Une théologie du don. Les occurrences de GS chez JP II 1/4

Pascal Ide, « Une théologie du don. Les occurrences de Gaudium et spes, n. 24, § 3 chez Jean Paul II », Anthropotes, 17/1 (2001), p. 149-178.

« Saint Jean nous presse d’être logiques dans notre vie. Il le fait très clairement et simplement : nous avons été aimés par Dieu, donc, en retour, nous devons aimer notre prochain. Ses paroles sont extrêmement énergiques : ‘Si quelqu’un dit : ‘‘J’aime Dieu’’, et n’aime pas son frère, celui-là est un menteur ; car celui qui n’aime pas son frère qu’il voit ne peut pas aimer Dieu qu’il ne voit pas. (1 Jn 4,20) [1] ».

1) Introduction

a) L’hypothèse de travail

Le don est un concept central de la pensée de Jean Paul II. S’il est impossible de proposer une étude systématique de cette théologie dans l’espace d’un article, il y a cependant un moyen de l’approcher : repérer les citations que le pape fait d’un passage central de la Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes : « L’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même [2] ».

En effet, d’une part, Jean Paul II souligne à plusieurs reprises l’importance primordiale que revêt ce « passage assez simple mais d’une extraordinaire densité [3] », en des termes d’une radicalité qui attire l’attention. Certes, le texte est récent, mais il s’inscrit « dans la ligne de toute la tradition [4] ». Son objet est central, car, comme le dit déjà la première citation explicite entière du passage, le 2 février 1979, il exprime « la vérité qu’est l’homme [5] ». Et de cette vérité sur l’homme, de cette anthropologie, GS 24 livre un point clé [6], un des « fondements [7] », un résumé (« dans ces paroles de la Constitution pastorale du Concile, est résumée toute l’anthropologie chrétienne [8] »), une synthèse (expression qui revient plus souvent : ce « texte remarquable synthétise » « la vérité essentielle sur l’homme [9] » ; il révèle « le secret des âmes et la conscience humaine [10] ». Il « présente d’une manière synthétique l’ensemble de la vérité sur l’homme et sur la femme […] comme la structure qui porte l’anthropologie biblique et chrétienne [11] ». Il révèle « le secret des âmes et la conscience humaine [12] » : « Qu’est-ce que l’homme ? Le dernier Concile répond ». Suit la citation de tout le passage. « Cette réponse est la synthèse de la vérité contenue dans l’Évangile, de la vérité qu’ont approfondi et vérifié les générations de ceux qui ont suivi le Christ dans le cours des siècles [13] ») et même, la définition de l’homme (le passage final de GS 24 est « d’une certaine manière la définition de l’homme que nous a donnée le Concile Vatican II [14] ». Plus exactement encore, il est une « description » et « même en un certain sens » une « définition », et le pape précise : « ce n’est pas là une interprétation purement théorique, ou une définition abstraite, car elle montre de manière essentielle ce que signifie être homme », à savoir se donner [15]).

D’autre part, le passage de Gaudium et spes, qui constitue « une des clés de l’enseignement conciliaire [16] », propose une véritable théologie centrée sur le don. De prime abord, cette affirmation étonne. Pourtant, l’hypothèse de travail que je souhaite défendre est que ce texte du Concile contient en germe toute une théologie du don progressivement (ce qui ne signifie pas totalement !) élaborée par le pape dans ses discours.

Avant d’en venir au travail d’explicitation opéré par le Saint-Père, il vaut la peine de tester l’hypothèse sur le texte conciliaire lui-même. Cela permettra aussi de mesurer la nouveauté introduite par Jean Paul II. J’en resterai à ce seul membre de phrase et à son histoire immédiate.

Il me semble que l’on peut distinguer trois parties :

  1. « …l’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même… »
  2. « …ne peut pleinement se trouver que… »
  3. « …par le don désintéressé de lui-même ».

Puisque ma perspective est celle de la théologie du don, je commencerai par ce qui en traite de la manière la plus manifeste : le troisième membre.

1’) Troisième membre : « …que par le don désintéressé de lui-même ».

La corrélation entre la fin du paragraphe 24 et le don est évidente : non seulement le terme don y est présent, mais il en constitue le signifiant principal, précisé par un complément d’objet (de soi) et une épithète (désintéressé). La seule difficulté concerne ce qualificatif ou plutôt sa traduction du latin sincerum en français. On en trouve globalement trois.

La traduction officielle du texte conciliaire en français, que l’on doit au cardinal Gabriel-Marie Garonne est celle que je viens de donner : désintéressé. L’immense majorité des traductions ultérieures lui emboîte le pas. La polyglotte vaticane parle de « don total », principalement voire seulement, dans la traduction de l’encyclique Evangelium vitæ. Il demeure la traduction la plus évidente, la plus transparente : « sincère ». On la rencontre plus d’une fois dans la traduction officielle [17]. L’italien parle lui-même de dono sincero.

En fait, les deux premières traductions sont plus une interprétation qu’un retour au texte même. Le mérite de « désintéressé » est, par sa redondance, de souligner la gratuité du don, celui de « total » d’en rappeler la radicalité. L’inconvénient commun est de perdre la nuance apportée par le terme latin sincerum, voire d’en enjamber le sens précis.

Je pense qu’il faut préférer la dernière traduction. En effet, faute d’une étude précise de l’histoire de ce mot et de ses autres occurrences dans les documents préparatoires du Concile et dans celui-ci, partons de son étymologie qui est aussi suggestive que concrète : sincerum vient de sine cera, sans cire. À l’origine, la sincérité désigne la qualité d’un miel qui n’est pas mélangé à de la cire en vue de bénéfices illicites. Transféré du monde des choses au monde des personnes, ce terme signifie le caractère non mélangé d’une attitude, d’une parole, etc. « sincérité signifie pureté, explique le Père Cottier ; la sincérité est la transparence à la vérité [18] ». Un don sincère sera par conséquent un don pur de toute recherche de soi. Par ailleurs, don insiste sur le caractère objectif de l’acte, comme le montre le contexte, sincère sur sa dimension subjective. Donc, loin d’être une répétition, l’expression « sincerum […] donum » cherche, de manière originale, à conjuguer une double démarche objective (qu’est-ce que l’acte humain bon ? C’est un acte de don) et subjective (comment se vit l’acte humanisant, notamment le don ? Dans la sincérité [19]). Or, on sait combien le pape polonais, par formation (thomiste et phénoménologique) comme par conviction, veut dépasser la séparation introduite par ces derniers siècles entre les deux perspectives, dans la pensée en général et la morale en particulier [20]. Voilà pourquoi désormais, en vue d’honorer la réconciliation de ces deux dimensions de l’homme et de la réalité, ce qui est un vœu de Karol Wojtyla autant que de Jean Paul II, je traduirai le latin sincerum ou l’italien sincero par le français sincère.

2’) Premier membre : « l’homme [est la] seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même… »

De prime abord, le premier membre de la phrase de Gaudium et spes ne nous parle pas du don [21]. Il n’en fait aucune mention explicite. Plus encore, il explique l’origine de l’homme qui est créé par Dieu ; or, la cause précède l’effet ; donc, ce passage traite non pas du don lui-même, mais de son fondement, de sa source.

Est-ce si sûr ? Le Concile dit que Dieu veut l’homme pour lui-même. Or, vouloir, pour Dieu, ce n’est pas chercher le bien, le connaître, mais c’est le créer, en être l’auteur : la créature est mesurée par le bien ; mais Dieu qui est Bonté le mesure (cf. Gn 1-2,4). Mais Dieu est amour (1 Jn 4,8.16). Donc, tout ce qu’il accomplit est un acte d’amour. Or, aimer, pour Dieu, c’est se donner (en envoyant son Fils et en donnant « de son Esprit » : 1 Jn 4,9-13). Par conséquent, dire que Dieu veut l’homme, c’est dire qu’il lui fait un don, voire qu’il se donne à lui.

Or, recevoir et donner sont les deux pôles du don. Le terme don présente en effet une double acception : la première, plus passive (par exemple dans la phrase : « on m’a fait un don »), signifie le don que l’on reçoit (le datum) ; la seconde, plus active (par exemple dans l’expression : « le don du sang »), signifie le don que l’on fait, que l’on offre (le donum). Donc, autant le troisième membre parle de l’homme en tant qu’il donne, autant le premier membre traite de celui-ci en tant qu’il reçoit (et reçoit de Dieu).

Il demeure que le texte, d’une part, n’emploie pas explicitement le terme don, d’autre part, ne précise pas en quoi consiste le don de Dieu.

3’) Deuxième membre : « …ne peut pleinement se trouver… »

Moins encore que le troisième membre de phrase, le deuxième ne semble entretenir de relation avec le don : le signifiant, comme le signifié, sont absents. Certes, on peut répondre que l’homme ne se trouve qu’en se donnant ; mais justement, s’il se trouve en se donnant, c’est que tant qu’il n’a pas donné, il ne s’est pas trouvé. En termes techniques : autre est la réalisation, autre est la possibilité ; il faut bien qu’existe un hiatus entre les deux termes pour que soit ménagé un passage du possible vers son effectuation. C’est donc que l’instance appelée à « se trouver », dont parle le deuxième membre de la phrase, se contre-distingue du don de soi dont parle le troisième membre de la phrase et n’est justement rien de ce don. Le même raisonnement vaut à l’égard du don reçu. Sinon, c’est la distinction des trois membres de phrase (et de la logique du don qui la sous-tend) qui s’évanouit.

Quel est le sujet du verbe « se trouver » ? Sans aucun doute c’est l’homme. Mais le verbe est employé à la forme pronominale. Et cette forme pronominale, autrement dit réfléchie, caractérise la capacité de réflexion et d’auto-appropriation de l’homme, autrement dit sa liberté. Donc le sujet propre du verbe invenire est la liberté humaine : c’est l’homme en tant que libre qui se trouve (en se donnant). De prime abord, ce membre de phrase ne dit pas plus. Mettons-le maintenant en relation avec le premier membre. D’où vient cette liberté ? Bien évidemment, à moins d’opter pour une conception totalement constructiviste de la liberté, celle-ci, au moins à titre de capacité, est un don : Jean-Paul Sartre lui-même le constatait, l’homme n’est pas l’origine de sa liberté, il la reçoit. Or, et là nous quittons l’existentialiste français, cette liberté étant une réalité spirituelle transcendant toute causalité matérielle, la personne la reçoit comme un don de Dieu.

Si, en affirmant que Dieu fait l’homme libre, le contenu des dons par lesquels Dieu a gratifié la personne humaine s’est précisé, nous n’avons néanmoins toujours pas quitté la logique passive du don reçu exprimé par le premier membre de la phrase. Pour honorer le deuxième membre et en justifier la distinction d’avec le premier, il faut montrer en quoi consiste ce don non plus en sa réception passive, mais en son appropriation par le sujet humain (« se trouver »). Surtout, notre hypothèse demande de tester s’il existe un lien particulier entre la liberté et le don. Le seul texte conciliaire ne permet pas de dire plus. À mon sens, ce sera, notamment, l’œuvre de Jean Paul II, que de manifester le lien intime existant entre don et liberté : pas seulement un lien d’origine, archéologique (ce qui réduirait le deuxième membre au premier, c’est-à-dire au don reçu : Dieu donne la liberté à l’homme), ou un lien terminal, téléologique (ce qui réduirait le deuxième membre au troisième, au don offert : l’homme s’accomplit en se donnant), mais une relation originale, constitutive de la liberté et présentant un troisième regard sur le don : ni don reçu, ni don offert.

L’histoire du texte conciliaire confirme et précise cette hypothèse. Une version précédente, acceptée par la Commission plénière mixte, disait (je donne le paragraphe entier, mettant en italiques le membre de phrase que je commente) : « La foi chrétienne nous ouvre à ce propos des perspectives tout à fait nouvelles que notre raison n’aurait jamais pu découvrir. Car elle nous enseigne que, s’il n’existe qu’un seul Dieu, il y a en lui trois Personnes, dont chacune vit tellement pour les autres qu’elle est constituée par cette relation même. Créé à l’image de Dieu un et trine, comment la personne humaine n’en porterait-elle pas la marque ? Aussi bien, si l’homme est la seule créature terrestre que Dieu a voulue pour elle-même, il est aussi relation aux autres, à ce point qu’il ne se trouve qu’en se donnant [22] ».

La version définitive du troisième paragraphe est la suivante : « Allons plus loin : quand le Seigneur Jésus prie le Père pour que ‘tous soient un […], comme nous nous sommes un’ (Jn 17,21-22), il ouvre des perspectives inaccessibles à la raison et il nous suggère qu’il y a une certaine ressemblance entre l’union des personnes divines et celle des fils de Dieu dans la vérité et dans l’amour. Cette ressemblance montre bien que l’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver que par le don sincère de lui-même ».

Quelles motivations ont présidé à cette évolution ? Plusieurs experts se sont résolument opposés à la première version du texte conciliaire qui contredit la notion classique et thomiste de la personne hu­maine. En effet, cette version définit la personne comme être en relation. Mais Thomas d’Aquin avait réservé cette caractérisation à la Personne divine : seule celle-ci est relation subsistante [23], c’est-à-dire une relation qui est à elle-même son propre sujet. En revanche, suivant en cela la leçon de Boèce et de l’Occident chrétien, le Docteur Angélique fait de la personne humaine une substance douée de raison, donc de liberté, donc capable de relations.

Cette objection est-elle la seule source de la version définitive ? [24] Elle ne rend pas compte de l’importance accordée au don, qui polarise toute la formule. Et si, loin d’être un retour sécuritaire à une formulation éprouvée, cette phrase était véritablement novatrice, créatrice ? Écartant la notion de relation, elle privilégierait celle plus profonde, plus intégrative et moins équivoque de don. L’avenir promis à cette phrase semble confirmer cette hypothèse [25].

Enfin, un indice grammatical qui ne me semble pas insignifiant confirme cette structuration tripartite de la phrase : le terme latin « ipsum », voire « seipsum » apparaît trois fois en à peine deux lignes : « seipsam », « seipsum », « ipsius » suivant « sui » ; or, à chaque fois, il est associé à l’un des trois moments du don. Une traduction plus ajustée cherchant à honorer cette répétition le montre clairement (je souligne en gras la répétition et en italique le membre de phrase que je rajoute) : « l’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut pleinement se trouver lui-même que par le don sincère de lui-même ».

Si théologie du don il y a, elle est au minimum non contradictoire avec le texte, mais elle n’est pas explicitée. Cette première analyse m’invite donc à mettre en place une cellule de base où je distingue sans les séparer en quelque sorte trois sens, pôles, figures ou moments (ontologiques plus que chronologiques) du don. Par commodité, ne pouvant encore qualifier que le premier (don reçu) ou le troisième (don offert) de ces moments, je les numéroterai parfois, les appelant don 1, don 2 et don 3 [26]. En tout cas, la clef, partiellement cachée, de compréhension de ce texte central serait le don, celui-ci étant décliné de trois manières diverses.

b) Les difficultés

Non seulement cette hypothèse demande à être établie, mais elle est discutable. Je retiendrai trois objections majeures, de la plus superficielle à la plus profonde.

En tout premier lieu, on l’a vu, le texte parle de don de soi mais n’associe en rien le « se réaliser » à la notion de don. L’hypothèse d’une théologie du don se déployant en trois pôles semble donc transgresser la littéralité du texte.

Ensuite, cette phrase de GS 24 semble non pas tripolaire mais bipolaire. Grammaticalement, elle comporte deux phrases ; sémantiquement, elle affirme deux choses, la première concernant l’être de la personne (Dieu a créé l’homme en lui accordant une attention toute particulière) et la seconde son agir (l’homme doit se donner). Notre texte conciliaire, dit expressément le pape, parle de la « vérité au sujet de l’homme » présente « deux accents principaux », correspondant à ce que nous avons appelé don reçu et don offert [27].

Enfin, c’est la phrase même du Concile qui pose problème. Au minimum, elle juxtapose deux affirmations qui ne présentent pas de lien apparent : la création de l’homme par Dieu et sa destination. Au maximum, elle est contradictoire et cela doublement. D’une part, comment un être voulu par quelqu’un d’autre peut-il être réellement autonome ? Or, l’homme est un être libre. D’autre part, il y est dit que Dieu veut l’homme pour lui-même ; puis il y est affirmé que l’homme n’existe qu’en se donnant, donc en étant pour autrui. D’ailleurs, la conscience que Jean Paul II a de ces deux paradoxes est à ce point vive qu’il en fait parfois le point de départ de sa réflexion. « Le destin ultime de l’homme n’est-il pas en désaccord avec l’affirmation que Dieu veut l’homme ‘pour lui-même’ ? Si l’homme est créé pour la vie divine, existe-t-il vraiment ‘pour lui-même’ ? Voilà une question clé, de grande importance […]. En destinant l’homme à la vie divine, il pourrait sembler que Dieu le soustraie définitivement à son existence ‘pour lui-même’ [28] ».

c) Remarques de méthode

Mon travail couvrira les écrits de Jean Paul II depuis le début de son pontificat jusqu’à la fin de l’année 1998. Pour les années 1979-1997, je me suis servi des volumes d’Insegnamenti ; pour l’année 1998, je me suis aidé du tri opéré par la Documentation catholique.

Je ne m’occupe que des citations de la fin de GS 24 et non de tout le numéro. Autrement dit, j’opérerai un repérage lexical, matériel du signifiant, notamment de l’expression « don de soi ». En revanche, je ferai appel au début du troisième paragraphe, mais seulement à titre de signifié, dans son contenu conceptuel, car ce contexte est indispensable pour la juste compréhension du passage que nous étudions.

Comment repérer toutes les références ? Lire les quelques vingt années d’Insegnamenti aurait été préférable, mais la tâche était écrasante sachant que chaque année il y a deux à quatre volumes de mille à deux mille pages chacun. J’ai fait appel à des aides : les tables de fin d’années qui, quoique bien faites, laissent passer des références [29] et les instruments informatiques qui eux aussi sont défaillants, car ils ne collectent pas tous les textes de Jean Paul II et, de toute manière, ne ratissent pas tout. Au total, comme aucun moyen n’est totalement satisfaisant, il a fallu croiser les informations.

Du fait des limites de la méthodologie employée, les statistiques sont forcément discutables et sujettes à caution. Néanmoins, même si toutes les occurrences n’ont pas été repérées, un mouvement se dessine : certes, il est corrigible et même très améliorable dans le détail mais il semble possible à dessiner dans son ensemble.

Les citations seront principalement [30] de trois sortes : explicites, implicites et autoréférentes. J’appelle citations explicites les citations de GS 24 [31] référencées dans le texte officiel. En droit, je ne devrais retenir qu’elles, mais les formules – notamment la dernière : « sincerum sui ipsius donum », ou, en italien : « dono sincero de se » – sont tellement typiques qu’elles ne peuvent pas ne pas être une référence au passage de Gaudium et Spes [32], d’autant que la précocité de la citation intégrale de celui-ci sous la plume du pape montre que l’emploi de ces mots n’est pas une pure coïncidence. Voilà pourquoi j’ai aussi fait appel à des références implicites. Enfin la citation autoréférente constitue un cas intermédiaire entre citation explicite et implicite : il arrive que Jean Paul II ne fasse état de GS 24 qu’à l’occasion d’un passage qui, lui, le mentionne expressément [33].

On peut aussi répartir les textes selon leur contenu. Certains textes font seulement mention au texte conciliaire ; d’autres le citent littéralement sans plus ; d’autres, enfin, et c’est la majorité, commentent et apportent souvent une précision complémentaire, parfois une véritable lumière nouvelle. Reste que nulle part, le Souverain Pontife n’offre un exposé systématique de GS 24 et encore moins sur le don. Ce n’est pas le labeur du Magistère que de présenter une théologie au sens propre du terme. L’auditus fidei n’est pas l’intellectus fidei. Pour autant, certains textes font plus qu’exposer le donné révélé ; ils l’élaborent.

Enfin, le concept de don semble central dans un certain nombre de texte du Saint-Père. Or, le plus souvent, la réflexion est alors alimentée par le texte conciliaire. On peut les graduer selon leur portée. On trouve d’abord des textes importants par leur taille et leur autorité comme les lettres encycliques Splendor Veritatis (1993), Evangelium Vitæ (1995), la lettre apostolique Mulieris dignitatem (1988), la lettre aux familles Gratissimam sane (1994). Il y a ensuite tout un ensemble qui, quoique de moindre autorité, impressionne par son ampleur et sa profondeur systématique : je veux parler des audiences (des « catéchèses ») sur la dimension « sponsale » du corps humain (notamment 1979-1982). Tel est enfin le cas de textes plus brefs et de portée magistérielle encore moindre que nous rencontrerons chemin faisant. Notre travail vise à ressaisir l’unité de la pensée du pape dans son ampleur : il est de théologie systématique et non de théologie fondamentale ; je ne chercherai donc pas à graduer les degrés d’autorité – ce qui ne signifie pas que je l’ignore –, mais plutôt à les coordonner. En conclusion, je tenterai une mise en perspective historique.

Rassemblons maintenant de manière systématique, sous six chefs principaux, les divers passages où le pape cite le texte de la constitution pastorale et le commente avec une ampleur insoupçonnée. Les objections se résoudront d’elles-mêmes.

2) Les quatre moments du don

Là encore, partons du don le plus évident, le don de soi (don 3). C’est de lui que traite la fin de la phrase.

a) « …dans le don sincère de soi »

Le pape confirme et manifeste l’importance de l’expression par les multiples références qu’il en fait. Surtout il précise le sens de l’enseignement très général de GS 24 sur quatre points.

1’) Que signifie don « de soi » ?

Le Concile parle non seulement de « don », mais de « don de soi ». Ce complément d’objet signifie trois choses.

Il permet d’abord d’écarter une fausse interprétation du don. En effet, on pourrait « falsifier » cette expression : « l’homme doit devenir un don », en l’interprétant dans « un sens utilitariste, pensant que l’homme devient plus homme quand il gagne plus ». Il vivrait alors dans le don, il s’agirait alors d’un don, mais d’un don pour soi (il accumulerait les biens pour soi), non d’un don de soi [34], ce qui suppose la sortie de soi.

Ensuite, le don de soi dit plus que le seul don. Il ne s’agit pas simplement de donner, mais de se donner. Dit dans un autre registre, il ne s’agit pas de donner ce que l’on a, mais ce que l’on est : « la vraie richesse, dit le pape en se fondant sur GS 24 et 35, ne consiste pas dans le fait d’avoir quelque chose et de donner quelque chose, mais dans la capacité de se donner soi-même [35] ».

Enfin et plus encore, se donner, c’est aussi accepter de se perdre : « Que signifie, en fait, devenir un ‘don désintéressé pour les autres’, si ce n’est pas ‘donner l’âme’, ‘perdre l’âme’ [36] ? » Et Jean Paul II cite implicitement le verset de l’Évangile selon saint Luc (cf. Lc 9,24) qui sous-tend GS 24.

2’) Que signifie « sincère » ?

Jean Paul II précise ce qualificatif en lui substituant parfois d’autres épithètes, parfois des expressions. Son explicitation porte sur la motivation : il parle un moment de « don généreux [37] ». Elle porte aussi sur sa structure objective de l’acte : il parle alors d’« amour gratuit et oblatif [38] » ; donner sincèrement, c’est « offrir sans aucune récompense [39] », autrement dit refuser de chercher un retour. Suivent parfois des caractéristiques dont on ne sait si ce sont des précisions ou des ajouts, mais qui semblent relever de l’explicitation ici objective : « un don sincère de soi », « ‘un don sincère de soi’ sans aucune condition et pour toujours, ni sans aucune limite [40] ».

3’) A qui se donne-t-on ?

On ne se donne pas à un quoi : « L’homme ne peut se donner à un projet seulement humain sur la réalité, à un idéal abstrait ou à de fausses utopies », mais à un qui : « En tant que personne, il peut se donner à une autre personne ou à d’autres personnes et, finalement à Dieu [41] ». Il y a donc deux et seulement deux destinataires du don : les autres [42] et Dieu : « le don de soi [s’accomplit] dans le service de Dieu et de ses frères [43] ». Or, ces deux donations s’articulent et se hiérarchisent : « le don sincère de soi », c’est-à-dire « l’amour de Dieu à travers l’amour pour les prochains que sont les hommes ». Et de citer 1 Jn 4,20 [44]. L’exemple de Jésus confirme cette articulation hiérarchique : lui qui « était totalement donné à son Père céleste et, dans le Père, donné à tout homme [45] ». Ce qui éclaire d’un jour totalement théologal l’amour et le service d’autrui. L’encyclique Centesimus annus citée ci-dessus précise que Dieu est le premier bénéficiaire du don parce que « seul, [il] peut accueillir pleinement ce don [46] ».

4’) À quoi répond le don de soi dans le sujet humain ?

On l’a déjà souligné : le pape est particulièrement attentif à toujours conjuguer, en anthropologie et en éthique, la double approche, subjective et objective. Jusqu’à maintenant, nous avons vu le don de soi en sa structure objective. À l’acte objectif de sortie de soi, de don de soi, répond un état intérieur, un vécu phénoménologique. Triple est l’acte ou le retentissement affectif du sujet humain en donation de soi : amour, paix et joie.

Le don de soi est identiquement l’amour au sens plein du terme. Aimer vraiment, c’est se donner : « la liberté s’accomplit dans l’amour, c’est-à-dire dans le don de soi [47] » ; « la pleine fructification de la liberté est l’amour, en particulier l’amour par lequel l’homme se donne lui-même [48] », « précisément cet amour dans lequel l’homme-personne devient don [49] ».

Le don de soi est aussi source de paix : « Là où l’on cherche le bien de l’autre, parce qu’il ‘est la seule créature que Dieu a voulue pour elle-même’, là donc où l’on aime vraiment, naît la véritable paix. Le fondement de la paix est l’amour [50] ». C’est le don de soi et lui seul qui est source de la paix entre les hommes, aussi bien au plan interpersonnel qu’au plan international : « La paix commence à être une réalité, au niveau des individus et des peuples, lorsqu’existe ‘le don de soi-même aux autres’ [51] ». Jean Paul II parle de la paix extérieure, la concorde, mais il n’est pas interdit d’élargir à la paix intérieure : le don de soi s’expérimente à travers la paix durable qu’il engendre.

Enfin, le don de soi engendre la joie. Le personnalisme, qui est, pour le pape, la réponse à l’individualisme égocentrique, « porte la personne à faire le don d’elle-même aux autres et à trouver sa joie dans le don d’elle-même. C’est la joie dont parle le Christ [52] ». Citant aux séminaristes de Naples la parole du psalmiste : « Bienheureux qui donne avec joie », Jean Paul II indique la nature de cette joie, joie qui est liée à son origine, non pas sentimentale ni même seulement volontaire, mais théologale [53]. Il précise ailleurs : « Joie profonde du don véritable, joie qui est plus qu’un sentiment car elle vient de l’amour du Christ et de la certitude de combattre le bon combat pour la gloire du Christ, en étant un prochain pour chacun de ses frères [54] ».

b) « …seule créature sur terre voulue pour elle-même… »

Je disais que le premier membre de phrase nous parle du don en tant qu’il est reçu. Mais l’objection soulignait à juste titre l’absence de référence faite au terme don. Est-ce si sûr ?

D’abord, à au moins deux reprises, Jean Paul II met le premier moment en relation avec le don [55]. Notamment, dans la lettre aux familles, il emploie l’expression « don reçu » qu’il associe au terme de « talent [56] ».

Surtout, lorsqu’il commente ce passage, le pape fait appel aux différents dons reçus. Ce faisant, non seulement il ratifie notre interprétation, mais il l’explicite considérablement.

1’) Quel don fait à l’homme ?

Le concile ne précise pas en quoi consiste le don que Dieu fait à l’homme. S’agit-il du don de la création – c’est-à-dire, passive assumpta, de l’être créé – puisque le texte parle de l’homme comme d’une « créature » ? Ou bien s’agit-il du « second don », pour parler comme Maurice Blondel, celui de la vie théologale, puisque le début du troisième § de GS 24 souligne la vocation de l’homme à entrer dans la communion trinitaire ? Le pape va lever l’aporie en déployant les différente facettes du don reçu.

Dieu fait d’abord don de l’être créé. En effet, on vient de le dire, la phrase conciliaire caractérise l’homme par son statut de créature. Or, le propre d’une créature est de recevoir son être de Dieu. La notion de créature est relationnelle : elle implique, de manière essentielle, une dépendance à l’égard de son Créateur. On voit aussitôt l’objection très actuelle : comment un être dépendant peut-il être libre ? Cette relation essentielle puisqu’elle est constitutive de l’être n’introduit-elle pas une hétéronomie essentielle ? Ce don vaut de l’être de l’homme en général ; mais il s’entend encore davantage de son être spirituel ; et plus encore de « la liberté que leur a donnée le créateur, ‘de l’autonomie des êtres créés’ [57] ». L’homme est voulu pour lui-même, car il possède la dignité de l’autonomie.

L’amour de Dieu pour la personne humaine ne s’arrête pas à l’instant de la création mais s’étend à toute l’histoire et à son gouvernement providentiel. Il concerne non seulement l’être de l’homme, mais toute son histoire : Dieu exerce une sollicitude toute spéciale sur le quotidien de la vie humaine. C’est ce que dit Jean Paul II en commentant les paroles de Jésus sur l’abandon à la Providence (Mt 6,25-26) : « Ces paroles nous font comprendre ce que doit être l’attitude fondamentale de toute vie spirituelle : ouverture, confiance et sérénité, dans la certitude de l’amour spécial de Dieu pour tout être humain, ‘qui est la seule créature que Dieu ait voulue pour elle-même’ [58] ». Si GS 24 parle de la Providence divine, il est un appel à l’espérance en celle-ci. Jean Paul II commente ainsi les paroles de Jésus sur la confiance (Mt 6,26-30) : « Ces paroles du Christ constituent un appel à l’espérance. Si Dieu se préoccupe avec une paternelle sollicitude des oiseaux du ciel […], comment cessera-t-il de se préoccuper de l’homme ? Comment pourrait-il abandonner l’unique créature de la terre qu’il aime pour elle-même [59]? »

Non seulement Dieu donne mais il se donne. Il ne le gratifie pas seulement du don de l’être créé providentiellement gouverné, il lui octroie la vie divine, c’est-à-dire sa grâce. Jean Paul II en propose un développement bref et admirable dans une de ses audiences : « L’histoire du salut est celle de l’autocommunication progressive de Dieu à l’humanité, qui atteint son sommet en Jésus-Christ. Dans le Verbe fait homme, Dieu le Père veut communiquer à tous sa vie elle-même. En définitive, il veut se communiquer lui-même [60] ».

2’) Confirmation

Le don vaut et la valeur croît avec son unicité. Or que Dieu veuille l’homme pour lui implique aussi, toujours au plan anthropologique, l’unicité de l’homme. « L’homme est pour Dieu un ‘Quelqu’un’ [einJemand’] : unique et irrépétable [61] ». Une raison vient de ce que Dieu fait à l’homme de multiples dons, ainsi que nous l’avons vu (l’existence et la vie divine) ; or, ces dons sont propres à chaque homme. C’est ce que dit Jean Paul II dans sa première encyclique, dans un superbe paragraphe consacré à la sollicitude de Dieu passant par la médiation humaine. Il vaut la peine de citer généreusement : « chaque homme […] a été inclus dans le mystère de la Rédemption, et Jésus-Christ s’est uni à chacun, pour toujours, à travers ce mystère. Tout homme vient au monde en étant conçu dans le sein de sa mère et en naissant de sa mère, et c’est précisément à cause du mystère de la Rédemption qu’il est confié à la sollicitude de l’Église. Cette sollicitude s’étend à l’homme tout entier et est centrée sur lui d’une manière toute particulière. L’objet de cette profonde attention est l’homme dans sa réalité humaine unique et impossible à répéter, dans laquelle demeure intacte l’image et la ressemblance avec Dieu lui-même. C’est ce qu’indique précisément le Concile lorsque, en parlant de cette ressemblance, il rappelle que ‘l’homme est la seule créature sur terre que Dieu ait voulue pour elle-même’. L’homme, tel qu’il est ‘voulu’ par Dieu, ‘choisi’ par Lui de toute éternité, destiné à la grâce et à la gloire […], dès l’instant de sa conception près du cœur de sa mère [62] ». Et l’amour humain prend le relais en reconnaissant « la dignité personnelle de l’autre et […] son unicité sans équivalent [63] ». Une conséquence de cette unicité irrépétable est que Dieu confie choisit, aime et confie à chacun « une mission spéciale [64] ».

Il est donc légitime d’affirmer que le premier membre de la phrase conciliaire parle du don en tant qu’il est reçu : dire que l’homme est la seule créature voulue pour elle-même, c’est dire que Dieu, en créant l’homme, le fait exister, donc lui a fait don de l’être ; voulu par Dieu, l’homme est un don et, voulu pour lui-même, il est le don par excellence.

Que l’homme soit voulu pour lui-même a des implications cosmologiques, anthropologique et éthiques.

3’) Conséquence cosmologique

Cela signifie d’abord qu’il existe une hiérarchie dans la création. C’est pour cela que le pape établit une connexion entre GS 24 et la domination (ou, mieux, la régence) sur l’univers que, selon Gn 1,28, l’homme a reçu de Dieu [65]. Ce texte « qui est un des axes de la pensée chrétienne » oblige à refuser une fausse conception de l’évolution biologique qui considérerait « l’esprit comme émergeant des forces de la matière vivante ou comme un simple épiphénomène de cette matière [66] ». Nous allons mieux le comprendre par le développement suivant.

4’) Conséquence anthropologique

La deuxième conséquence est anthropologique. Jusque maintenant, nous avons répété que l’homme est voulu par Dieu pour lui-même. Mais qu’est-ce que cela signifie, au plan de l’être ? Quelle est la portée ontologique d’une telle affirmation théologique ? La réponse la plus fréquente est la dignité de l’homme : c’est parce que l’homme est doué d’une insigne dignité que Dieu le veut, l’aime pour lui-même et non pour autre chose. Mais une telle réponse est courte. En effet, le concept de dignité est éthique, axiologique. Or, le bien, la valeur se fonde sur la vérité, ainsi que le montre longuement Splendor veritatis. Appliqué à la question de l’homme : l’anthropologie (qui détermine la vérité sur l’homme) fonde l’éthique (qui cherche le bien de l’homme), ainsi que nous le redirons plus bas. Faire appel à la dignité humaine ne suffit donc pas à répondre à la question. La dignité se fonde sur une réalité humaine qu’il convient de déterminer. L’homme, explique Jean Paul II, est voulu par Dieu pour lui-même car il est esprit (certes incarné, mais doué d’une dimension spirituelle). En effet, être esprit, c’est avoir une intelligence et une liberté. Or, le propre de la liberté est d’être cause autonome de ses actes, d’être à soi-même sa providence. Si Dieu voulait l’homme pour autre chose, il nierait donc l’être de l’homme. Il contredirait sa propre création, à savoir ce qu’est la liberté. Cela ne signifie certes pas que l’homme soit indépendant (liberté n’est pas indépendance), puisque cette liberté est reçue et d’autre part appelée à se donner, mais qu’il est autonome, c’est-à-dire qu’il est réellement la source de ses opérations. Le pape revient plusieurs fois sur cette question capitale de l’autonomie valorisée jusqu’à l’excès par les penseurs modernes. « Aussi la pensée chrétienne est-elle constante et cohérente quand elle associe étroitement la grandeur de l’esprit humain à une intervention divine spéciale (cf. Gn 1,26) [67] ». Il y a donc un lien étroit entre l’action spéciale de Dieu, la vérité sur l’homme et sa valeur. Ce qui est une réponse à l’objection athée : Dieu, loin de nier l’homme, en garantit l’excellence.

5’) Conséquence éthique

Ce que l’anthropologie lit comme une vérité à contempler, l’éthique y discerne un bien à accomplir. Cette affirmation présente enfin une dimension éthique. Elle n’est pas seulement descriptive, elle est aussi prescriptive. En effet, que l’homme soit voulu pour lui-même par Dieu signifie qu’il est voulu comme fin et non comme moyen. Or, fin s’oppose à moyen, comme aimer s’oppose à utiliser [68]. C’est donc que, à l’instar de Dieu, l’homme doit faire de l’autre homme une fin et non un moyen. Traduisons dans le registre éthique des valeurs : l’homme n’est jamais une valeur subordonnée à une autre (la réussite, la performance, le bien commun de l’état, etc.), mais il est « la valeur principale et essentielle ». Sinon, « notre mode de pensée s’éloigne de la pensée du Créateur qui, entre toutes les créatures de la terre, n’a voulu l’homme que pour lui-même [69] ». Jean Paul II l’exprime en faisant appel au registre du bien (ou de la dignité), moyennant les prémisses implicites suivantes : le vouloir a le bien pour objet. Donc, vouloir l’homme pour lui-même, c’est y discerner un bien. Ayant rappelé le passage de GS 24 relatif au don reçu, le pape peut souligner : « Les différents commandements du Décalogue ne sont en effet que la répercussion de l’unique commandement du bien de la personne [70] ».

Cette règle fonde toute l’éthique. Elle norme les relations interpersonnelles, notamment homme-femme, ainsi que le montrent longuement les catéchèses sur le corps, à partir de l’Écriture. Elle mesure l’éthique de la vie, depuis la conception jusqu’à la mort : « je condamne, de la manière la plus explicite et la plus formelle, les manipulations expérimentales faites sur l’embryon humain, car l’être humain, depuis sa conception jusqu’à sa mort, ne peut être exploité pour quelque fin que ce soit », affirme solennellement Jean Paul II en citant GS 24 [71]. Cette norme est aussi décisive en matière sociale : « ce qui sert […] de guide […] à toute la doctrine sociale de l’Église, c’est la juste conception de la personne humaine, de sa valeur unique, dans la mesure où ‘l’homme est sur la terre la seule créature que Dieu ait voulue pour elle-même’ [72] ». En plein, car se donner, c’est voir en l’autre un homme et entrer dans la famille humaine ; en creux, car le don fonde aussi le pardon et le refus de la haine et des injustices [73]. Cette norme éclaire en outre les questions économiques, démographiques et sociologiques de pauvreté et de répartition des richesses : « est le sujet des droits et des devoirs primordiaux qui précèdent [which are antecedent] ceux qui dérivent de la vie sociale et politique [74] ». Enfin, elle est fondatrice en politique : « L’homme – la seule créature sur terre que Dieu a voulu pour elle-même – est le sujet de droits et de devoirs primordiaux, qui précèdent ceux dérivant de la vie sociale et politique [75] ». Bref, le passage conciliaire est la première norme de toute la praxis au sens le plus global du terme : « L’homme est la seule créature que Dieu aime pour lui-même, et il est au fondement de chaque valeur [he is at the basis of every value] [76] ». Le rapprochement qui est davantage qu’une juxtaposition est on ne peut plus significatif.

c) « …ne se trouve pleinement que… »

Passons enfin au centre de la phrase. On se souvient que ce membre de phrase est celui qui pose la difficulté la plus délicate et la plus décisive. Le texte conciliaire nous parle de la liberté ; or, celle-ci est non pas le don, mais sa condition, sa source. Ou, si on considère non plus la relation au don offert, mais au don reçu, la liberté est un don en tant qu’elle est passivement reçue, non en tant qu’elle est exercée : alors, elle est plutôt principe d’autodétermination. Bref, la liberté semble effacer le don dès lors qu’on l’observe non plus dans son origine ou dans son terme mais en son effectuation ; or, celle-ci constitue son originalité.

De fait, Jean Paul II distingue parfois nettement la liberté et le don que la première « rend possible [au plan anthropologique] et qualifie [au plan éthique] » : la liberté « est indispensable à l’homme pour qu’il puisse ‘se donner lui-même’ [la mention de GS 24 est faite au n. d’avant], pour qu’il puisse devenir don [77] ». La liberté est aussi indispensable que différente du don dont elle est l’origine. Mais justement, le passage définit « la liberté comme maîtrise de soi ». Or, cette approche n’est que partielle : elle ne considère pas le cœur de la liberté qui est l’autodétermination.

Un autre texte invite à penser que Jean Paul II analyse la liberté dans la lumière de la dynamique du don : « La liberté n’est pas seulement un don de Dieu : elle nous est aussi donnée comme tâche [78] ! » Certes, la liberté est envisagée dans sa distinction et d’avec le don reçu et d’avec le don de soi qui est sa tâche, comme le montre la suite du texte ; il n’empêche qu’elle est prise dans le flux du don.

La réponse la plus claire à la difficulté nous est proposée dans un texte capital de l’encyclique Splendor Veritatis qu’il vaut la peine de citer en entier tant il est lumineux :

 

« La réflexion rationnelle et l’expérience quotidienne montrent la faiblesse qui affecte la liberté de l’homme. C’est une liberté véritable, mais finie : elle n’a pas sa source absolue et inconditionnée en elle-même, mais dans l’existence dans laquelle elle se situe et qui, pour elle, constitue à la fois des limites et des possibilités. C’est la liberté d’une créature, c’est-à-dire un don, qu’il faut accueillir comme un germe et qu’il faut faire mûrir de manière responsable. Elle est constitutive de l’image d’être créé qui fonde la dignité de la personne ; en elle, se retrouve la vocation originelle par laquelle le Créateur appelle l’homme au Bien véritable, et, plus encore, par la révélation du Christ, il l’appelle à entrer en amitié avec Lui en participant à sa vie divine elle-même. La liberté en possession inaliénable de soi en même temps qu’ouverture universelle à tout ce qui existe, par la sortie de soi vers la connaissance et l’amour de l’autre [ici la note 138 renvoie à GS 24]. Elle s’en­racine donc dans la vérité de l’homme et elle a pour fin la communion [79] ».

 

Il est clair que l’intention du texte, qui est celle de toute l’encyclique Splendor Veritatis, est de montrer que la liberté n’est pas à elle-même sa propre source. Loin de s’autofonder, elle s’enracine doublement : d’abord dans l’action créatrice de Dieu, ensuite dans la vérité. Mais il n’est pas inexact de relire le texte dans notre perspective qui est celle du don. Plus encore, c’est lui qui, citant GS 24, nous incite à le faire.

Tout d’abord, en effet, il est expressément dit que la liberté humaine est un don : elle est la liberté d’une créature ; or, le propre de la créature est de recevoir son être d’un autre qu’elle. « C’est la liberté d’une créature, c’est-à-dire un don ». Ce don appartient au registre du don reçu (don 1).

Ensuite, il est dit que la liberté ne trouve pas sa fin en elle-même, mais dans une « ouverture universelle à tout ce qui existe, par la sortie de soi vers la connaissance et l’amour de l’autre », au « Bien véritable » et, nous le reverrons, l’« amitié » avec Dieu. Autrement dit, la liberté est faite pour le don. L’encyclique le dira plus précisément au paragraphe suivant dans un texte déjà cité : « la liberté s’accomplit dans l’amour, c’est-à-dire dans le don de soi [80] ».

La liberté se trouve donc ouverte, mais différemment, en son principe et en sa destination, en son alpha et son oméga, et cette double ouverture réfère à un double don, reçu et offert. Il faudra s’interroger sur la relation existant entre ces deux dons.

Enfin, en quelque sorte au centre, la liberté est aussi référée au don, mais d’une nouvelle manière. Comment est-elle décrite ? Elle est à « accueillir », elle est « un germe » à « faire mûrir de manière responsable », elle est « constitutive de l’image d’être créé qui fonde la dignité de la personne » et « possession inaliénable de soi ». En un mot, être libre, c’est être confié, c’est être donné à soi-même. Nulle part, il est vrai, le pape n’utilise cette expression « donné à soi ». Mais n’est-elle pas synonyme de « confié à soi » ? Une fois, dans sa lettre aux familles où il semble avoir mis beaucoup de lui-même, Jean Paul II écrit : « l’amour n’est […] pas une utopie : il est donné à l’homme [homini datur] comme une action à accomplir avec l’aide de la grâce divine [81] ». Et, quelques paragraphes avant, commentant le « pour lui-même » du premier membre de la phrase de GS 24 (propter seipsam), il précise : « Dieu remet l’homme à lui-même [82] ». Or, cette remise signifie deux choses : la capacité de décision, mais aussi ce que le pape appelle l’auto-téléologie. Dit autrement : « Dans la constitution personnelle de chacun est inscrite la volonté de Dieu, qui veut que la fin de l’homme soit en un sens lui-même [83] ».

L’exégèse affinée du texte que le Saint-Père propose dans ses différentes interventions confirme qu’il invite à discerner non pas seulement deux mais trois aspects eux-mêmes référés, au moins implicitement [84] au don.

d) Un quatrième moment ?

En rester aux trois moments du don est insuffisant. Le don de soi ne trouve pas sa fin en lui-même mais dans la communion [85].

Ce quatrième moment semble se dessiner jusque dans le contexte du passage de GS 24. En effet, contrairement à ce qu’on croit souvent, ce texte se trouve non pas dans le premier chapitre portant sur la dignité de la personne humaine, mais dans le chapitre suivant consacré à la communauté humaine. Le contexte immédiat est encore plus éclairant. Nous avons cité plus haut la version définitive de la totalité du troisième paragraphe. Il apparaît alors que c’est en parlant de la communion entre les hommes que le Concile en vient à parler du don. Dès lors, celui-ci n’est plus considéré comme le terme ultime qui est la communion. En revanche, il en est le chemin et le chemin obligé. Le texte conciliaire n’insiste-t-il pas sur la corrélation, lui qui dit « cette ressemblance montre bien » ?

La communion est un exchange of gifts constituant l’unité. En effet, laissé à lui seul, le don est asymétrique. Il ne répond pas à une requête foncière du cœur humain qui est de faire un avec l’être aimé. Seule la communion concrétise ce désir, dans le don réciproque. Voilà pourquoi, on le verra plus bas, le modèle par excellence du don n’est pas l’Incarnation ni même le don de l’Esprit qui ne peut totalement résorber l’asymétrie entre donateur et récipiendaire, mais la vie intra-trinitaire, la communion entre les Personnes divines [86] où la donation et la réception sont totales sans pour autant introduire d’inégalité – ce qui constitue le plus profond mystère. On le voit, la communion qui est don partagé le présuppose, mais aussi le finalise et l’achève. L’homme est fait pour le don et plus encore pour la communion.

Emboîtant le pas, le pape souligne souvent cette orientation du don vers la communion [87]. Le passage de l’encyclique Splendor Veritatis commenté ci-dessus ne se termine-t-il pas en affirmant que le don « a pour fin la communion » et l’ »amitié » avec Dieu [88] ? Or, l’amitié se définit classiquement comme un amour bilatéral. Le « don, par sa réciprocité, crée la communion des personnes ». Et cette réciprocité est le doublement mouvement de donation et d’« accueil » du don offert [89]. Si la communion est le terme, la racine est le don sincère de soi-même : « C’est là que prend naissance le rapport de ‘communion’ [90] ».

Par ailleurs, pour Jean Paul II, cette communion prend la forme concrète de la « famille humaine ». Cette expression, qui n’est pas rare sous la plume du pape [91] et déjà présente dans la constitution Gaudium et spes, est à la fois le lieu de réalisation, l’incarnation de la communion et son symbole privilégié. En effet, la famille humaine est à l’image de la famille des Personnes Divines au sein de la Sainte Trinité.

Pascal Ide

[1] Jean Paul II, Allocution aux jeunes à Bombay, au parc de Shivaji, le 10 février 1986, n. 2, La documentation catholique, n° 1914, 16 mars 1986, p. 314. Sauf mention expresse, tous les mots soulignés dans une citation le sont dans celle-ci.

[2] Concile Œcuménique Vatican II, Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps Gaudium et spes [désormais abrégé GS], n. 24, § 3. Voici le texte latin : « Hominem, qui in terris sola creatura est quam Deus propter seipsam voluerit, plene seipsum invenire non posse nisi per sincerum sui ipsius donum ».

[3] Discours à la Fédération italienne des consulteurs familiaux d’inspiration chrétienne, 2-3-1990, n. 4. À la fin de l’article, on trouvera un tableau des références complètes de chacun des textes de Jean Paul II qui sont cités, dans l’édition des Insegnamenti di Giovanni Paolo II et, quand ils s’y trouvent, en leur traduction dans La Documentation catholique.

[4] Discours à la Curie romaine pour la Présentation des vœux de Noël, 22-12-1992, n. 2.

[5] Homélie à la fête de la Présentation du Seigneur, 2-2-1979, n. 2.

[6] « Un des points clés de toute l’anthropologie chrétienne » (Lettre apostolique Salvifici doloris sur le sens de la soufrance humaine, 11-2-1984, n. 28. Citée dans l’Audience à la Conférence Internationale organisée par le Conseil pontifical de la Pastorale de la Santé, 25-11-1995, n. 3).

[7] Message pour la 11e réunion du Centre médico-moral de recherche et d’éducation Jean « III, 20-1-1990, n. 2.

[8] Lettre encyclique sur l’Esprit Saint dans la vie de l’Église et du monde Dominum et vivificantem, 18-5-1986, n. 59.

[9] Lettre apostolique aux jeunes du monde pour l’Année Internationale de la Jeunesse, 31-3-1985, n. 14. Formule presque identique dans le discours à la rencontre avec les jeunes de Castiglione delle Stiviere à la mémoire de S. Louis de Gonzague, 22-6-1991, n. 3.

[10] Homélie à la Présentation du Seigneur, 2-2-1979, n. 2.

[11] Lettre apostolique Mulieris dignitatem sur la dignité et la vocation de la femme du 15-8-1988, n. 7.

[12] Homélie à la fête de la Présentation du Seigneur, 2-2-1979, n. 2.

[13] Aux jeunes venant du monde entier, 24-3-1991, n. 4.

[14] Discours à la Curie romaine pour la Présentation des vœux de Noël, 22-12-1995, n. 2.

[15] Lettre apostolique Mulieris dignitatem sur la dignité et la vocation de la femme du 15-8-1988, n. 18.

[16] Étienne Michelin, « Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus au cœur de Vatican II », in Thérèse de l’Enfant-Jésus Docteur de l’Amour, Vénasque, Centre Notre-Dame de Vie, Éd. du Carmel, 1990, p. 73 à 110, ici p. 101, note 190.

[17] Exhortation apostolique Familiaris Consortio sur les tâches de la famille chrétienne dans le monde d’aujourd’hui, 22-11-1981, n. 22 ; Audience générale, 28-4-1982, n. 6 ; Discours à la Curie romaine pour la Présentation des vœux de Noël, 22-12-1995, n. 2. Etc.

[18] Le Père George Cottier note aussi que ce sens subit un infléchissement subjectiviste : « A l’origine, sincérité signifie pureté ; la sincérité est la transparence à la vérité. Mais aujourd’hui est sincère celui qui agit en conformité avec sa conscience dans son état actuel ; est sincère celui qui suit le verdict spontané de sa conscience ». (« Pauvreté et amour de la vérité », Nova et Vetera, juillet-septembre 1960, p. 168)

[19] En ce sens, la formule de Pierre d’Ornellas : « La sincérité n’a de valeur que dans l’objectivité » doit se comprendre en un sens éthique où objectivité s’oppose à subjectivisme (par exemple de la création des valeurs), non dans un sens anthropologique où objectivité s’oppose à appropriation subjective, puisqu’il dit, quelques lignes plus bas : « l’adjectif « sincère » exprime l’objectivité du don, c’est-à-dire sa conformité à la loi inscrite dans le cœur de l’homme » (Liberté, que dis-tu de toi-même ? Une relecture des travaux du Concile Vatican II. 25 janvier 1959-8 décembre 1965, Saint-Maur, Parole et Silence, 1999, p. 587). C’est ainsi que Lumen Gentium parle de la recherche de Dieu « avec un cœur sincère » (n. 16).

[20] C’est ce qu’affirme avec beaucoup de force et de clarté l’encyclique Splendor Veritatis. Le philosophe allemand Robert Spaemann le dit avec d’autres mots : « Je crois que notre problème, le problème de notre civilisation consiste en une dialectique du naturalisme et du spiritualisme. D’un côté on conçoit le monde, toutes les choses y compris les hommes comme des objets, des objets purement matériels qu’on peut manipuler, qu’on peut comprendre comme des objets. De l’autre côté il y a l’intériorité : l’expérience, le sentiment, la pensée, la manière que l’homme a de se comprendre lui-même comme intériorité. Il n’y a pas moyen, dans la pensée moderne, d’intégrer ces deux perspectives ». (Entretien avec Paulin Sabuy, Acta Philosophica. Rivista internazionale di filosofia, vol. 8/II, 1999, Roma, Armando Editore, p. 321-332, ici p. 323).

[21] La précision « sur terre » veut, bien entendu, réserver le cas de l’ange. Par ailleurs, l’assertion « pour elle-même » est très conforme à la doctrine de Thomas d’Aquin, même s’il n’en est pas fait mention : « Ainsi donc, par la divine providence, les créatures intellectuelles sont gouvernées providentiellement pour elles-mêmes et les autres créatures pour celles-là » (Somme contre les Gentils, L. III, ch. 112. C’est moi qui souligne).

[22] Cité par Mgr. John J. Wright, évêque de Pittsburgh, dans son Panégyrique de Jeanne d’Arc, prononcé dans la basilique de Sainte-Croix d’Orléans, le 8 mai 1966, in Documentation Catholique, 16-10-1966, n° 1480, col. 1799-1808, ici col. 1806. Mgr. Wright souligne les derniers mots – « à ce point qu’il ne se trouve qu’en se donnant » – pour montrer que là est le cœur de « la vocation chrétienne et du personnalisme chrétien », comme le Concile a souhaité la comprendre et dont Jeanne d’Arc est la réalisation singulière et « la patrone » : c’est lorsque la mort violente de Jeanne semble l’avoir détruite pour toujours que celle-ci « atteignit la plénitude de sa personnalité » (col. 1805-1806). Par ailleurs, Mgr. Wright estime que les paragraphes de ce schéma, « contenant une analyse descriptive de la personnalité humaine, complètement comprise, ont été abrégés dans le texte final publié de la Constitution pastorale, en partie pour raison d’espace » (col. 1806).

[23] Cf. Saint Thomas d’Aquin, Somme de théologie, Ia, q. 29, a. 4.

[24] Pour les informations, mais non pour l’interprétation, je suis Mgr. Pierre Haubtmann, « La communauté humaine », in Vatican II. L’Église dans le monde de ce temps. Tome II, Commentaire, coll. « Unam Sanctam » n° 65b, Paris, Le Cerf, 1967, p. 267 et 268.

[25] Déjà la présence de cette phrase n’est pas dénuée d’un secret dessein de la Providence. En effet, il est « surprenant que ce passage demeure puisque 195 Pères, nous est-il rapporté, ont demandé que le paragraphe sur la création de l’homme à l’image de Dieu un et trine et sur le don de soi comme seule manière pour l’homme de se trouver, soit supprimé ». (Pierre d’Ornellas, Liberté, que dis-tu de toi-même ? op. cit., note 403, p. 586) La contingence n’est-elle pas le revers d’un don gratuit ?

[26] Pour un premier développement sur la distinction des trois moments constitutifs du don, je me permets de renvoyer à mon ouvrage (dont la perspective est d’abord pastorale) : Eh bien dites : don ! Petit éloge du don, Paris, L’Emmanuel, 1997.

[27] Audience générale, 16-1-1980, n. 3.

[28] Lettre aux familles Gratissimam sane, 2-2-1994, n. 9.

[29] Par exemple, les tables ne signalent pas : Allocution à la réunion plénière du Sacré Collège, 11-6-1979, n. 7 ; Homélie de la messe à Alatri (Frosinone), 2-2-1984, n. 3 ; Lettre apostolique aux jeunes du monde pour l’Année Internationale de la Jeunesse, 31-3-1985, n. 14 ; etc.

[30] En effet, il pourra arriver, mais très rarement, que je fasse appel à d’autres passages traitant explicitement du don mais sans allusion à GS 24. Tel est par exemple le cas du n. 5 du Discours aux participants au viie symposium des évêques d’Europe, du 17-5-1989, car ce passage exprime admirablement la loi de surabondance présente au coeur du don.

[31] La précision du § (ici le § 3) ne se trouve que dans le texte français, non dans les versions latine ou italienne ; néanmoins je l’emploie à cause de son exactitude.

[32] Par exemple, dans la Lettre encyclique Evangelium Vitae sur la valeur et l’inviolabilité de la vie humaine, 25-3-1995, les n. 25, 81, 86, 88 parlent du « sincerum sui ipsius donum » (traduit ici officiellement par « don total »), sans jamais faire mention de GS 24. Seul le fait le n. 96, et encore par un simple confer. Autre exemple : Lettre apostolique Tertio Millennio Adveniente sur la préparation du Jubilé de l’an 2000, 10-11-1994, n. 9.

[33] Deux exemples : l’Audience à la Conférence Internationale organisée par le Conseil pontifical de la Pastorale de la Santé, 25-11-1995, n. 3 qui cite la Lettre encyclique Salvifici doloris sur le sens de la soufrance humaine, 11-2-1984, n. 28, citant elle-même GS 24. Encore plus emboîté et autoréférent : l’Allocution à l’Ambassade du Bangladesh près le Saint-Siège, 10-11-1988, cite le Message pour la journée mondiale pour la paix, 8-12-1987, § 3, qui mentionne la Lettre encyclique sur l’Esprit Saint dans la vie de l’Église et du monde Dominum et vivificantem, 18-5-1986, n. 59, qui, enfin, renvoie à GS 24 !

[34] Rencontre avec les jeunes de Rome en préparation du dimanche des Rameaux, 24-3-1994, n. 2.

[35] Discours aux religieuses à la Cathédrale de Notre Seigneur à La Paz, 10-5-1988, n. 7.

[36] Aux jeunes venant du monde entier, 24-3-1991, n. 4.

[37] Discours aux entrepreneurs de la Faculté Pontificale de Théologie d’Italie méridionale, 11-11-1990, n. 7.

[38] Méditation à Castel Gondolfo, 31-7-1994, n. 1.

[39] Discours aux participants d’un congrès sur les transplantations d’organes, Rome, 20-6-1991, n. 3

[40] Homélie à la célébration de la messe à Kalisz, devant le sanctuaire de Saint Joseph, 4-6-1997, n. 4.

[41] Lettre encyclique Centesimus annus pour le premier centenaire de Rerum novarum, 1-5-1991, n. 41.

[42] Si l’on voulait être précis, la citation précédente invite encore à distinguer deux manières dont l’autre se présente comme destinataire : en individuel et en collectif. Selon la première manière, le don de soi devient la règle de l’éthique individuelle ; selon la seconde manière, il norme l’éthique sociale.

[43] Lettre encyclique Splendor Veritatis sur quelques questions de l’enseignement moral de l’Église, 6-8-1993, n. 87.

[44] Rencontre avec le monde de la culture au Grand Théâtre national de Varsovie, 8-6-1991, n. 2.

[45] Homélie à Wroclaw pour la clôture du 46e Congrès Eucharistique international, 1-6-1997, n. 5.

[46] Lettre encyclique Centesimus annus pour le premier centenaire de Rerum novarum, 1-5-1991, n. 41. Le pape renvoie à GS 41.

[47] Ibid., n. 87.

[48] Allocution à la réunion plénière du Sacré Collège, 11-6-1979, n. 7.

[49] Audience générale, 16-1-1980, n. 1.

[50] Discours à une rencontre avec des jeunes de France, Luxembourg, Belgique, 3-4-1986.

[51] Discours aux religieuses et membres des Instituts séculiers au sanctuaire de Maipu (Chili), 3-4-1987, n. 6. Bien que placée entre guillemets, la citation de GS 24, une fois n’est pas coutume, n’est pas littérale.

[52] Lettre aux familles Gratissimam sane, 2-2-1994, n. 14. Cite Jn 15,11 ; 16,20.22.

[53] Homélie au séminaire Majeur à Naples, 10-11-1990, n. 1.

[54] Message au cardinal Etchegaray, 27-9-1995, n. 5.

[55] Audience générale, 21-5-1986, n. 5.

[56] Lettre aux familles Gratissimam sane, 2-2-1994, n. 9.

[57] Audience générale, 21-5-1986, n. 2.

[58] Homélie de béatification de Sœur Mary MacKillop, 18-1-1995, n. 3.

[59] Homélie à la célébration de la parole pour les familles indigènes à Tuxtla Gutiérrez, 11-5-1990, n. 3.

[60] Audience générale, le 26-8-1998, n. 1.

[61] Homélie à la fête de s. Jean-Baptiste, à Vienne, 24-6-1988, n. 5. Suit une citation du début de la phrase de GS 24.

[62] Lettre encyclique Redemptor hominis, 4-3-1979, n. 13.

[63] Lettre aux familles Gratissimam sane, 2-2-1994, 19.

[64] Discours aux participants d’un Congrès national de la Commission épiscopale de la CEI sur « Les femmes, nouvelle évangélisation et l’humanisation de la vie », 4-12-1993, n. 4. Le pape parle ici aux femmes mais le contexte montre que ces paroles peuvent s’appliquer aux hommes.

[65] Par exemple le message pour la 11e réunion du Centre médico-moral de recherche et d’éducation Jean « III, 20-1-1990, n. 2. Cf. ce qui est dit plus bas de la nature ou de la vie qui font partie de la création non-humaine.

[66] Message à la réunion plénière de l’Académie Pontificale des Sciences, sur l’évolution, 22-10-1996, n. 5.

[67] Discours à la Conférence internationale sur l’esprit humain organisée par le Conseil Pontifical pour la Pastorale de la Santé, 17-11-1990, n. 2. À noter que le Catéchisme de l’Église catholique qui cite deux fois littéralement cette phrase de GS 24, § 3 (n. 356 et 1703), d’une part se limite au début (le don 1), donc, étrangement, ne fait pas mention du don sincère de soi, et, d’autre part, au n. 1703, la met en corrélation étroite avec la structure de la personne humaine, « dotée d’une âme spirituelle et immortelle » (cf. la note précédente).

[68] Nous retrouvons ici des distinctions classiques : celle du frui et de l’uti chez saint Augustin, celle de l’amour de convoitise et de l’amour de bienveillance chez saint Thomas, celle de la captation et de l’oblation ou de la fusion et de l’altérité, en psychologie, celle du jouir-user et de l’aimer chez Karol Wojtyla (Amour et responsabilité. Étude de morale sexuelle, trad. Thérèse Sas revue par Marie-Andrée Bouchaud-Kalinowska, Paris, Ed. du Dialogue et Stock, 1978, p. 13-36).

[69] Homélie à la messe pour les familles, au sanctuaire de Sameiro à Braga, 15-5-1982, n. 2.

[70] Lettre encyclique Splendor Veritatis sur quelques questions de l’enseignement moral de l’Église, 6-8-1993, n. 13.

[71] Discours aux participants d’un Congrès de l’Académie Pontificale des Sciences sur l’expérimentation biologique, 23-10-1982, n. 4.

[72] Lettre encyclique Centesimus annus pour le premier centenaire de Rerum novarum, 1-5-1991, n. 11.

[73] Allocution aux travailleurs, Luxembourg, 15-5-1985, n. 7.

[74] Discours aux participants de la semaine d’étude sur Ressources et Populations organisé par l’Académie pontificale des Sciences, 22-11-1991, n. 6.

[75] Allocution à l’Académie pontificale des sciences, 22-11-1991, n. 6. Le texte renvoie à l’encyclique de Jean « III, Pacem in terris, 11-4-1963, 5.35.

[76] Message pour la xie assemblée du Bureau catholique international pour l’Education, 18-3-1982.

[77] Audience générale, le 16-1-1980, n. 2.

[78] Homélie à Wroclaw pour la clôture du 46e Congrès Eucharistique international, 1-6-1997, n. 5

[79] Lettre encyclique Splendor Veritatis sur quelques questions de l’enseignement moral de l’Église, 6-8-1993, n. 86. C’est moi qui souligne. Suit un second paragraphe qui précise non plus la limite de la liberté mais « son drame », à savoir son péché.

[80] Ibid., n. 87.

[81] Lettre aux familles Gratissimam sane, 2-2-1994, n. 15. C’est moi qui souligne.

[82] Ibid., n. 9.

[83] Ibid. C’est moi qui souligne.

[84] Il reviendra au travail théologique de préciser notamment la relation entre la liberté et le don à soi (notamment en s’aidant des travaux de Claude Bruaire : cf. La force de l’esprit. Entretiens avec Emmanuel Hirsch, France Culture, Paris, DDB, 1986, chap. 2 : « Donnés à nous-mêmes », p. 25s ; L’être et l’esprit, coll. « Epiméthée », Paris, p.u.f., 1983, par exemple p. 83 ; « L’être de l’esprit », André Jacob (éd.), Encyclopédie philosophique universelle. I. L’univers philoso­phique, Paris, p.u.f., 1989, p. 34-38, ici p. 37). En un mot, pour moi, cette expression heureuse rassemble à la fois une dynamique de donation originaire (« donné ») et la stabilisation de cette donation en la réalité subsistante d’un don (« à soi ») ; autrement dit, elle signifie que la liberté est tout à la fois réelle (« à soi ») et engendrée (« donné »).

[85] Cf. Pascal Ide, Eh bien dites : don !, chap. 21, p. 296-311.

[86] « cette unité et cette communion des personnes » est « à la ressemblance de l’union des personnes divines (cf. GS 24) » (Audience générale, 24-11-1982, n. 1).

[87] Le Saint-Père cite le début du troisième paragraphe de GS 24 pour lui-même (par exemple Allocution au Secrétariat pour les religions non-chrétiennes, 3-3-1984, La Documentation catholique, n° 1874, 20-5-1984, p. 521), mais beaucoup moins souvent que la fin. Cette citation ne concerne bien sûr pas directement notre sujet.

[88] Lettre encyclique Splendor Veritatis sur quelques questions de l’enseignement moral de l’Église, 6-8-1993, n. 86.

[89] Audience générale, le 16-1-1980, n. 4.

[90] Lettre apostolique Mulieris dignitatem sur la dignité et la vocation de la femme du 15-8-1988, n. 10.

[91] Par exemple Discours à la Curie romaine pour la Présentation des voeux de Noël, 22-12-1992, n. 2.

 

15.4.2018
 

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