Le bonheur au quotidien et la dynamique du don 1/2

« Conquérir non le bonheur mais le droit au bonheur, tel est le sens de la vie [1] ».

0) Introduction

Dans un ouvrage à la fois lisible, très pratique et étayé sur des études scientifiques sérieuses, Christophe André, psychiatre appartenant à l’école cognitiviste-comportementaliste, propose une vision très actuelle du bonheur que l’on pourrait rattacher à l’école épicurienne, entendue au sens le plus grec du terme [2]. Il dit avec André Comte-Sponville : « Disons que je suis à peu près heureux, c’est-à-dire heureux [3] ». En effet, le bonheur consiste, pour le psychiatre de l’hopital Sainte-Anne, en un sentiment de joie, mais un sentiment suscité, volontaire, pratiqué et un sentiment qui se conquiert autant par l’ouverture aux multiples biens présents dans l’existence qu’en s’arrachant à son éventuel tragique [4]. Il nous appartient de décider d’être heureux, donc d’être heureux ; il nous appartient aussi de nous contenter de bonheurs qui, pas plus que les malheurs, ne durent toujours. En fait, C. André appelle « bonheur » ce que le philosophe appellerait joie : en effet, pour un Aristote, par exemple, le bonheur ou félicité ou béatitude est la finalité comblante, le but ultime vers lequel tendent tous nos actes ; or, notre auteur parle des actes de la vie quotidienne dont aucun ne prétend saturer nos désirs, mais qui ne sont pas dénués de gratification pour autant.

L’ouvrage présente, indéniablement, plusieurs qualités : contre l’hédonisme ambiant, il rappelle que le bonheur est un acte et non pas seulement un état de plaisir ; contre un rigorisme qui se croit chrétienne, il rappelle aussi que le bonheur se conjugue au présent et ne commence pas qu’au-delà. Il fait notamment une utile mise au point contre les résistances actuelles au bonheur (« les chantres du contre-bonheur ») dans son chapitre 6 : « Le bonheur, un sujet qui fâche ». Christophe André n’oublie pas ce snobisme selon lequel « le bonheur est vulgaire ». J’aurais ajouté un chapitre sur le cynisme. À ce sujet, il est très utile de se référer aux différents questionnaires au terme de l’ouvrage [5]. Ils permettent de tester son aptitude au bonheur.

En même temps, l’ouvrage présente des limites que l’auteur reconnaît volontiers (et pas seulement à l’oral !), quand il précise que sa perspective n’est pas seulement psychologique mais aussi psychiatrique, c’est-à-dire qu’il cherche à rendre un peu de bonheur à des patients qui s’enfoncent dans la tristesse ou la déception et ne croient plus accessible ce bonheur. Certes, le bonheur dont il est ici question n’est pas la beatitudo d’Aristote [6]. Mais, cette sagesse des petits bonheurs pourraient faire croire que le bonheur consiste en une succession indéfinie de petits plaisirs dont il faut apprendre à se contenter et ainsi étouffer l’inquiétude augustinienne, très légitime, dont témoignent certains patients ; dans le même sens, C. André n’a pas assez finement analysé l’acédie dont souffre notre époque et que certaines maladies ne font que révéler.

Ce livre contient bien des enseignements précieux qu’il serait possible de répartir selon leur intérêt diagnostique et thérapeutique. Sans surprise, nous les ordonnerons en fonction de la valse du don. En effet, le juste vécu du bonheur quotidien convoque les trois moments du don.

1) L’enracinement du bonheur dans le don originaire

a) Combattre les attitudes négatives

Il est nécessaire de lutter contre le malheur. Ne pas lutter contre les tentations négatives de se sentir malheureux entraîne trois conséquences négatives, estime Christophe André : cela prolonge la durée du sentiment de malheur, cela amplifie le sentiment de malheur [7], cela facilite le retour du sentiment de malheur. Pour expliquer le mécanisme mis en place, les thérapeutes cognitivistes parlent d’un cognitive shift, c’est-à-dire d’un embrayage cognitif, d’un habitus mental, en l’occurrence négatif. Par exemple, la personne « craquera » nerveusement pour des contrariétés de plus en plus bénignes [8]. Notamment, comme nous allons le voir, parce que la répétition amplifie le sentiment de malheur.

Comment lutter ?

1’) Se refuser à la tristesse du pessimisme [9]

Le pessimiste se prévaut souvent d’une argumentation très rationnelle, apparemment très rigoureuse : mieux vaut prévoir le pire ; voire, il reconnaîtra volontiers qu’il est triste, mais aussi qu’il est plus sage : « sader but wiser » ! De manière systématique, leur argumentation est triple selon que le pessimisme est : a) de prévention (ne pas être déçu), b) de préparation (se disposer à affronter le malheur), c) de superstition (attendre le pire pour ne pas porter malheur au bonheur). Exemple concret : l’étudiant pessimiste préfère dire qu’il a raté un examen afin de a) ne pas être déçu, b) se préparer à affronter la session de septembre, c) ne pas rendre les dieux jaloux.

On peut adresser à cette attitude des critiques multiples.

  1. Le pessimiste déforme la réalité. En effet, il est triste. Or, la tristesse entraîne une vision erronée des choses, donc fait commettre des erreurs de jugement [10]. Précisément, le pessimiste souffre d’une triple blessure de l’intelligence, c’est-à-dire d’un triple aveuglement. En effet, le psychologue américain Martin Seligman, pionnier des études sur l’optimisme, parle, lui, d’attributions et, à cet effet, a élaboré une théorie des attributions [11]. Or, celles-ci se répartissent en fonction de trois couples :

* selon la cause : l’attribution est soit intérieure (l’événement dépend de ma seule responsabilité), soit extérieure (l’événement ne dépend pas de moi) ;

* selon l’extension dans le temps : l’attribution est soit stable (une réussite peut se renouveler dans l’avenir), soit instable (une réussite peut ne pas se renouveler) ;

* selon l’extension synchronique : l’attribution est soit globale, soit spécifique.

  1. De plus, le pessimisme est inefficace. En effet, de nombreux travaux ont montré que le pessimiste accroît le risque de la dépression [12].
  2. Par ailleurs, le raisonnement du pessimiste est infalsifiable : les réussites valident ses ses prédictions et les échecs sont des exceptions.
  3. En outre, le pessimiste fatigue et déprime son entourage. Son attitude est source de problèmes relationnels parfois graves. Il entraîne les autres vers le gouffre ; et parfois s’en réjouit, à cause d’une jalousie secrète non nommée.
  4. Enfin et surtout, le pessimiste se refuse à s’ouvrir au don du réel. En effet, loin d’être réaliste, son attitude est un mécanisme de protection, de défense à l’égard de la réalité [13]. Il ne va pas sans un certain masochisme, ni une délectation pour la souffrance. À la limite, le dépressif est un homme en colère, un homme de ressentiment. Et donc un orgueilleux qui refuse de se laisser mesurer et informer par le réel.
2’) Se refuser à la tristesse du jaloux

Durant les jeux Olympiques de 1992 à Barcelone, des chercheurs ont analysé les vécus émotionnels des trois gagnants sur le podium, se posant la question : qui est le plus heureux, du deuxième et du troisième ? [14] De prime abord, notre réponse gradue le bonheur avec le seuil de réussite, autrement dit nous nous imaginons que le premier est plus heureux que le deuxième et le deuxième que le troisième. Or, des spécialistes ont montré que l’ordre devait s’inverser pour le second couple : la plupart des troisièmes avaient l’air nettement plus heureux de leur médaille de bronze que les seconds de leur médaille d’argent !

La cause en est que les deuxièmes pensaient à la première place qui leur avait échappé et les troisièmes à l’immense foule des non-classés, des non-médaillées où ils auraient pu se retrouver. Généralisant, on conclura d’abord que la tristesse de la jalousie n’est pas une question de réussite, de bien objectif, mais de regard jeté sur le bien ; on conclura ensuite qu’il y a deux sortes de regard que Christophe André appelle « la comparaison vers le haut » et « la comparaison vers le bas [15] ». Quelqu’un objectait toutefois à cette vision des choses : il demeure que, pour arriver, la motivation requiert que l’on regarde non vers le bas, mais vers le haut.

Le jaloux ferait aussi bien de méditer cette réflexion du comique Pierre Daninos qui fut victime d’une grave dépression : « Les gens ne connaissent pas leur bonheur… mais celui des autres ne leur échappe jamais [16] ».

3’) Se refuser à la tristesse du plaintif

La plainte est une autre forme de tristesse. En victimisant et en rendant passifs, les monologues plaintifs nourrissent le malheur [17].

Christophe André propose six critères pour distinguer la plainte adaptée de la plainte toxique [18]. Je les réordonne et les réduit à cinq :

 

  La plainte adaptée La plainte toxique
Relation au temps Ponctuelle Habituelle, persistante après les difficultés, voire infinie
Relation à la réalité objective Fondée sur un fait donné Généralisante, globalisante
Finalité En vue de trouver une solution Tournée sur elle-même, auto-entretenue
Relation avec l’écoutant Prend en compte la disponibilité de l’interlocuteur Ne prend pas en compte la disponibilité de l’interlocuteur
Fruit, fécondité Soulage d’être écoutée Ne soulage pas d’être écoutée
4’) Se refuser à la crainte

L’anxieux (cf. le type 6) perçoit le monde et le quotidien comme remplis de menaces. Avec deux conséquences majeures : en absence de problème, une hypervigilance au danger ; en présence de problème, une amplification et une généralisation, c’est-à-dire une focalisation sans recul. Le remède est notamment quadruple : 1. réfléchir, c’est-à-dire évaluer la réalité avec justesse, au lieu de ruminer sans fin ; 2. ne pas transformer les doutes en certitudes (et par exemple envisager aussi les issues positives) ; 3. ne pas voir une catastrophe derrière chaque incident ; 4. apprendre la confiance [19].

b) Comment vivre avec le tragique ?

Différentes techniques ont été testées en laboratoire pour induire une émotion joyeuse [20]. À noter que, de tous les moyens, le plus efficace, et de loin, est… voir un film comique : sa réussite est de 73 %, alors que recevoir un cadeau, qui arrive en seconde position, n’est efficace qu’à 38 %… Mais ces moyens sont assez passifs…

1’) Agir

Les travaux psychologiques montrent qu’il est plus facile d’améliorer l’humeur triste en agissant qu’en réfléchissant [21].

2’) Lutter contre les sentiments négatifs

Différentes émotions sombres sont à l’origine de l’impression de malheur : l’anxiété, la tristesse et la colère. En effet, les sentiments négatifs sont projectifs, surtout le premier, et induisent une certaine vision de la réalité. Inversement, changer cette vision permet d’influer sur le sentiment. Je renvoie à ce qui est dit ci-dessus.

3’) Prendre garde à la répétition

Le sentiment, le vécu de malheur (donc l’appropriation d’un événement douloureux) est plus lié à la répétition qu’à l’intensité. Une étude scientifique l’établit [22]. On raconte l’histoire suivante à un groupe de personnes : « Deux sœurs, Marie et Sixtine vivent deux événements heureux identiques (gagner 1 000 euros et recevoir une prime professionnelle de 2 000 euros), mais à des moments différents : le même jour pour Marie, à quinze jours d’intervalle pour Sixtine. Laquelle sera la plus heureuse ? » 63 % des gens pensent que c’est Sixtine. Inversement, pour deux événements malheureux (subir une amende de 1 000 euros et un rappel d’impôts de 2 000 euros), dans les mêmes délais, 57 % des personnes estimeront que c’est la formule simultanée qui la moins attristante.

  1. André qui rapporte l’exemple conclut : il vaut mieux « concentrer ses malheurs » et « étaler ses bonheurs », « mais il est rare que la vie nous offre le choix [23] ». Pourtant il est possible de s’approprier ce constat.

Ce constat est en tout cas important pour la manière de vivre le tragique de l’existence. Il dicte aussi le remède, en vue d’atténuer l’impression de répétition : vivre l’instant présent ; pardonner au fur et à mesure ; ne pas laisser s’accumuler les impressions de malheur.

4’) Refuser l’extension par contagion

En effet, on a constaté que les déprimés tendent à construire une image du monde où ils attribuent aux événéments négatifs deux caractéristiques : la stabilité (« le malheur tend à s’installer, à durer ») et la globalité (« le malheur tend à se généraliser, à s’étendre à tout ») [24]. Autrement dit l’extension dans le temps et dans l’espace.

Remède : se dire que l’expérience négative est instable (« cela ne va pas durer ») et non significative (« cela n’est pas significatif à l’égard de mes difficultés »). André Comte-Sponville note avec justesse à propos des moments de malheur : « Se rappeler, dans ces moments-là, que tout est impermanent : ce malheur passera aussi [25] ».

5’) Croire à la victoire

Rien ne vaut le témoignage. C’est celui que donne William Styron de la maladie dépressive dans son ouvrage autobiographique où il atteste : « il est possible de la vaincre [26] ». C’est aussi celui du journaliste Andrew Salomon : « Chaque jour, parfois vaillamment et parfois à l’encontre de la raison, je choisis de vivre. N’est-ce pas là un bonheur rare [27]? »

Et, au fond, la traversée de l’Enfer n’est-il pas profondément curatif pour Dante ? « Au milieu de sa vie », n’est-il pas tenté par l’affreuse acédie, d’autant plus profonde qu’elle puise aussi ses racines dans une culpabilité réelle ? Or, au terme de la traversée de l’Enfer, accédant au Purgatoire, il est dit, dans le dernier vers qui est aussi riche de sens que le premier : « Et là nous sortîmes pour revoir les étoiles [28] ».

c) Prendre conscience de ce qui est donné

1’) L’attitude d’optimisme changement de regard

L’optimisme est une attitude de l’intelligence qui fait envisager les choses selon leurs aspects positifs et l’incertain avec confiance.

L’objection est bien connue : pas plus que le pessimisme, l’optimisme n’est réaliste. C’est une blessure de l’intelligence et un déni de la réalité, un mécanisme de l’esprit se divertissant du tragique de l’existence et nous distrayant de l’inquiétude fondamentale qui est la seule attitude authentique. À la limite, l’optimiste est un disciple de Pangloss-Leibniz fustigé par le plus célèbre conte de Voltaire. On se souvient du mot de Bernanos renvoyant ces deux options symétriques dos à dos : « L’optimiste est un imbécile heureux et le pessimiste un imbécile malheureux ». Que penser par exemple de l’attitude de Roberto Benigni dans La vie est belle ?

Christophe André répond en distinguant trois attitudes : la pensée pessimiste dont on a vu l’illusion, la pensée positive qui est son pendant tout aussi irréaliste et la pensée optimiste [29]. Le choix des mots est discutable (car, dans l’usage, optimisme s’oppose au pessimisme comme son contraire), mais non le signifié qu’ils expriment. L’optimisme, en effet, ne nie pas le réel, notamment le danger. Tout au contraire, des travaux ont par exemple montré que les étudiants optimistes passent plus de temps à lire les informations de mise en garde, par exemple, pour les fumeurs, contre les méfaits du tabac [30] ; en outre, une intelligence plus ouverte intègre les informations, discerne celles qui apparaissent pertinentes, même si elles sont négatives, et pilote un comportement adapté [31]. Une expérience de psychologie manifeste cette plus grande flexibilité. On a demandé à des volontaires, optimistes et pessimistes, de résoudre un puzzle qui est en réalité insoluble. Sans autre élément, les résultats sont les mêmes. On voit maintenant apparaître une différence significative si on fait intervenir l’élément suivant : on donne aux volontaires trois séries de puzzles à réaliser en vingt minutes, dont la première seule est insoluble. Or, on constate que les optimistes abandonnent la première série pour passer à la deuxième en moyenne quatre minutes plus tôt que les pessimistes [32].

Confirmation de cette réponse est fournie par de nombreuses études en psychologie montrant les effets très positifs de l’attitude intérieure de l’optimisme :

  1. a) Au plan physique, elle favorise la santé [33], par exemple en rendant réceptif aux messages concernant celle-ci [34], en facilitant les suites opératoires [35], en rendant plus efficace un traitement de maladie grave [36] ou son vécu [37].

Voire, la vision positive de la réalité conduit à un allongement important de la durée de la vie : une étude conduite sur des personnes âgées de soixante-trois ans en moyenne sur une durée de vingt-trois ans, a montré que les optimistes (« je me sens en forme ») vivaient en moyenne sept ans et demi plus vieux que les pessimistes (« la vie sert à quoi désormais que je suis vieux ? ») [38]. De même, une étude fut faite auprès de 180 religieuses vivant dans des monastères, en conformité avec les supérieures [39]. L’étude comparait la durée de vie et le moral des religieuses. Celles-ci étaient rentrées au monastère en moyenne à 22 ans et avaient écrit à cette occasion une lettre. Et celle-ci comportait une vision positive ou non de l’existence qu’il est possible de mesurer en fonction des formules et de l’émotion qu’elles véhiculent. Or, 60 ans plus tard, on constatait que celles dont les lettres étaient les plus heureuses avaient vécu significativement plus longtemps que les autres.

  1. b) Au plan psychologique, elle apporte un véritable confort émotionnel, une qualité de vie, un bien-être [40].
  2. c) Au plan intellectuel, elle ouvre à une compréhension souple et fine de la réalité [41]. L’humeur positive met en état de focus (c’est-à-dire d’ouverture) d’une part positive, d’autre part externe (versus le focus interne [42]).
  3. d) Au plan éthique, enfin, elle élargit le champ de conscience en supposant qu’il existe une issue favorable, multiplie les recherches d’aide et de soutien [43] ; de ce fait, elle mobilise l’énergie et persévère. C’est ce que montre une intéressante expérience conduite sur des souris [44] – ce qui tendrait à établir que le comportement optimiste fait aussi appel à des sources non-rationnelles. On place des souris dans deux cuves aux parois lisses emplies d’un liquide opaque assez abondant pour qu’elles n’aient pas pied. Dans la seule première cuve, se trouve une île engloutie donc invisible, où la souris, lorsqu’elle l’aura trouvée, pourra se récupérer. Première expérience : un premier groupe de souris est placé dans la première cuve et un second dans la seconde ; seules les premières ont fait l’expérience de l’existence d’une plate-forme de secours. Seconde expérience : toutes les souris sont placées dans la seconde cuve, dénuée d’île. On constate alors que les souris qui ont été plongées dans la première cuve, donc ayant fait l’expérience d’une récupération, nagent deux fois plus longtemps que les autres (pour les amis des animaux, je précise qu’on récupère les souris avant qu’elles ne se noient !). Leçon : l’espoir, la conviction d’une issue positive, autrement dit l’optimisme, mobilisent une énergie beaucoup plus grande. En cas de vrai naufrage, les rescapés sont beaucoup plus nombreux chez les optimistes.

Comment expliquer ce constat paradoxal ? Je risque une hypothèse, alors que Christophe André en demeure à l’expérimentation [45]. Peut-être à cause de la meilleure estime de soi que suppose l’optimisme ; or, l’estime de soi rend capable d’accueillir des informations désagréables ; un moi fortifié est moins destructuré par le contraire. Au fond, l’optimisme n’est donc pas symétrique du pessimisme car celui-ci est le contraire ou la privation de celui-là ; or, privé, un être est défectueux.

2’) L’attitude de gratitude

Un certain nombre d’études prouvent que la gratitude est source de bien-être [46]. Ainsi, une étude a séparé des étudiants en deux groupes qui furent suivis pendant dix semaines. Le premier avait pour consigne de noter chaque semaine au moins cinq événements leur inspirant de la reconnaissance vis-à-vis de quelqu’un ; le second, au contraire, écrivait cinq événements stressants. À l’issue de la recherche, les étudiants du premier groupe avaient un score significativement plus élevé sur les échelles de bien-être [47].

Pascal Ide

[1] Marcel Conche, Montaigne ou la conscience heureuse, Paris, p.u.f., 2002, p. 28.

[2] Christophe André, Vivre heureux. Psychologie du bonheur, Paris, Odile Jacob, 2003. Les références scientifiques sont empruntées à l’ouvrage. Cette synthèse date de la même époque et ne prend pas en compte nombre d’études parues depuis, par exemple, sur la plainte toxique dans le triangle de Karpman, ou sur la gratitude.

[3] André Comte-Sponville, Le bonheur désespérément, Nantes, Pleins Feux, 2000, p. 102.

[4] En ce sens, il se rapproche d’ouvrage plus classique comme celui de Marcèle Auclair, Le livre du bonheur, Paris, Seuil, 1959. La convertie a des continuateurs actuels par exemple avec Dominique Glocheux, Petits chemins du bonheur, Paris, Flammarion, 1999.

[5] Cf. toute la quatrième partie de l’ouvrage de Christophe André, Vivre heureux, p. 285-308.

[6] Christophe André le note expressément (Vivre heureux, p. 21-22).

[7] Ainsi la mère dysphorique (habitée par des émotions négatives) perçoit son enfant de manière négative (cf. Eric Youngstrom et al., « Dysphoria-related bias in Maternal Ratings of Children », Journal of Consulting and Clinical Psychology, 67 (1999) n° 6, p. 905-916).

[8] Cf. Zindel V. Segal et al., « A Cognitive Science Perspective on Kinding and Episode Sensitizations in Recurrent Affective Disorders », Psychological Medicine, 26 (1996) n° 2, p. 371-380.

[9] Cf. Christophe André, Vivre heureux, p. 213-225.

[10] Cf. Nalini Ambady & Heather M. Gray, « On Being Sad and Mistaken: Mood Effects on the Accuracy of Thin-slice Judgments », Journal of Personality and Social Psychology, 83 (2002) n° 4, p. 947-961.

[11] Cf. Martin E. P. Seligman, « Explanatory Style: Predicting Depression, Achievement and Health », in Michael D. Yapko (éd.), Brief Therapy Approaches to Treating Anxiety and Depression, New York, Brunner-Mazel, 1989.

[12] Cf. Clive J. Robins & Adele M. Hayes, « The Role of Causal Attributions in the Prediction of Depression », in Gregory McClellan Buchanan & Martin E. P. Seligman (éds.), Explanatory Style, Hillsadale (New Jersey), Erlbaum, 1995, p. 71-98.

[13] Cf. Julie K. Norem, « Defensive Pessimism, Optimism and Pessimism », in Edward C. Chang (éd.), Optimism and Pessimism, Washington DC, American Psychological Association, 2001, p. 77-100.

[14] Paolo Legrenzi, Le bonheur, Bruxelles, De Boeck Université, 2001, p. 28.

[15] Cf. Christophe André, Vivre heureux, p. 233-237.

[16] Pierre Daninos, Le 36e dessous, Paris, Hachette, 1966.

[17] Cf. Vann B. Scott et al., « The Development of a Trait Measure of Ruminative Thought », Personality and Individual Differences, 26 (1999) n° 6, p. 1045-1053. Cf. François Roustang, La fin de la plainte, coll. « Poches » n° 62, Paris, Odile Jacob, 2001.

[18] Christophe André, Vivre heureux, p. 241.

[19] Pour le détail, cf. Christophe André, Vivre heureux, p. 206-213.

[20] Cf. Rainer Westermann et al., « Relative effectiveness and Validity of Mood Induction Procedures: A Meta-analysis », European Journal of Social Psychology, 26 (1996) n° 4, p. 557-580. Je renvoie au tableau de Christophe André, Vivre heureux, p. 205.

[21] Cf. R. E. Thayer, « Rational Mood Substitution: Exercise more and Indulge less », in Robert E. Thayer, The Origin of Everyday Moods, p. 157-168.

[22] Elle est rapportée par Paolo Legrenzi, Le bonheur, p. 34-35.

[23] Christophe André, Vivre heureux, p. 45.

[24] Cf. Lyn Y. Abramson et al., « Lenarned Helplessness in Humans: Critique and Reformulation », Journal of Abnormal Psychology, 87 (1987) n° 1, p. 49-74.

[25] André Comte-Sponville, Dictionnaire philosophique, Paris, p.u.f., 2000.

[26] William Styron, Face aux ténèbres. Chronique d’une folie, Paris, Gallimard, 1990.

[27] Andrew Salomon, Le diable intérieur. Anatomie de la dépression, Paris, Albin Michel, 2002.

[28] Chant xxxiv, v.

[29] Cf. par exemple le tableau Vivre heureux, p. 270.

[30] Cf. Lisa G. Aspinwall et al., « Distinguishing Optimism from Denial: Optimistic Beliefs Predict Attention to Health Threats », Personality and Social Psychology Bulletin, 22 (1996) n° 10, p. 993-1003.

[31] Cf. Shelley E. Taylor et al., « Optimisme, Coping, Psychological Distress and High-risk Sexual Behavior among Men at Risk for AIDS », Journal of Personality and Social Psychology, 63 (1992) n° 3, p. 460-473.

[32] Cf. Lisa G. Aspinwall et al., « Optimism and Self-Mastery Predict more rapid Disengagement from Unsolvable Tasks in Presence of Alternatives », Motivation and emotion, 23 (1999) n° 3, p. 221-245.

[33] Cf. Christopher Peterson et al., « Pessimistic Explanatory Style is a Risk-Factor for Physical Illness: A Thirty-five Year Longitudinal Study », Journal of Personality and Social Psychology, 55 (1988) n° 1, p. 23-27.

[34] Cf. Rajagopal Raghunathan & Yaacov Trope, « Walking the Tithtrope between Feeling good and being accurate: Mood as a Ressource in Processing Persuasive Messages », Journal of Personality and Social Psychology, 83 (2002) n° 3, p. 510-525.

[35] Cf. Sophie Guellati et al., « Le rôle de l’optimisme dans les suites opératoires », Journal de thérapie comportementale et cognitive, 10 (2000) n° 1, p. 15-29.

[36] Cf. Sophie Guellati, « Le concept d’optimisme en psychologie de la santé », Journal de thérapie comportementale et cognitive, 10 (2000) n° 1, p. 5-14.

[37] Cf. Shelley E. Taylor et al., « Psychological Ressources, Positive Illusions and Health », American Psychologist, 55 (2000), p. 99-109.

[38] Cf. Becca R. Levy et al., « Longevity Increased by Positive Self-Perception of Aging », Journal of Personality and Social Psychology, 83 (2002) n° 2, p. 261-270.

[39] Cf. Deborah D. Danner et al., « Positive Emotions in Early Life and Longevity: Findings from the Nun Study », Journal of Personality and Social Psychology, 80 (2001) n° 5, p. 804-813.

[40] Cf. Christopher Peterson et al., « The Future of Optimism », American Psychologist, 55 (2000) n° 1, p. 45-55.

[41] Cf. Lisa G. Aspinwall et al., « Understanding how Optimisme Works: An Exmination of Optimist’s Adaptative Moderation of Belief and Behavior », in Edward C. Chang (éd.), Optimism and Pessimism, p. 217-238.

[42] Cf. Constantine Sedikides, « Mood as a Determinant of Attentional Focus », Cognition and Emotion, 6 (1992) n° 2, p. 129-148.

[43] Cf. Ian Brissette et al., « The Role of Optimism in Social Network Development, Coping and Psychological Adjustment during a Life Transition », Journal of Personality and Social Psychology, 82 (2002) n° 1, p. 102-111.

[44] Cf. Richard G. M. Morris, « Spatial Localization does not Require the Presence of Local Cues », Learning and Motivation, 12 (1981) n° 2, p. 239-260.

[45] Christophe André, Vivre heureux, p. 261s.

[46] Cf. Michael E. McCullough, « The Grateful Disposition: A Conceptual and Empirical Topography », Journal of Personality and Social Psychology, 82 (2002) n° 1, p. 112-127.

[47] Cf. Robert A. Emmons, C. À Clumper, « Gratitude as Human Strenght: Appraising the Evidence », Journal of Social and Clinical Psychology, 19 (2000) n° 1, p. 59-69.

4.11.2019
 

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