« Ce qu’elle pouvait faire, elle l’a fait »

Dans l’Évangile de la Passion proclamé en ce dimanche des Rameaux, nous avons entendu cette parole de Jésus au sujet de la femme qui verse le parfum précieux sur sa tête : « Ce qu’elle pouvait faire, elle l’a fait » (Mc 14,8). L’interprétation traditionnelle qui peut s’autoriser du commentaire même de Jésus, est que, par ce « beau geste », elle a anticipé sa sépulture. Mais cela dit-il tout ? Cela explique-t-il pourquoi « le monde entier » en parlera « en mémoire d’elle ».

En fait, le texte grec est plus bref, plus sibyllin, plus suggestif aussi : « Ce qu’elle eut, elle fit ». Mais qu’a-t-elle ? Certes, ce parfum, mais que veut dire alors qu’elle fit ? Plus que ce parfum, elle a reçu son être ? Et que fait-elle ? Sinon donner ce qu’elle a reçu.

Et s’il fallait remonter plus haut, à la Source même, c’est-à-dire à la Sainte Trinité. Un saint franciscain du xiiie siècle, saint Bonaventure a cette réflexion abyssale que je résume. Nous, vivants, ne pouvons que nous communiquer partiellement : seule une partie du vivant (la semence) est dévolue à la transmission de la vie. En revanche, l’être de Dieu se communique en totalité : c’est parce que le Père donne tout son être (son essence divine) que le Fils est aussi Dieu [1].

Or, dans la Passion, depuis l’institution de l’Eucharistie – « Ceci est mon corps livré pour vous » ; « Ceci est la coupe de mon sang versé pour vous » – jusqu’au côté ouvert – d’où, « aussitôt, sortit du sang et de l’eau » (Jn 19,34) –, que contemplons-nous ? L’être de Dieu qui, pour parler comme Paul Claudel, est entièrement « donnable [2] », c’est-à-dire est entièrement Amour (cf. 1 Jn 4,8.16).

Revenons à la femme de l’Évangile : son « geste » ou, plus précisément, son « œuvre » est si « belle » et si exemplaire parce qu’elle révèle le mystère même de Dieu qui est le mystère du don sans reste et sans retour. De même que ce parfum s’épanche totalement pour Jésus, c’est-à-dire gratuitement, de même la vocation du disciple de Jésus est de se donner, se répandre comme un parfum, afin de « remplir la maison » (Jn 12,3) qu’est l’Église, voire, l’humanité (pape François, Laudato sì).

Que, pendant cette Semaine Sainte, nous devenions plus « donnables » et donnés.

Pascal Ide

[1] Il parle de la génération du Fils par le Père : le « mode de la génération est en Dieu et dans les créatures, mais différemment, parce que produire un autre à partir de soi peut consister en deux choses : soit à partir de la totalité de soi, soit à partir d’une partie de soi [vel ex se toto, vel ex perte sui]. Ne peut produire à partir de la totalité de soi que celui dont l’essence peut être une et entière dans plusieurs [in pluribus una et tota]. En effet, si elle ne peut être une et entière dans plusieurs, si celui qui engendre donne toute sa substance à l’engendré, alors que toute la substance passe dans l’engendré, et celui qui engendre perd toute sa substance en engendant, ce qui ne peut être. Il est donc nécessaire qu’il possède une substance telle qu’elle soit une et entière dans plusieurs […]. D’une autre manière, il arrive que quelqu’un produise [quelque chose] à partir de soi quant à une partie de soi. C’est ainsi que le père naturel engendre le fils, en transmettant et en détachant une partie de sa substance » (I Sent., d. 9, q. 1, resp., éd. Quaracchi, p. 181).

[2] « Le Verbe de Dieu est Celui en qui Dieu s’est fait à l’homme donnable » (Paul Claudel, V. La maison fermée, dans Cinq grandes odes, Paris, Nouvelle revue française, 1913, Gallimard-NRF, 1936, p. 32 : Œuvre poétique, éd. Jacques Petit, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1967, p. 281)

25.3.2018
 

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