Une autre raison d’être vertueux

À côté des raisons classiques de la vertu (nous changer  en profondeur et durablement ; rendre le bonheur plus accessible, voire rendre heureux ; améliorer notre relation à autrui ; nous faire passer des virtualités aux virtuosités ; nous stabiliser dans notre mission et donc nous donner du sens ; amoindrir les effets du péché originel ; préparer au dépassement parfois héroïque de nous-même), une autre raison d’être importante de la vertu est la maîtrise de soi si désiré et pourtant si difficilement accessible. Si désiré : « Nous atteignons le plus haut degré de culture morale auquel il soit possible d’arriver, quand nous reconnaissons que nous devons contrôler toutes nos pensées [1] ». Et si difficilement accessible, donc si rare. Des vingt-cinq « traits de caractère positifs », qui sont en fait des dispositions vertueuses, identifiés par Seligman, interrogeant plus d’un million de personnes dans le monde entier, le bon dernier est… le self-control [2].

C’est ce que confirme une passionnante étude de Wilhelm Hofmann réalisée auprès d’un groupe de plus de deux cents Allemands. Ils furent équipés d’un bipeur qui se déclenchait au hasard sept fois par jour. Ils devaient alors noter les moindres envies qu’ils éprouvaient à ce moment-là ou juste avant. Les résultats qui ont collecté plus de dix mille rapports ont montré que la moitié des sujets avaient désiré quelque chose quand leur bipeur sonnait et un quart avait éprouvé une envie dans les minutes précédentes. Dans l’ordre de fréquence, les propensions étaient les suivantes : envie de manger, envie de dormir, envie de se distraire, désir sexuel, envie d’interactions (vérifier ses courriels, se rendre sur les réseaux sociaux), etc. Or, il s’agissait de désirs auxquels les personnes avaient résisté. Ainsi, concluaient les enquêteurs, nous passons en moyenne une heure sur cinq à faire effort pour ne pas succomber à une tentation. Autre conclusion. Nous lui cédons une fois sur six (notamment manger, boire une boisson sucrée, regarder la télévision, surfer sur la Toile) [3]. « Je résiste à tout sauf à la tentation », disait Oscar Wilde dans un des paradoxes qu’il affectionnait [4].

Or, la vertu modère le désir. Elle permet donc d’économiser une part considérable de notre énergie, en écartant la tentation révélée par le bipeur. Comme l’énergie humaine se projette dans le temps, la vertu est aussi souhaitable parce qu’elle permet de gagner du temps : plusieurs heures par jour !

Pascal Ide

[1] Charles Darwin, La descendance de l’homme et la sélection naturelle, trad. Edmond Barbier, Paris, Librairie Reinwald, 1881, p. 132.

[2] Cf. Christopher Peterson et Martin Seligman, Character Strengths and Virtues. A Handbook and Classification, New York, Oxford University Press, 2004.

[3] Cf. Wilhelm Hofmann, Roy F. Baumeister, Georg Förster & Kathleen D. Vohs, « Everyday temptations: An experience sampling study of desire, conflict, and self-control », Journal of Personality and Social Psychology, 102 (2012) n° 6, p. 1318-1335.

[4] Oscar Wilde, L’éventail de Lady Windermere, trad. Pascal Aquien, Paris, Garnier-Flammarion, 2012, p. 67.

15.11.2025
 

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