que d’homme juste.

Pour les Anciens (les Grecs et les Latins), mais aussi pour le monde médiéval et jusqu’à l’orée des temps modernes, la justice était d’abord une disposition intérieure, une perfection. Voire, elle était la plus désirable des vertus. C’est ainsi que Cicéron affirmait : « C’est dans la justice que la vertu brille de son plus vif éclat ; car c’est à cause d’elle que les hommes sont appelés bons [47] ». En effet, la grandeur de la justice vient de ce qu’elle ouvre l’homme non pas seulement à son bien propre, comme les autres vertus, mais au bien commun. Voilà pourquoi Aristote écrit que « la plus éclatante des vertus paraît être la justice, et que ni l’étoile du matin ni celle du matin ne sont aussi admirables [48] ». En ce sens, la justice internationale, si elle n’est pas seulement déposée dans des traités et des instances juridiques, mais aussi dans le souci des cœurs humains, constitue l’une des plus hautes vertus humaines.

C’est cette dimension intérieure qu’énonce la définition classique : « La justice est une volonté perpétuelle et constante d’accorder à chacun son droit [49] ». Explicitons les deux parties en commençant par la seconde, car elle est la plus aisée à comprendre.

D’abord, la justice consiste à d’accorder à chacun son droit, c’est-à-dire à rendre à chacun ce qui lui est dû. Il est juste de payer un kilogramme d’oranges : dans le cadre d’une économie de marché, l’argent mesure le travail. Il est par contre injuste de mentir à une personne : l’intelligence est désir du vrai ; donc la vérité est un bien qui est dû à tout homme.

Ensuite, la justice est une volonté constante, autrement dit une disposition stable, ce qui caractérise toute vertu. Le père Servais Pinckaers commente profondément : « Un vouloir constant, cela veut dire une attitude spontanée et ouverte de notre volonté, un certain amour et désir nous portant à reconnaître ce que nous devons à autrui et à le lui donner [50] ». Voilà pourquoi c’est un qualité de cœur, une vertu et non pas par exemple une capacité à bien calculer avec son porte-monnaie ce que l’on doit à l’autre.

Voilà aussi pourquoi les Anciens affirmaient volontiers que mieux vaut subir l’injustice que la commettre [51]. Nous pouvons mesurer la présence de cette attitude vertueuse lorsque nous sommes disposés à mettre la loi commune au-dessus de notre intérêt propre ou d’agir honnêtement alors que le comportement majoritaire est transgressif. Par exemple, il n’est pas rare que, dans le milieu professionnel, on légitime une action illégale (arriver en retard, faire des photocopies pour soi) au nom de l’attitude généralisée de ses collègues ; ici la probité semble rimer avec la naïveté. Tout au contraire, cette droiture est le signe de la véritable justice.

c) La justice supérieure

Enfin, le chrétien n’ignore pas que le terme justice présente aussi un troisième sens, celui que l’on peut qualifier de supérieur. Jean-Paul II a lui-même parlé d’une « justice supérieure » : « Dans l’expérience existentielle de l’Église, les paroles ‘droit’, ‘jugement’ et ‘justice’, malgré les imperfections et les difficultés de tout ordre humain, évoquent le modèle d’une justice supérieure, la justice de Dieu, qui se pose comme moyen et comme terme de confrontation inévitable [52] ».

En effet, le Dieu biblique apparaît comme le Dieu juste : « Le Seigneur est juste [çaddiq] en toutes ses voies, miséricordieux en toutes ses œuvres », chante le psalmiste (Ps 145,17). Dieu apparaît comme le juste juge car il ne fait pas acception des personnes (cf. Dt 10,17 ; 2 Ch 19,7) ; notamment il ne favorise pas le riche et le puissant (Sg 6,1-8). Tout au contraire, il fait droit au pauvre et à l’isolé, la veuve, l’orphelin et l’étranger (Dt 10,18). Est-il besoin de souligner combien une telle attitude éclaire l’attitude du chrétien dans le contexte actuel de la mondialisation ?

Mais, chez Paul, l’expression « justice de Dieu » prend un sens nouveau : désormais, il ne s’agit plus de la justice que Dieu exerce comme juge vis-à-vis des hommes, mais de celle qu’il communique à l’homme afin qu’il soit justifié par la foi (cf. Rm 1,17). Cet élargissement du sens étonne. Pourtant, le sens moral et le sens théologal, religieux de la justice sont-ils équivoques ? Nullement : le juste devient celui qui est a-justé à Dieu.

Pascal Ide

[1] Catéchisme de l’Église catholique, n. 2410.

[2] Alexandre Dumas, Le comte de Monte Cristo, Paris, Librairie générale française, Le livre de poche n° 1355, 3 tomes, vol. 3, p. 573. C’est moi qui souligne.

[3] Ibid., p. 592.

[4] Ibid., p. 592 et 593.

[5] John Prizer, « Sleepers : une vision cynique du prêtre des rues », Communio. Décalogue VI. Tu ne commettras pas d’adultère, 12 (1997) n° 1, p. 91-94, ici p. 94.

[6] Pour le détail, vous pourrez aller voir l’excellente étude de Servais-Thomas Pinckaers (Ce qu’on ne peut jamais faire. La question des actes intrinsèquement mauvais. Histoire et discussion, Fribourg (Suisse), Éditions universitaires, Paris, Le Cerf, 1986, notamment le chapitre 1, p. 11 à 19) auquel nous empruntons l’exemple qui va suivre.

[7] Une autre confirmation, intéressante, est fournie par l’analyse que la Bible donne de la psychologie du menteur celui-ci est un inquiet, et sa crainte est constante (cf. Pr 12, 19 ; 21, 6, 20, 17) ; par ailleurs, il vit dans un monde d’apparences et d’ombres ; il y a un lien entre orgueil, haine et mensonge (Pr 7, v. 16 à 19 ; 26, v. 24 à 28).

[8] Juvénal, Satires, VIII, 83-84.

[9] Servais-Thomas Pinckaers, Ce qu’on ne peut jamais faire, en note, p. 19.

[10] Paul Bourget, Le Démon de midi, Paris, Plon-Nourrit, 1914, p. 375.

[11] Cité par Charles Sylvain, Flamme ardente au Carmel. Vie de Hermann Cohen, en religion Père Augustin-Marie du Très-Saint Sacrement, Carme déchaussé, 1880, réédité Flavigny-sur-Ozerain, Traditions Monastiques, 2009, p. 309.

[12] Albert Camus, La Chute, Paris, Gallimard, 1956. Nous citerons à partir de l’ouvrage Théâtre, récits, nouvelles, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », paris, Gallimard, 1962. Je m’aiderai de l’intéressante analyse de Corinne Marion, « Notre cœur aurait beau nous accuser. Réflexions à propos de La Chute de Camus », Communio (F), 34 (2009) n° 5, p. 49-66.

[13] Ibid., p. 2015.

[14] Albert Camus, La Chute, Paris, Gallimard, 1956. Nous citerons à partir de l’ouvrage Théâtre, récits, nouvelles, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1962. Je m’aiderai de l’intéressante analyse de Corinne Marion, « Notre cœur aurait beau nous accuser. Réflexions à propos de La Chute de Camus », Communio (F’), 34 (2009’) n° 5, p. 49-66.

[15] Ibid., p. 2015.

[16] Ibid., p. 1490.

[17] Ibid., p. 1495.

[18] Cf. Ibid., p. 1504.

[19] Ibid., p. 1505

[20] Ibid., p. 1527

[21] Ibid., p. 1500

[22] Ibid., p. 1507

[23] Ibid., p. 1514

[24] Ibid., p. 1518

[25] Ibid., p. 1548

[26] Ibid., p. 1546.

[27] François Mauriac, Commencement d’une vie, in Œuvres, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1990, p. 65.

[28] Albert Camus, La Chute, p. 1544.

[29] Ibid., p. 1544.

[30] Ibid., p. 1535.

[31] Ibid., p. 1545.

[32] Ibid., p. 1521.

[33] Ibid., p. 1526.

[34] Ibid., p. 1492.

[35] Ibid., p. 1521.

[36] Albert Camus, Carnets III, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1989, p. 62.

[37] Albert Camus, La Chute, p. 1534-1535

[38] Catéchisme de l’Église catholique, 8 décembre 1992, n. 1753.

[39] Cf. John Rawls, A Theory of Justice, Oxford, Oxford University Press, 1971, p. 117.

[40] Conseil Pontifical Justice et Paix, Compendium de la doctrine sociale de l’Église, Città del Vaticano, Libreria Editrice Vaticana, 2004, n. 202.

[41] Léon Arthur Elchinger, Le retour de Ponce Pilate. L’Église provoquée au courage, Paris, Fayard, 1975.

[42] Ibid., p. 15.

[43] Ibid., p. 16.

[44] Ibid.

[45] Cf. par exemple Jean-Paul II, Lettre encyclique Évangelium vitae, 25 mars 1995, n. 68.

[46] Josef Pieper, Über dans christliche Menschenbild, Einsiedeln, Freiburg-in-Brisgau, Johannes Verlag, 1995 ; trad. : La luce delle virtù. Alla ricerca dell’immagine critiana dell’uomo, trad. Carlo Danna, Milano, San Paolo, 1999, p. 21.

[47] De Officiis, L. I, 7.

[48] Éthique à Nicomaque, L. V, ch. 1, 1129 b 27.

[49] Cf. S. Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, IIa-IIae, q. 58, a. 1. Cf. Catéchisme de l’Église catholique, n. 1807.

[50] Cf. Servais Pinckaers dans La quête du bonheur, Paris, Téqui, sans date, p. 98 à 101.

[51] « Subir l’injustice comporte un excédent de mal sur le bien qu’il y a à la commettre » (Platon, République, L. II, 158e-159 a. Cf. Critias, 54 b-c ; Gorgias, 469 b-c ; Lois, L. V, 731 a-d ; L. VIII, 829 a).

[52] Allocution du 17 février 1979, n. 4, AAS, 71 (1979), p. 426.

10.2.2020
 

Les commentaires sont fermés.