Dominus Jesus. Le Seigneur Jésus, unique Sauveur 1/3

Pascal Ide, « Dominus Jesus. Le Seigneur Jésus, unique Sauveur », in Sources Vives, Jésus le seul Sauveur ?, n° 96, Carême 2001, p. 71-93.

Le mardi 5 septembre 2000, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a présenté un texte, la Déclaration Dominus Jesus, qui a beaucoup fait parler de lui jusque dans la grande presse – ce qui n’est pas si fréquent. Comment, dans un numéro de Sources vives consacré au Christ Sauveur, ne pas parler de ce document dont le titre complet est : « Déclaration Dominus Jesus sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus-Christ et de l’Église » ? [1]

Comme il n’est pas certain que ce texte ait été autant lu qu’il a été critiqué, j’en proposerai un vade-mecum systématique (objet, plan et contenu principal) avant de répondre à certaines difficultés qu’il a suscitées. Étant donné la taille de l’article, mon propos se contentera d’être introductif, laissant à d’autres le soin de commentaires plus élaborés et plus autorisés.

A) Intention de la Déclaration :

On n’a pas assez pris garde à la manière dont la Déclaration commence et finit. Les premiers mots d’un document magistériel dont on sait qu’ils constituent le titre, sont soigneusement pesés et choisis ; or, Dominus Jesus fait explicitement mention à la parole de saint Paul aux Corinthiens : « Nul ne peut dire ‘Jésus est Seigneur’ (Dominus Jesus), si l’Esprit Saint » (1 Co 12,3) ; c’est donc que l’intention première et profonde de la Déclaration est de rappeler ce qui constitue le cœur du christianisme à savoir la divinité du Christ. Or, c’est parce que Jésus est vrai homme et vrai Dieu qu’il peut prétendre, lui et lui seul être le Sauveur. Portons-nous maintenant à l’extrême fin du texte. Il est signé le 6 août, jour de la Transfiguration. Or, la Transfiguration est une théophanie : le corps du Christ y révèle, dans toute sa splendeur glorifiée, la divinité.

Cette inclusion signifie donc que l’intention première du texte est, comme le dit la Déclaration, de « rappeler aux Évêques, aux théologiens et à tous les fidèles catholiques certains contenus doctrinaux essentiels » relatifs au mystère du salut du Christ et de l’Église (n. 3).

Cette intention se décline en trois objectifs (n. 3) :

  1. « exposer une nouvelle fois la doctrine de la foi catholique » sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus-Christ et de l’Église.
  2. indiquer « certains problèmes fondamentaux qui restent ouverts à d’ultérieurs approfondissements » ;
  3. « réfuter quelques opinions erronées ou ambiguës ». Ces erreurs sont dues aux « théories relativistes » (n. 4) qui ont en commun de transformer le pluralisme religieux de fait (de facto) en un pluralisme de droit (de jure).

B) Plan détaillé  :

Le titre indique le sujet de la Déclaration, le salut. Il en indique aussi le plan. Les points abordés sont au nombre de deux : le Christ et l’Eglise.

1) Introduction (n. 1-4) :

– Perspective générale : la mission (n. 1 et 2).

– Intention (n. 3 et 4).

2) L’unique salut du Christ (ch. 1-3) :

a) La Révélation du Christ (ch. 1) :

– La Révélation elle-même (n. 5 et 6).

– La réponse de la foi (n. 7).

– Les textes inspirés qui nous livrent la Révélation (n. 8).

b) L’unité du Christ (ch. 2, n. 9 et 10) :

L’unité personnelle entre le Verbe éternel et le Verbe incarné (n. 9 et 10).

c) La Rédemption du Christ (ch. 2, n. 11 et 12 et ch. 3) :

– L’unité de l’économie salvifique : du Verbe incarné (n. 11) et du Saint-Esprit (n. 12).

– L’unicité (donc l’universalité) de la mission salvifique du Christ (ch. 3 : n. 13 à 15).

2) La médiation salvifique universelle de l’Église :

– L’union entre le Christ et l’Église et donc l’unicité de cette Église (ch. 4, n. 16 et 17).

– L’union entre l’Église du Christ et l’Église catholique, précisément la subsistance de l’unique Église du Christ dans l’Église catholique (n. 16).

– La non-séparation dans la distinction de l’Église, du Royaume de Dieu et du Royaume du Christ (ch. 5, n. 18 et 19).

3) Les relations avec les autres religions (ch. 6, n. 20 à 22).

4) Conclusion (n. 23).

 

La seule lecture du plan permet de comprendre que le dialogue interreligieux et non l’œcuménisme est de loin la préoccupation la plus importante du document : 14 numéros (n. 5-15 et 20-22) lui sont consacrés contre seulement 4 numéros. Valorisant trop la question de l’œcuménisme, pour des raisons culturelles évidentes, la presse occidentale a déformé la portée de la Déclaration [2].

C) Contenu :

Le second objectif énoncé par le paragraphe 3 (indiquer « certains problèmes fondamentaux qui restent ouverts à d’ultérieurs approfondissements »), est moins honoré, étant donné le genre littéraire de la Déclaration. Celle-ci signale expressément surtout deux domaines de réflexion pour la théologie, ce qui n’est bien entendu pas exclusif : 1. « la présence d’autres expériences religieuses et […] leur signification dans le plan salvifique de Dieu », c’est-à-dire « les aspects et les éléments positifs de ces religions : entrent-ils dans le plan divin du salut ? Comment ? » (n. 14) 2. « la modalité de la transmission aux non-chrétiens de la grâce salvifique de Dieu » (n. 21).

La Déclaration se centre donc surtout sur le premier et le troisième objectif, respectivement : rappeler la doctrine et réfuter certaines erreurs contre celle-ci. Je vais maintenant l’exposer très brièvement en deux colonnes présentant en vis-à-vis l’affirmation de la foi et l’erreur opposée. Je ne me cache pas que cette présentation, à visée uniquement pédagogique, prête un caractère polémique à un document dont le ton est serein.

L’introduction (n. 4) énonce une liste non exhaustive de neuf points litigieux qui couvre à peu près toute la Déclaration. Il me suffira de les reprendre successivement, ajoutant seulement un point contenu dans le dernier chapitre. Par ailleurs, je citerai les passages introduit par l’expression « il faut croire fermement », de surcroît soulignée par es italiques, car ils formulent la proposition demandant l’adhésion de la part du fidèle .

 

  Proposition de la foi

 

Erreur(s) à écarter
La Révélation          (n. 5 et 6)

 

On doit « croire fermement que la révélation de la plénitude de la vérité divine est réalisée dans le mystère de Jésus-Christ, Fils de Dieu incarné » (n. 5). « Est donc contraire à la foi de l’Église la thèse qui soutient le caractère limite, incomplet et imparfait de la révélation de Jésus-Christ, qui compléterait la révélation présente dans les autres religions. » (n. 6)
La réponse de la foi (n. 7) On doit « tenir fermement la distinction entre la foi théologale et la croyance dans les autres religions. » Est donc erronée « l’identification entre la foi théologale, qui est l’accueil de la vérité révélée par le Dieu Un et Trine, et la croyance dans les autres religions, qui est une expérience religieuse encore à la recherche de la vérité absolue, et encore privée de l’assentiment à Dieu qui se révèle. »
L’inspiration des livres de la Sainte Écriture (n. 8) « la tradition de l’Église réserve la qualification de textes inspirés aux livres canoniques ». Est écartée « l’hypothèse de l’inspiration des textes sacrés d’autres religions. »
L’unité personnelle du Verbe éternel et du Verbe incarné (n. 9 et 10) On doit « croire fermement la doctrine de la foi qui proclame que Jésus de Nazareth, fils de Marie, et seulement lui, est le Fils et le Verbe du Père. » (n. 10) « Il est donc contraire à la foi catholique de séparer l’action salvifique du Logos en tant que tel de celle du Verbe fait chair. » (n. 10)
L’unité de l’économie du salut : du Verbe incarné et du Saint-Esprit (n. 11 et 12). Il faut « croire fermement la doctrine de la foi sur l’unicité de l’économie salvifique voulue par le Dieu Un et Trine. » (n. 11) Est donc erronée « l’hypothèse d’une économie de l’Esprit Saint au caractère plus universel que celle du Verbe incarné, crucifié et ressuscité. » (n. 12)
L’unicité (donc l’universalité) de la mission de salut du Christ (n. 13 à 15) Il faut « croire fermement, comme un élément permanent de la foi de l’Église, la vérité sur Jésus-Christ, Fils de Dieu, Seigneur et unique sauveur » (n. 13).

Il faut « croire fermement comme vérité de la foi catholique que la volonté salvifique universelle du Dieu Un et Trine est manifestée et accomplie une fois pour toutes dans le mystère de l’incarnation, mort et résurrection du Fils de Dieu. » (n. 14)

La « fonction » du Christ « pour le genre humain pour son histoire » « est exclusive, universelle et absolue » (n. 15).

Pas d’erreur explicitement énoncée.
L’union entre le Christ et l’Église et donc l’unicité de cette Église (n. 16) « on doit croire fermement comme vérité de foi catholique en l’unicité de l’Église fondée par le Christ. » (n. 16) Pas d’erreur explicitement énoncée.
La subsistance de l’unique Église du Christ dans l’Église catholique (n. 16 et 17) « Les fidèles sont tenus de professer qu’il existe une continuité historique – fondée sur la succession apostolique – entre l’Église instituée par le Christ et l’Église catholique » (n. 16). Pas d’erreur explicitement énoncée ; mais il est précisé au n. 17 :

– que « les Églises qui, quoique sans communion parfaite avec l’Église catholique, lui restent cependant unies par des liens très étroits comme la succession apostolique et l’Eucharistie valide, sont de véritables Églises particulières. » (Églises orthodoxes)

– que « les Communautés ecclésiales qui n’ont pas conservé l’épiscopat valide et la substance authentique et intégrale du mystère eucharistique, ne sont pas des Églises au sens propre ». (communautés protestantes)

La non-séparation dans la distinction de l’Église, du Royaume de Dieu et du Royaume du Christ (n. 18 et 19) Le texte est nuancé :

– L’Église est « signe et instrument du Royaume », donc « elle en constitue le germe et le principe » (n. 18).

– « Le Royaume de Dieu ne se réalisera pleinement qu’à la fin ou accomplissement de l’histoire. » (n. 18) Il « est la manifestation et la réalisation de son dessein de salut dans sa plénitude. » (n. 19)

Deux erreurs opposées :

– On ne doit pas « refuser ou réduire à néant le lien étroit entre le Christ, le Royaume et l’Église. » (n. 18)

– Inversement, on ne peut dire que « le Royaume de Dieu – même considérée dans sa phase historique – s’identifie avec l’Église dans sa réalité visible et sociale. » (n. 19)

Les relations aux autres religions (n. 20 à 22) « la voie du dialogue interreligieux ne remplace certainement pas la missio ad gentes mais l’accompagne plutôt » (n. 2) « Le dialogue, tout en faisant partie de la mission évangélisatrice, n’est qu’une des actions de l’Église dans sa mission ad gentes. » (n. 22) L’erreur (la voie du dialogue interreligieux à l’exclusion de l’évangélisation ou missio ad gentes) n’est pas explicitement énoncée.

 

La lecture comparée des vérités énoncées et des erreurs soulignées permet de se rendre compte qu’une bonne part du travail théologique consiste ici à tenir l’unité dans la distinction sans séparation entre : Dieu et le Verbe ; le Verbe et l’Esprit Saint ; le Verbe éternel et Jésus Christ ; le salut divin et le salut en Jésus-Christ ; le Christ et l’Église ; l’Église et les églises. Si la foi catholique est celle des conjonctions « et/et » et non « ou/ou », comment dire qu’elle exclut ?

Pascal Ide

[1] Les éditions du texte sont multiples, la traduction française étant celle, officielle, de la Salle de Presse du Saint-Siège. On peut joindre à ce texte le document, primitivement secret mais qu’une indiscrétion a rendu public, de la même Congrégation pour la Doctrine de la Foi sur l’expression « Églises sœurs » (La documentation catholique, 1er octobre 2000, n° 2233, p. 823-825).

[2] Il n’est peut-être pas inutile de préciser qu’au sens strict du terme, l’ « œcuménisme » concerne seulement les relations entre les différentes confessions chrétiennes, alors que le « dialogue interreligieux » a pour objet les relations du christianisme avec les autres religions.

17.2.2018
 

Les commentaires sont fermés.