Le Rédempteur de l’homme 3/6

II. Analyse générale de l’encyclique

Nous procèderons en trois touches :

– thèse ou idée générale de l’encyclique ;

– grandes articulations : elles donneront à la fois le plan des chapitres ou des parties plus générales et des subdivisions ou numéros à l’intérieur de chaque chapitre ou partie plus générale, nous laissons pour plus tard à l’analyse détaillée, la répartition précise des § au sein des numéros ;

– principales conclusions auxquelles aboutit l’encyclique.

Cette première approche, de type logique, permet déjà une bonne vue d’ensemble : elle satisfait une intelligence qui souhaiterait n’avoir qu’un premier contact livrant le cœur de l’encyclique ; elle permet aussi à celui qui est pressé d’aller directement à l’essentiel. C’est un peu comme si, pour savoir ce qu’est Paris, nous disions qu’elle est la capitale de la France et qu’elle a telle situation sur la carte (thèse), que nous en parcourions la carte (le plan), en visionnions sur place ou dans un livre les lieux les plus célèbres ou un échantillon représentatif de ses quartiers (conclusions principales). Il ne resterait plus après qu’à déambuler dans les rues, s’arrêter, jouer au badaud, parler avec les gens.

Une fois le premier contact pris, le texte d’une encyclique de Jean-Paul II, à l’instar d’une ville ou d’une personne, demande une longue fréquentation pour livrer toutes ses richesses et tous ses secrets. En fait, on peut toujours y revenir sans jamais l’épuiser : l’intelligence qui en est la source fait toucher l’infini.

Appliquons ce cadre général à l’encyclique étudiée.

1) Thèse de l’encyclique

La thèse, rappelons-le, s’efforce d’énoncer en une phrase ce que l’auteur veut dire. Nous reviendrons sur cet exercice de style aussi fondamental que fructueux.

La thèse de l’encyclique est la suivante : l’Église a sollicitude de l’homme d’aujourd’hui.

Nous verrons que Jean-Paul II formule sa thèse aussi et même plus souvent sous cette forme : l’homme est la route de l’Église et ce, tout particulièrement aujourd’hui) Mais cette formule imagée, très dense, ne pourra être comprise qu’en son lieu, aux n. 13 et 14, un des centres de gravité de l’encyclique.

2) Plan général de l’encyclique

a) Plan des 4 chapitres

1’) Énoncé (ch. 1)

Jean-Paul II dit de quoi il va parler à savoir du Christ, Rédempteur de l’Homme et du mystère de l’Église. Il énonce donc son intention : » je tourne mon esprit et mon cœur vers le Christ Rédempteur » ; puis il en expose les raisons.

2’) Exposé détaillé de son propos (ch. 2 à 4)

La thèse, c’est-à-dire l’homme comme route de l’Église, n’est énoncée qu’aux n. 13 et 4 (dans le ch. 3). Ce qui précède la prépare et la suite l’applique et en tire les conséquences :

a’) En amont, les prémisses (ch. 2) : le mystère de la Rédemption du Christ, fondement de l’Église.

b’) Propos principal (ch. 3, n. 13 et 14) : l’homme première route de l’Église.

c’) En aval, application (le n.18 précisera cela davantage) :

1’’) La situation de l’homme d’aujourd’hui (fin du ch.3).

2’’) Remèdes et moyens de la sollicitude de l’Église (ch.4).

b) Plan du premier chapitre : « Héritage »

1’) Perspective générale

En fait ce chapitre est programmatique (c’est-à-dire qu’il donne le programme). Jean-Paul II donne les intentions de fond de son pontificat ; son intention la plus radicale est d’inviter les hommes à se tourner vers la vérité centrale de notre foi : ‘ Jésus-Christ est Rédempteur de l’homme ». Voilà pourquoi le Saint-Père va brosser un tableau plus large que ce dont il traitera dans les trois autres parties : il souhaite situer cette première intervention et lui donner tout son poids.

Or, nous le disions au début du chapitre 1, Jean-Paul II a un sens aigu de l’histoire et de son importance : cela tient à ce que le Dieu de la Bible intervient de manière historiquement datée. La première phrase de l’encyclique ne s’achève-t-elle pas par ces mots : « centre de l’histoire » ? Aussi le pape tendra-t-il à situer son encyclique et, de manière plus générale, son pontificat et les objectifs qu’il lui assigne, dans une perspective autant historique que théologique. En particulier, on trouvera en ce premier chapitre une double référence chronologique : d’une part, au futur immédiat de la famille humaine, à savoir l’an 2000 (temps qu’il lit chrétiennement comme fête du grand Jubilé de l’Incarnation) et d’autre part au passé immédiat, à savoir les derniers pontificats et le Concile Vatican II qui est une référence constante pour Jean-Paul II (d’où le titre « Héritage » donné à ce chapitre).

2’) Détail du plan.

Jean-Paul II porte son attention sur les deux mystères centraux du Christ et de l’Église :

a’) Du Christ Rédempteur (n. 1 et 2)

1’’) Pourquoi ? Car il est au centre de l’histoire et de manière singulière de notre histoire contemporaine (n.1).

2’’) Conséquence : le Christ est donc de façon plus particulière encore au centre du pontificat de Jean-Paul II (n. 2)

b’) Du Mystère de l’Église (n. 3 à 6)

1’’) Pour quelle raison ? (n. 4) Car il est donné à notre temps d’approfondir ce mystère.

2’’) Conséquence : quelles sont les caractéristiques du mystère actuel de l’Église ? Les n. 4 à 6 en livrent trois :

– Une ouverture et une plus grande lucidité dans la connaissance de son mystère (n. 4).

– Une plus grande unité intérieure (n. 5).

– Une plus grande unité extérieure (n. 6).

c) Plan du second chapitre : « Le mystère de la Rédemption »

1’) Transition (n. 7)

Ayant développé les objectifs plus généraux de son pontificat dans le chapitre 1, Jean-Paul II y donne l’intention particulière sous-tendant le reste de l’encyclique : l’Église doit porter son attention sur le Christ Rédempteur.

2’) Développement
a’) Exposé du mystère de la Rédemption opérée par le Christ (n. 8 à 10).

Nous verrons en détail la justification du plan qui est adopté. Ici, nous ne faisons que l’énoncer :

1’’) La Rédemption du monde (n. 8, 1er §).

2’’) La Rédemption de l’homme qui est :

a’’) D’une part, révélation (n. 8, 2e §).

b’’) D’autre part, réconciliation : et cela, selon une double dimension, divine (n. 9) et humaine (n.10).

b’) Application à l’Église et d’abord à sa mission :

1’’) De manière générale : le Christ fonde l’activité missionnaire de l’Église (n. 11).

2’’) En particulier, la mission de l’Église promeut la liberté de l’homme ; or, c’est la vérité du Christ qui fonde cette liberté ; donc le Christ fonde cet aspect capital de la mission qu’est la recherche de la libération humaine (n. 12)

d) Plan du troisième chapitre : « L’homme racheté et sa situation dans le monde contemporain »

L’ordre suivi sera mieux manifesté quand nous étudierons le chapitre 3.

1’) Principe (n. 13 et 14)

L’homme est la première route de l’Église. Jean-Paul II continue donc à appliquer ce qu’il a dit du mystère du Christ Rédempteur de l’homme, à l’Église qui vit de ce mystère. Il en tire la conséquence capitale, thèse de toute l’encyclique : l’Église a une sollicitude toute particulière pour l’homme.

2’) Application à la situation de l’homme d’aujourd’hui

En l’occurrence, quelle route emprunte-t-il ? Cette situation présente deux grandes caractéristiques :

a’) L’une est le progrès (technique et économique) (n. 15 et 16 forment la encore un tout).

b’) L’autre est d’ordre politique : le non-respect des droits de l’homme (n. 17) [1].

e) Plan du dernier chapitre : « La mission de l’Église et le destin de l’homme »

1’) Introduction (n. 18) : la fin à réaliser concrètement.

L’Église doit accomplir la vocation divine de l’homme (et ainsi accueillir le mystère de la Rédemption).

2’) Quelle voie emprunte-t-elle pour cela ?

Il y a un triple moyen qui est la participation à la triple fonction du Christ :

a’) Prophétique (n. 19).

b’) Sacerdotale (n. 20).

c’) Royale (n. 21).

3’) Une aide particulière pour accomplir cette vocation est Marie, Mère de l’Église (n. 22).

3) Les grandes intuitions de l’encyclique

a) Première intuition centrale : « Le Christ s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme ».

Le concile Vatican II a promulgué quatre documents références majeurs appelés quatre Constitutions. La phrase ci-dessus est tirée phrase est empruntée à l’une d’elles, Gaudium et spes, Constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps (n. 22). Comme l’indique son titre, ce document capital étudie l’Église non pas « ad intra », en son mystère intime (ce qui est le propre des trois autres constitutions et surtout de la première, la constitution dogmatique sur l’Église Lumen Gentium), mais « ad extra », dans sa relation avec le monde. Un signe du caractère central de ce principe est qu’il est cité plusieurs fois, et en des passages clefs : au n. 8 sur la rédemption comme révélation ; au n. 13, tout particulièrement ; au n. 18 dont le début reprend et résume les 3 premiers chapitres de l’encyclique.

Ce point est particulièrement détaillé, et avec profondeur, dans les n. 8 à 10, premier sommet de l’Encyclique.

À ce principe, il faut rattacher les deux thèses suivantes qui le précisent et l’éclairent :

– Le Christ est révélateur de l’homme (n. 8) et seul il est pleinement révélateur du cœur de l’homme.

– Le Christ sauve tout homme et tout l’homme.

b) Seconde intuition centrale : « L’homme est la route de l’Église »

Immédiatement connexe à la première, cette seconde intuition est encore plus décisive et plus fondamentale :

« L’homme est la route de l’Église »

et son équivalent :

« L’Église a une sollicitude toute particulière pour l’homme ».

Cette thèse est particulièrement développée aux n. 13 et 14 qui forment le deuxième sommet de l’encyclique.

Ce second principe se fonde sur le premier de manière immédiate et évidente, au point que dans certains passages, Jean-Paul II pose indifféremment le Christ ou l’Église comme sujet de la thèse (ces termes étant pris au sens technique). La raison est liée à la nature même de l’Église : sa prise de conscience lucide est caractéristique de notre temps (cf. tout le chap 1). Selon une autre expression-clef de Vatican II qui décide de tout le développement de Jean-Paul II, l’Église est « le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain [2] ». Autrement dit, l’Église contemple « l’insondable richesse du Christ » (Ep 3, 8, cité aux n. 4 et 11 : cette référence clef éclaire une partie du discours de Jean-Paul II qui s’alimente toujours profondément de l’Écriture) et vit de son mystère.

c) Relation entre ces deux intuitions de fond

1’) Synthèse logique

On peut les connecter en un syllogisme (dont un bon exposé résumé est donné au n. 18, § 1) :

– Le Christ « s’est uni à tout homme », est la route de l’homme : révélateur et rédempteur de l’homme, il en a sollicitude.

– Or, l’Église, « sacrement de l’union avec Dieu », ne vit que de ce mystère du Christ (par l’Esprit-Saint). (16)

– Donc, l’Église prend la route de l’homme, a sollicitude de (tout homme et de tout) l’homme.

Jean-Paul II puise donc pour une bonne part son inspiration dans la méditation assidue de Vatican II : les deux prémisses du raisonnement sont éclairées par deux passages parmi les plus centraux de Vatican II. On voit aussi combien la clef est livrée par le titre même de l’encyclique : la Rédemption du Christ.

2’) Synthèse dynamique

L’encyclique a donc comme trois pôles ou centres de gravité : le Christ, l’Église et l’homme. Cela apparaît de manière particulièrement nette si on laisse de côté le premier chapitre (car c’est une introduction générale) et le dernier chapitre (car il tire des conséquences pratiques et prolonge la réflexion des chapitres antérieurs). Les deux chapitres centraux, le second et le troisième, vrillent successivement sur :

– le Christ Rédempteur (ch. 2, n. 7 à 10).

– l’Église (ch. 2, n. 11 et 12 et ch. 3, n. 13 et 14).

– et l’homme racheté aujourd’hui (ch. 3, n.15 à 17).

On peut schématiser ces remarques synthétiques sous la forme d’un triangle :

 

                                 Le Christ

                    (ch. 1, n. 1-2 ; ch. 2, n. 7 à 10)

Le Christ, route de l’Église               Rédempteur de l’homme

 

L’homme route de l’Église

L’Église                                                       L’homme

(ch. 1, n. 3-6 ; ch. 2, n. 11-12 ; ch. 3, n. 13-14, ch. 4)            (ch. 2 ; ch. 3, n. 15-16 ; ch. 4)

Pascal Ide

[1] Il est significatif que Jean-Paul II ne mette jamais de majuscule ni à droits, ni à homme (cf. Maurice Clavel, « Dieu est Dieu, nom de Dieu », Paris, Grasset, 1976, p. 170 et 171).

[2] Concile Vatican II, Constitution dogmatique sur l’Église Lumen gentium, ch 1, n. 1 : cité aux n. 4, n. 7 et n. 18 de RH.

27.11.2019
 

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