Pas de contre-triangle

Complément au chapitre 3 de l’ouvrage Le Triangle maléfique. Sortir de nos relations toxiques, Paris, Emmanuel, 2018.

Un certain nombre d’auteurs, à commencer par Karpman [1], ont tenté de mettre en place un « contre-triangle » [2], ou un « triangle du vainqueur » [3] (cf. chap. 3).

Les tableaux qui mettent ainsi en parallèle maux et remèdes sont séduisants dans leur balancement et pédagogiques dans leur simplicité. Toutefois, cette hypothèse alléchante ne me semble pas juste sur le fond. Pour deux raisons qui tiennent aux deux fondements psycho-éthiques du TM.

Tout d’abord, bien et mal ne sont pas équivalents. La maladie est une privation de cette richesse qu’est la santé, mais la santé n’est pas une privation de maladies – quoi qu’en dise le docteur Knock ! –, parce que la maladie n’est pas une qualité ; de même, l’obscurité est une privation de lumière, mais pas l’inverse. La conséquence en est que les signes de la santé ne sont pas le décalque positif des signes de la pathologie. De même, les sept grandes vertus – les trois vertus théologales (foi, espérance et charité) et les quatre vertus cardinales (prudence, justice, force et tempérance) – ne s’opposent pas terme à terme aux sept péchés capitaux – par exemple, aucun ne s’oppose à la foi, alors que deux (gourmandise et luxure) s’opposent à la tempérance [4]. Voilà pourquoi, face à un Régulateur qui contraint, que l’autre le veuille ou non (oui, comme Victimaire et Sauveur, mais de manière juste !), nous ne rencontrons pas une Victime, et, a fortiori, un Sauveur, puisque l’attitude du Régulateur est légitime.

Ensuite, ces auteurs symétrisent triangle bénéfique et triangle maléfique parce qu’ils valorisent la perspective systémique. Mais nous avons vu qu’il fallait prendre en compte la boîte noire, autrement dit la perspective psycho-éthique. Les systémiciens sont à la recherche d’une relation qui circule sans violence, plus, qui transmette des biens et fasse du bien. Et elle existe ! Il s’agit de la relation de communion qui est un échange de dons. Mais, justement, elle ne correspond pas de manière bijective au TM : ainsi que nous l’avons vu, si le Victimaire et le Sauveteur pervertissent la réception et la donation, en revanche, le Bourreau, lui, fait dysfonctionner ces deux actes.

Pascal Ide

[1] Cf. Stephen B. Karpman, Le Triangle Dramatique, chap. 3.

[2] Cf. Pierre Agnese et Jérôme Lefeuvre, Déjouer les pièges de la manipulation et de la mauvaise foi. La deuxième éd. le dit dans son sous-titre : Avec le triangle dramatique et son contre-triangle.

[3] Cf. Acey Choy, « The winner’s triangle », Transactional Analysis Journal, 20 (1990) n° 1, p. 40-46.

[4] Nous nous fondons ici sur la manière dont S. Thomas d’Aquin, organise la IIa-IIae de la Somme de théologie. Il est peut-être encore plus éloquent que, si un certain nombre de saints docteurs, comme saint Bonaventure, distribuent les sept sacrements en fonction des sept maux affectant notre nature pécheresse et blessée, saint Thomas, le premier, se soit refusé à ce parallèle en se fondant d’abord sur le don de la vie divine (cf. ibid., IIIa, q. 65, a. 1) et que le Magistère ait emboîté le pas à cette vision éminemment positive des sacrements comme source de vie (cf. Catéchisme de l’Église catholique, n. 1210 et 1211, qui cite expressément saint Thomas).

11.11.2018
 

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