Les papes et la médecine : l’acte de soin

Françoise Caravano et Pascal Ide, « Quarante ans de discours pontificaux sur la santé (1939 à 1978). Regards de Pie XII, Jean XXIII et Paul VI sur le monde de la santé », Archivum Historiæ Pontificiæ, 39 (2001), p. 151-289.

Ce premier groupe étudie l’acte de soin : en son fondement (la vision de l’homme et du corps), sa finalité (la santé), son point de départ (la maladie) et sa démarche (le traitement).

1) La vision de l’homme

Pie XII revient souvent dans ses discours sur ce qu’est l’homme pour en détailler la nature et le dynamisme.

a) Nature de l’homme

L’homme est un être à la fois un et complexe. Le premier discours de Pie XII aux médecins contient probablement la doctrine la plus détaillée et la plus profonde sur l’anthropologie (M 1, 201 et s [1]), mais les autres discours reviendront parfois sur un de ces points pour l’approfondir.

D’abord, l’homme est être un. La lecture attentive des discours montre combien Pie XII se méfie constamment du dualisme.

Ensuite, l’homme est « composé de matière et d’esprit ». Une fois, Pie XII ébauche une démonstration de la transcendance de l’âme comme principe vital (M 40, 707-708). Reste que la distinction de l’âme et du corps n’ôte rien à l’unité de l’être humain. Voilà pourquoi il ne faut pas opposer biologie et psychologie : sciences du corps et sciences de la pensée se complètent en nous révélant l’identité humaine (M 45, 491-492).

Au sein de l’âme elle-même se rencontrent une distinction et une hiérarchie de « fonctions » (M 21, 202) : par exemple, entre le sens et l’intelligence, celui-là étant pour celle-ci (E 1, 78) ; le Saint Père en arrive ainsi à définir « l’action raisonnable et librement ordonnée à une fin comme « constituant » la caractéristique de l’être humain » (M 41, 51). Pie XII détaille à l’occasion les mécanismes psychiques de l’homme (cf. M 15, 140-141).

Enfin, l’homme doit être considéré en sa relation avec autre que lui : la création (« élément lui-même de l’ordre universel des êtres ») dont il constitue d’ailleurs le centre (« l’homme, centre de l’univers » : M 45, 491) ; les autres hommes (par la médiation de la famille, des groupements professionnels ou de la société même) ; et enfin son Créateur : « L’âme et la poussière se sont unies pour former cette image de l’infini ; elles vivent dans le temps et dans l’espace et pourtant, elles sont orientées vers un terme qui les dépasse toutes deux : portion de l’univers créée et destinée cependant à partager la gloire et le bonheur du créateur ». (M 2, 45)

Les considérations de Pie XII se veulent souvent philosophiques (M 1, 201) : témoin en est la rareté de l’appel à la référence classique de l’image de Dieu en Gn 1,26-27 (cf. SF 471).

Une fois au moins, Pie XII a évoqué la question des rapports nature-culture : il est indéniable que le médecin peut retirer de grands bienfaits de telle ou telle culture ; reste que celle-ci ne gomme pas une identité spécifique transcendant la diversité et qu’il nomme classiquement par le terme de nature (M 27, 71 et 72 où l’on trouve une définition de la culture).

b) Conséquences éthiques

De cette vision de l’homme se déduit une éthique. Cette conception de la nature humaine doit fonder la pratique médicale (par exemple en réanimation : M 46, 693) et la recherche en médecine (M 50, 344).

La principale norme est sans doute le respect du corps comme partie de la personne. Elle se fonde sur l’irréducibilité de l’homme au seul organisme. Le médecin, dit Pie XII, « ne traite pas une matière inerte qui serait sans valeur », que cet homme en lequel « l’âme et la poussière se sont unies » et qui se confie à ses soins, « est quelque chose de plus qu’un amas de nerfs, de tissus, de sang et d’organes » (M 2, 45). En effet, l’objet de la science médicale est tout l’homme (M 6, 196) et c’est la dignité même de cet objet qui cause celle de l’art (M 14, 506). Pie XII souligne le danger d’un réductionnisme qui identifierait l’explication ultime de l’homme à l’analyse ultrafine des éléments organiques premiers, alors que seule la totalité donne la clef (M 40, 707-708).

Une autre norme concerne la dignité particulière du cadavre humain : en effet, celui-ci fut, comme corps, uni à une âme spirituelle (M 33, 264-267).

Enfin, de la différence sens-esprit se déduisent de multiples conséquences qu’on reverra (sur la narcose, l’euthanasie active, etc.).

2) La vocation du corps

a) Vocation du corps dans sa globalité

Pour Pie XII, le corps est un dans la diversité de ses organes.

Par ailleurs, il est finalisé par l’âme (M 49, 292 ; M 54, 570). Il rappelle le propos de saint Thomas d’Aquin pour qui « la fin prochaine du corps est d’être instrument conjoint de l’âme et de ses opérations [2] ».

Cela n’empêche pas le corps d’avoir sa valeur, et plus encore sa beauté, ainsi que le pape le souligne dans d’intéressants développements. La vocation seconde, explique-t-il dans une rencontre avec les chirurgiens esthéticiens, du corps humain est la beauté : « Comme un langage muet de l’âme intelligible pour tous, la beauté est ordonnée à exprimer à l’extérieur les qualités intérieures de l’esprit » (M 54, 570). Dans son discours au chirurgien plasticien, il donne une définition précise de cette beauté physique : celle-ci exige la perfection des membres ou parties distinctes, l’harmonie entre eux et surtout la sincérité en exprimant les qualités intérieures de l’esprit (M 54, 570), cette dernière étant l’élément le plus décisif pour imprimer sur le visage le mérite de la beauté.

Enfin, dans une perspective chrétienne, le corps est douée d’une signification encore plus élevée, ainsi que Pie XII le précise en s’adressant aux infirmières : « Le corps est destiné à être le temple de l’Esprit-Saint » (I 4).

b) Conséquences éthiques

De cette vision du corps se déduisent certaines normes.

La vision de l’unicité de l’être humain à travers les différentes parties de son organisme fonde un certain nombre d’exigences pour le médecin, surtout chez les spécialistes menacés de découper l’homme en organes (M 20, 483), ainsi que nous le reverrons.

De plus, l’homme n’est pas le possesseur absolu de son corps. Selon une expression qu’affectionne Pie XII, l’homme en est et n’en est que « l’usufruitier ». En effet, d’une part, il hérite de son organisme, il ne s’est pas donné à lui-même un être physique ; d’autre part, ce corps est doué d’un sens objectif, autrement dit, dans le vocabulaire métaphysique traditionnel qu’emploie le pape, d’une nature : le Créateur donne à l’homme un corps pour qu’il en use conformément aux fins de sa nature. Pie XII insistera sur ce principe dès son premier discours (M 1, 202-203) et le détaillera par la suite à propos de situations particulières, manifestant ainsi les limites de la recherche médicale (M 13, 457 et M 26, 391-392).

Par ailleurs, la beauté physique est un bien désirable mais subordonné à d’autres biens d’ordre spirituel. La recherche de la beauté physique est légitime lorsqu’elle n’en vient pas à supplanter les valeurs supérieures ; en essayant de la restituer à son patient, le chirurgien plasticien participe légitimement à l’œuvre créatrice de Dieu (M 54, 572).

Enfin, en soulignant la très haute dignité du corps, la vision chrétienne conduit à un respect encore plus grand.

c) Vocation particulière de certains organes

Lorsqu’il s’adresse aux divers spécialistes médicaux, Pie XII ne manque pas à l’occasion de proposer d’étonnants aperçus sur la fonction et sur la signification symbolique de tel ou tel organe (M 51, 457). Il s’étend plus longuement sur les organes sensoriels que sur les autres organes, soulignant la noblesse de leur rôle qui consiste à faire communiquer le spirituel avec les réalités sensibles extérieures à l’organisme.

1’) L’œil

Dans la tradition populaire comme dans la littérature, l’œil est considéré comme un des biens les plus précieux de l’homme. En témoignent les nombreuses métaphores véhiculées par les divers langages des différents continents (M 5, 289). En témoignent aussi les nombreuses citations bibliques de l’Ancien et du Nouveau Testament (Za 2,8 ; Tb 5,12 ; Mt 6,22-23 ; Jn 1,9 ; Mt 5,8 ; Lc 18,41). Pour Pie XII, les yeux constituent l’organe sensoriel le plus noble du fait de la dignité de son objet qu’est la lumière.

Le rôle le plus immédiat de l’œil est certes de voir. Mais une autre fonction, qui n’est pas de moindre importance, est d’être le révélateur de l’âme et de ses passions, d’où la citation du Christ : « Si ton œil est sain, tout ton corps sera éclairé ». (Mt 10,22-23) (M 16, 276-277)

Ainsi, de par sa double vocation, l’œil illustre un des principes chers à Pie XII : le corps et l’âme sont, dans notre séjour terrestre, intimement et indissociablement unis ; le médecin ne peut soigner l’un en ignorant l’autre et il est de son devoir d’apprendre aussi bien à soigner les corps qu’à réconforter les âmes. Une hypertrophie de l’un aux dépens de l’autre rompt une harmonie indispensable à la guérison.

Par ailleurs, si le médecin n’a pas les idées claires quant à la hiérarchie des valeurs de l’âme et du corps, il peut être amené à prendre des décisions thérapeutiques allant à l’encontre de certaines priorités : « Avant tout que le praticien considère l’homme tout entier dans l’unité de sa personne, c’est-à-dire non seulement son état physique mais aussi sa psychologie, son idéal moral et spirituel ». (M 36, 478)

Enfin, le Saint-Père précise, en s’adressant aux chirurgiens plasticiens, que l’œil est ordonné à voir le beau et il insiste sur le fait qu’il existe des sensations agréables à la vue en dehors de toute concupiscence (M 54, 570).

2’) L’oreille

Le Souverain Pontife s’émerveille devant la finesse et la complexité des structures organiques qui constituent le support de l’ouïe. Celle-ci permet une transmission directe de la connaissance ; sans elle la voix n’est rien. Comme ce sens est difficilement suppléé par les autres sens, la souffrance morale consécutive à l’isolement qui résulte de la surdité est grande (M 11, 464-465).

3’) Le nez

Soulignant le rôle indispensable de l’olfaction dans l’utilisation de la nourriture, le pape rappelle combien ce sens est méconnu (M 50, 343).

4’) L’organe du toucher

Pie XII évoque le toucher et son importance lorsqu’il en vient à suppléer la vue, notamment chez les musiciens (E 1, 81 ; E 2, 297).

5’) L’organe vocal

La voix est un des plus fidèles reflets de ce que nous ressentons. Aussi toute atteinte maladive ou malformation de l’association des organes qui la produisent résone grandement sur l’équilibre physique, nerveux et psychique de l’individu (M 11, 464 ; M 45, 488).

6’) Le système nutritif

Quelle que soit l’importance de la vie spirituelle, le problème le plus fondamental de l’homme est l’alimentation. Traitant de celle-ci, il détaille à cette occasion l’impact du spirituel sur la nourriture (M 29, 316 et M 38, 510).

Pie XII n’hésite pas à parler de fonction quasi sacrée de la bouche, liée notamment à son rôle de transmission de la parole divine (M 14, 505).

7’) Le sang

Le sang qui met en relation tout l’organisme est devenu, à travers les âges, un puissant symbole de la vie (M 51, 456-457).

8’) Le cœur

On sera étonné de constater que Pie XII ne traite pas comme tel du cœur dans ses discours au monde de la santé, alors que la conception symbolique du cœur développée dans l’encyclique Haurietis Aquas sur le Sacré-Cœur (1956) intègre l’organe physique qu’est le myocarde.

Jean XXIII note aussi l’importance symbolique du cœur dans l’histoire de l’homme et notamment dans la Bible (M 58, 1255).

d) La sexualité

La question du corps sexué mérite d’être traitée à part : la sexualité, en effet, englobe tout le corps et même toute la personne. Ici seront traitées quelques questions générales. Les problématiques particulières de l’accouchement sans douleur, la stérilité, la contraception, l’avortement, seront abordées pour elles-mêmes plus loin (41* à 44* [3]).

1’) Importance de la question

Pie XII aborda plusieurs fois et longuement le thème de la procréation. En effet, il tire son importance de ce qu’il touche aux réalités les plus importantes : la vie et l’amour.

Par ailleurs, il est indispensable que le médecin ait les idées claires et précises à propos de la procréation, source de tant de déviations et de distorsions sur sa finalité et les devoirs qui en découlent pour l’homme (M 1, 208). L’influence morale du médecin sur son patient lui impose « la mission d’orienter ses contemporains vers une conception approfondie du sens biologique de l’union des époux et du motif pour lequel la nature n’autorise cet acte que dans le mariage ». (M 21, 496 ; M 34, 313-314)

2’) Contenu de l’enseignement pontifical

Pie XII aborde la morale de la procréation dans la plupart de ses discours fondamentaux ; mais c’est dans son discours aux sages-femmes qu’il expose le plus complètement l’ordre des valeurs relatives à la sexualité humaine (SF 489 à 498). Renvoyons pour le détail à cette célèbre allocution.

Pour le Souverain Pontife, le but premier de l’union de l’homme et de la femme est la propagation de la vie et l’éducation des enfants. Cela relève de la nature de la sexualité qui, elle-même, est de Dieu. C’est seulement dans le mariage que ce double but peut être pleinement réalisé (M 1, 208-209). Par ailleurs, les époux ont l’obligation morale positive de ne pas exclure la procréation (M 53, 508). « Le contrat matrimonial qui accorde aux époux le droit de satisfaire l’inclination de la nature, les établit en un état de vie, l’état conjugal. Or, aux époux qui en font usage avec l’acte spécifique de leur état, la nature et le Créateur imposent la fonction de pourvoir à la conservation du genre humain. Telle est la prestation caractéristique qui fait la valeur propre de leur état. L’individu et la société, le peuple et l’Etat, l’Église elle-même, dépendent par leur existence, dans l’ordre établi par Dieu, du mariage fécond ». (SF 485)

De même, dans les limites médicales qui touchent la période fragile de la gestation et de la naissance, le Saint-Père précise clairement que le droit à la vie, dans toutes ses dimensions, corporelles, psychiques et spirituelles, reste un principe inviolable : « Il n’est pas permis de mettre la vie en danger, jamais de la supprimer si ce n’est par l’espoir de protéger un bien plus précieux, ou de sauver, ou de prolonger cette vie même » (M 6, 199).

A l’inverse, la procréation ne peut se faire à n’importe quel prix, elle doit se conformer à la volonté divine qui se réalise à un degré étonnant dans la nature (M 8, 413). La médecine doit tenter d’aider le couple stérile conformément à cette nature (M 51, 461).

Le pape Paul VI, sans cesser de donner une importance de premier plan à la procréation, fera de la communion des époux l’autre signification de la sexualité humaine.

e) Hiérarchie des organes

De ce qui précède, nous pouvons déduire que Pie XII propose comme une double hiérarchie des organes : en dignité (de ce point de vue, l’œil ou le cerveau sont doués d’une dignité supérieure), mais aussi selon la perspective de la nécessité vitale (de ce point de vue, les besoins nutritifs sont le plus fondamentaux). En s’adressant aux neuropsychiatres, Paul VI montre comment leur spécialité met en évidence l’existence d’une hiérarchie des valeurs dans les différentes fonctions de l’organisme et la place élevée du psychisme dans cette hiérarchie (M 74, 663).

3) Les âges de la vie

a) Les enfants

1’) Du point de vue éthique

A de nombreuses occasions, Pie XII souligne le rôle de la médecine auprès de l’enfant. Plus que partout ailleurs, il parle ici en père : s’il rappelle la finalité de l’éducation, à savoir aider l’enfant à devenir un homme libre et responsable, il témoigne d’un souci pédagogique étonnamment concret,. Il fait notamment appel à la vigilance de ceux qui, dans la société, sont responsables de la formation éthique des caractères et des volontés (P 2, 351), montrant implicitement que d’un bon démarrage dépend l’acquisition de la sagesse à un âge avancé.

2’) Du point de vue de l’éducation sanitaire

Ce souci éducatif n’est pas uniquement d’ordre éthique. Le Saint-Père aborde plusieurs fois les problèmes de l’éducation sanitaire des enfants.

Cela est vrai en pédodontie. Pie XII aborde longuement l’importance de la prévention et l’information aux parents (M 45, 488), soulignant le bienfait éducatif aussi bien physique que moral d’une hygiène bien enseignée (M 45, 489), mettant en évidence l’importance de l’établissement d’une bonne relation humaine entre le dentiste et l’enfant (M 45, 491). Il rappelle l’importance d’une organisation sociale en ce domaine (M 14, 506).

Pie XII aborde aussi de manière détaillée la question de la diététique de l’enfant : de l’enfant sain d’une part (M 38, 509) montrant les trois principaux problèmes diététiques actuels : les erreurs alimentaires d’une surproduction artificielle ; les mauvaises habitudes alimentaires d’une population donnée, plus difficile à corriger à court terme ; les immenses problèmes nutritionnels posés par la misère de certaines populations ; de l’enfant malade d’autre part, notamment l’enfant diabétique avec les difficultés d’éducation que cette pathologie comporte et les solutions proposées en 1955 (M 29, 318).

3’) Problème particulier de l’enfant tuberculeux

Enfin, le Saint Père cite les difficultés rencontrées par le médecin dans le dépistage de l’enfant tuberculeux à cause des hésitations de la famille devant les conséquences que ce diagnostic implique encore à l’époque : isolement et séparation des siens, interventions chirurgicales délabrantes.

b) Les personnes âgées

Pie XII a quelquefois eu l’occasion d’aborder le problème de la santé du vieillard. En s’adressant aux pharmaciens, il montre que l’une des plus importantes aspirations naturelles de l’homme est de parvenir à un âge avancé sain d’esprit et de corps et ami de la sagesse (P 2, 351).

Il encourage les chercheurs à s’intéresser davantage à la santé du vieillard, notamment dans le domaine de la diététique, cela, autant pour accroître sa longévité que pour améliorer sa qualité de vie (M 29, 317).

Enfin, Paul VI rappelle la place de choix des personnes âgées dans l’apostolat de l’Église (D 1, 305).

4) La santé

Le service de la santé est la finalité de l’art médical : « Le but qui unifie leur activité [au personnel de santé], c’est évidemment la préservation ou le rétablissement de la santé des individus et des groupes sociaux ». (S 4, 422 ; cf. M 23, 134)

a) Nature de la santé

En juin 1949, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) naissante dit que la santé comporte positivement, en plus de l’état de non-maladie physique et psychique, le « bien-être spirituel et social de l’humanité ». De même, pour Pie XII, la santé ne se réduit pas à la seule absence de maladie ; elle déborde largement le cadre biologique et englobe toute la vie morale, religieuse, économique et sociale de la personne.

Notamment, pour l’OMS, comme pour le Souverain Pontife, la santé présente une dimension sociale. Elle est en effet directement liée à l’élévation du niveau de vie d’une population (S 1, 241 ; S 3, 643). Le Saint Père souligne que cette conception est depuis longtemps contenue dans la doctrine sociale de l’Église comme condition nécessaire de la paix intérieure et extérieure des pays. À ce titre, intéresse la collaboration internationale (S 1, 241). C’est ainsi que des habitudes alimentaires erronées de groupes sociaux entiers peuvent, sans les rendre malades, les maintenir dans un état de « mauvaise santé » qu’un simple effort éducatif pourrait corriger. La recherche des diététiciens et des gastro-entérologues permet d’aboutir à des règles de vie en faveur de la santé qui sont plus qu’une lutte contre la maladie (M 12, 160 ; M 38, 509). Ce constat fait découvrir au monde « l’existence de lois naturelles de la nutrition établies par le Créateur et qu’on ne viole pas impunément ». (M 12, 159)

Il est toutefois significatif que le pape Pie XII, tout en soulignant la valeur de la définition plus étendue, plus profonde et positive de la santé donnée par l’OMS – « la santé comporte positivement le bien-être spirituel et social de l’humanité et, à ce titre, elle est une des conditions de la paix universelle et de la sécurité commune » –, ne reprend pas la totalité de l’expression, puisqu’il omet intentionnellement « état de complet bien-être » [4].

b) Éthique de la santé

1’) Devoir individuel de se soigner

La raison naturelle, comme la morale chrétienne, affirment que tout homme a le devoir, en cas de maladie grave, de se soigner pour conserver la vie et la santé.

Toutefois, ce devoir n’est pas un absolu inconditionnel. Il est soumis à un certain nombre de restrictions. Quant à la finalité, la recherche de la santé reste dans l’échelle des valeurs morales subordonnée à des fins spirituelles : « Le sens d’une destinée humaine, dit Pie XII en s’adressant à des radiologues en 1954, ne se limite pas à la jouissance ou au recouvrement d’une santé périssable : il s’élargit infiniment aux réalités ineffables de l’au-delà ». (M 23, 135) D’ailleurs, la recherche de la santé a son champ d’action nécessairement limité par le fait qu’elle ne supprimera jamais totalement la maladie, la souffrance et la mort. Elle ne saurait donc constituer un absolu.

Quant aux moyens, le devoir de se soigner se limite aux soins ordinaires et ne peut en aucun cas exiger la charge de soins extraordinaires qui entraveraient l’acquisition de biens supérieurs plus importants (M 46, 695).

2’) Devoir social de soigner

Comme la santé, le travail sanitaire présente aussi une dimension sociale. Les responsables de la santé ont le devoir de rétablir et préserver la santé des individus d’une part, celle des groupes sociaux d’autre part. Pie XII souligne le danger de développer le second au détriment du premier, sacrifiant le respect des personnes à l’intérêt collectif (S 4, 422).

c) Moyens d’obtention de la santé

Les moyens pour parvenir au bien-être qu’est la santé des individus et des peuples sont de nature politique, économique et sociale.

1’) Les moyens politiques

En 1949, une évolution vers une organisation mondiale de la santé s’avère de plus en plus effective (S 1, 239). Bien que les initiatives privées, par leur caractère plus ponctuel, facilitent la mise en pratique des décisions de l’OMS (S 1, 238 ; S 1, 240 ; M 85, 1031), il faut insister sur la concentration des informations et ainsi éviter la dispersion. Le Saint-Père évoque en particulier l’impact que peuvent avoir sur les pouvoirs publics et les médias, les conclusions des congrès internationaux (M 14, 506).

Pie XII cite des actions politiques plus particulières : certains groupes paramédicaux tels que les laboratoires pharmaceutiques ne doivent pas négliger non plus le rôle important que leur puissante organisation dans la prévention de la santé peut exercer au sein de leur pays (P 3, 651).

Paul VI insiste, lui aussi, sur l’intérêt d’un Ordre international (M 70, 1107 et 1108). L’acquisition de la santé humaine, dit-il, est un devoir médical et social qui découle directement de l’ordre divin de « dominer la terre » (Gn 1,28) (M 78, 258).

2’) Les moyens sociaux

Sur le plan social, la promotion de la santé est intimement liée à l’élévation du niveau de vie des populations. Ainsi, les ingénieurs de l’OMS qui étudient sur le terrain des projets d’amélioration de l’environnement exercent un rôle éminemment social (S 2 ; S 3, 643).

Dans la promotion de la santé, les services sociaux ont, eux aussi, une fonction importante à jouer, mais de nature plus préventive. Pie XII évoque leur action pour le dépistage du cancer, de la tuberculose et en pédodontie (M 36, 477 ; M 10, 391 ; M 45, 489). De même, il souligne le rôle social que jouent les médecins municipaux italiens par leur responsabilité dans le développement de l’hygiène et de la prophylaxie (M 20, 484).

3’) Les moyens économiques

Le Saint-Père évoque enfin les moyens économiques. Le principal moyen, du fait de sa valeur préventive, est l’amélioration quantitative et surtout qualitative de l’alimentation. Lors de ses allocutions aux diététiciens, en 1955 et 1956, Pie XII montre l’importance économique, sociale et politique mondiale de leurs recherches. En effet, celles-ci mettent en évidence les erreurs et les carences alimentaires de groupes sociaux donnés et permettent ainsi leur correction grâce aux décisions, notamment d’ordre économique, des pouvoirs publics : tel est le cas des substitutions alimentaires de la recherche agricole (M 29, 316 ; M 38, 509 ; M 28, 136). En particulier, l’hygiène alimentaire joue une fonction de premier plan dans l’éducation préventive des carences vitaminiques (M 29, 316-317).

Le Saint-Père évoque aussi le rôle économique des gros laboratoires dans la fixation des prix de la pharmacopée. Ceux-ci ne doivent pas s’éloigner d’une ligne de conduite humanitaire qui permette à l’ensemble des populations d’accéder aux médicaments sans sacrifice démesuré (P 2, 352 ; P 3, 650).

5) La santé mentale

a) Importance de la santé mentale

L’Église et la tradition chrétienne ont toujours considéré la santé mentale comme un bien inestimable : « Que la santé mentale soit un des biens fondamentaux du point de vue de la nature, c’est la chose évidente. Mais il en est de même dans le domaine religieux et surnaturel. En effet, le plein développement des valeurs religieuses et de la santé chrétienne, n’est pas concevable dans une âme, si l’on ne part d’un esprit sain et équilibré dans ces mouvements ; alors que, en revanche, il est certain qu’aucune tare ou diminution physique ne peut empêcher la réalisation de la plus sublime sainteté ». (I 6, 459).

Voilà pourquoi Pie XII parle du malade psychiatrique comme « de la catégorie de malade qui inspire peut-être le plus de compassion » (I 6, 458). Paul VI renchérit : « Leur famille porte souvent cette épreuve comme une humiliation […] La société, à son tour, hésite à faire confiance aux malades guéris ou améliorés pour faciliter leur réinsertion dans la famille, le voisinage, une certaine vie professionnelle ».(M 72, 656-657)

b) Fondements anthropologiques

1’) Exposé

La pratique clinique concernant la santé mentale se fonde sur toute une conception de l’homme. Aussi, dans ses discours aux psychothérapeutes et aux psychologues (M 15, M 47), Pie XII réserve-t-il une large part à une vision anthropologique adéquate. Dans son discours du 10 avril 1958, il la décrit de manière particulièrement détaillée : « La métaphysique considère l’homme comme un être doué d’intelligence et de liberté, dans lequel le corps et l’âme sont unis en une seule nature, possédant une existence indépendante […]. En ce sens, l’homme est toujours une personne, un «individu» distinct de tous les autres, un «moi» du premier au dernier instant de sa vie, même quand il n’en a pas conscience ». (M 47, 182).

Suivent « les traits les plus importants de la personnalité au point de vue moral et religieux » (M 47, 182-183). Ces caractéristiques n’envisagent pas seulement la structure de l’homme, mais son origine et sa destinée ; autrement dit, elles le considèrent dans sa totalité :

« L’homme est tout entier l’œuvre du Créateur ».

»L’homme a la possibilité et l’obligation de perfectionner sa nature […].

« L’affirmation de la responsabilité et de la liberté est également essentielle à la personnalité ». Celle-ci se décline en un certain nombre de vérités :

  1. Un homme quelconque doit être considéré comme normal jusqu’à preuve du contraire.
  2. L’homme normal ne possède pas seulement une liberté théorique, mais il en a réellement l’usage.
  3. L’homme normal, quand il utilise comme il le doit les énergies spirituelles qui sont à sa disposition, est capable de vaincre les difficultés qui entravent l’observation de la loi morale.
  4. Les dispositions psychologiques anormales ne sont pas toujours contraignantes et n’enlèvent pas toujours au sujet toute possibilité d’agir librement.
  5. Même les dynamismes de l’inconscient et du subconscient ne sont pas irrésistibles ; il reste possible, dans une large mesure, de les maîtriser, surtout pour le sujet normal.
  6. L’homme normal est donc ordinairement responsable des décisions qu’il prend ».

On le voit, ces six énoncés d’une part conjuguent volontaire et involontaire, d’autre part, les hiérarchisent : quelle que soit la part qu’il faille donner aux conditionnements, la primauté revient à la liberté.

Quatrième point qui n’est pas le moindre : « Enfin pour comprendre la personnalité on ne peut faire abstraction de l’aspect eschatologique ».

2’) Conséquences différentes erreurs

Les errances de certaines écoles sont directement liées à l’ignorance ou à la négation d’un ou plusieurs de ces fondements (M 15, 141-144). Pie XII souligne notamment deux conceptions tronquées de l’homme.

Ce qui constitue l’homme, c’est principalement l’âme, forme substantielle du corps. De l’âme unie au corps, jaillissent les diverses facultés hiérarchisées selon les différents degrés de vie, végétative, sensitive et spirituelle. Il est donc erroné de substituer l’hétéronomie du dynamisme instinctif à l’autonomie de la volonté libre. « L’homme est un tout ordonné et régi par une charte d’origine ontologique et métaphysique et non psychologique et personnelle (le psychisme appartenant lui-même au domaine ontologique et métaphysique) ». (M 15, 142)

Par ailleurs, la personnalité humaine est définie par le pape comme « unité psychosomatique de l’homme, en tant que déterminée et gouvernée par l’âme » (M 47, 181-182). Cette définition entraîne pour conséquence que tout individu dispose librement de lui et est responsable face aux normes éthiques (M 47, 183). Autre conséquence : l’âme, douée d’intelligence et de volonté, gouverne les dynamismes psychiques élémentaires. Ce serait donc une erreur d’installer au gouvernail l’un de ceux-ci, par exemple, la libido ou la volonté de puissance (M 15, 141).

c) Psychologie et éthique

Ce n’est pas par hasard si, dès le début de ses discours aux neuropsychiatres, Pie XII établit précisément les limites morales de la recherche médicale (M 13). Il y fera référence dans d’autres allocutions. Surtout ce discours servira de présupposé de départ à toutes ses interventions sur la recherche en psychologie appliquée et en psychothérapie.

1’) Subordination de la psychologie à l’éthique

Le Saint Père aborde longuement dans ses discours les principes moraux fondamentaux auxquels thérapeutes et patients doivent se référer : « La psychologie comme science ne peut donc faire valoir ses exigences que dans la mesure où se trouvent respectées l’échelle des valeurs et les normes supérieures, dont nous avons parlé, et parmi lesquelles figurent celles du droit, de la justice, de l’équité, le respect de la dignité humaine, la charité ordonnée pour soi-même et autrui ». (M 47, 188)

La psychologie est dans sa partie médicale une des sciences qui touchent au plus intime de l’homme ; il convient donc, pour le médecin psychiatre ou psychologue, d’avoir une connaissance des fondements anthropologiques et moraux encore plus approfondie et plus ajustée au réel que celle des autres spécialités médicales.

2’) Les normes éthiques positives

L’homme a la possibilité et l’obligation de perfectionner sa nature pour achever l’image de Dieu non en suivant ses instincts, mais en suivant des normes de morale objective qui lui sont dictées par sa conscience et, pour les chrétiens, par la Révélation. Quiconque néglige ces données, n’acquerra qu’une personnalité déformée et imparfaite (M 47, 183-184).

Pie XII rappelle aussi la dignité de la personne humaine et sa suprématie sur le règne animal quel que soit l’état de déchéance de son psychisme (M 52, 493). Il souligne la nécessité pour le médecin psychiatre de suivre un code de déontologie tout en se référant aux normes morales précitées (M 52, 452).

L’évolution du regard médical sur la maladie mentale, note Paul VI, va dans le sens d’un respect de plus en plus grand : « On tend à considérer davantage le malade comme un homme de plein droit, gardant une dignité inaltérable ». (M 74, 662)

3’) Les interdits

Le pape reprend les normes éthiques mesurant la recherche médicale développées dans son premier discours (M 13) en les appliquant à la recherche en psychologie appliquée (M 52, 493-495).

a’) Interdit de soumettre la raison aux facultés sensibles

L’action peut être immorale pour trois raisons : « Les actions immorales en elles-mêmes sont celles, dont les éléments constitutifs sont inconciliables avec l’ordre moral, c’est-à-dire avec la saine raison. L’action consciente et libre est alors contraire, soit aux principes essentiels de la culture humaine, soit aux relations essentielles qu’elle a avec le Créateur et avec les autres hommes, soit aux règles présidant à l’usage des choses matérielles, en ce sens que l’homme ne peut jamais s’en faire l’esclave, mais doit en rester le maître ; il est donc contraire à l’ordre moral que l’homme, librement et consciemment, soumette ses facultés rationnelles aux instincts inférieurs ; lorsque l’application des tests ou de la psychanalyse ou de toute autre méthode en arrive là, elle devient immorale et doit être refusée sans discussion ». (M 47, 193)

b’) Interdits relatifs au consentement

On peut « se demander, si le consentement de l’intéressé suffit à ouvrir sans réserve au psychologue l’accès de son psychisme ». Deux principes de discernement entrent en jeu, subjectif et objectif. Le psychologue se doit avant tout de respecter son patient. « Si le consentement est extorqué injustement, toute action du psychologue sera illicite ; s’il est vicié par un manque de liberté (dû à l’ignorance, à l’erreur, à la tromperie), toute tentative de pénétrer dans les profondeurs de l’âme sera immorale. Par contre, s’il est donné librement, le psychologue peut dans la plupart des cas, mais pas toujours, agir selon les principes de la science sans contrevenir aux normes morales ».

Mais on doit doubler ce principe de respect du sujet d’un autre principe d’ordre objectif. Il est d’autant plus important à souligner qu’aujourd’hui, souvent, la normativité éthique se réduit à ce premier critère. En effet, « Il faut voir si l’intéressé n’a point dépassé les limites de sa compétence et sa capacité à donner un consentement valable. L’homme ne dispose pas, en effet, d’un pouvoir illimité sur lui-même ». (M 47, 189) Pie XII précise : « Quant au principe volenti non fit injuria, il ne lève devant le psychologue qu’un seul obstacle, à savoir le droit de la personne à protéger son monde intérieur. Mais d’autres obstacles peuvent subsister en vertu d’obligations morales, que le sujet ne peut supprimer à son gré, par exemple, la religiosité, l’estime de soi, la pudeur, la décence. En ce cas, bien qu’il ne viole aucun droit, le psychologue manque à la morale. Il importe donc d’examiner pour chaque cas particulier, si l’un de ces motifs d’ordre moral ne viendrait pas s’opposer à son intervention et d’en apprécier exactement la portée ». (M 47, 190)

c’) Interdit d’évoquer des secrets

L’évocation à la conscience de troubles inconscients ne doit se faire qu’avec prudence et en pesant, d’une part, les conséquences morales qu’elle peut avoir sur l’individu et son entourage, d’autre part, son intérêt thérapeutique par rapport à d’autres méthodes moins agressives (M 13, 459 ; M 15, 144). Il en va ainsi de la sauvegarde de secrets parfois refoulés dans l’inconscient, qu’il n’appartient ni au malade de révéler, ni au psychanalyste de mettre à jour dans un but thérapeutique individuel (M 15, 145).

d’) Interdit de subordonner l’individu aux besoins sociaux

Enfin, au nom du principe déjà évoqué selon lequel la société est un tout d’ordre mais non un tout physique, le thérapeute ne peut négliger la morale naturelle au nom des besoins du bien commun (M 15, 143-144).

d) Psychologie et religion

1’) Présence générale d’une dimension religieuse en l’homme

Le Saint-Père met en garde contre une tendance moderne de la psychologie à négliger, voire à nier la dimension transcendante de la personne humaine. Il est dommageable pour le patient que le thérapeute néglige l’aspect eschatologique, autrement dit la destinée de sa personnalité qui constitue le quatrième trait défini par Pie XII dans son discours du 10 avril 1958 (cf. ci-dessus : M 47, 183-184).

a’) Son existence

Il est couramment admis dans la recherche qu’il existe un dynamisme enraciné dans les profondeurs du psychisme, qui pousserait l’homme vers un infini qui le dépasse. « On voit en ce dynamisme une force indépendante, la plus fondamentale et la plus élémentaire de l’âme, un élan affectif portant immédiatement au divin, comme la fleur, à son insu, s’ouvre à la lumière et au soleil, ou comme l’enfant respire inconsciemment dès qu’il est né ». (M 15, 146)

b’) Applications

Il est donc naturel que la psychologie des profondeurs s’efforce d’analyser le contenu religieux du psychisme. Elle doit le faire avec prudence et sans négliger les données de la raison et de la foi : « Il appartient aux méthodes de votre science d’éclaircir les questions de l’existence, de la structure et du mode d’action de ce dynamisme. Si le résultat s’avérait positif, on ne devrait pas le déclarer inconciliable avec la raison ou la foi. Cela montrerait seulement que l’ esse ab alio est aussi, jusque dans ses racines les plus profondes, un esse ad alium, et que le mot de Saint-Augustin : fecisti nos ad te ; et inquietum est cor nostrum, donec requiescat in te, trouve une nouvelle confirmation jusque dans le tréfonds de l’être physique. S’agirait-il même d’un dynamisme intéressant tous les hommes, tous les peuples, toutes les époques et toutes les cultures : qu’elle aide, et combien appréciable pour la recherche de Dieu et son affirmation ». (M 15, 146-147)

Il reste cependant que la connaissance de Dieu naturelle et surnaturelle est une donnée positive qui existe par elle-même et n’est pas le fruit d’un élan du subconscient (M 15, 146).

Une autre conséquence en est la nécessité pour la psychologie de prendre en compte la réalité religieuse dans son approche de la personne : « Lorsque la psychologie discute théoriquement d’une méthode ou de l’efficacité d’une technique, elle ne considère que son aptitude à procurer la fin propre qu’elle poursuit, et ne touche pas le plan moral. Dans l’application pratique, il importe de tenir compte, en outre, des valeurs spirituelles en cause tant chez le psychologue que chez son patient, et d’unir au point de vue scientifique ou médical celui de la personnalité humaine dans son ensemble ». (M 47, 194)

Enfin, les progrès de la psychiatrie permettent de refuser les formes pathologiques de la mystique : « L’Église, on le sait, a en revanche toujours repoussé et condamné les formes pseudo-religieuses et pseudo-mystiques qui pourraient troubler l’équilibre psychique du sujet ». (I 6, 460)

2’) La dimension chrétienne
a’) Son existence

Pour la Révélation chrétienne, l’homme se caractérise notamment par deux traits : « la ressemblance à Dieu, procédant de l’acte créateur, et sa filiation divine dans le Christ manifestée par la Révélation ». La psychologie appliquée s’expose à des incompréhensions et des erreurs en ignorant de parti pris ces données (M 47, 183).

b’) Applications

Le sentiment de culpabilité est un phénomène qui, pour une grande partie, ne relève pas de la compétence psychothérapeutique. En effet, il exprime la conscience d’avoir violé une loi supérieure dont on reconnaît l’obligation. Or, cette norme revêt un caractère éthique et plus encore religieux, notamment au sein du christianisme. Donc, sans nier que la culpabilité présente des conséquences psychiques plus ou moins étendues, Pie XII affirme que son identité transcende les conditionnements du psychisme. Ce sentiment ne peut par conséquent pas être guéri par la simple persuasion psychothérapique que la faute n’existe plus (M 15, 147-148).

Dans le même ordre d’idées, le Saint-Père met vivement en garde le psychothérapeute qui conseillerait à son patient de faire une action du domaine du péché matériel avec l’excuse qu’il le fera sans faute subjective, pour la détente de son psychisme. « On ne peut jamais conseiller une action consciente qui serait une déformation, non une image de la perfection divine ». (M 15, 148)

5) La maladie

Pie XII a abordé la maladie sous l’angle purement médical, objectif : étiologies, mécanismes, etc. (M 39, 602). Il l’a plutôt considéré sous l’angle du sujet, c’est-à-dire du côté du malade et de son vécu.

a) Le malade

1’) En général

Le malade passe par une tempête de sentiments (perplexité, inquiétude, désespérance, angoisse) qui fluctuent avec le déroulement de la pathologie et du traitement et le rendent sensible au réconfort et aux marques d’intérêt de l’entourage (E 15, 587).

Quand arrive le dernier passage, le patient se trouve confronté à une solitude que personne ne peut rompre, excepté Dieu lui-même si celui-là accepte sa présence (H 1, 442).

Enfin, Pie XII souligne comment l’image de marque désastreuse et souvent erronée de certaines maladies (telle le cancer ou la lèpre) vient aggraver la souffrance morale du malade (M 7, 213 ; M 31, 185).

2’) La personne handicapée

En s’adressant au monde de la santé, Pie XII a peu parlé de la personne handicapée en général, excepté pour préciser la part active qu’elle doit jouer au sein de la vie de la cité (M 44, 410).

En revanche, il s’est longuement adressé aux aveugles. Il montre la manière dont les autres sens suppléent. Il souligne la fécondité de leur handicap, notamment sur le plan spirituel : « La dignité, la récompense propre de l’aveugle, surtout de celui qui fait le sacrifice de la vue au service d’une noble cause, on peut bien dire que c’est la clairvoyance. L’aveugle qui accepte sereinement son épreuve plonge son regard intérieur dans les abîmes de lumière qui l’éclairent et l’élèvent jusqu’aux réalités supérieures dont tant de ceux qui voient ne soupçonnent ni la grandeur, ni la beauté, ni bien souvent même l’existence ». (E 2, 296)

Enfin, Paul VI met en garde les handicapés contre le repliement sur soi et les invite à contribuer activement à leur réinsertion sociale (E 34, 907).

b) Conséquences pour l’attitude du personnel soignant

1’) Exigences anthropologiques

Pour un accompagnement efficace du malade qui, bien avant l’issue finale, s’interroge consciemment ou non sur le sens de la maladie et de la souffrance, le soignant doit avoir une vision globale (physique et spirituelle) de la personne (E 23,135).

2’) Exigences morales

À plusieurs reprises, Pie XII demande au personnel médical d’être attentif aux demandes des malades dont la sensibilité est affinée, voire exacerbée par la maladie et dont l’affectivité, très labile, vire aisément au découragement (H 1, 441 ; M 9, 379 ; E 6 492).

Pour que le soin soit véritablement efficace, le médecin doit gagner la confiance du malade (M 27, 75) : « L’influence personnelle que le médecin est capable d’exercer sur le malade n’a pas une importance ou une utilité moindre. Le malade veut être compris par son médecin ; il a besoin d’avoir une grande confiance en lui pour retirer de ses soins un profit réel, physique et psychique ».

Ainsi Pie XII note les qualités morales indispensables que le personnel médical doit exercer pour obtenir l’abandon confiant du patient : dévouement, patience, discrétion, respect, véracité (I 5, 206). Mais la qualité essentielle de l’entourage médical reste le profond respect qu’il doit avoir de la liberté de la personne malade et de sa volonté de guérir ou non. Dans sa vie apostolique, le Christ a-t-il jamais guéri un malade sans son consentement (I 6, 458) ? Il en va ainsi pour le chirurgien quand il prend la décision d’une intervention (M 6, 198).

3’) Exigences spirituelles

Au delà des soins du corps et de l’accompagnement humain, l’entourage médical joue un rôle spirituel important pour aider le malade à profiter de ce temps de maladie et de souffrance afin de réajuster sa vision de la vie et des êtres : « Ne devez-vous pas ambitionner, vous aussi, d’étendre votre action jusqu’au plan moral ? Le sens d’une destinée humaine ne se limite pas à la jouissance ou au recouvrement d’une santé périssable : il s’élargit infiniment jusqu’aux réalités ineffables de l’au-delà. Comment accepter la maladie et la souffrance, comment en tirer profit pour la purification de la vie affective et l’appréciation plus exacte des choses humaines : voilà des problèmes qui se posent à tout malade et dont il cherche obscurément ou consciemment la solution ». (M 23, 134-135)

c) Conséquences pour l’entourage

La maladie désoriente l’entourage du malade. En effet, la personnalité du patient est transformée, ses réactions sont imprévisibles, la situation matérielle est incertaine ; l’entourage fait de plus l’expérience de sa propre impuissance. Cette nouveauté engendre crainte et désarroi. Nullement préparé à cette situation, l’entourage est alors tenté d’espacer, voire supprimer ses visites avec une personne qui lui devient de plus en plus étrangère (E 15, 588). Voire, le malade est alors perçu comme un poids mort, inutile, et même encombrant. Il n’a plus pour refuge qu’une solitude déprimante (E 15, 589).

Pie XII termine son radio-message aux malades du mois de novembre 1949, par un appel à ce que l’entourage exprime de la compassion à leur proche malade, à l’image de la Mère de Dieu, au pied de la Croix, vis-à-vis de Jésus (E 6 ; M 31, 187).

Enfin, dans son discours aux réanimateurs, il évoque les devoirs de la famille d’un patient comateux : ils se limitent aux moyens médicaux ordinaires et à la volonté présumée du patient comateux (M 46, 697).

d) L’aide de l’Église

A plusieurs reprises, Pie XII note que l’Église fut souvent un moteur du progrès médical, surtout dans le nursing du malade (I 5, 203 ; H 2, 324 ; M 48, 261). Il souligne que, malgré la laïcisation des hôpitaux, personne ne pourra faire abandonner à l’Église « ce rôle maternel de consolation des malades et de ceux qui souffrent » (M 48, 260 ; I 7, 196).

6) La souffrance

a) Sens de la souffrance

1’) La souffrance est un mal

Les papes ont toujours montré que, ontologiquement, la souffrance est un mal : elle « tourmente, mortifie, humilie les hommes », disait Jean XXIII (E 21, 1220 ; cf. Paul VI en E 30, 1545).

Par conséquent, la souffrance n’est jamais aimable pour elle-même : « La foi ne vous fera certes pas aimer la souffrance pour elle-même » (E 12, 51). Si donc une personne l’accepte ou la recherche, ce sera pour d’autres raisons qu’elle. Pie XII poursuit : « mais elle [la foi] vous fera entrevoir pour quelles fins très nobles la maladie peut être sereinement acceptée et même désirée ». (E 12, 51) La souffrance ne peut être voulue qu’en vue de « l’obtention de biens et d’intérêts supérieurs » (M 41, 46).

2’) Signification au plan naturel

Au plan somatique, la douleur physique exerce une fonction naturelle salutaire de signal d’alarme pour le corps (M 1, 204).

Au plan psychologique, la souffrance morale engendrée par la maladie ou les séquelles de celle-ci, devient féconde quand elle est sereinement acceptée : elle suscite alors une intériorisation de la personne et permet « la purification de la vie affective et une appréciation plus exacte des choses humaines » montrant la vanité des plaisirs du monde. Elle est aussi source de guérisons morales et d’ouverture de la personne à la souffrance des autres (M 23, 135 ; E 6, 492).

3’) Signification au plan chrétien

Il demeure, note Paul VI, qu’une vision naturelle de la souffrance apparaît souvent désespérante (E 24, 1281) et qu’une perspective chrétienne est nécessaire : « Le Christ n’a pas supprimé la souffrance, dit le même pape ; il n’a même pas voulu nous en dévoiler entièrement le mystère ; Il l’a prise sur Lui, et c’est assez pour que nous en comprenions le prix ». (E 28, 58)

a’) L’origine de la souffrance

La perspective chrétienne explique d’abord que Dieu n’est pas l’auteur de la souffrance ; celle-ci, avec la mort, est une conséquence de la chute originelle (M 1, 205 ; M 39, 602).

b’) La signification passe par l’amour

Mais ce qui fut l’effet de la chute peut devenir moyen de Rédemption. Au point que Pie XII va jusqu’à parler de « l’incomparable valeur et la souveraine puissance de la maladie » (E 6, 493). Encore faut-il comprendre en quoi la souffrance peut acquérir une signification positive. En parlant des souffrances physiques des mourants, Pie XII distingue opportunément la souffrance qui, à proprement parler, ne mérite rien, et l’amour de charité qui, seul, est méritoire. Or, la souffrance peut être l’occasion de vivre de cette charité : « Quelques précisions s’avèrent ici opportunes, car il n’est pas rare qu’on présente ce motif d’une manière incorrecte. On tente parfois de prouver que les malades et les moribonds sont obligés de supporter des douleurs physiques pour acquérir plus de mérites, en se basant sur l’invitation à la perfection, que le Seigneur adresse à tous […]. Or, la croissance de l’amour de Dieu et l’abandon à sa volonté ne procèdent pas des souffrances mêmes, que l’on accepte, mais de l’intention volontaire soutenue par la grâce ; cette intention, chez beaucoup de moribonds, peut s’affermir et devenir plus vive, si l’on atténue leurs souffrances, parce que celles-ci aggravent l’état de faiblesse et d’épuisement physique, entravent l’élan de l’âme et minent les forces morales, au lieu de les soutenir. Par contre, la suppression de la douleur procure une détente organique et psychique, facilite la prière et rend possible un don de soi plus généreux. Si les mourants consentent à la souffrance, comme moyen d’expiation et source de mérites pour progresser dans l’amour de Dieu et l’abandon à sa volonté, qu’on ne leur impose pas d’anesthésie, on les aidera plutôt à suivre leur voie propre ». (M 41, 54-55)

c’) Signification pour soi

Dans la vision chrétienne, la souffrance peut être un moyen de conversion et de purification intérieure, ainsi que l’explique Pie XII dans son discours aux anesthésistes d’octobre 1956 : « le chrétien est tenu de mortifier sa chair et de travailler à se purifier intérieurement, parce qu’il n’est pas possible à la longue d’éviter le péché et de s’acquitter fidèlement de tous ses devoirs, si l’on refuse cet effort de purification et de mortification. Dans la mesure où la maîtrise de soi et des tendances déréglées est impossible à conquérir sans l’aide de la douleur physique, celle-ci devient donc une nécessité et il faut l’accepter […] ; le chrétien la considère comme un moyen plus ou moins adapté, suivant les circonstances, au but qu’il poursuit ». (M 41, 45) En ce sens, la souffrance est une étape vers la rencontre finale : « Soyez prêts, car c’est à l’heure que vous ne pensez pas que le Fils de l’homme viendra ». (Mt 24,44) Le terme qu’est la rencontre de l’homme avec son Dieu vient éclairer l’itinéraire du malade (M 32, 254-255).

Dans le même ordre d’idée, le handicap qu’est la cécité peut être un chemin théologal. Pie XII l’explique avec délicatesse : « Chers fils, le cœur a aussi ses yeux et il voit plus loin et plus haut que les yeux du front. Sa lumière n’est pas le soleil qui se couche et laisse derrière lui la nuit ; mais c’est le soleil de la vérité et du bien qui descend de l’intelligence pour faire du cœur lui-même une volonté éclairée et puissante qui ne s’affaisse pas sous le poids du malheur, mais qui du malheur même, se fait une échelle pour monter à des hauteurs plus grandes, jusqu’aux hauteurs de la foi, jusqu’aux sommets des nuits divines du Christ priant, agonisant, mourant sur la croix au milieu des ténèbres qui enveloppent la terre […]. De cette façon vous avez appris que, dans l’obscurité de votre journée, l’âme se concentre mieux, rentre mieux en elle-même, en sort plus facilement pour s’adresser au ciel […]. Dans la nuit de vos yeux, vous avez cherché et rencontré la foi ; parce que la foi aussi chemine dans l’obscurité mais avec un pied solide et un pas assuré, comme celle qui est «le fondement de ce qu’on espère et la preuve de ce qu’on ne voit pas» (He 11,1) ». (E 1, 78-79)

d’) Signification pour l’autre

La souffrance présente une fécondité non seulement pour soi, mais pour les autres (E 6, 492).

D’abord, elle ouvre le cœur à une compassion active. C’est ce que disait Paul VI à un pélerinage de polios et handicapés en 1973 : « Chers fils, vous avez beaucoup reçu à Lourdes. Mais de retour dans vos cités et vos villages, vous partagerez beaucoup. Continuez de vous aider les uns les autres. Il en est même qui peuvent contribuer à faire naître ou à développer les structures sociales permettant aux handicapés de s’épanouir dans la justice et dans l’amour. Continuez de coopérer à la transformation de la souffrance humaine, de sa «conversion» pourrait-on dire, dans un monde qui donne facilement priorité aux réussites économiques et scientifiques ». (E 32, 906)

Mais la signification ultime de l’acceptation, voire de la recherche de la souffrance est la participation à l’œuvre de la Rédemption (cf. Col 1,24). Toute souffrance offerte en union avec la Passion du Christ, hâte le salut de l’humanité (E 11, 548-549 ; cf. E 10, 366-367 ; M 30, 31 ; M 41, 44-45). « Jésus appelle la souffrance à sortir de son inutilité désespérante, dit Paul VI, et à devenir, en s’unissant à la sienne, source positive de bien, non seulement source des plus sublimes vertus qui vont de la patience à l’héroïsme et à la sagesse, mais aussi source d’expiation, de rédemption, de béatitude, propres à la Croix du Christ. Le pouvoir salvifique de la Passion du Seigneur peut devenir universel […]. De passive, la compassion devient active. Elle idéalise et sanctifie la souffrance humaine, elle la rend complémentaire de celle du Rédempteur ». (E 25, 490 ; cf. E 34, 908) Cette participation est source de joie, la joie de la Croix dont ont témoigné tous les grands saints (E 33, 659).

Dans son radiomessage aux malades du monde entier de 1954, Pie XII précise l’attitude intérieure de participation : « Combien parmi vous, chers fils, voudraient aider Jésus à sauver des âmes ! Offrez-lui donc vos souffrances selon toutes les intentions pour lesquelles il s’immole continuellement sur les autels. Votre sacrifice, uni au sacrifice de Jésus, fera retourner au Père de nombreux pécheurs ; beaucoup d’infidèles trouveront la vraie foi ; beaucoup de chrétiens faibles recevront la force de vivre intégralement la doctrine et la loi du Christ. Et le jour où sera révélé au ciel le mystère de la providence dans l’économie du salut, vous comprendrez finalement tout ce que vous doit le monde des bien-portants ». (E 12, 51)

Ce qui est vrai en général, l’est en particulier pour les handicapés : « Que le Seigneur augmente en vous cette espérance, leur dit Paul VI. Le Dieu créateur vous appelle vous aussi à participer, en responsables, à son œuvre merveilleuse, à la développer, à la parfaire. Avec les talents qu’il vous a confiés et qu’il vous revient de découvrir et de faire fructifier, vous pouvez contribuer à construire un avenir plus beau, un monde plus riche de vitalité, une société plus fraternelle. Mais ce projet dépasse les forces de l’homme livré à lui-même. Le Christ a racheté ce monde de l’orgueil et de l’égoïsme, de la mort, au prix de son labeur humain, de ses souffrances, de sa passion ou plus exactement au prix de l’amour avec lequel il les a assumés. Avec lui, vous êtes étroitement associés à cette œuvre de relèvement de salut, d’enfantement laborieux d’un monde nouveau. Le Seigneur ressuscité vous apporte l’assurance qu’une telle existence, unie à la sienne et vécue dans la communion des saints, avec toute votre dignité d’homme et de fils de Dieu, conduit à la vie. Nous prions Dieu de fortifier en vous cette espérance, même au plus creux de vos épreuves ». (E 31, 415)

b) Attitude du médecin face à la souffrance

1’) Soulager la souffrance…

Malgré la chute originelle, l’homme conserve le droit et le devoir de soumettre et d’utiliser la nature à son service ; il peut ainsi utiliser le progrès scientifique pour atténuer la douleur physique (M 41, 44). Si la souffrance doit empêcher l’acquisition d’intérêts et de biens supérieurs, elle n’est pas bonne et doit être maîtrisée. Il en va de même pour la parturition et les techniques d’accouchement sans douleur (M 30, 31) : « L’acceptation de la douleur physique n’est qu’une manière parmi beaucoup d’autres, de signifier ce qui constitue l’essentiel : la volonté d’aimer Dieu et de le servir en toutes choses. C’est dans la perfection de cette disposition volontaire que consiste avant tout la qualité de la vie chrétienne et son héroïsme ». (M 41, 46) C’est dans la perfection de la disposition volontaire à aimer Dieu et le servir en toutes choses que réside l’héroïsme de la vie chrétienne et non dans les moyens pour y parvenir. La prudence chrétienne demande donc le conseil de directeurs spirituels expérimentés devant la diversité des cas (M 41, 46-47).

Le pape cite plus particulièrement certaines localisations intolérables de la douleur : les atteintes de l’œil (M 5, 290), la surdité, surtout source de souffrance morale (M 11, 465), les peines plus communes liées aux maux dentaires (M 14, 507-508 ; M 45, 491). A chaque fois, il invite les spécialistes à poursuivre activement leurs recherches dans la lutte contre ces souffrances.

A côté du soulagement proprement physique, le médecin peut apporter une consolation psychologique : par son attitude discrète de compassion attentive (H 1, 441), en suscitant la confiance du malade et de son entourage (M 9, 379) et en aidant le malade à accepter les aides extérieures adéquates pour l’épanouissement de son âme (M 32, 250).

2’) …mais pas à tout prix

Pie XII a très souvent et longuement abordé le sens de la maladie et de la souffrance en le resituant dans la globalité de la destinée spirituelle chrétienne de l’homme. Ainsi le but de l’existence humaine n’est pas de vivre en bonne santé le plus longtemps possible mais d’accomplir dans sa plénitude l’étape terrestre de sa destinée spirituelle, dans laquelle la maladie vient parfois s’inscrire. Or, elle ne constitue pas un mal absolu, ainsi que nous l’avons vu puisqu’elle peut, par exemple, être un « chemin de purification de la vie affective ou d’appréciation plus exacte des choses humaines » (M 23, 135).

Dans cette perspective, la lutte contre la maladie ne peut, en aucun cas, aller contre les intérêts spirituels du malade (M 2, 45).

c) Attitude du patient chrétien face à la souffrance

1’) Soulager la souffrance

Pie XII insiste sur le fait qu’il n’existe aucune obligation morale ni religieuse d’accepter ou de rechercher la douleur physique. Voire, si celle-ci doit être occasion de chute, il est nécessaire de chercher à la soulager (M 41, 46).

2’) Accueillir ou rechercher

Double peut être l’attitude à l’égard de la souffrance. La première est le simple accueil de l’épreuve proposée par la Providence sans tenter de la soulager ou l’acceptation des difficultés quotidiennes supportées et offertes à Dieu jour après jour. La seconde, plus héroïque, est la recherche volontaire et libre de la souffrance dans un souci de mortification de la chair pour la soumission de notre nature à la volonté divine (M 41, 45-46) : « Rien ne manque à qui possède Jésus-Christ. Et rien plus que les souffrances et les maux de chaque jour ne nous rend capables de cette possession ». (E 4, 260)

3’) Méditer sur la Passion du Christ

« Nous voudrions vous aider à mieux comprendre, dit explique Pie XII dans son radio-message aux malades du 21 novembre 1949, et à apprécier le fruit que vous pouvez retirer de la médiation des souffrances de Jésus pour adoucir votre sort angoissant par la patience, l’éclairer par l’espérance, le transfigurer par la conscience de sa valeur et sa fécondité ». (E 6, 491) De même, à ceux qui, trop révoltés, n’ont pas encore perçu la fécondité de leur maladie, Pie XII propose de méditer sur la Passion rédemptrice du Christ (E 12, 49-50).

7) La mort

Dans ses discours, Pie XII aborde peu le thème de la mort comme point final de la vie biologique de l’homme. Il en parle surtout dans le cadre de la vision chrétienne comme le passage, capital, de la vie terrestre (ou naturelle) à la vie surnaturelle ; passage que chacun doit avoir la possibilité de soigneusement préparer (M 32, 254-255 ; M 1, 201) (cf. Anesthésie-réanimation : 13*).

a) Le sens chrétien de la mort

1’) Sa nécessité

La raison naturelle ne suffit pas au médecin pour expliquer le sens de la mort et l’affronter paisiblement dans son travail quotidien. L’angoisse fréquemment sous-jacente qui résulte de ces questions fondamentales restées sans réponse ne peut être apaisée que par la vision chrétienne de la mort donnant une réponse pleine d’espérance, bien que partielle, sur le mystère de ce passage douloureux (M 1, 205). « Le malade sent bien que les appuis humains au fur et à mesure lui échappent, explique Pie XII dans son adresse aux hôpitaux de Naples ; que même s’il est entouré, réconforté, consolé, personne ne peut arriver jusqu’au plus profond de lui-même, et qu’il doit supporter à lui seul son destin. Le vrai secours ne peut venir que de Dieu, de Jésus-Christ qui, par sa grâce, soutient et élève l’esprit et le cœur ». (H 1, 442)

2’) Le contenu de la Révélation chrétienne

Brièvement : à l’origine et par grâce, l’homme était exempté de la loi naturelle de la corruption. C’est le péché originel qui a introduit la souffrance et la mort. Avec le sacrifice salvifique du Christ, celles-ci sont devenues des moyens de rédemption et de sanctification pour qui veut les utiliser à cette fin (M 1, 204-205 ; E 16, 151). Enfin, pour le chrétien, la mort est le passage vers l’éternité, la promesse de la vie bienheureuse : « Parce que les fidèles du Seigneur, attristés par la certitude de la mort, sont consolés par la promesse d’une vie immortelle […]. Leur mort n’est donc pas une destruction de la vie, mais une transformation ». (E 16, 151)

b) Conduite à tenir du médecin

1’) Lutter contre la mort

Loin d’être résigné face à la fatalité de la mort, le médecin, chrétien ou non, doit lutter contre elle, non sans mesure : « Le médecin luttera en employant tous les moyens et tous les expédients de sa science et de son habileté contre la maladie et la mort ; non avec la résignation d’un pessimisme découragé ni avec la résolution désespérée qu’une philosophie moderne croit devoir exalter, mais avec la calme sérénité de celui qui voit et qui sait ce que la douleur et la mort représentent dans les desseins salutaires du Sauveur omniscient et infiniment bon et miséricordieux ». (M 1, 205, 206)

2’) Favoriser la préparation à la mort

En revanche, lorsque la mort s’avère inéluctable, l’attitude du médecin devient différente.

Quelles que soient ses convictions religieuses, le médecin ne peut, en effet, ignorer la nature spirituelle de son patient sans risquer de négliger des priorités graves au moment final (M 2, 45). Il se doit donc de respecter et favoriser l’accomplissement des derniers devoirs moraux et religieux du malade aux limites de la vie (M 41, 57).

Le médecin doit notamment veiller à ce que le patient puisse se préparer consciemment à ses derniers moments : « Que des mourants aient plus que d’autres l’obligation morale naturelle ou chrétienne d’accepter la douleur ou de refuser son adoucissement, cela ne ressort ni de la nature des choses, ni des sources de la révélation. Mais comme, selon l’esprit de l’Evangile, la souffrance contribue à l’expiation des péchés personnels et à l’acquisition de plus amples mérites, ceux dont la vie est en péril ont certes un motif spécial de l’accepter, car, avec la mort toute proche, cette possibilité de gagner de nouveaux mérites risque de disparaître bientôt. Mais ce motif intéresse directement le malade, non le médecin qui pratique l’analgésie ». (E 41, 54)

Ce droit à la conscience entraîne les devoirs moraux du médecin face à la suppression artificielle de celle-ci liée à l’emploi d’analgésiques (M 41, 55-56). Pie XII précise les limites morales de la réanimation (M 46, 693 à 698 ; cf. Euthanasie : 45*).

Enfin, ainsi que nous le verrons en traitant du monde de la santé et les sacrements (57*), Pie XII définit les conditions et les limites de validité d’administration des derniers sacrements chez les personnes comateuses et les mourants (M 46, 695-697).

8) Le traitement

Pie XII parle davantage des thérapeutiques particulières. Néanmoins, il livre, ici ou là, quelques considérations générales (notamment S 4, 422 et M 36, 478).

a) Le traitement en général

A l’instar de l’approche diagnostique, l’approche thérapeutique nécessite une vision intégrale, globale de la personne. Par conséquent, avant d’instituer un traitement, « il importe de percevoir nettement le but à atteindre ». « Avant tout, que le praticien considère l’homme tout entier, dans l’unité de sa personne, c’est à dire non seulement son état physique, mais aussi sa psychologie, son idéal moral et spirituel et la place qu’il occupe dans son milieu social ». Il faudrait citer toute la suite qui manifeste (certes dans le cas particulier du cancer, mais celui-ci n’est pas rare et bien des pathologies non néoplasiques ont sa gravité) combien « dans chaque cas, s’impose au médecin une véritable méditation où les facteurs d’ordre humain entreront en ligne de compte bien plus que les autres ». Le médecin ne peut pas se retrancher derrière la seule technicité : « la science […] s’efface ici devant une compréhension large, désintéressée, sensible à tous les impondérables d’ordre affectif, qu’un esprit trop rigide ne saisit pas ». La capacité thérapeutique qui requiert autant compétence technique et intellectuelle que sens moral, unifie l’être intime du médecin (M 36, 478).

Par ailleurs, le médecin ne doit jamais oublier que l’investigation diagnostique, surtout si elle est dangereuse, est subordonnée à une fin plus ultime, le rétablissement de la santé de l’individu (S 4, 422). Or, les erreurs de perspective ne sont pas rares lorsque les démarches diagnostiques s’avèrent longues. Le médecin doit donc constamment garder présent à l’esprit la finalité même de son action. Pie XII rappelle ainsi que le primat du but guide et ordonne tout agir pratique.

b) Les différentes formes de traitement

Le pape s’adresse ensuite aux différentes spécialités. Les remarques sont alors souvent d’ordre plus technique. Elles concernent le rôle diagnostique et thérapeutique de la radiologie (M 23, 132), le changement des perspectives introduit par les antibiotiques en microbiologie (M 19, 419), l’importance des structures de santé publique en général et dans le cas de la lèpre (M 31, 184-187), les techniques de chirurgie plastique et de ses incidences psychosomatiques (M 54, 574-575), la nécessité d’une obéissance éclairée de l’infirmière en psychothérapie (I 6, 461). Enfin, Pie XII s’attarde à deux reprises en détail sur les traitements anti-cancéreux, leurs indications, les difficultés d’application. Il insiste sur l’importance toute particulière d’une prise en charge humaine : elle prime même sur le seul aspect technique (M 36, 478 ; M 39, 599-601).

c) Les espèces de traitement. La prophylaxie

1’) Exposé

Pie XII ne touche qu’occasionnellement le sujet, et d’abord en général en s’adressant à l’OMS. Il note à cet égard l’importance capitale de la prévention dans le recul de la maladie : une rapide enquête historique, mais aussi actuelle, montre que seule la prophylaxie permet une promotion de la santé dans bon nombre de régions défavorisées du globe (S 1, 238-239). Une étroite collaboration internationale entre pays de richesse et de technicité très inégales est indispensable (S 1, 239 et S 2, 521).

Les discours au médecin s’attachent à la prévention en différents domaines médicaux, comme la tuberculose et les autres maladies thoraciques (M 10, 390-391), en pédodontie (M 14, 506 et M 45, 488), en microbiologie, notamment avant les antibiotiques (M 19, 419) et dans les maladies coronaires : la prévention se doit alors d’envisager l’homme dans son ensemble ; le regard unitaire psychosomatique n’est pas l’apanage de la seule médecine curative (M 32, 254). A noter le rôle très particulier en matière d’hygiène et de prophylaxie joué par une catégorie de médecins que les italiens qualifient de municipaux (et qui sont nos médecins de dispensaires) (M 20, 484).

Paul VI souligne l’importance du travail prophylactique et curatif à l’échelle mondiale dans la lutte contre la tuberculose (M 61, 1369, 1370).

2’) Les adjuvants au traitement l’hygiène

Pie XII fait quelques rares allusions à ce sujet, surtout dans le cadre plus général des questions prophylactiques. S’adressant à l’OMS, il note « la fonction éminemment sociale » de l’hygiéniste (S 2, 520). Un rapide survol historique lui permet de manifester l’importance toute première de l’hygiène dans le recul des maladies. Si celle-ci est devenue une réalité en nos pays occidentaux, bien des pays ne sont pas encore parvenus à la « perfection sanitaire », comme en témoigne la mortalité précoce. Aussi des progrès pour accroître le niveau d’hygiène sont-ils indispensables en ces nations défavorisées du globe (S 1, 238-239).

Dans ses discours aux médecins, Pie XII fait occasionnellement allusion à l’hygiène : comme méthode d’« évitement » de la contagion lépromateuse (M 31, 185), comme moyen prophylactique dans les coronaropathies (M 32, 254), les maladies du thorax (M 10, 390 et 391) et comme technique intégrante en pédodontie (M 45, 489 où sont donnés des exemples très concrets relatifs à l’hygiène). Elle fait donc partie de la croissance et de l’éducation intégrale de la personne. En effet, par le contrôle qu’elle demande, l’hygiène « ne contribue pas peu à corriger des défauts de caractère et à fortifier la volonté ».

3’) En particulier, la lutte contre les épidémies

A cheval entre l’hygiène et la prévention, le traitement des épidémies exerce une incidence considérable sur le développement des peuples. Elles ont pour causes secondaires la pauvreté et le faible niveau de civilisation, de développement scientifique et technique ; mais la responsabilité première appartient à l’absence d’hygiène (S 1, 239). Une lutte efficace contre elles ne peut être engagée que par la santé publique (S 2, 520-521). Toujours en lien avec l’épidémie, Pie XII fait quelques remarques sur le traitement préventif qu’est la quarantaine : en général (S 1, 238) et en particulier, pour la lèpre (M 31, 186).

La contagion est l’une des causes des épidémies : dans l’histoire de l’Europe, la foi chrétienne, explique Pie XII, fut le moteur des soins donnés aux malades contagieux et la condition de l’amélioration de leurs conditions de vie (I 3, 7-78 ; et M 31, 185 : allusion technique à la contagiosité relative lèpre-tuberculose).

[1] Les références aux discours sont données de manière détaillée en annexe. Nous utilisons la traduction française de la polyglotte vaticane dans l’édition française en 20 volumes, à raison d’un par an, des Documents de sa Sainteté Pie XII, St. Maurice (Suisse), Ed. Saint-Paul, 1939-1958.

[2] Somme de théologie, Ia, q. 91, a. 3.

[3] L’astérisque (*) renvoie à l’une des 57 rubriques thématiques, le numéro concerné correspondant au chiffre précédant ledit astérisque.

[4] Sur les enjeux de la différence entre les deux définitions, cf. Pascal Ide, « Health the Double Idolatry », Taboada (éd.), Person, Society and Value, Lancaster, Kluwer Academic Publishers, 2002, p. 56-85.

19.9.2018
 

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