Les papes et la médecine : Les différentes catégories de soignant

Françoise Caravano et Pascal Ide, « Quarante ans de discours pontificaux sur la santé (1939 à 1978). Regards de Pie XII, Jean XXIII et Paul VI sur le monde de la santé », Archivum Historiæ Pontificiæ, 39 (2001), p. 151-289.

Le second groupe de rubriques étudie les différentes catégories de soignant : 1. les médecins, à savoir les généralistes et un certain nombre de spécialistes (classées par ordre alphabétique), sans oublier les chercheurs ; 2. les sages-femmes ; 3. les professions paramédicales : infirmières et pharmaciens. Encore faut-il que le monde soignant travaille de manière coordonnée, notamment au sein de la structure hospitalière.

9) La vocation médicale

a) Grandeur de la profession médicale

1’) Exposé

La grandeur de la profession médicale est liée à son objet qu’est la personne souffrante. D’une part, le médecin s’adresse à la personne humaine en son intégralité : « La médecine tire une part de sa grandeur de cette requête impérieuse, qui la contraint de prêter une attention inlassable aux plus humbles éléments d’ordre physique, comme aux mobiles secrets et parfois étrangement puissants qui animent une volonté ». (M 36, 479)

D’autre part, il porte toute son attention à la souffrance humaine : « Celui qui par sa fonction est appelé à soigner les âmes ou les corps, ne tarde pas à mesurer à quel point la douleur corporelle sous tous ses aspects met en cause l’homme jusqu’aux couches les plus profondes de son être moral ; elle l’oblige à se poser à nouveau les questions fondamentales de sa destinée, de son attitude envers Dieu et les autres hommes, de sa responsabilité individuelle et collective, du sens de son pèlerinage terrestre. Aussi, la médecine qui veut être vraiment humaine, doit aborder la personne intégralement, corps et âme. Mais, d’autre part, elle en est incapable par elle-même […]. Elle appelle donc des collaborations qui prolongent son œuvre, et c’est l’âme elle-même qui sera ainsi rétablie dans la pleine et lumineuse intelligence de ses prérogatives et de sa vocation surnaturelle. A cette condition seulement, on pourra parler en toute vérité d’un soulagement efficace de la souffrance ». (M 32, 250)

2’) Confirmation dans l’Écriture

L’Écriture souligne la dignité de la profession médicale, les différents papes citent volontiers le passage que l’Écriture Sainte consacre à la médecine (Si 38,9-12) : « Mon fils, quand tu es malade, ne te laisse pas aller […], aie recours au médecin, car le Seigneur l’a créé lui aussi, ne l’écarte pas, car tu as besoin de lui ». (Pie XII : M 3, 48 ; M 12, 161 ; Paul VI : M 66, 1060)

Pie XII commente ainsi ce passage : Dieu a « créé » le médecin « comme instrument de sa miséricorde pour adoucir les maux de ses frères, comme un guide et un conseiller pour leur enseigner la sagesse, comme un dépositaire de sa science de l’homme et de sa bonté secourable. Le médecin est un bienfait de Dieu ». Conséquence : « C’est la grandeur de votre tâche d’être de véritables collaborateurs de Dieu dans la défense et l’épanouissement de sa création ». (M 12, 161) Enfin : « Oui, il est indispensable et le besoin qu’en a l’homme sera la mesure des devoirs du docteur ». (M 3, 48)

b) Vocation du médecin en général

A plusieurs occasions, Pie XII dit que la profession de médecin va au-delà d’une simple profession, autrement dit est une vocation.

1’) Vocation naturelle

Cela est vrai au plan naturel. Nous venons de voir que grande est la dignité, la noblesse de la profession médicale. Cet excès ne permet-il pas de parler d’une vocation ? C’est ce que dit Pie XII dans une de ses allocutions aux chirurgiens : « soigner les malades est une vocation noble et ennoblissante, quelque chose de plus qu’une simple profession ». (M 35, 332)

2’) Vocation chrétienne

Mais c’est encore plus vrai au plan chrétien. Pour deux raisons. En raison de sa source qu’est la charité : « mieux qu’une profession, elle est un véritable ministère de charité » (M 8, 407) ; et en raison de sa finalité : « c’est la grandeur de votre tâche d’être de véritables collaborateurs de Dieu dans la défense et l’épanouissement de sa création », et Pie XII précise que, dans la Bible, le médecin est instrument de la miséricorde divine (M 12, 161; M 3, 48).

Avec enthousiasme, le Saint Père parle même d’un ministère médical de charité par analogie avec le ministère sacerdotal. Par deux fois ailleurs il précisera que le médecin, après le prêtre, est le seul à pénétrer profondément dans l’intimité de la personne malade et à pouvoir lui apporter le réconfort moral nécessaire, d’où l’évidence de son ministère de charité (M 9, 379 et H 1, 441). Paul VI rapproche aussi la mission du médecin de celle du prêtre : « Apporter une aide, des soins, un réconfort, guérir la souffrance humaine, est une mission qui, par sa noblesse, son utilité, son idéalisme, est la plus proche de celle du prêtre. Avec la mission du prêtre, c’est celle du médecin qui mérite le plus les «bénédictions divines», car elle montre dans sa plus sublime expression le visage de l’amour ». (M 66, 1060)

3’) Relation entre les deux vocations

Le Saint Père précise que c’est la vocation naturelle du médecin d’agir par simple humanité et amour de ses semblables (M 8, 408) ainsi que de défendre la primauté de l’esprit sur le corps dans l’art de guérir (M 27, 77). Dès lors, la conception chrétienne vient non pas remplacer mais achever cette vocation naturelle en lui donnant son expression la plus parfaite.

c) Quelques vocations de médecins spécialistes

A l’occasion, Pie XII détaille les vocations particulières de certaines spécialités. La grandeur de la tâche du stomatologue et du dentiste est liée à l’importance des répercussions sur la personne entière d’une atteinte organique de la bouche (M 4, 328). Pour les chirurgiens plasticiens, leur vocation spécifique se trouve dans l’analogie avec la main du créateur modelant le premier homme (M 54, 569). Le cancérologue voit la grandeur de sa vocation dans l’espérance que met en ses compétences toute l’humanité (M 35, 475). Enfin, la vocation de diététicien trouve sa grandeur dans son objet : se nourrir est la première nécessité de l’homme (M 38, 511).

10) La médecine de famille

C’est dans ses discours à des médecins de campagne en 1950 (M 9) et à des médecins municipaux en 1953 (M 20) que Pie XII développe le plus la spécificité de la médecine familiale.

a) Importance

En étant présent à la vie quotidienne des patients, le médecin de famille exerce une influence profonde sur ses malades et leur entourage. Il ne peut négliger ce rôle social et moral essentiel : « Aussi, son intervention n’est-elle pas toujours seulement médicale, mais souvent sociale également et, dans ce domaine, il est doté de notions si importantes et est revêtu d’une autorité morale si reconnue que dans les différents actuels, il peut rendre des services signalés à la communauté en suggérant un esprit de respect envers la personne humaine là où l’égoïsme tend à l’opprimer, et un esprit d’objectivité là où la démagogie altère la base des problèmes dont elle empêche une solution raisonnable ». (M 20, 484)

b) Quelques particularités

Pie XII évoque les difficultés auxquelles s’affrontent les médecins de campagne et les médecins municipaux : difficultés économiques, souvent, isolement, parfois (M 9, 380 ; M 20, 485). Il parle aussi du rôle prépondérant des médecins municipaux en faveur de l’hygiène et de la prophylaxie (M 20, 484).

11) La médecine spécialisée

a) Nécessité

Compte tenu de la complexité croissante de l’exercice de la profession liée aux énormes progrès de la science médicale de ces dernières décennies, la spécialisation est devenue une nécessité : « Il est vrai que la spécialisation des études médicales est nécessaire, afin que puissent progresser les connaissances scientifiques et les possibilités thérapeutiques ». (M 29, 483)

b) Devoirs

Les spécialistes ayant une part de recherche scientifique beaucoup plus marquée devront nécessairement en respecter les règles : « Quelle que soit la spécialité considérée, le progrès médical s’accomplit suivant deux directions fondamentales : la première pousse l’étude analytique de la structure et de la fonction d’un organe ou d’un appareil déterminé ; la seconde examine les relations de celui-ci avec tous les autres, afin de préciser son rôle physiologique propre, de déterminer les causes lointaines de ses troubles et leur influence sur le reste de l’organisme […]. Elles conditionnent en effet le progrès, réel, de chacune des branches, qui se sont partagé le champ de la médecine moderne ». (M 50, 340)

Par ailleurs, Pie XII incite les spécialistes à perfectionner leur connaissance dans d’autres domaines que leur spécialité : « Du reste, en ces temps où, dans tout domaine, la compétence spécialisée est de plus en plus demandée et conditionne les résultats scientifiques et techniques de la civilisation moderne, il est hautement opportun et méritoire de s’efforcer de puiser une culture plus vaste dans d’autres disciplines ou spécialités, qui concernent l’homme ». (M 54, 584)

c) Devoirs propres à certaines spécialités

Chaque spécialité présente des qualités très spécifiques qui seront vues dans les chapitres correspondants. Nous citerons simplement ici à titre d’exemple : l’intégrité nécessairement plus grande du secret professionnel pour le médecin militaire (M 22, 542), les connaissances techniques nécessaires au radiologue (M 23, 133), la sagacité et la perspicacité requises pour le cardiologue (M 32, 253).

12) Relation entre médecines générale et spécialisée

a) Primauté de la médecine générale

Nous avons vu que la spécialisation était devenue une nécessité. Pour autant, la médecine générale demeure première.

En effet, le médecin de famille pratique la médecine la plus « complète », celle que Pie XII appelle « la médecine totale » (M 20, 483). D’abord, il considère le patient dans sa totalité. Ensuite, par sa connaissance du milieu familial où évolue son patient, le médecin de famille est doué d’une vision plus « complète » de son malade et de son histoire, « de sorte que vous êtes en mesure d’évaluer l’homme dans sa propre nature d’âme et de corps cœxistant dans le composé humain et sujets à une influence réciproque ». (M 20, 484)

Par ailleurs, comme on l’a souligné le généraliste joue un rôle social et moral plus marqué du fait de son influence dans les milieux où il exerce (M 9, 379-380). Par sa présence dans le milieu familial ou l’entourage de son patient, il joue aussi un rôle de première aide spirituelle : « Dans de nombreux cas, il a encore le devoir délicat de préparer et faciliter le ministère du prêtre, de dissiper des préjugés et appréhensions déraisonnables et funestes ». (M 9, 380)

b) Conséquence exigences pour le spécialiste

A plus d’une reprise, Pie XII revient sur la nécessité pour le spécialiste de ne pas oublier d’être d’abord un généraliste. Cela au nom même du primat de l’unité sur la multiplicité, de la personne sur l’organe et la fonction (M 14, 107 ; M 16, 275 ; M 45, 491 ; M 50, 340 ; M 54, 574). Il met donc en garde vis à vis d’une spécialisation exagérée qui voit la personne surtout à travers l’organe et la fonction étudiés par la spécialité : « Il est cependant tout aussi certain qu’une spécialisation exagérée peut être nuisible au point de vue doctrinal tout aussi bien que pratique ». (M 20, 483)

Par conséquent, la médecine générale doit rester la formation préalable à toute spécialisation, ainsi que le disait Pie XII à un groupe de médecins généralistes : « Vous êtes les mentors et pour ainsi dire les gardiens de l’esprit unitaire dont vous constatez la nécessité et que vous appliquez chaque jour dans votre exercice professionnel ». (M 20, 483)

13) L’anesthésie-réanimation

a) Importance de cette spécialité

Le médecin anesthésiste-réanimateur, bien qu’ayant un rôle de second plan au regard des médias, est peut-être celui dont la vie du malade dépend le plus immédiatement. Pie XII le souligne avec délicatesse : « Rôle souvent effacé, presque inconnu du grand public, moins brillant que celui du chirurgien, mais essentiel lui aussi […]. Au cours de l’intervention, il lui incombe de surveiller étroitement l’état du patient ; […] quand l’opération se termine, commence la partie la plus délicate de son travail : aider le patient à reprendre ses sens, éviter les incidents ». (M 41, 40)

b) Qualités du médecin anesthésiste

1’) Qualités techniques et intellectuelles

L’anesthésiste joue un rôle technique essentiel et multiple dans le cadre d’une intervention (M 41, 40) :

– avant : prévoir les défaillances éventuelles en fonction des antécédents médicaux ;

– pendant : choisir l’anesthésie adaptée à la longueur et au type de l’intervention et la surveillance étroite des fonctions vitales ;

– après : surveiller la phase délicate de réveil avec ses complications éventuelles.

Tous ces actes supposent des compétences techniques bien précises.

2’) Qualités relationnelles

Le rôle psychologique du médecin anesthésiste est peut-être au moins aussi important que sa fonction et ses compétences techniques ; la préparation psychologique du malade est un véritable accompagnement de celui-ci pour l’aider à entrer sans trop d’appréhension dans la perte de connaissance volontaire : « L’anesthésiste doit donc unir, à la connaissance parfaite des techniques de son art, de grandes qualités de sympathie, de compréhension, de dévouement, non seulement en vue de favoriser toutes les dispositions psychologiques utiles au bon état des malades, mais aussi par un sentiment de vraie et profonde charité humaine et chrétienne ». (M 41, 40)

c) Normes morales mises en jeu par la privation de conscience

Enfin, une des spécificités du médecin-réanimateur est sa confrontation aux questions touchant les confins de la vie, donc aux valeurs éthiques et religieuses. Pie XII livre quelques critères pour évaluer le bon usage de l’anesthésie et de l’analgésie (pour des développements complémentaires, cf. Mort : 7* et Euthanasie : 45*).

1’) Le droit à l’anesthésie

Pie XII rappelle une vérité souvent méconnue : « l’obligation morale pour l’homme de ne pas se priver de cette conscience de soi sans vraie nécessité » (M 41, 51). De là vient l’immoralité de la toxicomanie ou de l’ivresse. Or, une grave maladie et la souffrance qu’entraîne son traitement constituent une vraie nécessité. La personne a donc le droit d’accepter une suspension temporaire de la conscience.

La perte de conscience entraîne aussi une perte de la maîtrise. Or, l’absence de contrôle volontaire peut conduire à une levée des censures et une révélation de secrets par définition interdits. D’où le problème éthique de la licéité de l’anesthésie : « L’arrêt des dispositifs de contrôle s’avère particulièrement dangereux, quand il provoque la révélation des secrets de la vie privée, personnelle ou familiale, et de la vie sociale. Il ne suffit pas que le chirurgien et tous ses aides soient tenus non seulement au secret naturel mais aussi au secret professionnel […]. Il y a certains secrets qui ne doivent être révélés à personne […]. Aussi, ne peut-on qu’approuver l’utilisation de narcotiques dans la médication préparatoire, afin d’éviter ces inconvénients ». (M 41, 49 et 50)

2’) Le droit à l’analgésie

L’anesthésie (ou perte de la conscience) a pour finalité l’analgésie (ou privation de la douleur). Celle-ci est bien entendu un droit ; elle est même parfois un devoir : « Préserver l’équilibre psychique et organique, éviter qu’il ne soit violemment ébranlé, constitue pour le chirurgien comme pour le patient un objectif important, que seule la narcose permet d’obtenir ». (M 41, 52) Dans un cas, cependant, ce droit est suspendu : « Ainsi toutes les fois qu’un homme est placé devant l’alternative inéluctable de supporter une souffrance ou de transgresser un devoir moral par action ou par omission, il est tenu en conscience d’accepter la souffrance ». (M 41, 44).

14) La cancérologie

Pie XII a adressé trois discours aux cancérologues (M 7, M 36, M 39) ainsi qu’une partie de son discours aux radiologues, à la radiothérapie (M 23, 132-133).

a) Importance de cette spécialité

C’est à cause de son aspect universellement répandu et de la multiplicité des formes et des organes atteints par cette maladie que le cancer est considéré comme un fléau de l’humanité (M 7, 212) et représente une spécialité médicale à part entière.

On notera combien, après 45 ans, les paroles de Pie XII restent encore vraies malgré l’énorme effort mondial de recherche accompli en ce domaine : « Le mal en effet est partout et sa fréquence augmente. Il se manifeste sous mille formes et semble provenir de causes extrêmement variées : sa raison dernière échappe encore à la science. Celle-ci est toujours à la période d’observation et de défensive sans pouvoir engager contre le cancer la grande bataille, la bataille décisive, universellement attendue ». (M 36, 476)

b) Qualités

C’est à l’occasion des discours aux cancérologues que Pie XII décrit les qualités spécifiques au médecin chercheur : patience, persévérance, esprit de sacrifice, méthode, pondération, constance (M 36, 479 ; M 39, 602). Ces qualités sont en effet plus particulièrement requises dans cette spécialité où les résultats sont moins gratifiants qu’ailleurs.

Le cancérologue devra adopter un regard particulièrement intégrateur. Il prendra en ligne de compte l’homme psychique, l’homme social et l’homme spirituel : « Dans chaque cas, s’impose au médecin une réflexion approfondie, une véritable méditation, où les facteurs d’ordre humain entreront en ligne de compte bien plus que les autres ». (M 36, 478). La raison principale de cette prise en compte de la personne en son intégralité tient à la gravité de la maladie et aux conséquences lourdes de la thérapeutique. Le médecin sera particulièrement prudent dans ses décisions. « Il importe de percevoir nettement le but à atteindre et la manière dont il faudra doser chacun des procédés. Avant tout, que le praticien considère l’homme tout entier, dans l’unité de sa personne […]. Quelles seront les conséquences pratiques des interventions qu’il se propose ? […] Quel profit le malade en retirera-t-il ? Au lieu de lui imposer des infirmités lourdes et permanentes, qui le réduiront à l’inactivité presque totale, ne vaut-il pas mieux qu’il continue à travailler aussi longtemps que son mal le lui permet ? Parfois, au contraire, le souci de soulager la douleur, de prolonger un peu la vie, d’apporter un réconfort indispensable, autorisera des traitements onéreux, dont l’issue ne laisse guère d’espoir ». (M 36, 478)

15) La chirurgie

Pie XII a consacré beaucoup de discours à la chirurgie et à quelques-unes de ses spécialités (M 3, M 6, M 14, M 21, M 30, M 33, M 35, M 42, M 48, M 54).

a) Importance de cette spécialité

La dignité du chirurgien vient de la dignité de l’objet de son art : « Conscients comme vous l’êtes de votre responsabilité, vous vous rendez compte qu’elle découle de ce fait, dominant toute matière, à savoir que, dans l’exercice de votre profession, vous avez entre vos mains et sous vos instruments des personnes humaines dont le corps vivant est digne de tout votre respect et a droit à tous vos soins » (M 6, 196). Plus précisément, le chirurgien tient entre ses mains deux réalités de grande noblesse : « vous disposez, et vous en êtes pleinement conscients, de deux grandes choses : l’intégrité du corps humain, la mystérieuse réalité de la souffrance humaine ». (M 6, 197)

La noblesse de cette profession n’est pas seulement liée à son objet, mais à son sujet, c’est-à-dire le chirurgien. En effet, cette spécialité requiert de hautes qualités humaines : « Si vous manquez de sensibilité, vous ne ferez qu’exercer un métier ; si vous manquez de calme, votre trouble rendant moins ferme votre main risquera de compromettre la réussite de l’opération et, peut-être, aussi la vie du patient. Mais si vous ne sentiez pas cette émotion, vous ne vous croiriez plus dignes de votre profession ; si vous ne la dominiez pas, vous ne vous estimeriez plus capables de l’exercer. Drame qui, à la longue, peut user un homme de conscience et de cœur, mais qui donne à votre profession un caractère sacré ». (M 6, 199-200)

b) Qualités requises à cette profession

1’) Qualités intellectuelles

Cette réalité nécessite chez le chirurgien de grandes qualités intellectuelles, manuelles et morales. Pie XII développe longuement celles-ci dans son discours de 1948 : « vous vous soumettez à une étude sérieuse et constante afin de vous tenir soigneusement au courant des progrès des sciences anatomiques et biologiques, des méthodes chirurgicales […] ; vous vous faites un trésor des résultats de votre propre expérience qui s’enrichit des observations échangées avec vos collègues ». (M 6, 197)

2’) Qualités morales

A cette formation continue théorique se joint une autre formation spécifique, à la maîtrise de soi : « Vous devez y joindre un autre travail, lui aussi persévérant et continu, travail plus intérieur et profond, de formation et de dressage strictement personnel dans l’exercice de vos facultés intellectuelles, de vos qualités morales et psychologiques, de vos aptitudes physiques, de vos sens et de vos doigts ». (M 6, 197).

Par ailleurs, Pie XII met en garde la chirurgie contre une possible immoralité liée aux nouvelles possibilités : « La chirurgie ose entreprendre aujourd’hui et mène à bonne fin ce qui paraissait impossible, il y a un siècle ou deux. Son audace ne suscite qu’une inquiétude, celle de la voir dépasser les limites de la licéité morale ». (M 27, 76)

3’) Répartition de l’exercice de ces qualités dans le temps

Pie XII répartit ces qualités en trois temps : avant, pendant et après l’intervention :

a’) Avant

Il s’agit des qualités d’un bon médecin pour établir, d’une part un diagnostic sûr quant à la nécessité de l’intervention et au type de celle-ci (à savoir, prudence, sagacité, prévoyance, etc.), d’autre part une bonne relation avec le patient afin de respecter sa liberté de choix et de lui assurer les conditions optimales de réussite de l’intervention éventuelle (M 6, 197-198).

b’) Pendant

Le chirurgien met en jeu les qualités techniques et physiques que requiert son art sans perdre de vue la valeur morale de son objet : « Dès lors, n’entrent plus seulement en considération la finesse de vos sens, la dextérité de vos doigts, la pénétration de votre attention, la rapidité, le génie, la sécurité de votre intuition ; vous vous mettez à l’œuvre de tout votre cœur mais de façon que ce dernier vous soit d’un réel secours ; à présent, il ne vous sera un appui que si, tout en étant profondément sensible, il sait demeurer, à ce moment même dans un calme imperturbable ». (M 6, 199)

c’) Après

Enfin, après l’intervention, le chirurgien doit retrouver sa compétence médicale face aux éventuelles complications. Il doit aussi exercer l’humilité en s’effaçant discrètement pour laisser la place au médecin qui prend le malade en charge (M 6, 200).

Le Saint-Père n’ignore pas non plus que le chirurgien est sûrement plus en but à la critique lors de l’échec de l’opération. La franche clarté de ces résultats, qui fait la gloire du chirurgien, est aussi celle qui fait sa décadence (M 6, 200).

c) Le chirurgien esthéticien

Pie XII s’est adressé longuement aux chirurgiens esthéticiens. Il souligne la dignité spécifique de leur spécialité : elle tient à « l’analogie lointaine entre l’œuvre du chirurgien plastique et celle divine du créateur qui modela avec le limon de la terre le premier corps humain en y infusant la vie » (M 54, 569), mais aussi au soulagement des souffrances physiques et morales qu’ils procurent et à la grande variété des traitements requis.

Nous avons vu, à propos de la Vocation du corps (2*), les fondements philosophiques et les critères éthiques de la recherche clinique de la beauté physique (M 54, 570-572).

Le pape évoque enfin le rôle spirituel non négligeable du chirurgien plasticien dans le traitement d’un défaut physique ayant parfois de grosses répercussions psychiques sur le patient (M 54, 573-574).

16) L’ophtalmologie

Pie XII a consacré trois discours à l’ophtalmologie et s’est adressé à plusieurs reprises à ceux qui sont privés de ce grand bien qu’est la vue (M 5, M 33, M 16, E 1, E 2). De même, à plusieurs reprises, il a fait allusion à l’essor de cette spécialité depuis l’invention de l’ophtalmoscope d’Helmholtz (M 16, 176 ; M 5, 290).

a) Importance de cette spécialité

La noblesse de la spécialité d’ophtalmologiste découle directement de son objet : l’œil et la vue. « Votre profession, en effet, vous fait consacrer vos soins à deux des biens les plus précieux de l’ordre naturel : l’œil et la vue dont l’œil est l’organe ; biens si précieux que le langage commun en a fait, à cause de leur excellence, comme le terme suprême de comparaison et non seulement le langage humain, mais la parole divine elle-même dans la sainte écriture ». (M 5, 289).

Cette dignité est aussi liée au caractère particulièrement complexe et délicat de l’œil : « Nous faisions allusion, il y a un instant, à la délicatesse et la complexité de votre science. Si les organes des sens supposent en général un regroupement particulièrement dense de tissus spécialisés, de vaisseaux et de nerfs, l’œil est sans doute le plus riche de tous » (M 16, 274). Et le Saint-Père d’énumérer à quels types de maux l’ophtalmologiste s’affronte.

b) Compétences techniques

Les fonctions diverses et complexes de l’œil le mettent en relation étroite avec le reste de l’organisme ; la plupart des maladies générales ont un retentissement sur l’œil. Il en découle que l’ophtalmologiste se doit d’être avant tout un bon généraliste : « La spécialité qui vous occupe requiert non seulement une connaissance très approfondie de l’organe et des conditions de la vue, mais elle est si vaste et ses connexions avec la médecine générale si nombreuses et si étroites qu’il faut en quelque sorte être médecin deux fois pour devenir un excellent ophtalmologiste ». (M 16, 275)

c) Normes éthiques

Le Saint Père consacre un discours entier à définir les limites morales de la greffe d’organe et en particulier de la greffe de cornée (M 33, 259-262).

17) L’otorhinolaryngologie

Pie XII s’est adressé aux oto-rhino-laryngologistes dans deux discours (M 11 et M 50). C’est la spécialité médicale qui regroupe le plus de sens : l’ouïe, l’odorat et, un peu à part, l’organe de la parole. De plus, certains troubles neurovégétatifs et endocriniens, par leur répercussion sur la sphère ORL, peuvent entraver la vie sociale et relationnelle du malade (M 50, 340 à 343). Enfin, l’homme trouvant son épanouissement dans sa vie relationnelle avec le monde extérieur, toute atteinte d’un des organes de la relation sera source de difficultés et de désordres psychophysiques « capable de mener à l’exclusion de la vie sociale et d’atteindre ainsi gravement l’équilibre psychophysique du sujet ». (M 50, 343)

Pour ces trois raisons, l’oto-rhino-laryngologiste doit, plus que d’autres spécialistes, ne pas négliger les répercussions psychiques et spirituelles d’une atteinte de la sphère ORL. « L’intérêt de votre profession est caractéristique, car il concerne les relations entre la vie organique et le monde extérieur qui nous entoure ». (M 11, 463)

18) La psychiatrie et la psychologie clinique

a) Importance de cette spécialité

Nous avons vu dans le paragraphe consacré à la santé mentale (5*) qu’elle est nécessaire à l’épanouissement naturel et surnaturel de la personnalité humaine. Pour cette raison, Pie XII nourrit une estime particulière pour le travail accompli par le personnel psychiatrique auprès des malades mentaux. Voici comment le Saint-Père encourage les participants à un Congrès de psychothérapie en 1953 : « Au reste, soyez assurés que l’Église accompagne de sa chaude sympathie et de ses meilleurs souhaits vos recherches et votre pratique médicale. Vous travaillez sur un terrain très difficile. Mais votre activité peut enregistrer de précieux résultats pour la médecine, pour la connaissance de l’âme en général pour les dispositions religieuses de l’homme et leur épanouissement ». (M 15, 148)

b) Présupposés anthropologiques

Dans la plupart de ses discours aux neuropsychiatres (M 15 et M 47 notamment), Pie XII développe longuement les présupposés anthropologiques sur lesquels les médecins doivent fonder leur pratique clinique et guider leurs recherches. Le risque d’erreur et d’égarement thérapeutique consécutif soit à l’ignorance, soit à la négation de ces présupposés, aura des conséquences d’autant plus graves que cette spécialité médicale touche au plus intime de l’homme. Il est donc indispensable que le psychiatre rectifie son regard sur le malade.

« L’attitude fondamentale du psychologue et du psychiatre chrétiens devant l’homme, doit consister à le considérer :

1) comme unité et totalité psychiques

2) comme unité organisée en elle-même

3) comme unité sociale

4) comme unité transcendantale, c’est-à-dire tendant vers Dieu ». (I 6, 461 ; M 15, 140)

c) Normes éthiques

L’anthropologie dicte l’éthique, le descriptif fonde le prescriptif.

1’) Nécessité de normes

« Le médecin consciencieux éprouve d’instinct le besoin de s’appuyer sur une déontologie médicale et de ne pas se contenter de règles empiriques » (M 52, 492). C’est pour cela que Pie XII a consacré tant de discours à préciser les grandes lignes de la déontologie psychiatrique (M 52, et aussi M 13, M 15 et M 47 ; cf. Santé mentale : 5*).

2’) Responsabilités

Plus que d’autres spécialités, le psychiatre porte une responsabilité morale importante, car le sujet de sa science est l’homme spirituel, donc ce qui, chez l’homme, est le plus directement soumis aux lois de la morale naturelle. Du psychologue, « on attend non seulement une connaissance théorique des normes abstraites, mais un sens moral profond, réfléchi, longuement formé par une fidélité constante à sa conscience. Le psychologue vraiment désireux de ne rechercher que le bien de son patient se montrera d’autant plus soucieux de respecter les limites fixées à son action par la morale qu’il tient, pour ainsi dire en mains les facultés psychiques d’un homme, sa capacité d’agir librement, de réaliser les valeurs les plus hautes que comporte sa destinée personnelle et sa vocation sociale ». (M 47, 194)

Ces exigences concernent aussi l’entourage. Le Saint-Père évoque la qualité de l’ambiance propice à l’apaisement du malade mental que doit développer autour de lui l’équipe soignante : « Car ce ne sont pas tellement les remèdes externes qui les guérissent mais, et surtout, le voisinage d’esprits sains et harmonieux, qui servent à leur rendre une vision sereine et aimable du monde et de la vie. […] Votre action devra normalement se conformer aux règles et aux prescriptions de la science, dont vous saurez apprécier et suivre les progrès. Celle-ci vous demande avant tout de créer autour du malade une atmosphère de sérénité et de confiance amicale. Mais qui peut obtenir cela, si ce n’est celui qui vit déjà soi-même dans la sérénité et dans l’harmonie de ses propres facultés ? » (I 6, 460 et 462)

3’) Limites de la pratique

Une vision juste de la nature humaine fonde aussi les limites de la pratique psychologique. En effet, ce que Pie XII appelle « le centre de la personnalité » et que la pensée commune nomme cœur est inaccessible aux méthodes psychologiques. Cette limite technique est aussi une limite éthique. « Il n’échappe pas aux meilleurs psychologues que l’emploi le plus habile des méthodes existantes ne réussit pas à pénétrer dans la zone du psychisme, qui constitue, pour ainsi dire, le centre de la personnalité et reste toujours un mystère. Arrivé à ce point, le psychologue ne peut que reconnaître avec modestie les limites de ses possibilités et respecter l’individualité de l’homme sur lequel il porte un jugement ; il devrait s’efforcer d’apercevoir en tout homme le plan divin et aider à le développer dans la mesure du possible ». (M 47, 186)

d) Le rôle de l’Église

Paul VI évoque la nécessité d’une coopération entre l’Église et les psychiatres pour aider la réinsertion sociale et spirituelle des malades mentaux (M 72, 756).

19) La stomatologie et la chirurgie dentaire

Tout au long de son pontificat, Pie XII s’est adressé à trois reprises aux chirurgiens-dentistes (M 4, M 14, M 45).

a) Importance de cette spécialité

Malgré une mésestime populaire courante et tenace (M 4, 326), ces professions méritent une estime particulière : « il n’est pas nécessaire que nous rappelions combien important et délicat est l’ensemble physiologique qui forme l’objet de vos études et de votre assemblée : la bouche […]. Combien donc, cette partie vitale du corps humain est un digne objet de vos fatigues scientifiques et des mesures que vous entendez réaliser dans une proportion toujours plus grande pour prévenir et guérir ses maux ». (M 14, 505-506 ; M 4, 327-328)

L’importance de cette spécialité est liée à la dignité de son objet, la cavité buccale. En effet, celle-ci présente des fonctions multiples et essentielles pour l’organisme entier : « on a constaté que les structures et l’état de la cavité buccale influent, et parfois de façon décisive, sur la santé à la fois physique, nerveuse et même mentale de l’individu, ce qui d’ailleurs se comprend aisément, si l’on envisage les conséquences d’une mauvaise occlusion dentaire sur les opérations aussi essentielles pour la vie du corps et de l’esprit que la respiration, la mastication, l’articulation de la parole ». (M 45, 486)

b) Qualités requises pour son exercice

Les soins de la bouche requièrent de grandes qualités intellectuelles techniques et morales de la part du praticien.

1’) Qualités intellectuelles

Il faut au chirurgien-dentiste et au stomatologue une formation solide et vaste, certes dans les disciplines proprement médicales, mais aussi dans les sciences fondamentales : physique, chimie, botanique, pharmacologie (M 4, 326-327).

Une autre qualité intellectuelle est nécessaire, l’intuition : « Il lui faut, en outre, un art exquis, fait d’intuition naturelle et d’expérience acquise à force de temps et d’attention, pour diagnostiquer les causes, éloignées parfois et souvent cachées derrière des symptômes extérieurs visibles ou autrement sensibles ». (M 4, 327)

2’) Qualités manuelles

« A cet art de caractère intellectuel, doit se joindre une habileté à préparer et exécuter les travaux de la plus grande précision, avec la parfaite exactitude et avec la sûreté de l’œil et de la main qu’ils exigent ». (M 4, 327).

3’) Qualités psychologique et morales

« Il lui faut, enfin un tact et un sens psychologique des plus fins pour posséder la force de persuasion et l’autorité morale souvent nécessaires pour prévenir ou vaincre les répugnances ou les appréhensions instinctives […]. Et dans cette application intense, vous devez maintenir immuables votre calme, votre politesse, votre douceur, votre esprit de charité ». (M 4, 327).

c) Aspects plus particuliers

Le Saint Père évoque : l’importance de l’aspect préventif et psychologique de la profession en pédodontie (M 45, 496 et 491) ; la naissance d’une nouvelle branche : l’orthopédie maxillo-faciale de la stomatologie (M 14, 509 et M 4, 329) ; les progrès faits dans la lutte contre la douleur (M 45, 490-491 ; M 14, 507).

20) La médecine psychosomatique

a) Importance de l’approche psychosomatique en médecine générale

Dans la pensée des papes, la psychosomatique n’est pas d’abord une spécialité, mais un regard nouveau et adéquat sur le patient : lui seul est adéquat à la totalité (au moins naturelle) de l’homme. Il en découle d’abord que la psychosomatique revêt une grande importance pour la médecine. Il s’en déduit aussi que vrai médecin doit être aussi un peu un psychosomaticien.

Dans de nombreux discours, Pie XII fait allusion à la nécessité pour le médecin de considérer le malade dans sa dimension d’homme complet fait d’un corps et d’un esprit (M 1, 201-202 ; M 2, 45 ; M 20, 483) : « Composé de matière et d’esprit, élément lui-même de l’ordre universel des êtres, l’homme est, en effet, dirigé dans sa course ici-bas vers un terme qui est au-delà du temps, vers une fin qui est au-dessus de la nature. De cette compénétration de la matière et de l’esprit dans la parfaite unité du composé humain, de cette participation à toute création visible, il découle que le médecin est souvent appelé à donner des conseils, à prendre des décisions, à formuler des principes qui, tout en visant directement aux soins du corps, de ses membres et de ses organes, intéressent cependant l’âme et ses facultés, la destinée surnaturelle de l’homme et sa mission sociale ». (M 1, 201-202) C’est ainsi que Pie XII fonde l’intervention du médecin comme psychosomaticien dans la vie de son patient.

Le progrès des traitements médicaux, renchérit Paul VI, ne peut se faire sans considération « de la dignité de la personne et de son équilibre psychosomatique ». (M 78, 258). Dans un congrés international de biologie clinique, il avait précisé : « Au reste, les progrès même de vos travaux, en nous permettant de mieux cerner les contours de la santé et de la maladie, nous font découvrir combien l’organisme et le psychisme sont indissociablement liés, au point que la moindre altération de l’un ou de l’autre provoque inévitablement des répercussions sur le patient dans la vie duquel elle introduit un déséquilibre […]. Seul, en définitive, une compréhension globale du patient permet au praticien de le secourir efficacement ». (M 63, 1952)

b) La spécialité de médecine psychosomatique

1’) Son importance en général

Cependant la complexité des intrications du psychisme et du corps, ainsi que les multiples orientations thérapeutiques qui en résultent, justifient de considérer la médecine psychosomatique comme une branche médicale à part entière et donc comme une spécialité. « Il faut par exemple savoir distinguer s’il s’agit de psychopathes constitutionnels, sujets aux complications graves du subconscient ou bien de malades qui présentent des phénomènes de nature essentiellement réactive ». (M 54, 574)

Malgré son originalité, la médecine psychosomatique demeure en connexion étroite avec les autres spécialités. Par exemple, la chirurgie plastique peut être d’un apport considérable dans une maladie psychosomatique (M 54 ; 575) ; des troubles sensoriels, notamment auditifs, peuvent « profondément altérer l’équilibre psychique » (M 50, 341 ; de même certaines atteintes de la sphère ORL : M 50, 343).

Paul VI souligne combien l’approche de l’homme dans cette nouvelle branche médicale est conforme à l’anthropologie chrétienne : « Nous disons simplement que notre conception de la vie humaine admet sans difficulté le transfert, ou mieux, l’extension de la cure physique au bénéfice simultané ou successif de l’esprit […]. Plus difficile, plus délicat est le processus inverse […]. Mais lui aussi est approuvé par notre conception de l’homme. La cure spirituelle, psychologique ou morale peut faire du bien et renouveler les forces corporelles ». (M 76, 810)

2’) Son importance pour les questions touchant la vie

En s’adressant au Congrès de Gynécologie psychosomatique, Paul VI souligne le rôle particulièrement important de la psychosomatique dans les questions touchant la vie : « Vous insistez sur la nécessité de la maîtrise de soi et la domination des passions, afin d’assurer la transmission de la vie, dans une rencontre d’amour, dans le respect de la dignité de chacun des époux et l’harmonie de leurs volontés, assurant ainsi les conditions les meilleures pour l’évolution psychologique et somatique ultérieure de l’enfant. Il faut donc louer votre sollicitude à informer les futurs parents de l’importance que revêt l’exercice raisonnable de la sexualité, comme aussi des risques que comporte toute violence exercée sur la faculté générative par l’emploi de médicaments qui ne sont pas ordonnés à corriger ses défauts, mais à empêcher les fonctions normales. C’est pour nous une grande satisfaction de constater que la psychosomatique génétique appuie et confirme la norme éthique en dénonçant avec une préoccupation croissante les dangers inhérents à l’emploi des contraceptifs ». (M 77, 1001)

21) Les sciences fondamentales

Pie XII manifeste une connaissance très aiguë des diverses sciences fondamentales médicales et de leur progrès techniques. Il propose par exemple les historiques des différentes spécialités médicales dans un certain nombre de ses discours : historique de la lutte contre la tuberculose (M 10, 390-391), le point sur la recherche en génétique en 1953 (M 18, 391-393), historique de la microbiologie (M 19, 420), histoire plus générale de la médecine (M 25), histoire de la diététique (M 29, 315-316), historique de l’anesthésiologie et des produits anesthésiques (M 41, 39 et s), historique des découvertes des médicaments psychotropes (M 52, 488 à 492).

a) Rôle des sciences fondamentales au sein de la médecine

Dans ses diverses allocutions aux médecins, Pie XII est plusieurs fois conduit à louer le travail des fondamentalistes et leur place obscure mais si importante dans le progrès de la science médicale et du soulagement des patients. Ainsi, que seraient aujourd’hui les hôpitaux sans laboratoire ni pharmacie (M 27, 76 ; P 1, 345 ; P 2, 350) ?

C’est dans son discours à l’union médico-biologique Saint Luc que Pie XII établit le plus clairement le rôle des sciences fondamentales dans le monde de la santé (M 1). Ces sciences, sont ainsi qualifiées car elles constituent le fondement de l’art médical et chirurgical : « celui-ci applique toutes ces sciences à défendre le corps humain […], à réparer ses pertes, à guérir ses infirmités ». (M 1, 201) « L’objet même de ces sciences nécessite que le fondamentaliste replace dans son ensemble l’étude du corps humain et la prolonge par celle de l’âme, et voit celle-ci dans le plan général du créateur lui-même ». (M 40, 708) Le pape précise notamment que la valeur de son objet et l’importance de l’enjeu obligent le fondamentaliste médical plus que d’autres chercheurs à rester en contact profond avec « la source même de la vie » (M 40, 209).

b) Evaluation éthique

Malgré le grand intérêt qu’ils portent au détail des progrès scientifiques et techniques, les discours Pie XII abordent davantage les questions éthiques posées par l’exercice de leur profession.

Considérée en elle-même, la science fondamentale est moralement neutre, voire constitue un bien, comme toute recherche de vérité. La régulation éthique intéresse non pas la science mais l’utilisation que le chercheur fait de ses résultats (M 13, 456 ; M 22, 532).

c) Aspects plus particuliers

Le pape traite d’un certain nombre de sciences fondamentales particulières. En effet, la dynamique heuristique conduit à multiplier les spécialités : ainsi en est-il de la virologie née de la microbiologie, de l’histophysiologie, l’histologie, l’histochimie, l’histophysique issues de l’anatomie (M 19, 421 ; M 40, 705-706).

Pie XII définit le rôle de l’anatomie, de la physiologie et de la biologie (M 1, 201) ; il précise la nature et les limites actuelles de la microbiologie (M 19, 420) et le rôle des antibiotiques (M 28, 136) ; il s’étend particulièrement sur le rôle d’une discipline nouvelle issue de la biochimie qu’est la diététique (M 29, 316), dont l’importance économique et sociale tient à ce que le premier problème posé à l’homme est son alimentation (M 29, 316 ; M 38, 509) ; il décrit l’essor de l’anatomie et de ses nouvelles branches, citant les problèmes auxquels elles se heurtent (M 40).

22) La recherche médicale

Pie XII a abordé les problèmes de la recherche médicale à de nombreuses reprises. Il s’émerveille du génie humain mis au service de l’homme et souligne combien, en ce dernier demi-siècle, l’ingéniosité des moyens mis en œuvre (par exemple M 19, 420) a permis des progrès spectaculaires.

a) La finalité

La recherche médicale est au service du bien du malade pour le guérir ou au moins soulager ses souffrances (M 8, 408). Plus précisément, expliquera-t-il par la suite, « au-delà du simple bien-être, le but profond de la recherche médicale est de donner à l’homme les moyens physiques de répondre à sa destinée spirituelle ». (M 29, 319)

b) Moyens techniques

Le pape évoquera dans plusieurs discours les moyens mis à la disposition des chercheurs actuellement. Ils sont au nombre de trois :

1’) Les laboratoires

Une bonne partie de la recherche biomédicale se fait dans les laboratoires et les cliniques (M 27, 76). C’est ainsi que Pie XII, en s’adressant aux pharmaciens, souligne l’importance du travail de recherche silencieux et obscur des fondamentalistes.

2’) L’observation clinique

Un autre outil essentiel est le travail d’observation clinique consigné de manière rigoureuse et systématique qui facilite l’étude épidémiologique d’une maladie, notamment dans la recherche sur le cancer (M 7, 214).

3’) Les congrès internationaux

En 1948, puis à de très nombreuses reprises, Pie XII montre la nécessité d’échanger des informations par le moyen des congrès internationaux (M 6, 197 ; M 14, 505 ; M 23, 133 ; M 28, 135 ; S 3, 644). Cette communication permet une généralisation des méthodes et techniques les plus efficaces ainsi qu’une émulation positive par l’échange des connaissances, des intuitions et des expériences.

c) Limites morales de la recherche médicale

Dans le discours fondamental de septembre 1955, le Saint-Père expose trois critères éthiques normant la recherche médicale (M 13, 456).

1’) Valeur propre de la recherche médicale

La recherche médicale présente une valeur propre indépendamment de l’utilisation que l’on peut en faire. C’est seulement dans les moyens de parvenir à cette connaissance et dans l’utilisation qu’on en fait qu’interviennent les questions éthiques concernant la licéité (M 13, 456).

2’) La recherche et l’intérêt du patient

Un premier critère limitatif du bon usage de la recherche médicale concerne le patient : son intérêt ; son consentement ; et aussi l’objectivité de ce bien : en effet, le patient n’est que l’usufruitier de son propre corps (M 13, 457-458-459).

3’) La recherche et le bien commun

Un second critère limitatif concerne la juste relation entre le bien commun et le bien individuel dans la recherche médicale. L’intérêt de la science et celui du patient sont étroitement unis à l’intérêt général. Cependant, le premier ne se subordonne pas l’autre. Si un tout physique est formé de parties qui sont en vue du bien du tout, la société est un tout moral dont les parties sont des personnes subsistant en elles-mêmes indépendamment du tout. Le bien individuel ne peut donc être entièrement subordonné au bien commun. Le Saint-Père dénonce donc énergiquement l’autorité publique qui permet parfois au médecin d’expérimenter des méthodes et des techniques nouvelles au nom de l’intérêt du bien commun indépendamment du bien individuel des personnes (M 13, 460-463).

4’) La mise en perspective de la recherche face aux biens moraux et religieux

On pourrait ajouter un autre critère. La science et de la recherche médicale ont une place importante mais non première dans l’échelle des valeurs humaines (M 30, 31-32). Voire un grave danger guette la recherche médicale : que les efforts techniques ne soient pas contrebalancés par un développement parallèle dans le domaine éthique et religieux rompant ainsi l’harmonie vitale de l’homme (M 49, 293). Pie XII précise plus loin que le seul moyen pour résister à ce matérialisme absolutisant la santé est d’approfondir sa foi et donc sa vision spirituelle de l’homme. « La foi, en effet, dit Jean XXIII, permet de prendre la mesure exacte de la science humaine, de ses grandeurs et de ses limites ».(M 58)

d) Le progrès médical

Conséquence logique de la recherche, le progrès médical est proportionnel au dynamisme de celle-ci. Issues des progrès techniques récents, de nouvelles branches médicales sont apparues, comme la virologie (M 19, 421) la diététique (M 29, 316), la réanimation intensive (M 46, 692), la génétique (M 18, 390).

Pie XII précise les deux directions fondamentales du progrès dans la recherche : l’étude analytique de plus en plus poussée ; l’étude de plus en plus précise, complexe des relations de celui-ci avec le reste de l’organisme (M 50, 340). Ces deux lignes de progrès, présentes dans chaque spécialité, sont aussi indispensables que complémentaires.

Cependant, la création reste infiniment complexe et inexplorée. Le chercheur se heurte sans cesse aux limites de sa technicité (M 19, 420 ; M 23, 132) et de son ignorance des mécanismes fondamentaux de certaines maladies telles que le cancer (M 7, 213 et M 36, 476). Mais le Saint Père ne fait ce constat négatif que pour montrer la route encore à parcourir. En effet, son attitude est plutôt un émerveillement constant devant les très réels énormes progrès qu’ont fait certaines spécialités ; en particulier l’ophtalmologie (M 5, 290) la gastro-entérologie (M 12, 160), la microbiologie (M 19, 420), la pneumologie (M 10, 390), l’anatomie et ses branches (M 40, 705).

De son côté, Paul VI est habité par une inquiétude croissante quant aux méfaits du progrès technique et notamment médical sur la personne humaine (M 73, 60 ; M 78, 258, 259).

e) Certaines recherches particulières

A l’occasion de ses rencontres avec les différents corps de spécialité, Pie XII entre dans le détail des caractéristiques et des difficultés de la recherche appliquée à chacune d’eux. Il montre notamment combien, malgré l’impuissance de la science devant le fléau du cancer, une recherche patiente et minutieuse porte des fruits bienfaisants (M 7, 213). A propos de la diététique, il ose dire que l’impact de la tradition et de la religiosité peut être un facteur limitant aux applications de cette science nouvelle (M 38, 510). En s’adressant aux pharmaciens, il encourage la recherche de nouveaux remèdes, ainsi que le développement de la pharmacovigilance (P 2, 351 ; P 3, 650).

23) Le médecin chercheur

a) Motivations

Dès le premier discours qu’il adresse au médecin chercheur, le pape lui montre les trois motivations fondamentales de sa profession (M 8, 409) : les deux premières sont humaines (la quête du bien et la quête de la vérité), la troisième est chrétienne. Le chercheur « travaille passionnément, à la fois comme médecin tout consacré à procurer le soulagement de l’humanité et de chacun des hommes ; comme savant, à qui les découvertes se succédant les unes aux autres font goûter avec ravissement «la joie de connaître» ; comme croyant, comme chrétien, qui dans les splendeurs qu’il découvre, dans les nouveaux horizons qui s’élargissent devant lui, à perte de vue sait voir la grandeur et la puissance du Créateur, la bonté inépuisable du Père qui, après avoir donné à l’organisme vivant tant de ressources pour se développer, se défendre, se guérir spontanément dans la plupart des cas, lui fait encore trouver dans la nature inerte ou vivante, minérale, végétale, animale, les remèdes aux maux corporels ». (M 8, 409)

Cette triple motivation tient notamment à ce que, par l’objet même de ses recherches, il n’opère pas « in anima vili » mais sur la partie physique de la personne indissociable de sa partie spirituelle. Le médecin chercheur ne peut donc agir efficacement sur le corps que s’il agit en même temps sur l’esprit.

On l’a noté, la première motivation est proprement médicale : soigner l’humanité. La seconde motivation lui est subordonnée. Autrement dit, le travail du médecin chercheur est finalisé par la pratique du médecin traitant (M 22, 534).

b) Qualités

Le Saint-Père précise dans de nombreuses allocutions les qualités nécessaires au médecin chercheur.

1’) Qualités intellectuelles

Le chercheur aboutira plus sûrement dans ses recherches s’il est doué des qualités techniques indispensables comme le sens pratique ou l’habileté (cf. La compétence technique : 32*) mais aussi des qualités intellectuelles comme la soumission au réel, la probité, la sagacité (M 19, 422). La première qualité demeure le désir constant de savoir, de découvrir du nouveau, dans la continuité de la tradition héritée : « Certes, il [le chercheur] se réjouit de grand cœur des immenses progrès déjà réalisés, des résultats jadis obtenus par ses devanciers, poursuivis aujourd’hui par ses collègues, avec lesquels il se solidarise dans la continuité d’une magnifique tradition, légitimement fier aussi de sa part de contribution, jamais pourtant il ne se considère comme satisfait : il voit toujours en avant de nouvelles étapes à parcourir, de nouvelles avances à accomplir ». (M 8, 409) C’est à travers le brassage des informations dans une collaboration internationale que progresseront efficacement les techniques médicales (M 14, 505).

2’) Qualités morales

Pie XII s’attarde longuement sur les qualités morales du médecin chercheur (M 19, 422 ; M 53, 513 ; M 7, 213 ; M 23, 133-134 ; M 8, 408 ; D 0, p. 206) : la ténacité, la persévérance, la patience, le dévouement et la modestie, l’ouverture d’esprit nécessaire à l’échange des connaissances, etc.

3’) Qualités spirituelles

Ces qualités techniques, intellectuelles et morales ne suffisent pas. Encore faut-il la motivation et la plus importante qui puisse mobiliser le médecin chercheur : l’amour de ses semblables et l’esprit de simple humanité. Seule une charité profonde permet au chercheur, au-delà de ses éventuels échecs pratiques, de poser des actions qui acquièrent une valeur d’éternité (M 8, 408 ; M 23, 135). C’est aussi son souci de sauvegarder les plus hautes valeurs spirituelles qui donnera sa direction à ses efforts (M 53, 513), ainsi que sa conscience de travailler au bien de l’humanité (P 3, 651).

c) Fruit spirituel de la recherche

En conclusion de son discours aux microbiologistes, le pape évoque de quelle manière la démarche du médecin chercheur le porte, en étudiant attentivement la nature, à percevoir au travers de celle-ci la perfection divine (M 19, 423).

24) La génétique

Dans les années 50, la génétique était une branche nouvelle de la biologie, et les applications médicales se développaient à vive allure. Dans le discours du 8 septembre 1953 où il expose longuement les fondements de la génétique et les résultats auxquelles elle est parvenue (M 18, 391-392), Pie XII va jusqu’à taxer de « téméraire » la hardiesse de ses objectifs (M 18, 390).

a) La science génétique

Le pape aborde d’abord les hypothèses qui découlent de la génétique sur les théories de l’évolution (M 18, 394). Il situe la génétique au sein de l’ensemble des sciences de l’homme, expliquant comment, pour participer à la découverte de la vérité, notamment sur les origines de l’homme, elle se doit : 1. de ne pas confondre faits réels et hypothèses ; or, les théories avancées à cette époque ont valeur d’hypothèse et non de fait avéré (M 18, 394), 2. d’être en conformité avec les données déjà établies par les autres sciences humaines (M 18, 397-398 ; cf. La vérité en médecine : 36*).

S’adressant au chercheur chrétien, le Saint-Père montre comment celui-ci peut parvenir plus sûrement et plus rapidement à la vérité en s’aidant, comme référence, du témoignage divin de la Révélation (M 18, 399).

b) La génétique médicale

Puis Pie XII aborde la génétique médicale proprement dite.

1’) Finalité

Sa finalité est « la protection du patrimoine génétique en influençant la transmission des facteurs héréditaires pour promouvoir ce qui est bon et éliminer ce qui est nocif ». (M 18, 395 ; M 18, 400-401).

A cette époque, cette action reste, pour l’essentiel, préventive : elle concerne les problèmes posés par l’hérédité défectueuse et les moyens de l’éviter. Une information adaptée au grand public est donnée grâce à des consultations génétiques ouvertes à tous, notamment aux fiancés (M 51, 460 ; M 53, 510), la sensibilisation par les médias afin que l’homme moderne prenne ses responsabilités en connaissance de cause (M 51, 462 ; M 53, 510-513), le conseil conjugal (M 53, 511).

2’) Évaluation éthique de la consultation génétique

Si les buts que se propose la génétique médicale en 1953 sont moralement irréprochables (M 18, 401), le Saint-Père condamne cependant certains moyens qui touchent directement l’homme dans sa dignité, son intégrité et sa liberté (M 18, 401-403).

La consultation joue un rôle préventif de dépistage des porteurs sains mais aussi et surtout de conseil génétique pour les foyers ayant déjà des problèmes d’hérédité défectueuse en les informant sur la nature de cette hérédité, sa manière de se transmettre et les risques dans les grossesses ultérieures.

Cette consultation doit laisser les parents libres de toute influence sur la décision à prendre quant à la poursuite d’une hérédité (M 51, 460-461). Elle ne peut en aucun cas interdire le mariage et les rapports matrimoniaux (M 18, 403 ; M 53, 510-511), ni imposer la stérilisation eugénique (M 18, 402 ; M 53, 507) ou d’autres moyens contraceptifs opposés à la morale naturelle (M 53, 507-508), ni bien sûr imposer l’avortement (M 18, 403).

A cette occasion, Pie XII dénonce avec clarté l’immoralité de certaines méthodes : la semi-adoption (ou insémination artificielle hétérologue) et la stérilisation volontaire (M 53, 504-505). Les seules solutions moralement recevables sont la planification des naissances par les méthodes naturelles et l’adoption (M 53, 508-509 ; cf. Stérilité : 42* et Contraception : 43*).

3’) Évaluation éthique de l’eugénisme

L’objectif de l’eugénisme est de trouver des solutions au problème de l’hérédité défectueuse en proposant une politique de transmission de la vie adaptée pour les parents porteurs de gênes tarés.

Pie XII dénonce énergiquement l’exploitation de la génétique humaine à des fins racistes, citant l’épisode traumatisant de la dernière guerre (M 18, 401 ; M 51, 462), ou pour expérimentation (M 51, 462). « Les buts pratiques que poursuit la génétique sont nobles […] puisse-t-elle seulement, dans l’appréciation des moyens destinés à réaliser ces buts, rester toujours consciente de la différence fondamentale entre le monde végétal et animal, d’une part, et l’homme, d’autre part ». (M 18, 403)

25) La radiologie et la médecine nucléaire

a) Importance de ces nouvelles spécialités

La radiologie et la médecine nucléaires constituent un domaine un peu à part parmi les sciences fondamentales. Elles présentent un double aspect : diagnostique (le radiodiagnostic) et thérapeutique (la radiothérapie).

Dans ses allocutions aux radiologues, Pie XII s’adresse à une science en pleine effervescence. Lors de son discours au Comité de santé publique européen, le pape souligne l’importance et les bienfaits de la recherche nucléaire lorsque, dans la recherche médicale, elle se met au service de finalités pacifiques (S 3, 644). Il loue notamment ses bienfaits dans le domaine diagnostique (M 23, 132) et thérapeutique, comme il appert en cancérologie (M 23, 133).

b) Vertus éthiques

Obligé de quantifier très précisément les dosages pour limiter les effets nocifs, le spécialiste fait appel à une précision et à une rigueur que bien des autres disciplines ignorent (M 23, 132, 133 ; D 0, p. 205, 206). Le chercheur doit aussi être d’une particulière probité : l’objet de ses recherches est l’être humain malade dont le sort dépend en partie de l’utilisation adéquate de leur science (D 0, p. 206).

26) La sage-femme

a) Au-delà d’une profession, une vocation

Pie XII ne s’est adressé directement aux sages-femmes qu’une seule fois, dans son discours du 29 octobre 1951. Dès les premiers mots, il loue la beauté de leur profession : « Quand on pense à cette admirable collaboration des parents, de la nature et de Dieu qui aboutit à donner le jour à un nouvel être humain fait à l’image et à la ressemblance du créateur, comment pourrait-on refuser d’apprécier à sa juste valeur le précieux concours que vous apportez à une telle œuvre ». (SF 470)

C’est à cause de cette mission professionnelle élevée que le Saint Père développe les fondements éthiques qui doivent sous-tendre le travail de toute sage-femme, et plus particulièrement l’apostolat des sages-femmes chrétiennes. Ce discours a fait couler beaucoup d’encre en son temps. Il est toutefois regrettable que l’on ait surtout retenu les aspects normatifs relatifs à la procréation et oublié les autres développements. Je renverrai au détail de ce texte fameux pour le détail.

b) La compétence technique

Le premier apostolat de la sage-femme est d’exercer son métier avec compétence : « On attend de vous aide et conseil, […] on a confiance en vous et cette confiance est avant tout une chose personnelle. Votre personne doit l’inspirer […]. C’est pourquoi vous devez tendre à vous élever jusqu’au sommet des connaissances spécifiques à votre profession ». (SF 472) La sage-femme chrétienne trouve dans sa foi la source de la force nécessaire pour prendre ses responsabilités, se dévouer au mieux et avoir la liberté d’esprit suffisante pour s’opposer, le cas échéant, à des pratiques déshumanisantes (SF 473).

c) Le rôle éthique

Dans la première partie de son discours, Pie XII développe longuement les trois actions et devoirs de la sage-femme : défendre l’inviolabilité et la valeur de la vie humaine, éveiller la mère à sa fonction maternelle, enseigner la saine morale naturelle quant à la procréation. Pour le détail des principes éthiques, nous renvoyons aux paragraphes sur la vocation du corps (2*), l’avortement (44*), etc.

1’) Défense de l’inviolabilité de la vie

Le service de défense de la vie de l’enfant avant la naissance « se présente parfois comme le plus nécessaire et le plus urgent. Ce n’est pas cependant la partie la plus noble et la plus importante de votre mission, car celle-ci n’est pas purement négative mais elle est surtout constructive et doit tendre à établir, à édifier, à raffermir ». (SF 475)

2’) Éveil de la mère à sa fonction maternelle

La sage-femme joue un rôle prépondérant durant la grossesse pour éveiller les parents à la grandeur de la vie naissante. « Mettez dans l’esprit et dans le cœur de la mère et du père l’estime, le désir, la joie, l’accueil aimant du nouveau-né dès son premier vagissement […]. Il vous appartient de faire goutter à la jeune mère, moins par les paroles que par votre manière d’être et d’agir, la grandeur, la beauté, la noblesse de cette vie qui s’éveille ». (SF 475-476) Ce devoir est d’autant plus pressant qu’à l’heure actuelle la venue de l’enfant n’est plus souvent considérée comme une bénédiction (SF 478).

En particulier, la sage-femme chrétienne doit considérer comme un devoir essentiel de baptiser un enfant nouveau-né en détresse : « Sans doute, ce devoir oblige en premier lieu les parents mais, dans les cas d’urgence, quand il n’y a pas de temps à perdre et qu’il n’est pas possible d’appeler un prêtre, c’est à vous qu’est dévolu ce sublime devoir de conférer le baptême. Ne manquez donc pas de rendre ce service de charité et d’exercer cet actif apostolat de votre profession ». (SF 479)

3’) Sensibilisation des parents à une saine morale naturelle de la procréation

« C’est une des exigences fondamentales […] qu’à l’usage des droits conjugaux corresponde la sincère acceptation intime de la fonction et des devoirs de la maternité […] l’objet pressant de votre apostolat sera : agir pour maintenir, réveiller, stimuler le sens et l’amour du service de la maternité […] d’une façon négative en repoussant toute coopération immorale et ensuite aussi, d’une façon positive, en appliquant délicatement vos soins à dissiper les préjugés, les diverses appréhensions ou les prétextes pusillanimes ; à éloigner, autant qu’il est possible, les obstacles même extérieurs qui peuvent rendre difficile l’acceptation de la maternité ». (SF 480)

Pie XII souligne qu’enseigner la régulation des naissances devrait revenir en propre aux sages-femmes : « C’est votre affaire, non celle du prêtre, d’instruire les époux, soit dans les consultations privées, soit au moyen de sérieuses publications de l’aspect biologique et technique de la théorie de l’utilisation des périodes de stérilité naturelle de la femme sans cependant vous laisser entraîner à une propagande qui ne serait ni juste, ni convenable ». (SF 483)

d) Les fondements éthiques de la profession

Dans la seconde partie de son discours, le Saint-Père expose les fondements éthiques de l’action des sages-femmes et les erreurs communément rencontrées aujourd’hui en ce domaine. Comme les fondements moraux sont traités ailleurs (Vocation du corps : 2* ; Contraception : 43* ; Avortement : 44*), nous ne relèverons que les principales erreurs.

1’) Première erreur

Une « grave inversion de l’ordre des valeurs et des fins placées par le créateur lui-même » (SF 490) consiste à dire que « le sens propre et le plus profond de l’exercice du droit conjugal devrait consister en ceci que l’union des corps est l’expression et la réalisation de l’union personnelle et affective » : en effet, l’enfant issu de cette union ne serait alors plus au centre des rapports conjugaux (SF 489).

En revanche, « la vérité est que le mariage, […] a pour fin première et intime non le perfectionnement personnel des époux, mais la procréation et l’éducation de la nouvelle vie ». (SF 490). « Les valeurs personnelles de la vie conjugale, soit dans la sphère des corps ou des sens, soit dans celle de l’esprit, sont réellement authentiques, mais le Créateur ne les a placées dans l’échelle des valeurs non au premier plan, mais au second ». (SF 493)

2’) Seconde erreur

Une seconde erreur consiste à considérer que le premier but de l’union des corps, dans l’exercice du droit conjugal, est la recherche du plaisir : « On voudrait alléguer de la part de certains que la félicité dans le mariage est fonction directe de la jouissance réciproque dans les rapports conjugaux. Non, le bonheur dans le mariage est, au contraire, une raison directe du respect mutuel entre les époux […] parce que ce respect et l’estime mutuelle qu’il engendre est un des éléments les plus solides d’un amour pur ». (SF 497)

27) L’infirmière

Il sera traité plus loin des vertus de l’infirmière ; nous ne traiterons donc ici que de sa grandeur et de la conséquence ou le signe qui est la vocation.

Double est le motif de la dignité de la profession d’infirmière. Le premier, d’ordre naturel, découle de son objet : les soins à la personne humaine et encore plus la personne humaine affaiblie, défigurée voire dépersonnalisée par la souffrance et la maladie.

Le second motif, d’ordre chrétien, est lié à la dimension divine du corps humain dont parle l’apôtre Paul (1 Co 6,19) et que rappelle Pie XII : nos corps sont « les temples vivants de l’Esprit-Saint » (I 4).

Si la profession d’infirmière est revêtue d’une telle dignité, elle est plus qu’un métier, elle est une vocation. Plus encore pour la profession d’infirmière que pour la profession médicale, Pie XII met l’accent sur l’appel divin (I 5, 202). Il n’hésite pas à qualifier la fonction d’infirmière de sacerdoce particulier : la charité de l’infirmière qui soulage les afflictions du corps et de l’esprit et œuvre à la miséricorde, est une apologie vivante de l’Evangile (I 2, 205-206).

28) La pharmacie

A trois reprises, Pie XII s’est adressé aux pharmaciens.

a) Importance de cette discipline

Le Saint-Père caractérise la fonction du pharmacien (chercheur) par sa discrétion et voit dans son « silence » un signe de la dignité du service rempli par le pharmacien : « Dans l’ensemble de ce corps sanitaire, vous tenez une place fort importante par les continuelles fatigues qu’elle vous impose, par les lourdes responsabilités dont elle vous charge […]. Elles ne sont pas toujours, ni par tout le monde, connues et appréciées à leur juste mérite. On ne saurait cependant en faire reproche à personne : votre activité s’exerce en grande partie dans le silence de vos laboratoires. Le public n’en est pas témoin, et vous n’avez pas, comme le médecin ou l’infirmier, le réconfort psychologique que donne, si pénible qu’il soit parfois, le contact intime, permanent, avec les patients ». (P 1, 345)

b) La technique pharmaceutique

La technique pharmaceutique présente deux aspects : d’une part, la fabrication des médicaments et la recherche de nouveaux produits (M 2, 351 ; P 1, 346) ; d’autre part, l’étude et la surveillance de la toxicité des produits, c’est-à-dire la pharmacovigilance (P 3, 650).

L’art pharmaceutique présente aussi une dimension économique : la commercialisation des produits. Cette fonction vient souvent ternir l’image de marque de la profession (P 2, 351), ce qui conduit Pie XII à insister encore davantage sur l’importance des normes éthiques.

c) Normes éthiques du côté du producteur

1’) La finalité

Le pape exhorte les industries pharmaceutiques à ne pas se laisser piéger par le primat des impératifs économiques. La commercialisation est subordonnée au bien des patients : « La fabrication et la diffusion des produits pharmaceutiques obéissent sans doute aux mêmes lois économiques que toutes les autres activités industrielles et commerciales. Mais plus encore qu’en d’autres activités économiques, l’aspect commercial de votre travail n’a de sens et de valeur que dans la mesure où il représente un véritable service social, nécessaire à la subsistance ou du moins à l’amélioration du niveau de vie d’un grand nombre d’hommes. […] L’importance du service, que vous rendez ainsi, doit inspirer, Messieurs, la résolution de vous consacrer de tout cœur à votre tâche, non dans le seul but d’en retirer un profit légitime, mais avec la conscience de travailler pour le bien de l’humanité ». (P 3, 650 et 651)

De ce fait, les sociétés pharmaceutiques doivent jouer un rôle économique et social dans la résolution des difficultés sanitaires de certains pays où elles sont implantées (P 3, 651).

2’) Exigence de probité et même de pitié

« De grâce, et dans le souci de votre propre dignité, veuillez ne pas exiger un prix supérieur au juste prix […]. Qu’il y ait une marge humanitaire sur les prix imposés : d’homme à homme, la pitié est un devoir sacré ». (P 2, 352)

3’) Exigence de sérieux

Le pharmacien, plus que d’autres professionnelss, supporte des responsabilités techniques et morales importantes : « Il suffit de songer un instant aux conséquences de la plus petite erreur, non seulement sur la substance, mais sur la qualité, le dosage, la durée de validité, pour entrevoir la responsabilité qui vous incombe ». (P 1, 346 ; P 2, 351)

4’) Exigence de droiture

« Parfois, vous avez à lutter contre l’importunité, la pression, les exigences de clients, qui recourent à vous en vue de faire de vous les complices de leurs desseins criminels […]. Vous ne pouvez accepter de prendre part à ces attentats contre la vie ou l’intégrité des individus, contre la propagation ou la santé corporelle et mentale de l’humanité ». (P 1, 347)

d) Normes éthiques du côté des consommateurs du bon usage des médicaments

Avec Paul VI apparaît un nouveau problème dans le domaine de la pharmacopée : la surconsommation des médicaments et la iatrogénie de ceux-ci. Aussi le pape met-il en garde contre la consommation immodérée en psychopharmacologie (M 78, 259).

29) La structure hospitalière

a) Constat actuel

Certains dangers guettent l’équipe soignante. Le Saint-Père les évoque notamment dans un de ses tout derniers discours, à la Conférence mondiale de la santé, le 27 juillet 1958 (S 4, 420) :

– un esprit individualiste « qui volontairement ou non, refuse d’élargir ses horizons, de tenir compte de tous les éléments d’une situation, empêche l’intéressé d’apercevoir les insuffisances de son action personnelle et la nécessité d’accepter l’intervention d’autrui ».

– l’habitude : « L’installation dans des habitudes de travail et la routine rendant pénible toute tentative de changement et toute révision de méthode ».

– l’égoïsme : « susceptibilité, impatience, désir de prévaloir, intolérance à la discipline, bref, l’affirmation exagérée de l’individu et de ses commodités au détriment des exigences posées par la cohésion du groupe et les intérêts de la communauté ».

– l’anonymat : « on ne peut nier que les hôpitaux présentent pour la personne du malade le danger de tomber dans une sorte d’«anonymat». Les nécessités de l’organisation imposent, dans une large mesure, des dispositions générales qui ne permettent pas de tenir compte de tous les aspects particuliers. Les services hospitaliers sont réglés par des normes qui fixent les prestations de chacun ; une fois celles-ci remplies, le médecin ou l’infirmière peuvent croire sincèrement qu’ils ont accompli tous leurs devoirs. Toutefois, la vraie charité vise plus loin que la simple obligation » (H 1, 441-442).

b) Moyens humains

1’) Nécessité d’une humanisation de l’hôpital

Pie XII a fort bien perçu que le grand développement des structures cliniques de ces dernières décennies doit s’accompagner d’une croissance de leur humanisation. Il met en garde contre un développement technique de plus en plus efficace dans les structures hospitalières disproportionné face au manque de développement des relations interpersonnelles entre le malade et l’équipe soignante (H 3, 399). Pas de technique sans éthique : « Le développement considérable des services hospitaliers, la spécialisation croissante des techniques de soins, l’existence de puissantes institutions d’assistance sociale, l’appel des pays sous-développés ; voilà autant de facteurs, qui ont élargi considérablement les perspectives anciennes et requièrent une mise au point et un approfondissement du sens «des relations humaines» entre le malade et sa famille d’une part, les responsables de la santé et les organismes sociaux d’autre part ». (S 4, 419)

2’) Nécessité d’une véritable équipe sanitaire

Pie XII accorde une grande importance au rôle de l’équipe sanitaire au sein de la structure hospitalière.

Le visage de l’équipe sanitaire varie en fonction des structures où elle est insérée (soins hospitaliers, soins à domicile, structures de prévention, etc.). Mais il est toujours nécessaire, pour le bien du malade, que le poste de chacun soit exactement défini : « La complexité croissante de l’organisation sanitaire, rançon d’un progrès incessant, entraîne la nécessité pour chacun de ses membres de mieux définir sa position dans l’ensemble dont il fait partie ». (S 4, 421)

Par ailleurs, au sein même de cette équipe sont nécessaires des réunions pour échanger les idées, les difficultés techniques et psychologiques (S 4, 422).

Enfin, il est nécessaire aussi d’instaurer « une hiérarchie de fonctions qui détermine l’autorité et la responsabilité de chacun ».

3’) Bénéfice d’une conception médicale unitaire

Le Saint-Père montre le bénéfice qu’une conception pathogénique unitaire de la structure d’accueil apporte à certains traitements spécialisés : ainsi, à la clinique de phtysiologie de l’hôpital de Naples (H 1, 440) ou au diabetarium de Santa Marinella (M 29, 318).

4’) Bénéfice d’une architecture hospitalière adéquate

Dans son discours aux hôpitaux de Milan, Pie XII évoque par deux fois l’importance d’une architecture hospitalière au service du malade (H 3, 399).

c) Moyens chrétiens

1’) L’esprit de charité

Dans un discours à des chirurgiens américains, Pie XII précise qu’un hôpital chrétien ne peut pleinement accomplir la tâche qui lui est demandé s’il n’y règne un esprit de charité : « «Hôtel-Dieu» ! Il est évident que Dieu est charité. Et l’esprit qui règne dans les salles et les chambres d’un hôpital doit être de charité : un amour pour Dieu présent dans ses créatures » (M 35, 332).

2’) Rôle de l’Église

Dans de nombreux discours le Souverain Pontife rappelle le rôle moteur de l’Église ces derniers siècles dans la construction et le fonctionnement des hôpitaux (H 2, 324 et 327 ; M 25, 323 ; M 35, 363 ; M 62, 494 ; M 70, 1107 ; M 85, 1030). « Avec la sollicitude d’une mère et sous l’inspiration active de son divin fondateur, son amour est toujours allé de façon spéciale aux malades et aux infirmes en cherchant à alléger leurs souffrances autant que les moyens humains le permettent ». (M 48, 260)

29.9.2018
 

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