Les papes et la médecine : Le monde de la santé en perspective chrétienne

Françoise Caravano et Pascal Ide, « Quarante ans de discours pontificaux sur la santé (1939 à 1978). Regards de Pie XII, Jean XXIII et Paul VI sur le monde de la santé », Archivum Historiæ Pontificiæ, 39 (2001), p. 151-289.

52) Une médecine chrétienne

Les papes ont eu à cœur de dire l’importance du lien qui existe entre le message transmis par l’Église et le monde de la santé. Double est la relation entre le monde de la santé et la foi chrétienne : diachronique et synchronique.

a) Relations dans l’histoire

Pie XII souligne le rôle fondamental que l’Église a joué dans l’essor de la médecine du Moyen Âge jusqu’à nos jours (M 25, 363).

Paul VI précise cette perspective historique : « D’instinct, vous le savez, tout au long de l’histoire, une foule de chrétiens, d’institutions chrétiennes, ont considéré les soins aux malades comme une part privilégiée de leur ministère, comme un exercice de choix de leur charité. Le Christ n’a-t-il pas été salué comme celui qui «enlevait nos infirmités, emportait nos maladies» ». (M 70, 1107 ; cf. aussi M 62, 494)

b) Relation structurelle une science médicale chrétienne ?

Dès son premier discours aux médecins, Pie XII affirme et montre qu’il existe une science médicale chrétienne : « Il est donc manifeste que la personne du médecin comme toute son activité se meuvent constamment dans l’ambiance de l’ordre moral et sous l’empire de ses lois. Dans aucune déclaration, dans aucun conseil, dans aucune intervention, le médecin ne peut se trouver en dehors du terrain de la morale, libéré et indépendant des principes fondamentaux de l’éthique et de la religion ; il n’y a non plus, aucun acte ni aucune parole dont il ne soit pas responsable devant Dieu et sa propre conscience ».

Le Souverain Pontife n’ignore nullement qu’une telle conception apparaîtra à certains chrétiens contraire à une juste autonomie de la médecine : « Il est vrai que certains repoussent comme une absurdité et une chimère, en théorie et en pratique, l’idée de science médicale chrétienne. A leur avis, il ne peut plus y avoir de médecine chrétienne qu’il n’y a de physique ou de chimie chrétiennes, théoriques ou appliquées : le domaine des sciences exactes et expérimentales – disent-ils – s’étend en dehors du terrain religieux et moral, et c’est pour cela qu’ils ne connaissent ni ne reconnaissent que leurs propres lois constantes ».

Le pape répond en montrant la double dépendance de l’objet médical avec la foi : une dépendance ontologique quant à l’origine et une dépendance morale quant à la finalité : « Etrange et injustifié rétrécissement du champ visuel du problème ! Ne voient-ils pas que les objets de ces sciences ne sont pas isolés dans le vide, mais qu’ils font partie du monde universel des êtres ? Que ces objets ont, dans l’ordre des biens et des valeurs, une place et un rang déterminés ? qu’ils sont en contact permanent avec les objets des autres sciences en particulier qu’ils sont soumis à la loi de la perpétuelle et transcendante finalité qui les relie à un tout ordonné ? »

Enfin, Pie XII répond à l’objection de l’autonomie : « Nous admettons cependant que lorsqu’on parle d’orientation chrétienne de la science, on a en vue non pas tant la science en elle-même que ses représentants et disciples, dans lesquels elle s’épanouit et se manifeste. La physique et la chimie elles-mêmes, que les savants et les professionnels consciencieux font servir au profit et au bénéfice de chaque individu et de la société, peuvent, par contre, devenir entre les mains d’hommes pervers des agents et des instruments de corruption et de ruine. Il est donc d’autant plus clair qu’en médecine l’intérêt suprême de la vérité et du bien s’oppose à une prétendue libération objective des multiples rapports et liens qui la maintiennent dans l’ordre général ». (M 1, 206) Distinguant la médecine des médecins, Pie XII concède bien volontiers l’objection : à bien suivre son propos, il faudrait parler de médecins chrétiens plus que de médecine chrétienne.

53) Le soignant chrétien en général

a) La spécificité du soignant chrétien

L’attitude du soignant peut être qualifiée de chrétienne pour une double raison qui est aussi une double tâche, la première étant relative au soignant et la seconde au soigné.

La première est d’imiter le Christ, d’agir « à l’imitation du Christ, qui soulageait tant de misères physiques et morales pour inviter l’homme à reconnaître en lui «la résurrection et la vie» ». (S 4, 423 ; M 50, 344) Jean XXIII note la similitude entre le médecin et le Bon Samaritain : « Le médecin c’est le bon Samaritain de l’Evangile, soucieux avant tout de panser les plaies, d’atténuer la souffrance, de réconforter, de rasséréner ». (M 58, 1256 ; cf. M 59, 1412)

La seconde est de voir en chaque malade le Christ dans son Corps mystique souffrant : « Traitez tout le monde non pas comme on traite de simples créatures humaines ou même ses propres frères, mais encore comme s’il s’agissait de Jésus en personne […] : Jésus est présent dans chacun d’eux, comme dans un tabernacle vivant ». (H 2, 327)

b) La dignité du soignant chrétien

Nous avions vu dans le paragraphe sur la Vocation médicale (9*) de quelle dignité est revêtue la mission du soignant chrétien. Chaque pape l’a souligné. La mission du soignant le configure au Christ compatissant pour les malades, dit Pie XII, (P 2, 350). Jean XXIII renchérit : « Et comment oublier qu’à travers l’homme auquel vous prodiguez vos soins, c’est le Christ que vous servez, le Christ qui vous dira un jour : «J’étais malade et vous m’avez visité» (M t 25,30) ? » (M 58, 1256) Enfin, Paul VI montre que le personnel de santé « montre dans sa plus sublime expression le visage de l’amour ». (M 66, 1060)

c) Conséquences pratiques

La qualification chrétienne n’est pas extérieure à l’être du soignant : « N’y voyez point une simple dénomination extrinsèque, sans influence sur l’objet de vos travaux, comme si le catholicisme n’avait à proposer à ses adhérents qu’un code de déontologie perfectionné ». (S 4, 422) Par conséquent la loi chrétienne requiert une adhésion intérieure : « C’est pourquoi les normes morales, auxquelles le médecin obéit, dépassent de bien loin les prescriptions d’un code d’honneur de la profession ; elles s’élèvent au rang d’une attitude personnelle à l’égard d’un Dieu vivant ». ( M 27, 77)

Par ailleurs, les soignants chrétiens concrétisent leur apostolat dans leur profession. Outre de voir Jésus souffrant dans son frère malade, ils ont pour mission « de mettre en pratique les pensées et les intentions du Créateur et d’aider les hommes à comprendre la justice et la sainteté de son accomplissement ». (SF 472) Cela est particulièrement vrai lorsque leurs compétences servent aux plus démunis, notamment dans les pays en voie de développement (S 4, 423 ; M 90, 1103).

d) Moyens

1’) Au plan individuel

Le soignant chrétien dispose de différents moyens pour vivre sa vocation spécifique.

Le premier est la compassion : « Sans aucun doute la participation aux peines d’autrui, la compassion manifestée à l’affligé, exigent un grand oubli de soi-même ; elles obligent à se défaire de toute indifférence et d’une certaine insensibilité, qui affaiblit petit à petit la vivacité de réaction devant un spectacle douloureux, mais toujours le même. « (H 1, 442)

Un second est la méditation du témoignage du Christ : « Méditez fréquemment sur les pages de l’Evangile, là où sont racontées les affectueuses rencontres du Fils de Dieu avec l’humanité souffrante. Avec un regard de pieuse attention, observez toute la pitié avec laquelle Il se penchait sur les miséreux, le sentiment de paternité avec lequel Il les accueillait et tout le dévouement avec lequel Il se mettait à leur service, parcourant parfois un long chemin pour se rendre jusqu’auprès d’eux ». (I 6, 458)

Enfin et par dessus tout, le soignant est appelé à vivre la charité (cf. 55*), la foi et l’espérance, sources d’humilité et de justesse : le médecin « luttera […] avec la calme sérénité de celui qui voit et qui sait ce que la douleur et la mort représentent dans les desseins salutaires du Sauveur omniscient et infiniment bon et miséricordieux ». (M 1, 206)

2’) Au plan de l’équipe soignante

Jusqu’à maintenant nous avons considéré le soignant pris isolément. Pie XII développe longuement dans son discours aux hôpitaux de Rome (H 2) les devoirs de l’équipe soignante chrétienne. Elle doit développer :

– une véritable compétence technique, dans l’humilité (H 2, 325-326) ;

– une conscience professionnelle d’une nécessité d’autant plus aiguë que c’est la personne qui est en jeu (H 2, 326) ;

– une charité qui, sans ségrégation raciale, sociale, familiale ou simplement de tempérament, imprègne de ses exigences toute l’action soignante : « Voici donc le but qui pourra transformer la vie de l’hôpital, avant même que les structures soient changées : traitez tout le monde non pas comme on traite de simples créatures humaines ou même ses propres frères, mais encore comme s’il s’agissait de Jésus en personne ». (H 2, 327)

Enfin, l’équipe soignante chrétienne aura le souci de faciliter la tâche du prêtre : « les médecins, les infirmiers et, en général, tout le personnel, s’occupent de l’aspect matériel sans contrarier, voire en facilitant, l’œuvre apostolique de celui qui entre dans les salles et s’approche des malades, dans le but spécial de sauver et de sanctifier les âmes ». (Pie XII, H 2, 324)

54) La spécificité chrétienne de chaque catégorie de soignant

a) Le médecin

1’) En général

On l’a vu, deux traits caractérisent la pratique chrétienne du soignant : voir le Christ souffrant dans les patients, agit avec la même compassion que le Messie guérissant les malades durant sa vie apostolique. Ce qui est vrai du soignant en général l’est singulièrement du médecin. Agir dans ce regard de foi lui donnera un véritable équilibre professionnel et épanouissement personnel : « La foi est donc une lumière qui délimite pour vous le domaine du licite et de l’illicite. Mais aussi une lumière qui vous fait voir dans les malades un corps, qui est la demeure d’une âme ; qui vous présente vos semblables comme des fils d’un même Père Céleste et, par conséquent, comme vos frères ; qui allume dans vos cœurs la sainte flamme de la charité, pour soigner non seulement par devoir, mais principalement par amour ; qui vous rappelle que vous pouvez quelque chose, mais en tout que vous êtes des instruments de Celui qui est le seul capable de guérir les corps et les âmes ; enfin, qui vous fait voir la valeur et la grandeur des sacrifices que votre travail vous impose ». (M 49, 292 ; cf. M 3, 48 ; M 27, 76-77)

2’) Le généraliste

Le médecin généraliste chrétien doit avoir conscience que les réalités spirituelles présentent un retentissement organique. Cela au nom de l’unité somato-spirituelle de l’homme. Par conséquent, « lorsque se présente l’occasion, pour vous, d’être utiles aux âmes, et cela arrive souvent, vous devez agir avec la conviction que vous apportez une contribution efficace à tout l’homme, non seulement dans la partie spirituelle, mais souvent aussi pour la meilleur efficience de tout son organisme ». (M 20, 484) Plus encore, le médecin se doit d’aider son patient à se préparer à mourir dans les meilleures conditions spirituelles, en appelant un prêtre si cela est possible (M 20, 484).

Passons maintenant en revue différentes spécialités [1].

3’) Le chercheur

Par son travail, le médecin chercheur participe à la Rédemption : « Soyez persuadés aussi qu’en combattant une des formes les plus redoutables du mal physique, disait Pie XII à des cancérologues, vous contribuez à réparer, autant qu’il est en votre pouvoir, quelques unes des conséquences du désordre, que le péché de l’homme a introduit dans le monde ». (M 39, 602) Le médecin qui fait de la recherche, énonce le pape dans une heureuse formule, « est comme un découvreur de terre nouvelle à la gloire de son Seigneur ». (M 23, 135)

Mais la recherche présente aussi des aspects périlleux. Or, devant le danger des progrès techniques qui ne s’accompagnent pas de progrès religieux et moral, il est du devoir du chercheur chrétien de lutter pour retrouver un sain équilibre par la prière, les sacrements, la mortification (M 49, 293).

4’) Le gynéco-obstétricien

Pie XII invite l’obstétricien chrétien à ne pas négliger les apports de la science, quels que soient leur provenance. Voici ce qu’il disait à propos de la méthode psychoprophylactique d’accouchement sans douleur : « L’obstétrique chrétienne peut ici intégrer dans ses principes et ses méthodes tout ce qui est correct et justifié. Toutefois qu’elle ne s’en contente pas pour les personnes susceptibles de recevoir d’avantage ». (M 30, 30)

5’) Le chirurgien plasticien

Le chirurgien plasticien se doit de connaître les critères chrétiens de la beauté physique, pour mieux seconder le Créateur dans le perfectionnement de sa création : « en restituant harmonie et dignité aux membres et parfois également à l’esprit […]. Soyez toujours conscient que votre mission peut et doit s’étendre au-delà des tissus et des formes, jusqu’à l’âme, dont vous enseignerez à apprécier la beauté intérieure ». (M 54, 575)

6’) Le psychologue et le psychothérapeute

Le paragraphe consacré à la Psychiatrie et à la psychologie (18*) a cité le passage où Pie XII expose qu’une vision complète de la personne englobe non seulement le psychique, le corps et la relation à la société mais la relation à Dieu : « La perfection, l’équilibre et l’harmonie de l’esprit humain se réalisent ici-bas dans la tendance vers Dieu et là-haut dans leur accomplissement ». (I 6, 461) La psychologie chrétienne doit donc prendre en compte l’homme en sa totalité.

b) L’infirmière

1’) Nécessité de la foi

L’infirmière a besoin du secours de la foi. En effet, le contact très proche et très fréquent avec la personne malade requiert des qualités qui dépassent les forces de sa nature : « Il est toutefois certain que vous ne serez pas en mesure de demeurer à la hauteur de votre tâche et de vos devoirs, si vous ne pouviez disposer de forces morales résultant d’une foi vive et profonde et alimentée par elle. Si vous concevez et pratiquez votre travail uniquement comme un emploi, honorable certes, mais purement humain, sans puiser aux sources surtout eucharistiques la force chrétienne, vous ne réussirez pas, à la longue, à demeurer fidèle à vos devoirs. Vous avez, en effet, dans votre vie, tant de sacrifices à accomplir, tant de dangers à surmonter, qu’il vous serait impossible, sans l’aide surnaturelle, de triompher constamment de la faiblesse humaine ». (I 5, 207) Précisément, c’est dans la foi, la vie divine que l’infirmière trouvera l’esprit d’abnégation, la pureté du cœur, la délicatesse de la conscience pour que son « service soit vraiment l’acte de charité surnaturelle que réclame la foi chrétienne ». (I 5, 207)

2’) L’exercice de la foi

Le regard de foi transforme le regard : « Voir Jésus-Christ dans le malade et vous comporter comme Lui, avec Lui : voilà l’idéal de tout infirmier chrétien ». (I 6, 458 ; cf. H 3, 400 ; I 3, 77)

Il invite aussi à un grand respect de la liberté du malade, à l’image de l’action du Christ qui respectait le désir de guérison des malades : « Jésus ne guérissait pas, pour ainsi dire, d’autorité, mais attendait le libre consentement à son action ». (I 6, 458)

3’) Les infirmières consacrées

Pie XII s’adresse plus particulièrement aux religieuses infirmières dans deux discours. Il leur rappelle combien elles sont d’abord consacrées à Dieu avant d’être infirmières et que leur dévouement auprès des malades est le fruit de leur consécration. Il les exhorte ainsi à « faire attention, par exemple, à cette action désordonnée et inquiète, qui ne laisse pas de temps ni de calme pour Jésus ; pour l’écouter, pour lui demander quelles sont ses volontés, ses désirs, ses préférences ; pour lui rendre compte de ce que vous avez fait ; faire attention, en outre, à ce qui pourrait vous arracher trop longtemps, ou trop souvent, à la vie commune : Si celle-ci comporte quelque renoncement, elle est aussi une protection pour votre vie intérieure et un grand exercice de charité ; faire attention à l’esprit de pauvreté, pas seulement individuel, mais également collectif ». (I 7, 195)

Pie XII invite notamment les religieuses infirmières à rencontrer le malade avec la même charité qu’elles manifestent à l’égard de l’Eucharistie (I 2, 205).

c) La sage-femme chrétienne

Les sages-femmes chrétiennes sont invitées à exercer leur apostolat d’abord à travers leur compétence professionnelle. Elles ont aussi besoin de puiser la force d’âme dans leur foi pour s’opposer ou refuser de participer à des actions en contradiction avec la morale chrétienne (SF : 473). Enfin, pour exercer un apostolat positif et efficace auprès des femmes qui leur sont confiées, elles sont appelées à approfondir les valeurs chrétiennes relatives au don de la vie (SF 472).

d) Le pharmacien chrétien

Pie XII exhorte les pharmaciens à trouver dans la morale chrétienne les valeurs nécessaires à l’exercice de leur métier notamment en deux domaines : la probité et le service de la vie (P 1, 346-347).

55) La charité médicale

a) Nécessité pour le médecin chrétien

Le médecin chrétien est appelé à vivre de la charité dans l’exercice de sa profession. Pie XII dit même de la profession médicale qu’elle est « un véritable et excellent ministère de charité » (M 8, 407). Cette charité est nécessaire pour deux raisons.

La première vient du patient. Seuls des sentiments de profonde charité aideront le médecin à deviner l’angoisse du malade, à participer à sa souffrance et à la soulager (M 50, 342). Paul VI précise : « Une science froide, qui ne s’identifie pas avec celui qui souffre et n’en perçoit pas tous les réflexes psychologiques tels que les angoisses, la méfiance, la révolte, la résignation, ne le soigne pas d’une façon parfaite. C’est dire l’importance de la charité chrétienne dans notre profession ». (M 66, 1060 ; et aussi M 61, 1370) C’est cette charité qui éclaire le plus profondément la vocation du médecin : celui-ci doit certes procurer la santé ; mais, plus radicalement, il lui faut permettre au malade par tous les moyens matériels et spirituels dont il dispose de gagner suffisamment de liberté intérieure pour avoir la force de se retrouver face à son Créateur, notamment quand le moment est venu où plus personne ne peut l’accompagner au plus profond de lui-même.

La seconde raison tient au médecin. En effet, la pratique médicale exige un don de soi allant jusqu’à l’oubli de soi-même dans la patience et l’humilité, au service du bien du malade. « Dieu est aussi notre force intime la plus puissante, quand votre profession demande des sacrifices » (M 24, 544 ; cf. M 24, 537).

b) Nature

Certes, l’amour est une vertu naturelle qui est sensée guider tout médecin consciencieux quelle que soit sa foi (M8, 408). Cet amour se manifeste d’abord par un élan naturel du cœur du médecin qui pousse celui-ci à « venir au secours et alléger l’angoisse » de celui qui souffre devant lui (H 1, 441). Pie XII rend hommage à cet amour dévoué : « l’esprit de dévouement prompt et désintéressé, celui des principes élevés qui inspirent de se sacrifier soi-même dans l’intérêt d’autrui, l’esprit de tendresse et d’amour, c’est ce même esprit qui a caractérisé votre profession à toutes les périodes de l’histoire humaine ». (M 2, 44-45) Il en fait même un devoir : « Or l’ordre moral exige qu’on ait envers autrui de l’estime, de la considération, du respect […]. Même s’il est tellement malade dans son psychisme, qu’il paraisse asservi à l’instinct ou même tombé au dessous de la vie animale ». (M 52, 493)

Mais la charité est plus que cet amour humain. Elle permet au médecin chrétien d’aller bien au-delà du but qu’il atteint par ses seules énergies naturelles.

La charité médicale est l’amour même de Dieu répandu dans le cœur (Rm 5,5) du médecin pour son patient. Son lien au Christ lui permet d’apporter au malade « quelque chose de la charité de Dieu, de l’amour et de la tendresse du Christ, compatissant pour chacun de ceux qui souffrent ». (M 3, 48). « Si l’esprit de simple humanité, l’amour naturel de ses semblables stimule et guide tout médecin consciencieux dans ses recherches, que ne fera pas le médecin chrétien, mû par la divine charité à se dévouer sans épargner ni les soins, ni lui-même pour le bien de ceux que, avec raison et selon la foi, il regarde comme ses frères ». (M 8, 408) Les actes de cette force divine qui brûle le cœur du médecin sont l’esprit de dévouement prompt et désintéressé, l’esprit de tendresse et d’amour pour le malade dans lequel il reconnaît, plus qu’un homme comme lui, un frère (M 2, 44 ; M 8, 408).

c) Exercice

La vertu théologale de charité, pilier de la profession médicale, n’est pas un sentiment, elle n’oppose pas naïvement le cœur à la raison. « Le véritable amour, éclairé par la raison et par la foi, ne rend pas les hommes aveugles, mais plus clairvoyants ; et jamais le médecin catholique ne pourra rencontrer meilleur conseiller que ce véritable amour pour dicter ses avis ou pour entreprendre et mener à bonne fin la guérison d’un malade ». (M 1, 208)

Cette vertu de charité, exercée en vérité par le médecin, loin d’être facile, est au contraire très exigeante. Elle n’admet aucun diagnostic de complaisance, ni aucune compromission vis à vis de la morale naturelle (M 1, 207, 208 ; M 3, 48, 49). Elle ne permet aucune discrimination du malade par son rang social, son caractère ou d’autres critères (H 2, 327) (M 3, 48).

C’est dans son allocution aux hôpitaux de Naples que Pie XII développe le plus les exigences de l’esprit de charité qui doit mouvoir le personnel soignant : « Toutefois, la vraie charité vise plus loin que la simple obligation (morale de porter secours) ; elle ne se considère jamais pleinement satisfaite ; elle ne s’épargne pas dans le don de soi-même ; elle devine et prévient les désirs de ceux auxquels elle se consacre ; elle supporte patiemment leurs défauts. Ce qu’on vous demande en réalité, c’est de savoir penser aux autres, pour pouvoir leur porter un intérêt et une affection profonde. Sans aucun doute, la participation aux peines d’autrui, la compassion manifestée à l’affligé, exigent un grand oubli de soi-même ; elles obligent à se défaire de toute indifférence et d’une certaine insensibilité, qui affaiblit petit à petit la vivacité des réactions devant un spectacle douloureux, mais toujours le même » (H 1, 442)

d) Aspects plus particuliers

A l’occasion, Pie XII souligne l’exercice de la charité dans des contextes plus spécialisés. Il estime, par exemple, que la charité doit être le moteur de la recherche médicale dans sa quête de la vérité (M 1, 207). Il évoque la manière dont peut s’exercer ce ministère de charité médicale vis à vis des aveugles (M 33, 262). Aux infirmières, il cite le dévouement comme une de leurs qualités essentielles (I 5, 205-206) et à l’infirmière psychiatrique, il rappelle qu’elle doit créer autour du malade une atmosphère de confiance amicale (I 6, 462).

56) L’Église et la structure hospitalière

a) Rôle historique de l’Église à l’égard de l’hôpital

L’Église en Occident a été le premier promoteur de l’ouverture d’hôpitaux et de structures d’accueil pour les handicapés, les infirmes et les nécessiteux. Pie XII le rappelle dans beaucoup de discours (H 1, H 2, H 3, S 4, 423 ; I 5, 203 ; etc.).

Ce fait est intrinsèquement lié à la fonction apostolique que l’Église ne pourra jamais abandonner sans renoncer à suivre l’Evangile : « les vrais édifices spécifiques, construits dans le but d’accueillir et d’assister les malades ont fait leur apparition plus tard […] seulement par effet de l’universelle charité, laissée en héritage à l’Église par son divin fondateur ». (I 7, 196) Or, cette charité invite à discerner dans le patient une figure du Christ : « Pourquoi l’Église fonda-t-elle des hôpitaux, les ornant, les défendant et les soutenant par tous les moyens ? Pourquoi l’Église demande-t-elle, encore aujourd’hui, à ne demeurer étrangère à aucun de ces lieux où souffrent les hommes ? C’est parce que, corps mystique de Jésus, elle voit dans les malades ses membres douloureux ». (H 2, 327)

b) Importance d’une structure hospitalière chrétienne

Ce qui est vrai du passé l’est aussi au présent. Faisant allusion au mouvement de laïcisation des hôpitaux, surtout en Europe, au cours de ce siècle, le Saint Père affirme fortement : « Mais personne ne doit penser que l’Église puisse abandonner son rôle maternel de consolatrice des malades et de ceux qui souffrent ». (I 7, 196) En effet, l’esprit chrétien était le moteur le plus puissant de transformation de la vie de l’hôpital, avant même le changement des structures, pour le bien du malade (H 2, 387).

C’est dans son discours aux hôpitaux de Milan que le Saint Père développe le plus le bénéfice d’une structure hospitalière baignant dans un climat chrétien : « Nous aurions ainsi l’hôpital moderne chrétien : où le corps, c’est-à-dire les constructions, les installations techniques, les équipements scientifiques et la compétence professionnelle elle-même de tout le personnel, se trouverait animé par l’habitus et par les actes de la vertu qui résume toute la foi chrétienne : l’amour. Alors les malades, entrant dans l’hôpital, trouveraient » les structures compétitives habituelles, « mais sans aucun risque d’être traités comme des «choses» ou, tout au plus, comme des «cas», voire intéressants ». (M 3, 400)

c) Quelques moyens

1’) Place de l’aumônier

La profession médicale trouve sa fin la plus élevée dans l’aide qu’elle apporte au malade en son cheminement spirituel, soit directement, soit, indirectement, en facilitant le travail de l’aumônier ou des autres personnes habilitées à cette tâche (H 1, 442-443 ; H 2, 324) : « Les prêtres et les sœurs doivent pouvoir continuer à être – comme toujours – les anges consolateurs de malades. Personne ne peut inspirer plus qu’eux aux malades sérénité et paix ; cette sérénité et cette paix qui se révèlent de plus en plus comme de très précieux auxiliaires dans des efforts anxieux pour rendre la santé et la vigueur aux membres douloureux de tant d’infortunés ». (H 3, 401) Cette coopération entre l’Église et la structure hospitalière est encore plus nécessaire et doit être encore plus étroite quand il s’agit des maladies de l’esprit (M 72, 757).

2’) Situation de la chapelle dans l’édifice

Construire la chapelle au centre de l’édifice est hautement symbolique : « Cela signifie que, dans l’hôpital, rien ne doit être pensé, dit ou fait qui soit contraire à la double présence du Christ, sacramentelle dans l’hostie consacrée, mystique dans la personne du malade ». (H 3, 401)

57) Le monde de la santé et l’usage des sacrements

Les sacrements intéressent le monde de la santé soit directement (les conditions de validité d’administration des derniers sacrements, le sacrement des malades), soit indirectement (dans le cadre du sacrement de mariage).

a) Les derniers sacrements

Pie XII rappelle les différentes conditions d’administration des derniers sacrements aux mourants comateux (M 46).

Il faut que le sujet soit :

– vivant ;

– baptisé : « Les sacrements sont destinés en vertu de l’institution divine, aux hommes de ce monde, pendant la durée de leur vie terrestre et à l’exception du baptême lui-même, présupposent le baptême chez celui qui les reçoit ». (M 46, 695)

– et librement consentant.

Si un de ces présupposés ne peut être vérifié, l’administration se fera sous condition : « Les sacrements sont institués par le Christ pour les hommes, afin de sauver leur âme ; aussi, en cas d’extrême nécessité, l’Église tente des solutions extrêmes pour communiquer à un homme la grâce et les secours sacramentels ». (M 46, 696)

b) Le sacrement des malades

Par ailleurs, Paul VI évoque la place du sacrement des malades. Celui-ci ne dispense pas de la médecine mais revêt un caractère de réconfort aussi bien spirituel que corporel.

c) Le sacrement du mariage

La connaissance d’une tare héréditaire ou d’une anomalie médicale postérieure à la célébration du sacrement de mariage ne saurait rétrospectivement l’invalider : « l’objet du contrat matrimonial n’est pas l’enfant, mais l’accomplissement de l’acte matrimonial naturel, ou, plus précisément, le droit d’accomplir cet acte ; ce droit reste tout à fait indépendant du patrimoine héréditaire de l’enfant engendré, et de même de sa capacité de vivre ». (M 53, 512-513)

Les causes de reconnaissance de nullité de mariage pour « impotentia generandi » sont longuement abordées par Pie XII dans son discours aux urologues (M 21, 494 à 498).

[1] Sur le rôle des anesthésistes, cf. le paragraphe sur anesthésie et réanimation.

12.12.2018
 

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